Escalades au Yosemite (Sierra Nevada)
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Escalades au Yosemite (Sierra Nevada)

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Christian Dalphin, Genève

5 avril 1972 ( 22 h ). Yosemite Valley: il pleut à verse. Comme toujours,, les légendes sont men-teuses! Où est ce beau temps dont parlent les récits?

Nous garons la voiture dans un parking du village, et nous nous installons tous les trois pour la nuit, Marc Ebneter, Roger Habersaat et moi-même.

6 avril. Je me réveille au petit jour. Après avoir avalé en vitesse un yoghourt, je me précipite à l' extérieur, impatient que je suis de voir ce fameux Capitan. Du parking, nous distinguons, à travers les pins, la face nord du Half Dome, verticale, mouillée, trop lisse et sinistre dans la lumière blafarde de ce matin humide.

1 La vallée du Yosemite fait partie de la Sierra Nevada, en Californie ( USA ). Les Américains en ont fait un parc national. Cette vallée en U est dominée par des falaises de granit verticales, hautes parfois de plus de huit cents mètres. C' est un paradis pour les grimpeurs qui recherchent les problèmes les plus difficiles de l' escalade artificielle.

La paroi du Capitan est une des ascensions les plus célèbres de cette vallée, comme d' ailleurs le Sentinel Rock où des équipes d' alpinistes se sont succédé pendant 14 ans ( de 1936 à 1950 ) pour effectuer entièrement l' itinéraire d' escalade de mille mètres de dénivellation ( Réd. ).

Après quelques kilomètres parcourus dans de magnifiques forêts de pins, nous tombons sur le Capitan, ou plutôt c' est lui qui nous tombe dessus, tant il est gigantesque et démesuré! Sa falaise se dresse entre les pins, puis se confond avec le ciel gris, quelque mille mètres plus haut.

- C' est dingue, une face pareille!

Il n' y a pas de pierrier au pied de cette paroi qui jaillit brusquement, brutalement même de la forêt, à quelques minutes de marche de la route. C' est une face verticale, composée d' immenses dalles lisses, de dièdres de cent ou de deux cents mètres de longueur. Nous distinguons fort bien le toit du Nez et de la Dawn Wall tout en haut, le Cœur sur la gauche, puis la Salathé et les immensités surplombantes de la face sud-ouest.

Nous croyons rêver et prenons du recul en traversant la route et un pré pour mieux réaliser l' ampleur de la muraille.

De ce nouvel endroit, le Capitan apparaît encore plus grand, plus massif, presque carré. Le Nez est la première voie qui se présente à l' esprit, tant la ligne de l' ascension est évidente. Il est passablement humide et de longues traînées sombres rayent le fil du pilier. J' ai tellement étudié la paroi sur les photos que tout m' est familier, sauf la grandeur, impossible à rendre sur une image.

Du regard, nous cherchons à deviner les détails de l' itinéraire: nous repérons facilement Sickle Ledge, la première vire digne de ce nom, située à environ cent cinquante mètres du sol, le premier grand pendule Stoveleg Crack, la Texas Flake, la Boot Flake, le Toit et enfin les grands dièdres de sortie sous la Casquette, tout en haut.

— Quelle paroi, c' est incroyable!

Tout à coup, nous voyons quelque chose bouger sur Sickle Ledge. Certainement des grimpeurs ont dû bivouaquer là, bloqués sans doute par le mauvais temps. Nous les observons un instant, puis repartons vers le village que nous avons à peine entrevu la veille, en arrivant de nuit.

Nous sommes réellement impressionnés par le Capitan, et nous nous demandons si nous n' avons pas les yeux plus gros que le ventre! Il y a tant d' histoires et de légendes qui courent sur ces voies, et elles ont une telle réputation de difficulté que nous ne savons même pas laquelle nous allons faire. Nous hésitons entre les deux grandes classiques, le Nez et la Salathé, celle-ci étant plus « libre » que celle-là. Et surtout, notre entraînement est médiocre. Il y a cinq mois que nous n' avons plus touché le rocher, car les préparatifs de l' expédi au Wakhan nous ont occupés tout l' automne et tout l' hiver. Nous avons bien fait un petit galop d' entraînement à Tasquitz Rock, près de Los Angeles, mais c' est peu de chose.

La première ascension du Nez a été faite par Harding, Merry et Whitemore, en novembre 1958, en 13 jours2. Cette ascension marqua une date dans l' histoire du Yosemite. C' était la première fois qu' une cordée restait aussi longtemps 2 Précisons que la falaise du Capitan est divisée en deux parties bien distinctes:

1. Le Capitan proprement dit, nettement individualisé, avec une face est ( North American Wall, ainsi dénommée à cause d' une gigantesque tache dont la forme rappelle le continent américain ), le Pilier sud ( le Nez ), une face sud-ouest, le Pilier sud-ouest et enfin la face ouest. Il n' y a pas de face nord.

