Ascensions en Afrique australe
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Ascensions en Afrique australe

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Rueth Fussier, Walchwil ( Zoug ) UN PAYS AUX M IF I. TI PL ES VISAGES Entreprendre aujourd'hui un voyage en Afrique australe ne pose pas plus de problèmes que d' aller en Italie ou en Espagne, lorsqu' on veut échapper au temps incertain du Nord des Alpes. Il existe cependant une profonde différence; même si ce récit parle de montagnes, on ne peut ignorer la politique de ségrégation à regard des populations noires et de couleur en Afrique du Sud. Nous n' avons certes pas eu le temps, pendant un séjour de quelques semaines, de remarquer beaucoup de choses à ce sujet, car on a voulu pleinement jouir du paysage extraordinaire, de la luxuriance des fleurs, de l' Afrique éternelle des réserves naturelles, des interminables plages de sable le long de l' Océan indien. Cela est aussi dans l' intérêt de l' agence de voyage. Mais il est aussi difficile d' ap des hommes: la politique d' apartheid interdit aux touristes étrangers d' entrer en contact avec les indigènes.

Nous l' avons pourtant fait. Le pays est vaste et l' administration ne peut être partout. Après chaque excursion, nous avons eu l' impression de quitter le Moyen Age pour revenir dans la civilisation.

Dans les Homelands et les Tribal Trust Lands nous n' avons rencontré que des visages épanouis. Un phénomène qu' un Européen ne peut pas bien comprendre. Ici, dans ces immenses espaces vivent des millions de personnes constituant l' écra majorité de la population d' Afrique du Sud. Ici, l'on ignore l' apartheid.

Des concepts comme civilisation, qualité de vie, bien-être et croissance économique ( pour l' homme blanc des synonymes de bonheur ) y sont inconnus.

Mais l' Afrique du Sud a deux visages. Les Noirs qui vivent dans les banlieues des grandes villes n' ont pas de quoi être joyeux. Le niveau de vie y est certes plus élevé, l' instruction meilleure, l' as médicale plus étendue que dans le reste de l' Afrique. Mais l' apartheid leur enlève toute dignité humaine. Nulle part ailleurs je n' ai pu observer un tel degré de résignation, d' humilité et de servilité. Il faut toute la robustesse psychique d' un Blanc sud-africain pour ne pas faire une dépression.

Peut-être me reprochera-t-on de porter un jugement après un si court séjour en Afrique du Sud, alors qu' il faudrait y avoir vécu au moins une année. Mais on n' attend pas d' avoir mangé complètement un œuf avarié avant de dire qu' il est mauvais. Les pays qui dans le monde font la même chose ou l' ont fait une fois à l' occasion sont bien sûr nombreux, et je ne suis pas certain que nous, les Suisses, ferions mieux dans la même situation.

Le pays doit son actuelle prospérité, unique en Afrique, au management blanc, pour utiliser une formule moderne. Le Noir a son rôle à jouer, comme force de travail, à moins qu' il ne préfère se retirer dans la brousse, c'est-à-dire remonter au Moyen Age. Mais, même sans l' apartheid, les problèmes du pays demeurent extraordinairement complexes. Avec des grands remèdes, comme on en propose à l' occasion chez nous, ils ne pourraient guère être résolus.

L' Afrique du Sud, dont la superficie est égale à trente fois la Suisse, mais ne représente que le 4% du continent africain, produit environ un tiers des principales denrées alimentaires de l' ensemble de l' Afrique. Un facteur lourd de signification pour le Tiers monde sous-alimenté.

Pour ma femme Ruth et moi-même, un voyage en Afrique du Sud faisait depuis longtemps l' objet de discussions. Naturellement, j' avais déjà aupa- ravant étudié les possibilités d' ascensions dans le subcontinent africain et réuni toute la documentation disponible sur ses montagnes, sa géologie, sa faune et sa flore. J' étais tombé alors sur un livre de R.O. Pearse intitulé Barrier of Spears qui relatait toutes les connaissances essentielles sur la plus haute chaîne de montagnes d' Afrique du Sud, les Drakensberge. L' auteur appartenait lui-même aux pionniers de ces montagnes; il a cartographie, durant les quarante dernières années, une grande partie de la région, la rendant de ce fait accessible aux touristes. Les descriptions fascinantes de Reg Pearse n' ont pas peu contribué à faciliter notre décision.

Chez nous, en Europe, on ne trouve en effet qu' une maigre littérature sur les régions montagneuses d' Afrique australe. Sur ce sujet, Les Alpes se montrent parcimonieuses ' .Manifestement, les sommets sud-africains attirent peu les grimpeurs européens Rétrospectivement, je comprends mieux le pourquoi de ce manque d' intérêt. Ici, ce n' est pas le degré de difficulté qui rend une montagne difficile, mais un grand nombre d' autres facteurs que l'on ne prend pas en considération chez nous, parce qu' ils n' existent pas. Une simple promenade sur une pente d' éboulis prend là le caractère d' une pénible excursion d' une journée.

On ne trouvera pas dans ce récit une enumeration de succès sensationnels. Il retrace essentiellement ce qu' un grimpeur moyen peut accomplir quand il part gravir des montagnes élevées dans ces régions éloignées de l' Afrique. La solitude du paysage, la singularité de la faune et de la flore, les rencontres et beaucoup d' autres choses procurent des impressions inoubliables, et les échecs en montagne sont vite oubliés. Rétrospectivement, nous considérons comme absolument sans importance le fait d' avoir transporté à longueur de journées notre équipement de varappe sans jamais l' utili.

:'Voir cependant l' article de F. Baumgartner: L' ascension du Cathedral Peak dans le Drakensberg ( Les Alpes, revue trimestrielle n°I, 1965 ( pp. 42-50 ).

