De la Dent du Midi au Gran Paradiso
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De la Dent du Midi au Gran Paradiso

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Par Emile Erb.

Plein été 1925 — début de vacances!

En train express 15 clubistes de la section Uto du C.A.S. de Zurich se rendent au sud-ouest de notre pays. Après cinq heures de voyage se découvre à nos yeux, près de Chexbres, au bord du plateau suisse, la plaine du bleu Léman et nous saluons le groupe superbe et gracieux des Dents du Midi, premier but de notre course.

Le paysage enchanteur de Montreux est bientôt derrière nous. Monthey, le grand village valaisan, est atteint. De là le train électrique nous conduit en une heure, au milieu de châtaigniers, dans le joli val alpestre de Champéry. Les étrangers y sont déjà nombreux; ce n' est pas surprenant car les Dents du Midi qui apparaissent tout étincelantes sont si tentantes! L' un de nous nous rappelle que l' ascension de leur plus haut sommet, « la Haute Cime », a été effectuée pour la première fois en 1784 par le prêtre Clément, curé de Champéry.

La traversée de ce groupe de montagnes par le col de Susanfe sur Salvan et dans la vallée du Rhône est l' une des excursions les plus belles et les plus faciles de la Suisse occidentale. C' est sur ce chemin qu' une cabane du Club alpin sera construite l' année prochaine.

A la tombée de la nuit nous atteignons l' alpe de Bonavaux d' où nous partons le lendemain matin à 4 h. En franchissant de hautes marches de pierre et des bandes de gazon, tout près d' assourdissantes chutes d' eau, nous montons vers le Pas d' Encel.

Bientôt nous arrivons dans le val de Susanfe, entre les Dents du Midi et la chaîne du Mont Ruan dont l' éclat des premiers rayons du soleil fait ressortir la splendeur.

Après trois heures de marche nous parvenons au col de Susanfe ( 2500 m.à notre droite se dresse la paroi escarpée de la Tour Sallière.

Laissant là nos sacs, nous continuons notre marche; suivant au début les traces d' un chemin dans des éboulis, traversant ensuite des névés, nous sommes bientôt au « Col des Paresseux », ainsi nommé parce que très souvent des ascensionnistes s' y arrêtent, à une demi-heure du sommet, fournissant ainsi la preuve la plus frappante de l' appellation de ce lieu.

Du sommet de la Haute Cime la vue sur le labyrinthe rocheux des six autres sommets des Dents du Midi est particulièrement remarquable, de même que celle que l'on a sur les Alpes vaudoises très proches. Par delà la chaîne du Mont Ruan le sommet du Mont Blanc est baigné de lumière.

Tôt l' après, nous revenons à Bonavaux, coin paradisiaque avec ses merveilleuses beautés: verts pâturages alpestres, gigantesques parois de rochers, cascade impétueuse, neige éblouissante de la haute montagne. Aussi ne doit-on pas s' étonner que nombre de poètes romands et d' alpinistes aient chanté cet endroit.

Le jour suivant, une sorte de nostalgie nous saisit au moment de quitter la ravissante alpe de Bonavaux. Cependant, le ciel bleu, la claire matinée, la chanson du torrent réveillèrent immédiatement notre désir des hauteurs.

Arrivés au Pas d' Encel, lorsque nous aperçûmes la cime et le glacier du Mont Ruan étinceler par cette belle matinée, nous éprouvâmes tous, à nouveau et profondément, le sentiment de la beauté de la nature. Saisis d' une douce émotion nous admirâmes en silence la magnificence éclatante de la haute montagne.

Puis, nous nous dirigeons à l' ouest dans le val Susanfe et parvenons bientôt, en montant quelque peu, au fond de la vallée, au pied du col du Sagerou. Jusqu' au rocher l' ascension est rendue pénible par les éboulis et la neige. C' est ensuite un petit couloir rapidement escalade et nous sommes maintenant sur un terrain très en pente, recouvert d' éboulis schisteux. Avec précaution nous traversons horizontalement pour gagner le col du Sagerou, atteignant ainsi la frontière et mettant le pied sur sol français après quatre heures de montée.

C' est avec allégresse que nous saluons le beau pays savoyard et ses montagnes, ses lacs d' azur, ses coteaux de vigne verdoyants, ses vallées aux gorges nombreuses, ses riches forêts.

Du col du Sagerou, la vue est restreinte en ce moment. Des nuages gris s' enroulent en voile autour des cimes; la Dent du Midi elle-même, toute proche pourtant, ne daigne pas dégager complètement son fier sommet.

Nous descendons par des rochers escarpés, non sans demander aide à la corde, puis, à travers des éboulis, nous arrivons aux pâturages fleuris. A midi nous sommes enfin aux chalets de Boray où nous apprenons que le col du Sagerou est rarement franchi; nous sommes, cette année, les premiers touristes venant de Suisse.

A quelques pas de ces cabanes, nous nous engageons sur le Pas de Boray. Ce chemin exposé, rocheux, pourvu d' un câble, nous conduit jusqu' au fond de la vallée en un des endroits des Alpes les plus dignes d' être vus: le « Fer à cheval », sorte de cirque forme par des parois de rochers d' une grande hauteur.

