Aiguille Blanche de Peuterey 1973
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Aiguille Blanche de Peuterey 1973

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Dominique Roulin, Genève

Pour moi, l' année 1973 - celle de mes dix-huit ans - a été riche en réussites. Inscrit au cours d' as en Valais, j' ai pu franchir la première étape de ce métier passionnant.

Par la suite, de bénéfiques ennuis d' apprentis m' ont permis de prendre deux mois de vacances pendant la belle saison. Ainsi ai-je eu le privilège de réussir une belle série de courses, dont les plus importantes sont: la quatrième solitaire du Couloir Gervasutti, au Mont Blanc du Tacul, la face nord de l' Aiguille du Midi, la première solitaire de la face nord directe de l' Aiguille Blanche de Peuterey, la face nord des Drus, le Pilier Central du Frêney et la voie des Français à l' Aiguille du Pouce. Au mois de juin, pendant le cours, nous avions fait six courses en six jours, parmi lesquelles: le Dolent à ski, la face nord du Chardonnet, et d' autres ascensions moins importantes qui m' ont amené en grande forme au début de la saison - une forme que jamais je n' avais connue auparavant.

Aujourd'hui, 14 août, je suis dans les premières pentes du Col de Peuterey, au pied de la raide face nord de l' Aiguille Blanche. Je suis encordé avec mes amis Michel et Yvette Vaucher qui m' ont accompagné jusqu' ici. Plus tard, il me sera reproché d' avoir traverse, encordé, le bassin de la Brenva! Pour certaines gens, du moment que j' ai qualifié mon ascension de « solitaire », elle devait être accomplie en solitaire du début à la fin. Selon ces mêmes personnes, j' aurais, ce faisant, éludé les risques les plus évidents de mon entreprise. Il se peut que ce soit exact, je ne le conteste pas, mais Michel et Yvette sont d' excel amis, que seul le hasard me fit rencontrer dans la vallée. Ils avaient à effectuer la même marche d' approche que moi. Alors, pour satisfaire les puristes, j' aurais dû remettre mon escalade à plus tard et refuser à deux de mes amis les meilleurs un bout de conduite. Cela me paraît absurde!

14 août, i h 30... c' est l' heure du grand saut. C' est l' heure de vérité. Mais c' est aussi l' heure du nœud dans l' estomac! Michel et Yvette sont à côté de moi. Je pose mon sac et me décorde. Que c' est dur de se décorder dans la nuit, face à deux amis qui vous regardent faire! Michel me dit:

- Dommage qu' on ne continue pas ensemble! Alors, là... j' hésite... Mais non, ma décision est prise, je ne reviendrai pas sur ma résolution. Oui, fuir cette insatisfaction, rechercher un accomplissement, un sentiment de plénitude.Vaincre la difficulté, oui, la difficulté. Pas celle de la vie courante; la vraie; celle qui a permis à tant d' hommes de se sentir eux-mêmes. Ce « toujours plus », qui mène parfois trop loin. Personne, je crois, n' y échappe. Me voyant décidé, Michel intervient:

- Tu verras, ce ne doit pas être aussi raide que ~a en a l' air.

Mais déjà je n' écoute plus, déjà je vis ma course. Devant eux, quatre cents mètres de dénivellation, jusqu' au Col de Peuterey. De là, le Pilier central du Frêney. Devant moi, sept cents mètres de face nord glaciaire: l' Aiguille Blanche de Peuterey.

Une forte poignée de main:

- Salut, Yvette! Salut, Michel!

Lorsque s' achèvent mes préparatifs, mes amis sont déjà bien au-dessus de moi, et je ne distingue plus que la faible lueur de leurs lampes.

Je traverse à gauche, jusqu' à l' aplomb de la grande pente bordant la droite de l' immense sérac accroché au milieu de la face. Par moments, j' éteins ma lampe pour mieux apercevoir le relief et interrompre les jeux folâtres de mon ombre qui se balade à travers le faisceau lumineux. En certains endroits, j' enfonce jusqu' aux genoux dans la neige poudreuse. Je doute des conditions. Lentement, je monte, droit vers la rimaye, dont je n' ar pas à évaluer l' ampleur. C' est seulement au pied de la crevasse que j' en mesure les dimensions. Pour la franchir, il me faut exécuter une traversée descendante sur la gauche, jusque sous la Faucille ( barre rocheuse située sous le grand sérac ). De là, par un pas délicat, je franchis la rimaye. L' endroit où je me trouve est des plus exposés! Et je ne peux pas me déplacer rapidement dans cette pente, dont la raideur est parfois inquiétante. Une lente montée en oblique vers la droite doit me ramener sur l' itinéraire original.

Tout est immense et calme, au pied de cet extraordinaire mur de glace, large d' environ cent cinquante mètres et haut de quatre-vingts. Un sérac de 80 mètres, entièrement surplombant, sorte de géant qui tient ma vie entre ses mâchoires glacées. Si, par malheur, elles se refermaient, je n' aurais pas le temps de comprendre, pas le temps devoir!

