Dans les montagnes du Harz
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Dans les montagnes du Harz

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Par W. A. Wood.

A Jean-Pierre Vittoz.

Vous vous rappelez bien, mon ami, avec quelle joie nous avons appris, avant de partir pour Quedlinburg, qu' il se trouvait des parois de rocher formidables et des aiguilles sveltes près de notre station de séjour; notre impatience quand nous avons emballé nos cinquante mètres de corde, nos souliers ferrés et quelques fiches pour attaquer les sommets les plus difficiles du Harz.

Mais quelle déception, le jour de notre voyage, quand nous approchions de Quedlinburg, scrutant le paysage depuis le train pour découvrir les f ières montagnes dont nous avions entendu parler: tout ce qu' on pouvait voir, c' étaient quelques collines boisées dans le lointain. Pourtant, ces collines contenaient des richesses qu' on ne découvrait pas au premier coup d' œil. Nous l' avons appris plus tard, après quelques jours de mauvais temps, au cours d' une promenade dans les gorges du Bodethal. A un coude de la rivière, le paysage le plus tourmenté qu' on puisse rêver nous apparaissait. Nos espoirs se réalisaient. Peut-être même aurions-nous besoin de nos cordes, de nos souliers ferrés et de nos fiches.

Sur la droite, le terrain devient si rapide que les arbres ne peuvent plus trouver racine et laissent voir une splendide paroi, presque verticale, de 400 mètres. Tandis qu' à notre gauche, sur les flancs de la gorge, montaient quatre arêtes parallèles, régulièrement espacées, toutes quatre aboutissant à un plateau boisé, 500 mètres au-dessus de nous. C' était là que se trouvaient les fameuses aiguilles. Elles étaient très petites, il est vrai, en comparaison de celles que nous étions habitués à voir dans les Alpes, mais quelles formes bizarres! Ici, tout est ruiné, tout paraît instable. Des pans de murs, à moitié écroulés, sont quasiment aussi larges à leur sommet qu' à leur base. D' énormes blocs de granit sont posés les uns sur les autres et forment des piliers dont les têtes dépassent curieusement les arbres qui les entourent. A droite, là-haut, voici une minuscule « Dent du Géant », tandis qu' à gauche, cette construction nous rappelle la forme du Grépon. Nous faisons même une découverte inattendue: le petit point blanc qui bouge au sommet de notre Grépon est un mouchoir! C' est que les Harz ont leurs alpinistes aussi: il s' est trouvé, dans ce coin perdu de la Prusse occidentale, un ou deux jeunes gens aventureux qui ont éprouvé le désir d' escalader ces parois et ces pointes de rocher. L' un même, dont nous avons fait la connaissance et que nous avons vu à l' œuvre, a l' habitude de s' exercer à la varappe quand il a terminé son travail d' ouvrier. Et certes, il n' aurait rien à envier à nos rochassiers les plus fougueux! Que ce jeune homme, qui a à peine entendu parler des Alpes, ait ainsi découvert l' alpinisme, voilà bien une preuve que l' amour de l' escalade est un sentiment parfaitement naturel.

Quelques jours plus tard, nous venions à l' attaque. Nous voulions commencer par l' arête la plus proche et nous en atteignîmes la base après avoir traversé une centaine de mètres de pierriers. A peine engagés dans la paroi, un surplomb nous retardait une demi-heure avant de se laisser vaincre. Enfin, nous débouchions sur l' arête, étroite à souhait et hérissée de gendarmes tous plus vertigineux les uns que les autres. De ce point tout était joie. Lentement, à cause de l' instabilité de certains blocs, nous escaladons la plupart des gendarmes et contournons les autres. Après deux heures de cette extraordinaire gymnastique, nous arrivons à la base de la dernière tour. Là, encore un surplomb: ces montagnes en sont pleines.

Et vous vous souvenez bien, mon ami, comme vous êtes monté sur mes épaules, pour le dernier rétablissement, et comme le bloc sommital a dégringolé 1 Que nous étions contents quand, quelques minutes plus tard, nous arrivions sur le plateau de l' Hexentanzplatz, au haut de cette colline qui porte une route à automobile sur son autre versant et un café sur son sommet. Institution d' ailleurs très utile et que nous n' avons jamais dédaignée, ce café que nous trouvions au terme de toutes nos expéditions!

Mais notre plus belle conquête fut celle de l' invraisemblable colonne de rocher que représente notre photographie. Plus large au sommet qu' à la base, haute d' une vingtaine de mètres et coupée de surplombs, elle était évidemment inaccessible sans moyens artificiels. C' était l' occasion d' un beau jet de corde. Une aiguille voisine, presque aussi élevée que celle que nous avions en vue et elle-même assez difficile, nous donnait des chances d' aboutir.

Après quelques vaines tentatives, nous arrivons à jeter l' extrémité de notre corde par-dessus le sommet convoité. Mais son poids risquait de la faire revenir vers nous et il nous fallut d' infinies précautions et des contorsions indicibles pour arriver, en la secouant légèrement, à la faire glisser et à allonger l' extrémité qui pendait librement 1 ). Enfin, après beaucoup de peines, nous nous trouvâmes au pied de notre « montagne », tenant les deux bouts d' une corde qui passait par-dessus son sommet. Il ne nous restait plus qu' à amarrer un des brins à un bloc de rocher et à monter par l' autre, mais nous nous aperçûmes alors qu' une corde simple de dix millimètres coupe terriblement les doigts quand il faut s' y suspendre et nous fûmes incapables l' un et l' autre de nous élever par ce moyen d' une hauteur appréciable. Une seconde tentative avec la corde double ne nous réussit pas non plus...

Une fois rentrés, nous construisîmes une échelle de corde rudimentaire dont les échelons étaient espacés de 80 centimètres environ et nous reprîmes l' attaque. Mais les échelons étaient trop éloignés les uns des autres; le passage d' un échelon à l' autre exigeait des efforts surhumains, le pied cherchait vainement à se glisser entre les deux cordes rapprochées, tandis que, au moindre faux mouvement, on tournoyait dans le vide en se heurtant contre le roc. Nous étions battus encore une fois, mais non découragés. Je crois que nous aurions bien recommencé dix fois nos tentatives, tant cette aiguille nous obsédait!

Nous voici donc de nouveau à Quedlinburg, passant une après-midi à défaire notre échelle et à en refaire une meilleure. Puis nous revenons à la charge; nous accomplissons pour la quatrième fois les opérations successives de notre jet de corde et, en constatant avec quelle facilité nous exécutions la manœuvre compliquée qui nous avait coûté tant de peine au début, nous remarquons une fois de plus que, dans ce genre d' exploits, un homme habitué et qui connaît par cœur les artifices nécessaires à l' ascension qu' il fait, possède sur ceux qui en sont à leur première tentative un avantage qu' on ne saurait exagérer.

Enfin, après un rétablissement rendu hasardeux et assez difficile, parce que le haut de notre échelle avait glissé dans une fissure, nous nous promenions avec fierté sur un sommet plat et relativement spacieux!

Au cours de notre séjour, nous avons escaladé encore deux fois ce curieux mât de roc et nous n' avons pas voulu quitter le pays sans laisser à son sommet un mouchoir qui témoigne de notre victoire. Il paraît que ce mouchoir s' y trouve encore et qu' il intrigue passablement les braves bourgeois qui viennent piqueniquer dans la région les dimanches d' été.

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