Nous sommes dans la vallée des cascades. A l' époque de la fonte des neiges elles sont innombrables; même en plein été on en compte encore une quinzaine. Au-dessus des pâturages et des forêts, les rochers s' élèvent en gradins vers la cime étincelante; des cascades se précipitent le long de ces rochers tantôt en un mince filet argenté, tantôt en une énorme chute d' eau, tantôt en un fin voile; toutes, elles chantent la beauté des montagnes. Le petit Giffre, torrent impétueux, se dirige vers la vallée de Sixt. Avec le Pic de Tenneverge et la Pointe de la Feniva ce cirque de rochers du « Fer à cheval » forme un tableau- d' une prenante beauté alpestre. Il n' est pas étonnant que l' écrivain Erich Meyer, si connu dans la littérature alpine — auteur du livre « Acton et rêve » ( Tat und Traumait pu dire que c' est ici, au val de Sixt, qu' il a appris à aimer les montagnes.

De la cantine du « Fer à cheval », une automobile de louage nous conduit en quelques minutes au village de Sixt qui possède depuis quelques années seulement une voie ferrée le reliant à Genève. Là, nous prenons nos quartiers à l' hôtel du « Fer à cheval », ancien couvent fort intéressant; les cellules des moines sont devenues les chambres des touristes et le vieux réfectoire est aujourd'hui la salle à manger de l' hôtel. Après le souper, nous nous rendons sous le grand tilleul ombrageant la place du village. C' est le 14 juillet —jour de la fête nationale en France —, aussi la population est-elle rassemblée ici. La musique du village et les pompiers occupent les places d' honneur sur les bancs places sous le tilleul. De temps en temps la musique se met à la tête d' un cortège qui, après avoir fait un tour, revient toujours vers la rangée des bouteilles de vin alignées en batterie sous le toit feuillu du tilleul. Lorsque les lampions s' allumèrent, des détonations de salves retentirent et la musique joua toujours plus fort et... plus faux; la fête ava t atteint son apogée. Nous regagnâmes nos lits de bonne heure et quittâmes Sixt, le jour suivant, à 6 h., passant, près du pont du Giffre, devant un monument, représentant un « Poilu », érigé à la mémoire des soldats morts à la guerre. Le livret-guide nous renseigne exactement sur notre marche de ce jour: col d' Anterne 16 km., Chamonix 33 km.

Ici commence véritablement le chemin historique du col d' Anterne, un des passages les plus fréquentés et les plus connus des Alpes, décrit par l' écrivain genevois Tœpfer dans ses « Voyages en zigzags » et dans les « Nouvelles genevoises ».

A l' ombre de forêts de sapins, nous montons par la vallée des Fonds au cirque de rochers formant le pendant du grandiose « Fer à cheval » de Sixt. Le sentier muletier, en un grand nombre de lacets, traverse de nouveau une forêt, puis nous parvenons à un plateau étendu et atteignons ensuite le lac d' Anterne. Il est midi. Le brouillard plane sur le vaste plateau, une forte pluie nous fait nous hâter.

Arrivés au col, on nous avons peine à apercevoir le signal, et la vue si réputée du Mont Blanc nous étant cachée, nous descendîmes immédiatement au chalet-hôtel du col d' Anterne. Il ne fallait pas songer à continuer notre course; le temps était trop mauvais. L' aubergiste — une Bernoise — nous accueillit aimablement et, vu notre qualité de Suisses, nous demanda pour les repas et le coucher un prix fort modique.

Le temps s' étant amélioré, avant l' aurore nous nous mîmes en marche dans la direction de Chamonix.

Après une descente d' environ 400 mètres, le chemin muletier commence de nouveau à monter de l' autre côté sur le versant du Brévent. Près des chalets d' Arlévé, nous eûmes un court arrêt près d' un joyeux armailli, dont l' immense troupeau de moutons venait de se réveiller.

Le soleil éclaire le versant sud du col d' Anterne et nous apercevons distinctement le chalet où nous avons passé la nuit précédente. Nous appro- chons du passage du col du Brévent; à chaque pas que nous faisons, le Mont Blanc apparaît mieux. Tout à coup le groupe tout entier est vis-à-vis de nous. Nous restons alors immobiles, plongés dans une contemplation muette devant la splendeur presque surnaturelle des Alpes, l' éclat des arêtes, la réverbération des glaciers et la profondeur des vallées. Malheureusement ce coup d' œil sur le Mont Blanc ne dura qu' un instant, comme toutes les plus belles joies de la vie; quelques minutes plus tard le brouillard masquait complètement ce panorama. Néanmoins ce court moment suffit pour graver dans nos âmes la sublimité des montagnes.

Tout est entouré d' une brume opaque. Les marques rouges du Club Alpin Français nous permettent toutefois de reconnaître le chemin à suivre pour gagner le Brévent ( 2525 m .), le belvédère d' où l'on a la plus belle vue sur le Mont Blanc.

Lorsque nous fûmes arrivés en haut, noyés dans un épais brouillard, nous dames nous borner à étudier la table d' orientation. Puis nous attendîmes une heure, deux heures, trois heures, et pour tromper l' ennui nous nous fîmes préparer un petit repas à l' auberge. Mais l' attente est vaine; le brouillard ne se dissipe pas. Déçus, nous repartons. A peine étions-nous descendus de quelques mètres que, près de la terrasse de Bel Achat, le voile de brume se déchira et l' imposante chaîne du Mont Blanc apparut dans toute sa majesté.