LES CARACTÉRISTIQUES DES RÉGIONS MONTAGNEUSES DE l' aFRIQ_UE DU SUD Quand on parle des montagnes africaines, on pense immédiatement aux géants d' Afrique orientale, le Kilimandjaro, le Mont Kenya et le Ruwenzori. Plus au Sud, on croit en général qu' il n' y a plus rien qui puisse satisfaire le cœur d' un grimpeur. Un coup d' oeil sur la carte physique du continent africain nous montre cependant une puissante chaîne de montagnes qui court du Zambèze en direction du sud jusqu' au Cap de Bonne-Espérance. Cette cordillère, longue de plus de 2000 kilomètres, forme un puissant rempart séparant le haut-plateau intérieur ( Highveld ) des zones qui s' abaissent vers l' Océen Indien ( Lowveld ). Cet ensemble de contreforts étages que les géologues appellent le Great Escarpment est très découpé, notamment par des fleuves ( p. ex. le Limpopo ). Conformément à la structure géologique, l' érosion a modelé, au cours de millions d' années, de profonds canyons, de bizarres formations rocheuses et des croupes arrondies. Dans la partie septentrionale de la chaîne - au Zimbabwe - le granite domine. Les tendres assises rocheuses sont ici largement érodées. Des têtes granitiques grotesques ( kopjes ) se dressent comme des formes de géants dans le ciel. Au sud du Limpopo, au Transvaal et au Natal, la couverture rocheuse comprend surtout des laves volcaniques rouges ( basalte ) qui reposent sur d' imposantes couches sédimentaires ( grès ). Enfin, dans la province du Cap, domine le calcaire ( Karoo ) avec sa structure stratifiée, comme au Swartberg, laquelle ressemble de loin à une peinture moderne.

C' est dans les Drakensberge du Natal que le Great Escarpment prend sa forme la plus majestueuse; c' est aussi dans cette région que la chaîne atteint, avec près de 3400 mètres, sa plus haute altitude. Mais, au Zimbabwe, le long de la frontière avec le Mozambique et au Transvaal oriental aussi, la dénivellation avec le Lowveld représente une caractéristique impressionnante du paysage.

Avec un peu de fantaisie, on peut considérer enfin la célèbre montagne de la Table, dominant la ville du Cap, comme l' extrémité de ce système montagneux.

La structure géologique complexe des sommets, le long de la côte orientale de l' Afrique du Sud, détermine d' une façon très frappante le relief et sa végétation. Là où le dur basalte recouvre les tendres sédiments, les cours d' eau ont entaillé les masses rocheuses par des vallées étroites ou des gorges, où l' érosion progresse relativement vite, surtout dans les zones sédimentaires. De ce processus d' érosion naît la montagne typique de cette région: son sommet est constitué par un cône de roches eruptives dures dont les pentes régulières se transforment brusquement en parois verticales lorsqu' elles atteignent le niveau sédimentaire.

L' ascension de ces falaises abruptes qui ceinturent les montagnes est difficile; elle est peu pratiquée. Les tours et les parois basaltiques des Drakensberge du Natal en revanche, offrent aux grimpeurs d' abondantes ascensions pour tous les degrés de difficultés.

Les montagnes calcaires de la région du Cap présentent une certaine ressemblance avec les zones rocheuses du Jura et des Préalpes. Sans doute, la végétation est-elle très différente. La luxuriance des fleurs sauvages récompense le grimpeur des montées souvent extraordinairement pénibles à travers des buissons épineux arrivant aux genoux.

Des ascensions comme on en fait chez nous sont un sport peu populaire en Afrique du Sud, ainsi qu' en témoigne le nombre de membres relative- ment faible du Mountain Club of South Africa ( M. C.S.A. ). L' accent principal est porté sur les excursions le long de sentiers balisés. Cependant, on trouve parmi les jeunes gens de nombreux grimpeurs extrêmes, organisés dans leurs propres clubs.

La mise en valeur des voies difficiles dans les Drakensberge du Natal s' est faite au cours des cinquante dernières années d' une façon semblable à celle que nous avons connue pour les Alpes. Les premières ascensions et les voies furent décrites en général dans le journal du Mountain Club. Cependant, pour les Drakensberge, des guides semblables à ceux édités par le CAS n' existent pas.

Quoique les Drakensberge offrent de meilleures possibilités pour les excursions en groupes, on trouve dans les montagnes qui s' étendent du Zimbabwe oriental au Cap de très belles régions. En bien des endroits, on peut les atteindre par des routes carrossables, mais souvent non sans des marches longues et pénibles. Là, il s' agit de respecter diverses formalités, nouvelles pour nous. Dans les Homelands des indigènes et les Tribal Trust Lands, on ne peut pénétrer sans une autorisation qu' il faut obtenir obligatoirement auprès du chef du village le plus proche. C' est une démarche purement formelle qui donne la possibilité de nouer d' intéressants contacts. En Afrique du Sud, il est nécessaire d' obtenir une autorisation officielle pour circuler à l' extérieur des régions autonomes indigènes, ce qui nous plonge dans un flot de paperasserie. Une autorisation est aussi nécessaire pour pénétrer dans les régions dépendant du Department of Forestry. On ne peut pas, comme chez nous, se promener simplement en forêt. Ces formalités favorisent bien sûr les « ascensions » sur les pistes balisées.

Le Hiking Trail, qui peut être compare à nos chemins pédestres, est populaire. On le parcourt en plusieurs étapes de io à 30 kilomètres et on y trouve des cabanes pour passer la nuit. Pour y circuler, une autorisation est nécessaire; elle s' ob en même temps qu' on paie la taxe pour l' uti des cabanes. L' association compétente I00 pour le Hiking Trail fait en sorte qu' aucun indigène ne se trouve sur le chemin aussi longtemps que des Blancs l' ont « loué »! Un règlement dont la raison nous échappe. La devise appliquée ici semble être: no dogs - no blacks1.

zimbabwe:

pas d' ascension sans surprises Le 7 février, peu après minuit, par une pluie tropicale diluvienne notre Sky-coach des Zimbabwe Airways se pose à Salisbury. Notre hôte, après un chaleureux accueil, déplore la période de mauvais temps qui dure depuis des semaines. Cette année, la saison des pluies traîne anormalement en longueur, et il faut compter encore sur des précipitations dans les jours à venir.

