Du nouveau sur le docteur Paccard
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Du nouveau sur le docteur Paccard

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Par C. E. Engel.

Depuis un siècle et demi, on a tant discuté les problèmes soulevés par la première ascension du Mont Blanc, en 1786, que la question s' est beaucoup embrouillée. De temps en temps, la découverte d' un nouveau document permet de retrouver quelques traits originaux de cette affaire et de faire justice de quelques légendes. Deux éléments essentiels du problème sont les suivants: Qui a eu l' idée de la route qui a mené au sommet du Mont Blanc? Paccard a-t-il, oui ou non, publié le récit de son ascension? C. E. Matthews, D. W. Freshfield, H. F. Montagnier, le Dr E. H. Stevens, le Dr Dübi ont résolu ces deux problèmes. A la suite de trouvailles heureuses, je vais me permettre de verser deux nouvelles pièces au dossier.

En 1785, un jeune Polonais, le comte Laurent-Martin Dzieduszycki, arrive en Suisse. Il vient de Posen, où s' est fixée sa famille, originaire de Galicie. Son frère est grand notaire de Lithuanie, chevalier de l' ordre de St-Stanislas, et il occupe de hautes fonctions à la cour de Stanislas Poniatowski. Le comte Dzieduszycki a treize ans lors de son arrivée en Suisse. Sa famille a été anoblie par l' Autriche, après le premier partage de la Pologne. Son père, le comte Thaddée, est mort depuis plusieurs années, et c' est le second fils — les Dzieduszycki sont quatre frères — qui correspondra avec Laurent-Martin, pendant le Grand Tour traditionnel que ce dernier fait à travers l' Europe Occidentale.

Le jeune homme réside neuf mois à Morges, chez un M. Sylvestre, son ami, officier au service de France qui a voyagé en Pologne. Chez lui, Dzieduszycki « perfectionne son éducation et forme son caractère », comme il le dit lui-même. Ses brouillons de lettres et de journaux intimes sont restés chez les Sylvestre. Leur descendant par alliance, M. Francis Roux-Devillas, me les a communiqués.

Dzieduszycki quitte Morges en juin 1786 et il passe un an à Lausanne. Dans l' été de 1787, il a alors 15 ans, il décide d' aller voir « le Mont Blanc, ce colosse énorme de neige et de glace, que l'on vient voir de tous les pays ». Il passe par Genève et Bonneville et arrive à Chamonix le 4 août 1787: « Ce jour est célèbre et sera connu dans l' histoire mémorable des glacières parce que c' est ce même jour que M. de Saussure qui, depuis 20 ans, avait fait tant de tentatives inutiles était enfin de retour du sommet du Mont Blanc, dont la route était connue depuis Vannée dernière par le voyage de M. Paccard, médecin de Chamonix et de deux guides qui y étaient parvenus avec lui. M. le professeur de Saussure avait avec lui 18 guides et son valet de chambre. Ils ont tous été vus avec des lunettes d' approche depuis Chamonix le 3 à midi en haut du Mont Blanc... » Le jeune Polonais donne ensuite un rapide compte rendu de l' ascension de Saussure — le premier qui en ait été fait, très probablement — et son exactitude est totale. Mais je crois que le passage le plus important du paragraphe est la phrase consacrée à l' ascension du Dr Paccard.

Dzieduszycki, en arrivant à Chamonix, ne connaît rien à l' histoire du Mont Blanc. La vue de la longue caravane de Saussure l' intrigue et il doit se renseigner auprès du premier venu: un guide, un domestique de l' auberge Couteran, un passant quelconque, n' importe qui. La phrase sur Paccard est la transcription de l' une des informations qu' il recueille. Dans la vallée, tout le monde connaît le Dr Paccard et sait qu' il a été le premier à aller au Mont Blanc. On ne nomme même pas Jacques Balmat; on ne se souvient pas, ou l'on n' attache aucune importance au fait qu' il était en réalité seul à accompagner le jeune médecin. Instinctivement, on applique la règle alpine: la première ascension est attribuée au touriste, et non au guide. C' est cette loi non écrite que Balmat s' appliquera à violer. Et la phrase telle que la note Dzieduszycki, suggère que Paccard a découvert tout seul la route — ce que son fils dira plus tard à Lord Minto dont il sera le guide — et qu' il est arrivé au sommet en même temps que ses compagnons, et non remorqué par eux, comme voudrait le faire croireBalmat. Est-ce là torturer le texte d' un étranger? Je ne le crois pas. Dans les quatre cahiers manuscrits du jeune comte polonais que j' ai entre les mains, je n' ai relevé ni une incorrection, ni une impropriété. Son français est parfait. On peut donc donner à ses phrases leur maximum de sens.

Ainsi, il semble que, un an après la première ascension du Mont Blanc, alors que Bourrit et Balmat se donnaient beaucoup de peine pour faire accepter leur roman alpin, les gens de Chamonix savaient à quoi s' en tenir sur les mérites respectifs du touriste et du guide.

Seulement, pour le grand public, Bourrit a eu le dernier mot en parvenant à étouffer le livre que Paccard se proposait de publier sur son ascension. H. F. Montagnier l' a prouvé de manière irréfutable en retrouvant une lettre où le docteur se plaignait des procédés de l' Historiographe des Alpes à son égard. Je confirme la démonstration du grand érudit américain par une nouvelle preuve négative.