A 3 h. de l' après nous arrivâmes à Chamonix. Actuellement c' est une ville d' hôtels et de magasins, de sommeliers et de public international. Malgré tout, cette station a un cachet particulier et mérite une visite. Pour les apinistes une des principales curiosités est le monument de Saussure, érigé par le Club Alpin Français, en 1887, lors de la fête du centenaire de la première ascension du Mont Blanc. Le guide de de Saussure, le jeune Jacques Balmat, montre du doigt l' imposante cime dominant sa vallée natale; et de Saussure, le grand savant genevois, exprime, par un regard plein d' espoir, son désir de réussir, sous la conduite de Balmat, le but de sa vie: l' ascension du Mont Blanc.

Le lendemain matin, départ par le premier train, qui ne part malheureusement de Chamonix qu' à 8 h., pour nous rendre au Montenvers, principal but d' excursion depuis Chamonix, visité chaque année par environ 100,000 personnes. Aujourd'hui, nous pouvons bien nous permettre ce trajet en chemin de fer, vu que nous avons encore en perspective une très longue marche sur le glacier, lourd sac au dos.

De ce promontoire verdoyant du Montenvers, nous descendons à la Mer de glace. Tout près, l' Aiguille de granit de la République et les Aiguilles du Grépon et des Charmoz se dressent comme des flèches vers le ciel. Les rochers rabotés par les glaciers attestent que, dans les temps anciens, ceux-ci occupaient une surface bien plus grande.

Nous obliquons ensuite pour entreprendre la traversée du glacier du Géant que nous voulons traverser complètement aujourd'hui pour gagner le col du même nom. En route nous atteignons les premiers rochers de la Dent du Requin. Sur le Rognon du Requin règne une grande activité, car on est en train de construire un refuge de même importance que la cabane Concordia dans le massif des Alpes bernoises; cet abri sera situé à trois heures du Montenvers, à une altitude de 2500 m. Depuis là, il est facile d' atteindre la cabane et l' Aiguille du Midi ainsi que le col du Midi, un des chemins conduisant au sommet du Mont Blanc. Cette cabane sera également un pied-à-terre excellent pour l' ascension des aiguilles situées aux alentours.

Une fois les passages les plus difficiles traversés dans cette région aux séracs fantastiques, nous jetons un coup d' œil sur le trajet parcouru. Au-dessus de l' éperon rocheux de l' Aiguille du Tacul, nous voyons les séracs de Talèfre et le glacier du même nom avec le « Jardin », île fleurie au milieu des sauvages glaciers des Droites et des Courtes.

Durant trois heures nous montons à grandes enjambées le glacier à pente douce et nous atteignons le col des Flambeaux. Au crépuscule nous parvenons au col du Géant et descendons dans l' obscurité environ 50 m. sur le versant sud pour gagner le « Rifugio di Torino » appartenant au Club Alpin Italien. Cette cabane est située à une altitude de 3323 m ., c'est-à-dire 2100 m. au-dessus de la vallée de Courmayeur dont nous voyons de temps en temps les lumières scintiller. Nous sommes très bien hébergés dans cet abri et, comme membres du C.A.S., pour 5 francs nous avons un bon lit et obtenons encore une réduction de 10% sur le prix des repas.

A notre réveil, le lendemain matin, le soleil brille dans un ciel serein. Avant le déjeuner, nous faisons une promenade matinale dont le but est le col du Géant et le Petit Flambeau que nous n' avions fait que soupçonner la veille et que nous atteignons aujourd'hui en trois quarts d' heure. Au-dessus de l' arête de la Tour Ronde s' élèvent le Mont Blanc, avec ses névés aveuglants, et ses satellites: à gauche le Mont Blanc de Courmayeur, à droite le Mont Maudit; cette dernière appellation était, au moyen âge, le nom de tout le groupe du Mont Blanc.

De retour au refuge, nous déjeunons, puis nous repartons immédiatement. L' arête rocheuse que nous descendons est raide et partiellement sans chemin. A notre droite sont les aiguilles escarpées de la Brenva; à notre gauche les glaciers du groupe des Grandes Jorasses.

Au pied des rochers commence le large chemin muletier conduisant à la vallée. C' est jusqu' ici que les provisions destinées au refuge sont portées à dos de mulet.

Au bord d' une plate-forme est bâtie la petite auberge du Mont Fréty et dans le fond nous voyons la jonction des deux ruisseaux du val Veni et du val Ferret. Ce cours d' eau rejoindra ensuite la Dora Baltea qui arrose la vallée d' Aoste en passant par Courmayeur. Le pavillon du Mont Fréty est envahi par la plus grande partie de notre groupe d' Uto, puis quelques instants plus tard les retardataires nous y rejoignent et nous profitons de cette halte pour nous réconforter.

Au delà de la moraine du glacier de Brenva, nous apercevons la vallée de l' Allée Blanche et le col de la Seigne, un des sept cols qui doivent être franchis lorsqu' on effectue l' excursion dite tour du Mont Blanc.

Le Mont Fréty serait un endroit digne d' un plus long séjour. Le panorama dont on jouit de ce point situé sur la pente escarpée de la plus haute montagne des Alpes est splendide dans toutes les directions, mais nous ne pouvons y faire un long arrêt. Une heure de descente à travers une forêt de pins et nous nous trouvons à la jonction des deux ruisseaux glaciaires, près d' Entrèves, le hameau le plus élevé de la vallée de la Dora Baltea.

Un coin digne du pinceau d' un peintre: Entrèves, village alpestre!

A l' entrée du val Veni se trouve la chapelle de Notre-Dame de Berner devant laquelle doivent passer la plupart des alpinistes se rendant dans le splendide massif du Mont Blanc.