Le 8 février, une éclaircie nous offre enfin la possibilité de palper pour la première fois de la roche africaine. John Allan, notre accompagnateur et guide, nous propose comme but d' excursion le Chnston Bank, à quelque 30 kilomètres au nord-est de Salisbury, près du Mazoe Dam. Dans cette région — comme aussi dans les environs immédiats de Salisbury - se dressent partout ces grotesques tours de granite appelées kopjes ( Kopf = tête ). Elles sont soit isolées, soit groupées en de véritables massifs montagneux miniatures. Les plus hauts points atteignent à peine 2000 mètres, alors que Salisbury se trouve déjà à 1600 mètres d' altitude.

Les kopjes représentent un véritable paradis pour les forts grimpeurs de l' endroit. Les voies utilisables sont enregistrées et décrites dans le journal du Mountain Club of Zimbabwe. Les difficultés dépassent en général le IVe degré, ce qui n' est pas surprenant tant le granite est compact et les prises rares et petites. Mais les passages difficiles peuvent être contournés, ce qui laisse aux grimpeurs moyens suffisamment de possibilités.

Après un voyage compliqué en auto, le long d' interminables champs de maïs, au-dessus des- 2 Pas de chiens - pas de Noirs.

quels pointent les toits de chaume des huttes rondes des indigènes, nous atteignons un point de départ favorable à notre projet. Nous nous mettons en chemin par une chaleur tropicale à laquelle on n' est pas habitué, et suivons une piste facile. Il s' agit tout d' abord de s' approcher de la montagne, ce qui implique notamment de se tremper jusqu' aux genoux dans l' eau pour franchir un ruisseau. Retirer ses souliers n' aurait pas eu de sens, car une heure après tout est à nouveau sec.

Par une pente couverte de proteas et d' aloès et d' autres plantes exotiques, nous atteignons les têtes de granite constituées de blocs empilés et grimpons facilement jusqu' au premier ressaut de l' arête. Le chemin se poursuit par une gorge remplie d' une épaisse broussaille. Par l' abrupte paroi opposée, nous arrivons enfin aux rochers et prenons un repas mérité à l' ombre d' un surplomb.

J' avais souvent entendu parler des peintures rupestres des Boschimans que l'on trouve en de nombreux endroits dans les montagnes d' Afrique du Sud. Or, notre chemin nous avait précisément conduits fortuitement à un abri dont les parois étaient par endroits décorées de gracieuses figures d' animaux. Les Boschimans, jadis les premiers habitants d' Afrique australe, ont probablement vécu ici il y a dix mille ans. Ce qu' on connaît jourd' hui de ce peuple de chasseurs, de petite taille et à la peau jaunâtre provient pour une grande partie de ces peintures rupestres ( Bushman paintings ). On est surpris d' apprendre que l' Afri du Sud n' a pas été depuis les temps primitifs un subcontinent noir. Les Boschimans ont vécu dans de tels abris sous roche ( caves ) depuis le paléolithique et durant des millénaires. Leur talent artistique élevé, comme la résistance de la peinture utilisée, sont aujourd'hui pour nous des sujets d' étonnement.

Au XVIIe siècle, la poussée vers le sud des tribus bantoues d' Afrique centrale conduisit à une quasi-extermination des Boschimans; c' était à une époque où l' homme blanc n' avait pas encore pris pied sur le continent noir. Les survivants, qui habitaient encore jusqu' au XIXe siècle les Dra- IOI kensbergedu Natal, tombèrent victimes des Boers arrivant du sud et des Zoulous qui organisèrent souvent des chasses en commun. Selon les récits de cette époque, on considérait les Boschimans comme une espèce intermédiaire entre l' animal et l' homme; les peintures rupestres démentent indubitablement cette thèse. Aujourd'hui un petit groupe de ces habitants primitifs, en voie de disparition, survit dans les steppes du Sud-Ouest-Afri-cain et du Botswana.

Après cette impressionnante rencontre avec l' âge de la pierre, nous poursuivons notre ascension. Notre but est un sommet de l' arête, dont les parois peu encourageantes se dressent au-dessus de nous. Finalement nous parvenons sur son plus haut point - en contournant certains passages -par des cheminées faciles et d' étroites terrasses. Le retour s' effectua par la voie de montée. L' arête contigue est partiellement couverte d' arbres nains ( cycas et cyprès ). Seules, les kopjes isolées surgissent au-dessus du vert de la végétation tropicale. Dans les environs immédiats se trouvent plusieurs voies difficiles, comme la Red Cross ( VIou la Backscratcher ( V ), qui font battre le cœur des grimpeurs de varappe libre intégrale.

Le to février, nous quittons Salisbury pour nous diriger vers les Eastern Highlands du Zimbabwe dont les hauteurs bordent la frontière avec le Mozambique; nous les atteignons après quelque 5 heures de voiture. A Rusape, nous quittons la route principale qui conduit à la ville frontière de Umtali et parvenons, par Sanyatwe et Julias-dale, dans une région de montagnes fascinante. En de nombreux endroits jaillissent de puissantes dalles de granite qui font penser aux sommets du Val Bregaglia. En suivant une misérable piste caillouteuse, nous progressons tout d' abord rapidement; mais soudain nous nous trouvons au bord de la Mare River dont les flots en crue nous barrent la route. Il n' est pas possible d' emprunter une autre voie.