Une demi-heure passe. Je suis hors de danger. Je monte rapidement. En général, les conditions sont plutôt bonnes, mais quelques bandes de glace réclament toute mon attention. Sur ces deux cents premiers mètres, la pente avoisine les 650; l' im 1Aiguille Blanche de Peuterey: voie directe du versant nord 2Pilier central du Frêney ( Mont Blanc ). O Bivouac Photos: André Roch, Genève pression de raideur est totale! Encore une plaque de glace... Mes crampons mordent bien; mais, sur la glace, on se fatigue vite. Seul, cela veut aussi dire sept cents mètres sans relais. Et si l'on veut vraiment s' arrêter, il faut planter une broche à glace et tailler une marche. Et quand vient le moment de repartir... le cœur manque parfois!

Maintenant, j' ai le sentiment d' être un peu plus haut que le sérac. La pente perd de son inclinaison: 580. Il n' y a, pour ainsi dire, plus de danger objectif. Mais un grave handicap pèse sur moi: la fatigue. Le coup de barre en cet endroit... pourquoi? Seraient-ce les efforts des courses précédentes qui la provoquent? Je ne le pense pas. Mais cette nuit, au refuge, j' ai dormi au maximum une heure. Le manque de place en était la cause. Par ailleurs, j' ai dû un peu trop forcer l' allure dans les deux cents premiers mètres. Et tout cela est sans doute la raison de cette fatigue, qui survient soudain - angoissante. Je parcours dix mètres et m' arrête, épuisé, haletant comme une bête, la tête contre la glace pour ne rien voir, les bras accrochés, d' un côté au piolet, de l' autre au poignard. Cette fatigue, le moral en subit le contrecoup. Mais c' est surtout la peur, cette peur qu' on voudrait chasser de l' es, qui se transmet à tout l' être, descendant qu' aux jambes, qui tremblent sur les pointes des crampons. Il faut que je récupère, que je me calme; après, tout ira mieux.

Je suis à l' arrêt quand... presque d' un coup, l' inquiétude disparaît, faisant place à un certain réalisme. Je me répète sans cesse: « Allons, Domino, tu es trop lent! », trop lent devant ce sommet qui s' éloigne au fur et mesure que je m' élève. Au moment où je suis au plus profond du doute quant à ma réussite, l' envie de reprendre la bataille remit en moi. La peur s' éclipse; la fatigue disparaît comme elle est venue. Cette victoire à laquelle je crois, cette victoire que je veux, je l' aurai!

Je grimpe à mon habitude, très rapidement sur environ quarante mètres, puis je souffle. Je repars, quarante mètres, nouvel arrêt; nouveau départ, et ainsi de suite... Jamais je ne suis parvenu à tenir un rythme net et précis. Cela me pose de graves problèmes lors d' escalades où je suis encordé à un camarade, quand nous progressons ensemble. Pour moi, savoir que je puis être rapide est plus important que d'«être » rapide. Il y a un moment pour tout: sachons profiter d' une belle escalade et sachons limiter le danger!

Tout va bien. Le jour point lorsque, cent mètres sous le sommet, je suis arrêté par la glace. Je regarde au-dessus de moi et vois cette glace bleue, extrêmement dure, qu' il me faudra remonter jusqu' au sommet.

5 h 30...je suis au sommet de la pointe centrale. Dans ces cent derniers mètres, j' ai pris des risques considérables, me refusant à utiliser la corde d' as de 40 mètres. Des risques de ce genre, je me suis promis de ne pas en reprendre! Une pierre... qu' une seule petite pierre me touche, et c' est la fin. La fin, à dix mètres de la victoire, c' est impensable! Non, les risques, il faut savoir les mettre dans sa poche au bon moment.

Je suis au sommet. Tout est fini! Non. Tout commence. Tandis que je m' accroche à califourchon sur l' arête, un vent d' une force inouïe tente à chaque mètre de m' envoyer rejoindre le Glacier du Frêney, mille mètres plus bas. Le froid est intense: peut-être moins io°. Moi qui croyais le sommet large et bien plat, propre à m' y étendre, à y rêver, je suis servi! Complètement transi et tout à fait instable sur cette crête ourlée de corniches d' un côté, couverte de l' autre de neige poudreuse sur de la glace, il me faut une heure pour atteindre le premier rappel qui me rapprochera du Col de Peuterey. La descente est délicate. Tout est gelé et je n' ai qu' une corde de 40 mètres. Cela m' oblige à faire de courts rappels: vingt mètres, c' est vraiment peu quand on est pressé de descendre.

Bientôt, pourtant, une dernière pente de glace m' amène à la rimaye. Je la franchis par un splendide saut... qui a d' ailleurs failli se terminer mal. Puis c' est le col. C' est aussi Yvette et Michel. Ils ont patiemment attendu mon retour.

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