Peu de temps après, nous arrivons à Courmayeur, village chanté par les poètes italiens. Qui a vu, en effet, ne serait-ce qu' une fois, ce petit paradis terrestre ne peut s' empêcher d' en chanter les louanges.

Des deux côtés de la riche vallée forestière, toute pa- semée de cyprès et de lauriers, se dressent de gigantesques parois de rochers et des aiguilles hardies comme on n' en rencontre nulle part ailleurs dans les Alpes, formant une puissante muraille de plus de 3000 m. de hauteur. Ce tableau est d' une magnificence indescriptible.

Dans le champ de repos de Courmayeur sont inhumées aussi quelques victimes de la montagne, des touristes étrangers et des guides de la région.

Après le dîner, pris à l' hôtel Union, nous avions encore en perspective la course du Petit St-Bernard. Une averse locale retarda notre départ jusqu' à 17 h. environ. Mais ensuite les autos nous transportèrent, en un laps de temps très court, au-dessus des forêts de Pré-St-Didier, au village de la Thuile où se trouve la douane italienne. C' est le point de départ pour l' énorme massif glaciaire du Ruitor.

Quelques contours et nous sommes au col du Petit St-Bernard. En l' an 25 avant Jésus-Christ un chemin, véritable ouvrage d' art, y fut construit par l' empereur Auguste; la route carrossable ne date que de l' an 1871. Nous nous trouvons à la frontière des Alpes Pennines au nord et des Alpes Grées au sud, à un point historique puisque César a franchi ce col et qu' Hannibal doit aussi, dit-on, l' avoir choisi pour effectuer la traversée des Alpes.

Non loin de la colonne de Jupiter, haute de 4 m ., colonne surmontée de la statue de Saint Bernard, se trouve un jardin alpin, la Chanousia contenant des centaines d' exemplaires de la flore alpine. Ce jardin bien connu a été créé pour honorer la mémoire de l' Abbé Chanoux, ancien recteur de l' hospice qui doit sa renommée à ses recherches botaniques sur le territoire environnant.

L' hospice fut fondé, il y a 1000 ans, par Bernard de Menthon et est administré par les moines du Grand St-Bernard. Son but est, aujourd'hui comme à son origine, de venir en aide aux pauvres touristes égarés se rendant dans les vallées voisines.

Nous y arrivions un samedi soir. Aussi la plus grande partie de notre groupe dut-elle coucher dans les dortoirs placés dans les combles, car une grande société occupait déjà la plupart des chambres.

4 h. du matin, ciel nuageux. 5 h., ciel serein. A 7 h. nous sommes sur le Pic de Lancebranlette ( 2928 m. ). Nous découvrons alors le versant sud du Mont Blanc dont les névés étincelants dominent toutes les autres cimes. A côté sont les Aiguilles des Glaciers, entourées d' une multitude de sommets.

Non sans regret nous quittons ce lieu qui, par un ciel presque sans nuages, nous offrit le plus beau panorama de toute notre excursion, et, par le chemin muletier, nous retournons à l' hospice. Ce jour-là, comme la veille, nous avions fait notre promenade matinale avant le déjeuner; c' est pourquoi le pot à lait du couvent dut être rempli plusieurs fois et la ration de beurre doublée, même triplée pour les touristes affamés de la section Uto.

Après la messe et une petite promenade d' orientation du côté de la frontière française où, sur une chapelle en pierre, se trouve une statue de Bernard de Menthon, nous redescendîmes jusqu' en Tarentaise avec des autos louées à Courmayeur. A travers des forêts de sapins et des prairies tout émaillées de fleurs, la route, en d' innombrables lacets, conduit dans la profonde vallée. Durant tout le parcours, nous jouissons d' une vue splendide sur le val d' Isère, sur lequel le Mont Pourri veille avec tout l' éclat de ses glaciers; dans le lointain apparaissent les sommets de la Vanoise reliant les Alpes Grées aux Alpes Cotiennes.

A midi, nous atteignons Séez, premier village situé sur le versant français du Petit St-Bernard; là se trouve le bureau de la douane. Les formalités ne comportent que le contrôle automobile. Quoique nous fussions depuis 6 jours sur terre étrangère et que nous eussions changé trois fois de frontières, nous n' avions jusque-là jamais dit présenter nos passeports. La grande route conduit en une demi-heure à Bourg-St-Maurice, station terminus du chemin de fer de Grenoble. Mais nous nous dirigeons à gauche vers la Tarentaise, appelée aussi val d' Isère, vallon qui a conservé ses particularités quant aux costumes, aux us et coutumes: c' est l' Oberland savoyard.

A Ste-Foy, de nombreuses femmes portent encore le dimanche le costume si intéressant provenant du XVIe siècle. Elles ont une coiffure aussi originale que gracieuse, appelée la « frontière », sorte de coiffe à bords dorés, portant trois points lumineux dont un sur le front et les deux autres aux tempes. La vie si agitée de notre époque permettra-t-elle encore longtemps le port de cette coiffure ornementale? Cette question peut être posée, si l'on songe que l' ajustement de la dite coiffure prend chaque fois plus d' une heure de travail à celle qui la porte!

La route s' élève dans la vallée étroite en passant à travers des forêts de sapins et de mélèzes et en longeant des pentes que menacent perpétuellement les avalanches. Après avoir passé un sombre défilé au fond duquel gronde la sauvage petite Isère, la vallée s' ouvre; nous avons atteint le charmant petit village Val d' Isère.