Ici, je pris définitivement conscience que l'on ne peut pas comparer l' alpinisme en Afrique du Sud avec les conditions suisses. Il faut tenir compte des distances qui contraignent le grimpeur à se rapprocher le plus possible des montagnes avec son auto. Chez nous, personne ne voudrait, par exemple, partir de Zurich à pied pour gravir les Mythen. Mais encore moins, s' il fallait quelque part passer la Sihl écumante à gué et ne trouver aucune auberge sur le chemin. Dans les monts Inyanga, on peut monter sur les plus hauts sommets sans sortir les mains de ses poches. Ce sont des montagnes herbeuses où le rocher apparaît ici et là.

Un second essai d' atteindre le sommet du Inyangani ( avec ses 2797 m, il est le plus haut sommet du Zimbabwe ) échoue devant une averse tropicale sans pitié. L' excursion entreprise ensuite nous conduit à travers la région des sources de l' Inyan River qui forme ici de sauvages gorges presque impénétrables avant de confiner plus au nord avec le Zambèze. Un peu plus au sud jaillissent les affluents de la Purgwe River qui, par des chutes célèbres et une gorge, tombe dans le Lowveld pour se jeter non loin de Beira dans l' Océan Indien.

Les jours suivants, le temps incertain empêche malheureusement la réalisation de plus grands projets; se lancer sur des pistes qui peuvent brusquement être coupées par une rivière en crue comporte trop de risques. C' est ainsi qu' une violente averse nous fit rebrousser chemin lors d' une tentative de gravir le point 2392 dominant les lacs Connemara. Nous profitons, en revanche, d' une éclaircie de plusieurs heures pour visiter les ruines de Nyangwe, distantes d' une heure de notre camp. Il s' agit de murs de pierres sèches de deux à trois mètres d' épaisseur et de quelque trois mètres de hauteur qui entourent une place ronde d' envi cinquante mètres de diamètre. En général, ces constructions couronnent les sommets des montagnes. Leur fonction et leur origine demeurent encore aujourd'hui mystérieuses. Aucune trace d' habitat n' a été découverte à l' intérieur des murs, ce qui laisse supposer que ces fortifications n' ont servi que de refuges occasionnels contre des attaques de tribus ennemies. En tout cas, elles montrent que la région fut autrefois fortement peuplée par les autochtones. Cela devait être le cas au XVe siècle encore.

Notre séjour touche à sa fin. Nous devons regagner Salisbury et utilisons le voyage de retour pour faire un crochet par le Lowveld du Zimbabwe, c'est-à-dire la région s' étendant à l' est de la chaîne principale qui se termine abruptement à la frontière du Mozambique. Après avoir franchi quelques cols, nous pénétrons dans le Holdenby Tribal Trust Land, dans le bassin des rivières Honde et Pungwe. Ces pays tribaux sont exclusivement habités par des Noirs. La population occupe les maigres pentes qui tapissent jusque très haut les flancs escarpés des énormes dalles de granite constituant les monts Inyanga. Des centaines de milliers de personnes vivent ici et pourtant on ne voit ni villages, ni villes. Les Mashonas résident dans leurs kraals, constitués de quelques huttes rondes recouvertes de paille.

Tout autour s' étendent des plantations de mais ( mealià part cela, on ne voit guère que quelques maigres vaches ( mashona cattle ) ou des chèvres dans les pâtures. Ici ou là poussent des bananes ou d' autres fruits, mais sans qu' on cherche à les cultiver. Chaque kraal vit en quasi-autarcie. Le travail est accompli par les femmes. C' est pourquoi, s' il le peut, un homme en possède plusieurs. Ici, c' est l' Afrique, telle que David Livingstone l' a décrite. Depuis, elle a à peine changé.

A Umtali, nous retrouvons les charmes de la civilisation. Un lieu cependant extraordinaire. La ville est littéralement noyée dans les couleurs de la végétation. Une somptuosité comme je n' en avais jamais vu nulle part ailleurs - encadrée de belles montagnes de granite.

Après avoir cordialement pris congé de nos hôtes, nous quittons la capitale du Zimbabwe et, tard dans la soirée, nous atterrissons sur l' aéroport Jan Smuts, à Johannesburg.

À travers L' Afrique du sud Nous avions ensuite l' intention, pour les semaines restantes, de traverser l' Afrique du Sud du / Ü TlR»ct TOWERS A

73 Drakensberg ( Afrique du Sud ): l' Amphithéâtre. A droite: la Sentinelle ( 3165 m ). Au milieu de la photo: le Pilier Est ( 3047 m ) et la Tour centrale ( 3044 m ) 74 Le canyon formé par le fleuve Blyde ( Transvaal oriental ). La forme arrondie des montagnes ( Rondavels ) est typique en Afrique du Sud Nous reprenons notre programme initial le 16 février. Le but est le Blyde River Canyon, dans le Transvaal oriental. Le voyage prend 6 heures en voiture, par d' excellentes routes. Ce canyon représente un impressionnant spectacle naturel et une attraction touristique très visitée. On y trouve aussi un Hiking Trail qui traverse en 5 étapes d' une longueur totale de 56 kilomètres la réserve naturelle de Blyde River.

Notre but suivant, le Thaba Yatloyi ( 1704 m ), appelé aussi Elephant Mountain, se trouve en Lebowa. On l' atteint facilement de la vallée de la Blyde River. Les gardiens du parc nous apprennent que, pour effectuer l' ascension du Thaba Yatloyi, il faut obtenir une autorisation du chef de Mphato sur le territoire duquel se trouve la montagne.