2. La face est se prolonge de quelques centaines de mètres à l' est, en diminuant fortement de hauteur, et se termine par le Pilier est, on un itinéraire a été ouvert en 1953.

La première ascension du Pilier sud ( The Nose- ) a été faite au cours d' une longue période. Les premières tentatives furent lancées en été 1957. Harding, qui employait systématiquement les cordes fixes, organisa des assauts continuels qui se terminèrent en 1958 par l' ascension finale de 13 jours. Au total 47 jours furent passés dans le rocher.

Pour la première ascension, Harding était donc accompagné de Wayne Merry et George Whitmore. Au cours de l' équi de la voie, plusieurs grimpeurs se joignirent à Harding, notamment: Mark Powell, Bill ( Dolt ) Feuerer, Rich Caldcrwood, Allen Steck et Wally Reed.

La deuxième grande voie ouverte sur le Capitan est la Salathé Wall, du nom de John Salathé, un forgeron Suisse émigré, qui fut un des pionniers de l' escalade au Yosemite.

Quant à la Dawn Wall, elle a été gravie en 27 jours continus, c'est-à-dire sans équipement préalable de l' itinéraire, par Warren Harding et Dean Caldwell. Ces deux grimpeurs ont accompli un exploit technique extraordinaire ( voir: Bulletin des Alpes de février 1971, p. so ). Cette ascension a soulevé et suscite encore de vives discussions parmi les alpinistes anglo-saxons qui polémiquent sur les 300 pitons plantés par Harding et Caldwell!

dans une paroi et qu' une ascension nécessitait autant de préparatifs: 47 jours au total passés dans la voie. Le meneur du jeu, Harding, devait d' ailleurs s' illustrer dans de nombreuses premières du même genre, la dernière en date étant The Wall of the Early Morning Light, plus connue sous le nom de Dawn Wall ( Paroi de l' Aube ).

A fin 1970, le Nez avait été gravi environ quarante fois. Actuellement, ce nombre doit se situer entre cinquante et soixante. C' est devenu, bien sûr, la voie la plus fréquentée d' El Cap ( le Capitan ), mais il est bien clair que, selon la conception américaine, la voie est décloutée chaque fois entièrement, ce qui signifie que les grimpeurs, qui désirent inscrire cette escalade à leur palmarès, doivent planter cinq à six cents pitons au cours de leur ascension!

Gauci et Dupont, lors de leur ascension en avril 1967, avaient mis six jours pleins pour parcourir l' itinéraire. A la suite du percement accidentel d' un de leurs bidons d' eau, ils sont parvenus au sommet à la limite de l' épuisement et complètement déshydratés. C' est le seul récit en français que nous possédons, et la voie n' a vraiment pas l' air facile.

Actuellement, les équipes mettent entre trois et six jours, selon leur force, pour réussir l' ascension. Chouinard nous apprend que le record est de deux jours et demi! Cette information nous laisse plutôt songeurs. Notre ami nous donne aussi toutes sortes de renseignements et nous indique l' astuce qui permet de garder les bidons d' eau intacts lors du hissage du sac. Il nous donne également une liste des voies les plus intéressantes de la vallée, en se gardant bien de mentionner les grandes voies du Capitan.

— If s up to you...

En septembre 1961, Frost, Pratt et Robbins font la première de la Salathé en six jours, après la pose de trois cents mètres de cordes fixes. Escalade superbe, la plus belle du Capitan, disent-ils, plus difficile que le Nez, avec un peu plus de « libre », refaite environ vingt-cinq fois à ce jour. Et il y a encore toutes les autres...

8 avril. Nous attaquons le pilier est de Middle Cathedral Rock, un ensemble de grandes parois, en face d' El Cap, sur la rive gauche de la Merced River. C' est une escalade classique, très belle, variée, sans grandes difficultés, qui nous familiarise avec le granit de la vallée et les pitons américains.

10 avril. A quelque distance à l' est du Capitan, sur la même rive, à moitié caché par la forêt, se dresse un monolithe rocheux d' environ deux cents mètres de hauteur, nommé Ranger Rock, où précisément les rangers du parc s' entraînent à leurs manœuvres de sauvetage. Il n' a pas tardé à être sillonné de nombreuses voies.