Après le dîner et après avoir pris possession de nos chambres dans l' hôtel de Paris, simple mais très bien tenu, le village — le plus élevé de la vallée — et les environs immédiats furent visités. Le curé nous donna quelques VII36 renseignements au sujet de la route automobile projetée, route devant passer par le col d' Iséran qui est tout proche; la mise à exécution de ce projet ne pourra être réalisée de longtemps encore, vu le mauvais état des finances du pays. Cette communication entre le val d' Isère et la Maurienne serait la tranche finale de la route des Alpes, du lac Léman à la Méditerranée. Dans cette vallée les pâturages sont rares, coupés encore de champs de blé ou de pommes de terre; au-dessus de maigres forêts s' élèvent les montagnes calcaires dont les formes bizarres donnent à toute la vallée un aspect particulièrement sévère.

Le lendemain, peu après l' aurore, munis de légers sacs, nous quittons Val d' Isère, en route pour l' Aiguille de la Grande Motte, la cime la plus connue du val d' Isère supérieur.

Deux heures de marche et nous atteignons le lac de Tignes — riche en truites —, entouré de fiers sommets tel que le Grand Parei. Encore trois heures et nous arrivons au col de la Leisse, au pied de l' Aiguille de la Grande Motte dont l' altitude est de 3663 m.

Malheureusement le sommet est caché par les nuages; aussi prenons-nous tranquillement notre temps pour nous restaurer. Notre enthousiasme pour cette ascension est tombé; le guide lui-même ne stimule pas notre énergie. Nos places choisies sur différents blocs, nous nous apprêtions à jouir d' un doux farniente lorsqu' un coup de vent survint: le sommet de la Grande Motte est libéré du brouillard 1 Alors huit d' entre nous, pleins d' entrain, laissent les sacs au col et montent au glacier par des éboulis. Nous gravissons ainsi 1000 m. Le brouillard dût-il s' implanter, les flocons de neige nous saupoudrer, que personne ne songerait à revenir en arrière! Ayant confiance en notre bonne étoile, nous faisons l' esca de l' arête est et arrivons en trois heures au sommet Notre persévérance ne fut, cette fois, pas récompensée. Nous ne pouvions voir à deux pas de nous! Quelle déception! Et dire que le panorama de l' Aiguille de la Grande Motte est — à ce qu' il paraît — un des plus beaux de toutes les Alpes! Il ne nous reste plus, hélas! qu' à songer au retour. Comme pour nous narguer, quelques mètres au-dessous de la cime, une éclaircie survint et plus nous descendions, plus le temps s' améliorait. La chaîne frontière franco-italienne avec l' Aiguille de la Grande Sassière, la Tsanteleina et la Pointe de la Galise — que comportait notre programme du lendemain — se présentait dans toute sa beauté.

De retour au col de la Leisse, nous choisissons le col du Santon pour nous rendre à nouveau au val d' Isère. La descente est rapide, sur un terrain rocailleux, sans traces de sentier; nous n' arrivâmes que fort tard à notre hôtel.

Le lendemain, lorsque la caravane de l' Uto se mit en marche, le soleil était déjà levé depuis un certain temps!

Le chemin s' élève dans la vallée sans arbres, inculte, dans la direction de l' est. La petite Isère gronde au fond de la gorge du « Mauvais Pas ». Après plus de deux heures de marche nous atteignons le fond de la vallée et sommes à la source de la petite Isère, affluent du Rhône. Par névés et glaciers nous allons, vers la frontière franco-italienne, au col et à la Pointe de la Galise.

Quelque peu en dessous du col de la Galise, nos regards parcourent le chemin effectué durant ces quatre heures; on le voit dans son entier. Bien au-dessous de nous, nous apercevons la gorge de l' Isère au fond de la vallée. Derrière les contreforts que nous avons traversés hier, l' Aiguille de la Grande Motte, enveloppée dans son manteau de neige, nous salue.

Une des particularités des Alpes Grées est l' uniformité des vallées; par contre les cimes sont d' une grande beauté qu' augmente encore l' impres solitude.

L' Italie nous réserve un mauvais accueil. Notre halte au col dut, en conséquence, être abrégée, car ce jour-là — comme les jours précédents — après le soleil radieux du matin, la pluie se mit à tomber l' après. Bientôt nous sommes entourés d' un brouillard opaque. Nous devons descendre une paroi de rochers abrupte et à travers des éboulis sans fin sur le versant italien. Par ce temps, le tableau de ce chemin dépeint dans le livre « Le vieux guide Tschudi » il y a cinquante ans environ, aurait très bien pu s' appliquer à notre cas:

« Par rochers, glaciers et neige, en côtoyant des précipices impressionnants, à travers une contrée extrêmement sauvage, solitaire, dont les rochers sont d' accès difficile, on atteint les chalets de Serru. » Ici, à la partie supérieure de la vallée de l' Orco, à la limite du part national italien, deux douaniers surgissent, examinent nos passeports et nous questionnent au sujet de nos appareils photographiques. Nous répondons avec candeur, sans nous douter que précisément dans cette région il est interdit de photographier. Les douaniers nous laissent partir, mais s' attachent à nos talons, probablement dans le but de nous observer lorsque nous reprendrons des photographies.

Promenade délicieuse que la descente de ce vallon, à travers des gorges, en longeant le torrent mugissant qui nous fait entendre son éternelle chanson.