Le matin suivant, après avoir roulé sur une « jeep-track » cahoteuse, nous atteignons le village lebowa de Mphato. Nous demandons à voir le chef, et l'on nous conduit à une petite épicerie à l' entrée de la localité. Après une cordiale conversation par-dessus le comptoir, nous recevons l' au de pénétrer légalement dans le Lebowa. Pendant ce temps, un attroupement s' est formé devant le magasin: les Blancs ne viennent que très rarement ici.

Par d' étroites pistes indigènes, nous atteignons les pentes buissonneuses qui mènent à notre but. Environ deux heures plus tard, nous nous trouvons sur la crête, entre l' avant et le sommet principal; là, nous cherchons l' endroit le plus favorable pour contourner la partie rocheuse qui barre notre chemin vers le point culminant. Le Thaba Yatloyi, comme de nombreuses montagnes de cette région, est entouré d' une ceinture de parois abruptes. Comme elles sont cependant moins escarpées de l' autre côté de la crête, nous pouvons nous hisser sans problème sur le cône sommital. Mais c' est là qu' en général commence le plus pénible moment de l' ascension, car il faut monter à travers des buissons qui nous arrivent aux genoux.

On est surpris de ne plus rencontrer d' arbres 75Vue du Thabeneng ( io8y m ) sur le lac artificiel de Blyde-poort ( canyon du fleuve Blyde, Transvaal ) 76 Drakensberg ( Afrique du Sud ): chaîne du Peak Cathedral. Photo prise dans la région de la mission Rookdale.

Photos: Hansrueoi Kut-ssli-r. l.e Cap au-dessus de 1200 mètres, alors que de l' autre côté de la frontière, à la même altitude, s' étendent de vastes forêts plantées et exploitées par le Department of Forestry de la République d' Afrique du Sud. Cette différence trouve vraisemblablement son origine dans les défrichements effectués par les populations locales à la recherche de bois de feu. Aujourd'hui, les habitants doivent aller le chercher fort loin. Souvent on rencontre des femmes qui transportent sur leur tête des troncs d' arbres de 3 mètres de long et de 15 centimètres de diamètre. Pour atteindre leur village, elles doivent marcher parfois pendant une journée, pieds nus, en suivant les bords caillouteux des grandes routes et en escaladant les pentes pierreuses.

Pour la descente, nous empruntons d' abord un tracé éloigné de celui de la montée; ensuite, nous suivons une crête buissonneuse qui s' abaisse au nord du village de Mphato. Deux gamins, qui gardaient là un petit troupeau, s' enfuient comme s' ils avaient le diable à leurs trousses.

Le jour suivant, nous partons de bonne heure pour notre deuxième important objectif, les Drakensberge du Natal. En 2 jours, nous traversons du nord au sud l' immense Parc National Krüger. Nous bifurquons ensuite vers l' ouest et traversons la Crocodile River Valley, flanquée de sauvages montagnes abruptes. A Pongola, à la frontière sud du Swaziland, nous quittons la grande route goudronnée pour emprunter des pistes et des chemins en tôle ondulée à travers le pays des Zoulous ( Qivazulu ) jusqu' à l' Océan Indien. Le climat tropical se montre dans sa variété sèche et chaude. Le passage à gué des cours d' eau ne pose de ce fait aucun problème. Mahlangasi - Nongoma - Hlabisa - Somkele sont quelques étapes dont je garde un bon souvenir.

Le 24 février, nous prenons quartier au camp du Royal yational Park, au pied des Drakensberge. Pour y accéder depuis les grandes villes les plus proches, il faut franchir une longue distance comparable à celle qui sépare la Suisse centrale du Valais ou de l' Engadine. Dans l' intervalle, on ne rencontre que deux petites localités seulement.

77 Zimbabwe: Christon Bank. Seuls les pitons de granite ( kopjes ) émergent de la végétation tropicale Photo: Ruedi Faessler, Walchwil 78 Le Mont Inyangani ( syqo m ), le plus haut sommet du Zimbabwe, vu de la ruine du fort de Chawomera Photo: Haitsruccli Faesslcr. Le Ca|j La longue chaîne des Drakensberge du Natal s' étend sur près de deux cents kilomètres du Royal National Park au nord au Sehlabathebe National Park au sud. Elle constitue la frontière nord-orientale du Lesotho ( Basutoland ), mais aussi la ligne de partage des eaux entre le bassin de l' Orange qui débouche sur l' Atlantique et les bassins de la Tugela et de I' Umkomaas qui se jettent dans l' Océan Indien.

Comme nous l' avons déjà mentionné, Y Escarpment atteint ici sa plus grande hauteur - en moyenne 3150 mètres - et ne s' abaisse pratiquement pas. Il forme un véritable mur vertical de 500 à 1000 mètres de hauteur et long de 200 kilomètres. Tout l' avant - appelé Little Berg -est une réserve naturelle riche en animaux sauvages. Les babouins, que l'on rencontre souvent en petites troupes, sont omniprésents. L' ouverture et le pillage d' un sac de montagne que son propriétaire aurait laissé sans surveillance ne présente aucune difficulté pour eux. On observe dans les Little Berg un grand nombre de types d' antilopes, car la chasse sportive est très mal vue en Afrique du Sud. On voit aussi à chaque pas, la rock lassie, une parente de notre marmotte. Nous n' avons pas rencontre de chats sauvages dans les Drakensberge; en revanche, le léopard et d' autres espèces y abondent.

Il y a naturellement, comme partout du Zimbabwe au Cap, plusieurs sortes de serpents venimeux et non venimeux. Les cobras cracheurs ( rin-kals ) sont particulièrement dangereux. Mais, comme dans les Alpes, l' observation des serpents est rarement possible.

Dans le Royal National Park se trouve la partie des Drakensberge appelée Y Amphithéâtre. A cet endroit, Y Escarpment forme un cirque, flanqué au nord-ouest de l' impressionnante Sentinel ( 3165 m ) et du Mount aux Sources ( 3282 m ), et au sud-est du Eastern Buttress'( 3047 m ). Peu de voies faciles permettent d' atteindre le Plateau de Y Escarpment.