Nous avons jeté notre dévolu sur l' une d' elles, Y After Six, et nous nous régalons d' une magnifique escalade, composée d' une succession de dalles.

75 avril. Après une visite à San Francisco et Sacramento, nous récidivons en faisant le Nutcracker, voie très difficile dont les fissures peu profondes sont totalement abîmées par le pitonnage incessant. On pourrait disserter sans fin à propos de l' opportunité de laisser ou non les pitons en place dans ce genre de voie, parcourue plusieurs centaines de fois chaque année. Les Anglais d' abord, puis les Américains ont partiellement résolu le problème en utilisant le plus possible les « nuts » ou « chockstones » de toutes formes et dimensions, que nous appelons en français les bicoins. C' est au deuxième relais du Nutcracker que nous avons le privilège de renifler l' odeur du « H » que fume le leader de la cordée qui nous précède, afin d' être plus à l' aise dans les fissures de VI, a-t-il affirmé!

16avril. Nous escaladons le Yosemite Point Buttress, magnifique pilier, juste à côté de la célèbre Yosemite Fall, la plus haute chute d' eau du continent. Haut de quatre cents mètres, il nécessite une bonne journée d' escalade, étant donne la marche d' approche longue et compliquée. Sur deux cent cinquante mètres environ, nous suivons un système de très belles fissures-cheminées qui nous amènent à la base du ressaut terminal. Après une longueur difficile en escalade artificielle, nous sommes au pied d' un dièdre ruisselant d' eau. Une véritable cascade jaillit du rebord du petit toit qui le domine et arrose toute la longueur. Marc fait appel à toute son énergie, puis sort complètement trempé. Pendant que je monte à l' aide des jumars, Roger décloute en se faisant copieusement doucher! Quatre longueurs plus faciles ( le terrain devenant moins raide ) nous amènent au sommet. Il reste encore passablement de neige. Il y a des traces d' animaux un peu partout. Nous zigzaguons un moment à travers les pins avant de trouver le sentier qui nous conduit directement au camp IV. Nous passons tout près de la Yosemite Fall qui nous offre un spectacle inoubliable: la rivière vient du plateau et se jette dans le vide à un endroit où la paroi et le plateau sont exactement perpendiculaires l' un à l' autre. Une cinquantaine de mètres au-dessous de ce point apparaît un renflement de la roche que l' eau frappe avant de rejaillir en une longue et large chevelure. C' est un spectacle fascinant!

18 avril. Le temps n' est pas très sûr ce matin. Pourtant nous avons encore besoin de faire quelques courses avant de nous lancer au Capitan. Aussi, sur le sentier qui conduit au pied de Royal Arches, la conversation roule-t-elle sur le choix de la voie, choix d' ailleurs limité, puisque nous hésitons entre le Nez et la Salathé. Il semble que, lorsque nous attaquons par une cheminée raide et moussue, la balance penche plutôt en faveur du Nez.

Royal Arches se présente comme une succession de très belles dalles entrecoupées de dièdres peu inclinés. L' ensemble est couronné par deux grandes arches, placées l' une sur l' autre et s' éle jusqu' à environ quatre cents mètres au-dessus du fond de la vallée. Les premières longueurs sont de grandes traversées ascendantes qui nous mènent facilement au pied de la première barrière de dalles. Le temps se gâte rapidement, et il semble que nous allons passer un mauvais moment. Une giboulée nous atteint à l' instant où nous sommes protégés par une sorte d' auvent au pied d' un dièdre. Nous laissons passer les flocons horizontaux qui filent à toute vitesse vers l' est. Un pan de ciel bleu se dessine, après quelques hésitations, dans le bal des nuages; peut-être bénéficie-rons-nous d' une éclaircie providentielle. Pourtant, à l' ouest, de bien sombres nuées rôdent encore. Tant pis, nous continuons. Encore des dièdres, des dalles, et après deux pendules et le franchissement de la cascade, nous sommes dans le dièdre qui forme l' arc de gauche de la grande arche. A peine sommes-nous arrivés au relais que la neige se remet à tomber avec fureur. Heureusement, nous sommes bien protégés par un surplomb du dièdre.

Mais où donc est passé le beau temps du Yosemite? Ça fait deux fois en sept jours que la neige tombe! Et cette fois c' est sérieux. Nous attendons une accalmie pour continuer, car nous ne pouvons plus revenir sur nos pas après avoir effectué les pendules.