En nous dirigeant du côté du village de Ceresole Reale, la vue des prairies couvertes de fleurs, des sombres forêts, nous enchante. A travers le vert tendre des mélèzes, nous apercevons le massif du fier groupe Levanna doré par les derniers rayons du soleil.

La nature est magnifique, mais les hommes insondables!

A peine avions-nous atteint les premières maisons de Ceresole Reale qu' un des douaniers apparaît à nouveau et nous conduit au bureau de douane. Là, nous dames subir un interrogatoire pénible: « Avez-vous remarqué, du côté français, la construction de nouvelles routes conduisant à la frontière italienne? Ne saviez-vous pas que toute prise de photographies était interdite dans la région frontière franco-italienne? » Nos appareils furent confisqués, d' où résulta pour nous un jour de repos force pour rentrer en possession de notre bien. Nous essayâmes tout d' abord de gagner les bonnes grâces des douaniers en les invitant à venir trinquer avec nous dans notre hôtel. Nous n' obtenons aucun résultat, mais, par contre, nous avons eu le plaisir de devoir régler le lendemain une note « salée » pour l' asti et le champagne, et pourtant de ce dernier nous n' avions vu nulle trace!

Très tôt le lendemain, un de mes camarades et moi nous partîmes en automobile avec un des douaniers et les appareils photographiques, pour Locana, lieu où se trouve un poste douanier supérieur. Le fonctionnaire de ce poste comprit notre situation et, grâce à son amabilité, nous pûmes rentrer en possession de nos appareils, toutefois avec promesse de ne plus prendre de photos dans la région limitrophe. A midi, nous étions de retour à Ceresole pour entamer de nouveaux pourparlers, mais cette fois avec l' hôtelier qui nous présentait une note dans laquelle le dîner était compté aussi cher que l' en — souper, coucher, déjeuner ( 18 liresqu' il nous avait offert lorsque nous avions échangé correspondance.

L' après s' écoula en « dolce farniente », en contemplation, en partie à la source d' eau ferrugineuse qui fit de Ceresole une station thermale, en partie le long du limpide Orco, torrent impétueux descendant en mugissant de degré en degré en formant de splendides cascades. Ceresole restera un point lumineux dans nos souvenirs de cette randonnée, tout au moins en ce qui concerne la beauté de la nature!

Le temps est bien sombre lorsque nous partons le lendemain matin à 5 h. Inutile de songer à faire la traversée de la montagne directement pour gagner le refuge « Vittorio Emanuele » au Gran Paradiso. Nous remontons donc la vallée en prenant la route déjà parcourue.

Aujourd'hui les écluses du ciel sont ouvertes et déversent des torrents sur nos pauvres dos lorsque nous passons par là en nous dirigeant vers le col du Nivolet, pour gagner le refuge où nous devrons arriver le soir.

Au delà du col, nous faisons une petite halte, le temps s' éclaircit, le premier pavillon de chasse royal « casa di caccia » nous accueille pour quelques instants. Ici, nous nous trouvons sur le territoire de chasse de l' ancien roi chasseur Victor-Emmanuel II qui, en l' an 1854, fit construire le premier pavillon de chasse. Il séjournait plusieurs semaines chaque année dans cette contrée giboyeuse où il chassait des bouquetins et des chamois. Chasseur passionné, on lui prête ces mots: « Qu' on me donne un fusil et de bons terrains giboyeux, et je renoncerai alors sans peine à mon royaume! » Quel charmant coup d' œil offre la vaste plaine de Nivolet parsemée de fleurs aux vives couleurs! Le soleil brille maintenant et sèche nos habits.

Arrivés au bord de la pente raide descendant vers le val Savaranche, près du « Croce Roley », un panorama d' une rare beauté s' étend devant nos yeux surpris et charmés: le groupe complet et imposant du Gran Paradiso se présente dans toute sa splendeur; les trois cimes: Becca di Monciair — Ciarforons — et Tresenta sont les principales; elles sont de la hauteur de notre Tödi. Puis, leur faisant suite directement, le Gran Paradiso.

Le refuge est situé sur la première plate-forme et au-dessus s' élève la plus haute montagne de l' Italie dont l' ascension peut être considérée comme relativement facile.

Nous descendons vers le Pont, hameau le plus élevé du val Savaranche, où, dans une petite auberge très simple, nous fîmes une halte un peu prolongée pour le dîner. Le soir nous montâmes an refuge « Vittorio Emanuele », situé 800 m. plus haut, et que l'on atteint en suivant un bon chemin de chasse royal. Là, nous voyons combien notre tour de ce jour aurait pu être abrégé si le temps avait été favorable. En effet, une ascension en ligne droite depuis Ceresole, en passant par le « Colle di Ciarforun » et de là, la descente sur le refuge n' auraient été qu' une simple promenade de cinq heures, tandis que les grands contours que nous avons été obligés de faire ont exigé une marche de neuf heures.

Les derniers rayons du soleil brillaient encore sur les plus hautes cimes nous promettant une journée merveilleuse pour notre principale ascension, celle du Gran Paradiso.

Avant d' entrer dans le refuge — refuge dont la construction tient le milieu entre une maison de la « Deutsch-Österreichischen Alpenverein » et une de nos simples cabanes suisses — nous pouvons lire sur une plaque de marbre:

« Alla memoria del Re Vittorio Emanuele, il Club alpino italiano. » Cette cabane, construite en 1884 par le Club alpin italien, contient de nombreux locaux, dont quelques chambres à coucher ( lits et lits de camp ). Nous y passâmes une courte nuit. Elle a un tenancier, si bien que, pour une somme modeste, nous sommes très bien servis.