( Eperon oriental.

79 Eclairage du matin sur le Badile, vu du passage du Vial 80 Pilier nord-est du Cengalo et paroi nord-est du Badile, vus le matin de la traversée du Vial Photos: M. Boos, Si-Oa La plus connue passe par la Cham Latter ( l' échelle de chaînes ) et vainc la paroi impraticable par deux échelles de quelque 20 mètres de longueur. C' était autrefois la voie normale pour atteindre la cabane du club sur le Plateau. Elle est aujourd'hui à demi-délabrée et inutilisable. Au nord-ouest de Y Amphithéâtre l' ascension de la Sentinel est la plus intéressante. Les voies par les parois nord et est présentent des difficultés considérables ( V ), alors que la paroi ouest offre quelques possibilités d' as relativement faciles ( II et III ). Tel est, du moins, l' état de nos connaissances quand, le 25 février, nous nous attaquons à la face ouest de la Sentinel.

Sans nous rendre exactement compte des distances, nous montons le matin au camp de Ten-dele. Là, nous prenons un sentier qui nous conduit en deux heures sur les falaises de la Little Berg. Notre but provisoire est une dépression dans la crête, désignée sur la carte sous le nom de The Nek ( 2250 m ), qui s' abaisse de la Sentinel. La chaleur est étouffante et depuis longtemps nos gourdes sont vides lorsque nous entamons la troisième heure d' ascension. La montée se poursuit en direction de la crête par d' interminables pentes herbeuses. Heureusement qu' en chemin nous rencontrons un maigre ruisselet qui nous procure quelque rafraîchissement. Vers midi, le Qwaqwa-land s' étend sous nos yeux de l' autre côté de la crête. Ce pays est un Homeland autonome, et nous devons franchir la clôture en fil de fer barbelé qui marque la frontière. De ce point, le sommet de la Sentinel, situé à quelque 2600 mètres, doit pouvoir être atteint en une ou deux heures.

Le plus souvent, les zones de mauvais temps venant du Lesotho s' étendent jusqu' aux Drakensberge sans qu' on puisse le remarquer. En quelques minutes tout peut être noyé dans les nuages. C' est ainsi que, pendant que nous nous hâtions sans nous douter de rien, vers notre montagne, un nuage sombre envahit soudainement le ciel serein, par-dessus le bord de Y Amphithéâtre et un violent orage éclata. Il n' était plus possible de poursuivre notre ascension dans un terrain inconnu. Un sur- plomb nous offrit un abri temporaire contre le gros du mauvais temps.

Dans cette région, attendre la fin d' un orage et espérer une amélioration du temps n' a pas de sens. Après un orage, les nuages s' obstinent à envelopper les montagnes, et seule la nuit peut amener une éclaircie. Pendant fete ( novembre à mars ) il faut compter - deux jours sur trois, selon la statistique - avec de forts orages au début de l' après: ils éclatent presque dans un ciel bleu avec une violence inconnue chez nous. L' épais brouillard, qui envahit tout, rend l' orientation très difficile. Mais il y a encore d' autres facteurs qui exigent de l' alpiniste un changement dans sa façon de penser et d' agir: notamment la chaleur estivale inaccoutumée qui peut paralyser tout besoin d' ac après une heure d' ascension. On ne peut rien faire si l'on ne boit pas plusieurs fois la quantité usuelle; goûter à l' eau d' un ruisselet peut entraîner de graves conséquences. Les cabanes de club, comme nous les connaissons, n' existent pas: la plupart du temps, elles offrent des possibilités de logement insuffisantes. Pour se hisser sur l' Escarp ou pour gravir une voie, il faut parcourir souvent 20 kilomètres et vaincre plus de mille mètres de dénivellation. C' est pourquoi deux journées sont habituellement nécessaires. On passe généralement la nuit sous des surplombs ( caves ). Ces bivouacs qui servent de bases de départ pour les voies connues existent en grand nombre. Tout ici rappelle les temps héroïques des premières ascensions des Alpes.

Le matin suivant, de lourds nuages roulent encore sur l' Amphithéâtre. Contrairement à notre espoir, la nuit n' a pas apporté une amélioration marquée du temps. Heureusement, dans le sud-est, le ciel apparaît clair et nous décidons par conséquent d' entreprendre une excursion dans la région du Cathedral Peak.

Les distances jusqu' à l' Escarpment y sont plus courtes que dans le Royal National Park. Le Cathedral Peak ( 3004 m ), le Inner Horn ( 3017 m ) et le Outer Horn ( 3009 m ), proches les uns des autres, sont les sommets les plus connus et les plus gravis.

Sur les voies habituelles, les difficultés dépassent à peine le IIe degré. Des voies de varappe plus exigeantes ( jusqu' au Ve degré ) se rencontrent à la Column ( 2926 m ), à la Pyramide ( 2914 m ) et à The Bell ( 2918 m ) pour ne nommer que quelques sommets.

On jouit d' une vue superbe des hauteurs de la Cathedral Range. Le spectacle est extraordinaire surtout lorsque le soir, après un orage, les rayons du soleil frappent horizontalement les nuages traînant autour des sommets et les colorent de tous les tons de l' arc.

Le jour suivant, après le early morning coffee, nous partons en direction de Bergville. Par une route empierrée de plus en plus mauvaise, nous atteignons la base de départ prévue, à proximité du Cathedral Peak Hotel ( environ 1400 m ).