Dès la fin du XVIIIe siècle, l' abbé Jean-Maurice Clément, prieur du Val d' Illiez était considéré comme un « curieux phénomène », comme dit le Doyen Bridel au T. III de son Conservateur Suisse: « Vous trouverez dans son presbytère de bois une bibliothèque choisie et nombreuse principalement en bons ouvrages d' histoire naturelle, qui est certainement la plus belle de tout le Valais... C' est un ecclésiastique aussi modeste qu' instruit, aimable, hospitalier... et qui... profite de ses loisirs pour étudier la superbe nature qui l' environne. » Clément était né en 1736 à Champéry, il avait fait ses études à St-Maurice et à Géronde, avait été ordonné prêtre en 1761 et avait desservi plusieurs paroisses valaisannes, notamment toutes celles du Val d' Illiez. En 1784, il avait fait la première ascension, par la face de Champéry, de la Dent de Challans, c'est-à-dire la Haute Cime de la Dent du Midi.

Ce prêtre énergique et audacieux qui se donnait une peine infinie pour inculquer une discipline religieuse à des paroisses rebelles, était un érudit. Après le Doyen Bridel, Bourrit fera l' éloge de cette bibliothèque et la dira « riche de 6000 à 8000 volumes, des plus beaux ouvrages comme des plus chers » ( Cols ou Passages des Alpes ). Qu' est devenue? On sait qu' elle a été vendue en 1810, à la mort de l' abbé.

En fouillant dans les archives de Val d' Illiez, avec l' autorisation de M. Gex-Fabry, président de la commune, j' ai trouvé un gros cahier in-folio intitulé: Bibliothèque de feu M. l' abbé Clément, vicaire du Val d' Illiez en Valais. La cote ( H. 10 ) n' a pas été relevée dans le catalogue des archives: ceci explique sans doute pourquoi ce cahier est resté inconnu jusqu' ici.

Clément n' avait pas 6000 à 8000 volumes, mais 4500, fort bien classes. Le prêtre avait l' autorisation de l' Index et lisait autant d' ouvrages d' histoire et de philosophie que de théologie, de médecine ou de voyages. Du point de vue de l' histoire suisse, sa bibliothèque est d' une richesse exceptionnelle. Il possède un grand nombre de livres publiés en français sur le sujet. Car il ne semble savoir que sa propre langue, le latin et un peu d' allemand: on trouve parmi ses livres des dictionnaires de chaldéen, de caraïbe, de lapon, de hollan- DU NOUVEAU SUR LE DOCTEUR PACCARD.

dais, mais pas un seul livre anglais, par exemple. Il possède donc 150 livres en français sur la Suisse. Et c' est par cette voie détournée que l'on revient au Dr Paccard.

Dans le catalogue figurent les travaux de Ruchat ( 1743 ), de Spon ( 1730 ), de J. de Müller ( 1778 ), d' Abraham Stanyan ( 1714, en traduction française ), de Josias Simler ( 1734 ), un Catalogue des auteurs qui ont écrit sur la Suisse, des Anecdotes sur la Suisse ( 1796 ), le Voyage dans l' ancienne Helvétie de Miéville ( 1806 ), les voyages modernes de Meyer, de Sinner, de Robert, deux guides d' Ebel, etc. Mais, ce qui est bien plus original, l' abbé possède à peu près tout ce qui a été publié sur les montagnes:

Histoire naturelle des Glacières, de Grouner, traduit par Kéralio ( 1770 ); le Mercure Suisse, dès 1734, revue où a paru la lettre de Windham sur Chamonix; l' Essai historique sur le Mont St-Bernard, de Ch. Déloges ( 1789 ); quatre ouvrages de Bourrit: Description des Glacières de Savoie ( 1773 ), Nouvelle description des Glacières ( 1785 ), Description des aspects du Mont Blanc ( 1778 ), Itinéraire de Genève et de Chamonix ( 1808 ); le T. II de la traduction de Coxe par Ramond ( 1782 ); les Voyages de Saussure, en édition in-8°; les Lettres sur le Valais, d' Echassériaux ( 1806 ); le Manuel pour les Savants et les Curieux, de Besson ( 1786 ); les Instructions pour les voyageurs qui visitent le canton de Berne, de Wytten- bach ( 1787 ); la Course de Bâle à Bienne, du Doyen Bridel ( 1789 ); l' Itinéraire de la vallée de Chamonix et d' une partie du Bas-Valais ( 1790 ); la Relation de différents voyages dans les Alpes du Faucigny, de Deluc et Den- tand ( 1776 ); les Voyages de Pococke ( 1772 ), où il y a une phrase sur son expédition à Chamonix en 1741; le Voyage pittoresque aux Glacières de Savoie de Bordier ( 1773 ): une rareté.

On aimerait savoir si les volumes de Saussure, de Bourrit et de Bridel étaient dédicacés: Clément était très lie avec leurs auteurs.

Or, l' abbé ne possède pas la Relation d' un voyage à la cime de la plus haute montagne d' Europe, dont Paccard avait annoncé la mise en souscription au printemps de 1787. Si ce volume avait réellement paru, l' abbé Clément n' aurait pas manqué de se le procurer, comme il avait fait pour celui de Deluc et Dentand, qui relatait la première ascension du Buet, par exemple. Le fait que la brochure du Dr Paccard n' a pas été mentionnée comme figurant sur les étagères du presbytère de Val d' Illiez est une preuve de plus qu' elle n' a jamais été publiée.

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