Avant l' aurore, nous quittons le refuge. A travers des éboulis nous nous dirigeons vers le glacier du Gran Paradiso dont la traversée fut très facile. Sans crampons et sans devoir tailler de marches, donc presque sans peine, nous gravissons les pentes raides du névé. Après quatre heures de marche nous nous trouvons devant la plus grande eminence formant une espèce de crête dont les débris font penser aux ruines d' un grand bourg. Seul, le sommet exige une facile varappe; nous sommes bientôt sur la principale pointe des Alpes Grées, dont l' ascension a été faite pour la première fois en 1860 par un Anglais accompagné de guides de Chamonix.

Malheureusement la vue est restreinte, des nuages ayant réapparu durant notre ascension. Devions-nous, après avoir joui d' une heure de repos au sommet, retourner à la cabane par le même chemin — comme c' était prévu au programme —, ou bien devions-nous suivre le conseil de notre guide qui nous proposait de descendre au village de Cogne que nous apercevions au fond de la vallée et qui semblait nous appeler? En qualité de chef de course, je me décide après une longue discussion à donner suite au vœu de la majorité; les indécis suivirent. A la descente nous marchâmes durant une demi-heure dans les traces de notre ascension. Puis, nous prîmes du côté est. La traversée le long de la paroi pour descendre au « Colle dell' Ape » fut bien quelque peu exposée, mais faite avec toute la tranquillité nécessaire et des cordes bien assurées, elle se termina tout à fait bien. En une heure, à peine, nous sommes au col en question et traversons le glacier de la Tribolazione. La traversée de ce glacier si riche en crevasses est faite assez facilement, car nous sommes au commencement de la saison. La paroi de l' est s' élève d' une façon imposante du côté des sommets rocheux du Paradiso qui semblent tomber en ruines.

Vers le soir, alors que nous étions enfin prêts à quitter la région des glaciers, la partie la plus pénible de notre excursion de ce jour devait commencer. Notre guide, qui n' avait plus passé dans cette région depuis une dizaine d' années, désirait nous conduire sur un des nombreux chemins de chasse royal qui avaient été construits, autrefois, jusqu' à la région des glaciers. Il nous conduisit le long de la vallée, à gauche; nous devions tantôt monter, tantôt descendre de rapides pentes de pâturages alpestres, traverser des ruisseaux, tandis que la pluie nous tenait fidèle compagnie et qu' un brouillard très dense nous privait de toute vue. Nous n' eûmes pas à regretter la fatigue car nous vîmes soudain tout près de nous quelques bouquetins effarouchés. Les bouquetins de la vallée d' Aoste, qui sont encore au nombre de plusieurs centaines, peuvent atteindre une longueur d' un mètre et demi; il n' est pas rare d' en voir armés de cornes d' un mètre de longueur. Vers le milieu du siècle dernier le roi Victor-Emmanuel résolut de protéger d' une façon systématique les bouquetins et parvint ainsi à en posséder une magnifique réserve.

Autrefois des chemins à char étaient construits jusqu' au haut des vallées alpestres les plus élevées. De nos jours, quelques-uns encore facilitent l' accès de quelques sommets dans le groupe du Paradiso, tandis que d' autres sont maintenant impraticables. En plusieurs endroits sont érigés des pavillons de chasse royaux « Appostamenti di caccia », construits partiellement en pierres et placés non loin des glaciers.

Nous nous orientons au moyen de la carte, le temps s' est un peu éclairci. Un de ces chemins de chasse est en vue. Nous l' utilisons. Au début il est tout à fait bon, mais tout à coup toutes traces disparaissent pour reparaître beaucoup plus loin en dessous.

Nous parvenons enfin dans le fond de la vallée de Valnontey; ce ne fut toutefois qu' au crépuscule que nous atteignons Cogne, le village le plus connu de la région. L' hôtel Grivola nous ouvre ses portes hospitalières. Une sensation de bien-être nous saisit lorsque nous sommes autour du poêle que l' auber a eu la complaisance de chauffer pour sécher nos habits.

Après un copieux souper nous sommes aussi réchauffés intérieurement. Oh! quelles délices que de pouvoir gagner son lit après une journée de treize heures de marche!

Le lendemain matin un soleil radieux éclaire toute la vallée de Cogne.

A 11 h., après de longues négociations pour fixer définitivement le prix du voyage, nous montons en automobile pour nous rendre à Aoste. La route que nous suivons est située bien au-dessus de la Grande Eiva qui se hâte vers la vallée. Un tableau ravissant surprend nos yeux lorsque nous débouchons des vallées solitaires du Gran Paradiso dans la vallée d' Aoste: le grand souverain, le Mont Blanc, bien qu' enveloppé de quelques nuages, nous envoie le salut des neiges éternelles dans la fertile et riante vallée d' Aoste.

Nous traversons maintenant la Dora Baltea, devenue en cet endroit une rivière assez large, car les eaux de la fonte des neiges du Mont Blanc et du territoire du Gran Paradiso se sont déjà réunies.

La vallée d' Aoste est la vallée des bourgs et des châteaux dans un grand nombre desquels l' aristocratie italienne séjourne durant l' été. On entend encore parler français dans cette région, qui fut très longtemps sous la domination de la Maison de Savoie et qui est restée fidèle encore maintenant aux us et coutumes français.