Nous nous mettons en marche avec un retard de deux heures sur notre plan. Pour atteindre le chemin vers le Cathedral Peak nous devons tout d' abord franchir à gué, en nous mouillant jusqu' à la cheville, la Umlambonja River, puis un autre torrent. De temps à autre, des nuages s' avancent sur la Little Berg et répandent une ombre bienfaisante. Bientôt, la voie d' ascension apparaît clairement. Le Cathedral Peak se trouve sur une arête longue de 4 kilomètres qui s' abaisse de Y Escarpment en direction du nord-ouest et continue ensuite comme une troupe herbeuse de la Little Berg. La voie monte en utilisant partiellement des couloirs d' érosion. Elle traverse des formations de grès aux couleurs étonnamment variées avant de serpenter au travers de prés vert foncé.

A la hauteur d' un rocher proéminent appelé Baboon Rocks, nous avons accompli le tiers du parcours. Mille mètres de grimpée nous séparent du sommet. Quoique midi approche, nous nous accordons une pause pour jeter un coup d' œil sur la vallée de la Umlambonja au-dessous de nous et pour identifier les montagnes qui nous entourent. A peine sommes-nous repartis que l' orage journalier s' annonce dans le lointain. Exceptionnellement, il tarde aujourd'hui à nous atteindre. Nous dégringolons de la montagne et trouvons abri sous un LESOTHO \ p' Ufnlimbonja Peu' surplomb que nous avions, à la montée, prévu pour un tel cas. Pendant que dehors une averse torrentielle s' abat, nous nous consolons en buvant le « coup du sommet ».

Deux heures plus tard, nous sommes au bord de la rivière Umlambonja en pleine crue. Alors que le matin, elle coulait comme un ruisseau inoffensif, elle s' est transformée maintenant en un torrent impétueux dont les flots rouge brun roulent devant nos visages déconcertés. Malgré de longues et intensives recherches, nous ne découvrons aucun gué où le courant puisse être franchi sans risques. Finalement, il ne nous reste qu' à tenter, coûte que coûte, d' atteindre l' autre rive. C' est ce que nous faisons, avec beaucoup de peine, car il n' est pas facile de rester sur ses jambes dans un violent courant, profond presque jusqu' à la ceinture. Riche d' une nouvelle expérience des Drakensberge, nous rejoignons sans autre surprise le stationnement de notre voiture.

Mais à peine sommes-nous en chemin, que surgit un nouvel obstacle: la route disparaît brusque- ment sous les flots de la Mhlwazini River, large de 30 mètres environ, dont le bassin d' alimentation s' étend sur la région située au sud du Cathedral Peak. Les averses torrentielles ont aussi enflé considérablement ses eaux. Les indigènes nous disent que cela se produit après chaque orage. Un essai de franchir le gué à pied montre à l' évidence que l' auto ne passera pas. Donc, il faut attendre!

L' eau ne tarda pas, en effet, à baisser et libérer graduellement la route. Quarante kilomètres en aval, nous franchissons juste à temps les ponts que la Tugela River est sur le point de submerger.

Le 27 février, nous devons quitter les Drakensberge. Nous nous lançons sur l' interminable route qui, longeant le grand Escarpment, nous mènera au Cap de Bonne-Espérance.

Nous devons traverser la République du Transkei, la patrie des Xsoshas. A la frontière, l' obten du visa obligatoire nécessite de nombreuses formalités. Le Transkei doit aussi être un beau pays de montagnes et nous regrettons que le visa de transit valable deux jours ne permette aucune excursion. Nous retrouvons l' Afrique noire - un pays fascinant. Feel free - tour Transkei peut-on lire sur un panneau au poste frontière de Umzim-kulu.

Nous atteignons la ville du Cap le 2 mars, au soir. Les montagnes de la province du Cap seront nos objectifs pendant la semaine qui nous reste.

LES MONTAGNES DE LA PROVINCE DU CAP Dans un rayon de 100 kilomètres autour du Cap, on trouve nombre de chaînes de montagnes respectables qui pourraient faire palpiter le cœur d' alpinistes européens. Quoique leurs sommets ne s' élèvent que rarement à plus de 2000 mètres, il faut bien lever la tête pour voir les sauvages créneaux calcaires, et l'on se prend bientôt à réfléchir comment on peut atteindre tel ou tel point. En général, l' altitude du fond des vallées n' est guère supérieure au niveau de la mer, si bien qu' une paroi de mille mètres de hauteur paraît aussi imposante que dans les Alpes.

La relative proximité d' une ville d' un million d' habitants a eu pour conséquence que les montagnes situées dans la partie occidentale de la province du Cap sont aujourd'hui largement ouvertes au public. Cependant, l' activité du Mountain Club of South Africa ( M. C. S.A. ) se limite aux pistes balisées. En revanche, plusieurs petits clubs de grimpeurs se sont spécialisés dans la varappe difficile. Entre les deux, pour ce qu' on appelle la « varappe de plaisir », il ne se fait apparemment rien d' une façon générale. Nous avons seulement compris plus tard qu' il existait des raisons valables à cette situation.

Le M.C. S.A. a publié un guide pédestre très fouillé pour la Table Mountain, le symbole de la ville du Cap, dans lequel on décrit presque chaque pas. Il n' existe toutefois aucun guide du club pour les autres montagnes du Capeland occidental. Par contre, on peut obtenir, auprès du South African Climbers Club une brochure multicopiée contenant la description d' un choix de 50 voies. Les montagnes intéressantes les plus connues se trouvent dans les Dutoits et Hexriver Mountains, comme aussi dans les montagnes autour de Stellenbosch et de Franschhoek. On trouve aussi, à la Table Mountain ( 1078 m ) des voies du VIe degré et au-dessus. En quelques phrases, on est réduit à ne donner qu' un grossier aperçu d' une région égale environ à la surface de la Suisse. Cette description resterait encore superficielle, si elle se bornait aux voies intéressantes et leur degré de difficulté. Il faudrait parler de la flore de montagne extraordinaire: les botanistes affirment que, nulle part ailleurs dans le monde, elle n' est aussi variée. Depuis deux cents millions d' années, aucune période glaciaire n' est venue troubler le développement des quelque 16000 espèces recensées. Les Hottentots Holland Mountains constituent par exemple un immense jardin botanique. La faune ressemble à celle des Drakensberge. Notre demi-frère, le babouin, y est aussi omniprésent.