A midi nous passions par les rues étroites de la ville d' Aoste. Après nos dix jours d' excursion il nous est donné de revoir un chemin de fer et une foule cosmopolite. A l' hôtel de la Couronne règne une grande animation, mais le dîner nous paraît excellent et la dernière « boutiglia di moscato » pétille d' une façon particulière.

11 nous reste encore quelques heures jusqu' au départ. Les membres de la section Uto s' éparpillent dans la petite ville. Qui va à la poste, qui chez le coiffeur, qui faire des achats, qui à la brasserie! Un autre s' intéresse aux très nombreux monuments romains. Le part municipal est également visité; là se trouve une statue du roi Victor-Emmanuel ayant un bouquetin à ses pieds. Le souvenir de ce chasseur royal survivra encore longtemps dans les vallées du Gran Paradiso et des alentours, d' autant plus qu' il a fait beaucoup de bien pour la population montagnarde. Son nom est entouré d' une série de légendes dont voici quelques exemples:

Une fois, le roi fit remettre à un maire une décoration pour laquelle le réceptionnaire ne manifesta guère d' enthousiasme. Alors, quelques jours plus tard, le roi lui fit envoyer deux vaches qui reçurent un tout autre accueil et pour lesquelles un tout autre témoignage de reconnaissance fut exprimé!

Une autre fois, le roi, chassant en compagnie d' un prince allemand, alluma une allumette en la frottant à son pantalon — suivant une coutume de nos aïeux —. L' hôte s' en montra quelque peu étonné, mais le roi Victor-Em-manuel lui répondit: « Ce n' est pas précisément un geste royal, mais c' est pratique. » Dans la ville d' Aoste les vestiges romains sont nombreux, tels que: arcs de triomphe, amphithéâtres, mur d' enceinte. Ils témoignent que cet endroit, nommé aussi « la Rome des Alpes », a derrière lui une histoire mouvementée. Cette ville fut fondée, 25 ans avant Jésus-Christ, dans le but d' assurer les passages du Petit et du Grand St-Bernard dont l' un allait en Gaule et l' autre en Helvétie. Aoste comptait, à l' époque de sa grandeur, 50,000 habitants. Au moyen âge, les empereurs allemands passaient toujours par là pour se rendre en Italie. Etant aujourd'hui le point terminus d' une ligne de chemin de fer, son importance au point de vue touristique ne cesse d' augmenter.

Après être restés quatre heures dans cette ville, nous remontons en automobile, rangeons nos sacs de touristes dans un coin lorsque le dernier antiquaire de notre bande apparaît enfin, enthousiasmé de son excursion. Nous quittons Aoste et prenons la route conduisant au Grand St-Bernard, route qui, depuis 1905, est aussi carrossable du côté italien, tandis que le chemin du versant suisse l' était déjà depuis 1893.

Le soleil jette ses derniers rayons lorsque nous quittons la fertile campagne d' Aoste. En nous dirigeant vers la frontière de notre pays, nous côtoyons des champs de mais, des vignes, des noyers et des châtaigniers. « Ai nostri monti ritorneremo », nous retournons à nos montagnes, dont les pics nous saluent, par la Valpellina!

Le dernier village italien, St-Rémy, est traverse. Les hommes de ce lieu sont libérés du service militaire, mais doivent par contre, sur ordre de leur syndic, faire en sorte que la route conduisant au col soit toujours ouverte au trafic, déblayer la neige quand cela est nécessaire et être prêts à porter secours à des voyageurs. On les nomme: « Soldats de la neige. » Nous sommes à la frontière suisse, au Grand St-Bernard. De même qu' au Petit St-Bernard, un monument y est érigé à la mémoire de Bernard de Menthon, religieux qui fonda des hospices dans le but de porter secours aux voyageurs égarés. Plus tard on donna son nom à ces hospices. Les bâtiments actuels datent du XVIe siècle. De nos jours, une douzaine de moines de l' ordre des Augustins y habitent encore. Avant la construction du tunnel du Simplon et jusqu' avant la guerre cet hospice hébergeait annuellement près de 30,000 personnes; il n' était pas rare alors que 500 voyageurs fussent répartis dans les divers .et vastes locaux de cet établissement.

Le dernier jour de notre voyage, le temps était radieux. Nous partons de l' hospice directement dans la direction ouest pour monter encore une fois sur les hauteurs ensoleillées. Derrière les contreforts des Alpes, le Velan et le Grand Combin dressent leurs masses imposantes. Le Mont Blanc s' élève au-dessus de toutes les montagnes et nous envoie un dernier salut!

Nous avons atteint la Chenalette ( 2889 m .) en moins d' une heure. De là, nous apercevons encore une fois les montagnes que nous avons appris à connaître au cours de ces 14 jours d' excursions. Dans le lointain apparaissent le groupe de la Vanoise, les montagnes limitrophes du val d' Isère et, au sud, le Gran Paradiso.

Ici, nous nous séparons. Trois d' entre nous vont au Piz de Droma et passent encore deux journées à excursionner dans la partie suisse du Mont Blanc, dans les charmantes contrées de Saleinaz et d' Orny. Le reste de notre colonne descend à l' hospice et, après avoir dîné, prend la voiture postale pour se rendre dans le val d' Entremont, en passant par Bourg-St-Pierre.

De la colline s' élevant au-dessus de Sembrancher nous voyons le défilé de rochers de la Dranse impétueuse et jetons encore un dernier regard sur les cimes qui furent le point de départ de cette magnifique excursion, les Dents du Midi!

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