A proprement parler, le Capeland n' est plus l' Afrique comme les Européens se la représentent. Les Blancs y sont en majorité. On y parle l' afri, une langue dérivée du hollandais. De nombreux métis et indous vivent au Cap, jouissant d' un relatif bien-être. On gagne sa croûte plus facilement ici qu' au Transvaal.

Le 4 mars, au matin, nous partons pour Stellenbosch et, par des virages serrés, nous atteignons le Helshoogte Pass; de cet endroit une vue superbe embrasse les Groot Drakenstein Range et les Jonkershoek Mountains. Les voies pour le proche Duiwels-kloof ( gorge du Diable ), dont les points de départ sont presque atteignables en voiture, sont trop difficiles pour nous. Au sud, se dressent cependant deux beaux sommets rocheux, les Jonkershoek Twins ( 1504 m ) desquels s' abaisse une longue échine vers le col. De ce côté, il semble qu' une brèche dans l' avant, accessible par une pente boisée, constitue un point de départ favorable pour une sympathique ascension.

A peine le col dépassé, nous prenons le chemin d' une ferme et le suivons aussi longtemps qu' il est carrossable. Nous continuons ensuite à pied. Après avoir rapidement traversé les dernières clairières plantées de vignes, nous nous voyons obligés de pénétrer dans des buissons plus hauts qu' un homme. Immédiatement commence une pénible lutte contre un genre de broussailles épineuses inconnu de nous. Plus loin, grâce à un couloir rempli de gros blocs, l' ascension devient plus aisée. Mais bientôt, il faut replonger dans les fourrés épineux. Plus on monte, plus courtes deviennent les broussailles qui malmènent nos jambes. La chaleur devient insupportable. Quatre heures pleines sont nécessaires pour parcourir les cinq cents mètres jusqu' à la crête mentionnée. Epuisés, égra-tignés, nos gourdes vides, nous nous laissons tomber sur le sol. Plus personne n' ose évoquer la sympathique ascension commencée. Nous espérons simplement revenir à notre auto en faisant un long détour par un terrain plus favorable.

Mais cet espoir faillit ne pas se réaliser et il s' en est fallu d' un cheveu que nous ne retrouvions plus notre voiture.

Le 6 mars nous sommes, à l' heure prévue, prêts au départ sur le Viljoens Pass ( 526 m ). Aujourd'hui nous avons pris rendez-vous avec d' autres marcheurs, près de la cabane de la Landdroskop. Une petite heure nous conduit au point de rencontre et nous pénétrons ensemble dans les Hottentots-Berge.

Le Boland Hiking Trail, Hottentots Holland Section, ainsi se nomme notre piste de randonnée pédestre. Elle mesure 54 kilomètres et conduit de Sir Lowrys Pass ( 500 m ) au Franschhoek Pass ( 470 m ). Le point le plus élevé atteint 1338 mètres au Langklooflerg, et le plus bas se trouve à 350 mètres d' altitude. Une cabane est à disposition à chaque étape pour passer la nuit. J' ai déjà mentionné que les Hotten-tots-Berge possèdent une flore extraordinairement riche. Ici croissent la protea géante sauvage, grande comme une soupière, des bruyères magnifiquement colorées qu' on croirait produites par un horticulteur, et une gamme étendue d' orchi subtropicales. Malgré notre profonde réticence pour les pistes balisées, nous gardons un impressionnant souvenir du Boland Hiking Trail. Souvent, le sentier grimpe abruptement le flanc d' une montagne, puis plonge dans une gorge profonde où court en général un torrent à l' eau limpide comme le cristal. On peut prendre des bains froids à quelques endroits, ce qui procure un plaisir extraordinaire pendant cette saison de hautes températures.

Après une pause de midi prolongée aux Triple Jumps Falls, nous oublions de remplir nos gourdes. Nous ignorons tous qu' il n' était plus possible de trouver de l' eau jusqu' à la cabane de Boesmans Kloof. Les 7 membres de notre groupe durent ainsi parcourir une terrible route de la soif qu' aucun participant n' oubliera de sitôt. On marcha pendant des heures à travers un véritable Sahara couvert de fleurs.

Les cabanes de Y Hiking Trail sont de simples, mais pratiques logements avec des couchettes pour une vingtaine de personnes. Comme il n' y a pas de couvertures de laine, chaque promeneur doit prendre un sac de couchage. A côté de la cabane se trouve une place de feu couverte d' un toit et équipée d' un gril. C' est là que pratiquement les gens se tiennent, notamment le soir, pour jouir en même temps d' une vue imprenable sur les montagnes. Les personnes qui viennent ici forment une grande famille et l'on y cultive, comme dans les cabanes du CAS, le même « jargon des grimpeurs ».

Ce soir nous partageons la cabane de Boesmans Kloofavec un groupe de membres du M.C.S. A. La conversation porte, comme prévu, sur les pistes de randonnées pédestres, sur les notions de extremely difficult trails ou de easy walks. Le porte-parole du groupe, une sorte de guide de randonnées, relate des stiff climbs dans les Cedar-Bergen et ailleurs, des temps records pour parcourir un trail, de sacs de montagne pesant 40 kilogrammes.

Le matin suivant, nous sommes prêts au départ au lever du soleil, car une montée longue et raide nous attend. Compte tenu de la chaleur tropicale du jour précédent, j' ai décidé de procéder au réveil selon la tradition du CAS, dans l' espoir que tout le monde oublierait de regarder sa montre.

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