La tourmente semble perdre quelque peu de sa force, et nous repartons. Immédiatement l' atmo se tend, nous sommes très rapidement mouillés, la corde nous glace les mains. Par bonheur, les difficultés ne sont pas trop grandes. Enfin, après un dernier rappel pendulaire et quelques dérapages sur des dalles aussi lisses que glissantes, voici qu' apparaît la forêt sommitale sur son vaste plateau granitique. Il souffle un vent violent, un épais brouillard nous enveloppe, c' est vraiment un décor très alpin. Ça promet pour la descente que, bien entendu, nous ne connaissons pas! Nous avons un vague topo qui nous dit de marcher jusqu' à Washington Column, puis de descendre le long de sa face est par des murs raides, parsemés de buissons. Par moments, nous traversons des dalles, recouvertes d' une pellicule de neige à demi gelée et suffisamment inclinées vers la vallée pour que, au moindre faux pas, un toboggan de six cents mètres nous dépose devant l' Ahwahnee Hotel!

Nous marchons le plus vite possible vers cette Washington Column que l'on n' aperçoit même pas à travers ce damné brouillard. Il y a longtemps que Kilimandjaro: la traversée du désert volcanique 2Les glaciers du Kilimandjaro s' étagent en marches gigantesques comme un étincelant escalier du ciel Photos: A.J.odin, Sart-Lez-Spa ( Belgique ) nous ne faisons plus attention aux buis qui nous déversent, chaque fois que nous les frôlons, des cargaisons de neige poudreuse dans le cou et dans les interstices des vêtements. Tout est maintenant complètement détrempé et moitié gelé. Surtout nos pantalons d' escalade en tissu mince, prévus précisément pour le soleil et la chaleur du Yosemite!

Ah! voici enfin le sommet de Washington Column. Marc repère un vague sentier, encore tout juste visible sous les quinze à vingt centimètres de neige qui maintenant recouvrent tout. Il nous conduit au départ de la descente proprement dite. Ça ne dure pas longtemps. Au bout de deux cents mètres environ, il faut déjà poser le premier rappel autour d' un arbre. La corde, imbibée d' eau et recouverte de neige mouillée, a deux centimètres de diamètre, et s' il nous restait quelque chose de sec, eh bien! maintenant ça ne l' est plus. Les rappels se succèdent, nous trouvons même une sangle en place dans un gros buisson. Pour finir, après un dernier rappel dans un ruisseau qui achève de nous remplir les souliers, nous touchons le fond de la vallée. Ouf! de justesse, un quart d' heure plus tard, la nuit tombe et un froid mordant s' installe, car le temps se remet au beau. Un bivouac dans ces conditions eût été vraiment risqué!

21 avril. Deux jours de séchage et de repos, et nous réussissons Dinner Ledge, une petite voie de Washington Column, histoire de s' entraîner un peu au hissage du sac. Nous décidons d' attaquer le Nez le dimanche suivant.

22 avril. Nous préparons tout le matériel. Sep-tante-cinq pitons de toutes sortes, surtout des angles et, néanmoins, quelques coins de bois; vingt litres d' eau répartis en cinq bidons et deux petites gourdes, de la nourriture pour quatre jours, deux cordes et tout l' arsenal habituel aux grandes courses d' escalade artificielle: baudriers, jumars, sangles, fifis, etc. Malheureusement Roger ne peut pas se joindre à nous. C' est vraiment dommage, mais il doit partir le 27 pour l' Alaska, afin d' être là-bas à temps pour le départ au McKinley.

Le moral n' est pas particulièrement élevé, et il devient carrément chancelant lorsque de timides nuages apparaissent au coucher du soleil. Bon! on verra ça demain.

23 avril. C' est tout vu, on ne part pas ce matin, comme nous l' avions envisagé. Le moral traîne par terre. Nous n' avons pratiquement pas dormi pendant la nuit, tant la tension est grande. Les nuages entrevus le soir précédent se sont, bien entendu, dissipés, et il fait grand beau! Nous errons misérablement dans la vallée et allons jeter un coup d' œil sur la météo qui n' est ni bonne, ni mauvaise.

- Demain, ça devrait jouer!

24 avril ( q h 30 ). Cette fois, nous sommes debout, prêts à partir, lorsque de très vilaines nuées commencent à envahir le ciel. C' est la guigne. Nous attendons jusqu' à 5 heures le lever du soleil. Non! c' est sérieux, tout est couvert. La rage au cœur nous nous recouchons. Une heure après il pleut, mais le soir il fait grand beau!

- Allons, c' est demain ou jamais.

Nous nous entendons avec Roger qui nous accrochera le gros sac d' environ trente-cinq kilos lorsque nous serons à Sickle Ledge. Nous gagnerons ainsi du temps dans les quatre premières longueurs qui, selon Chouinard, sont, techniquement, les plus dures de la course. Après une ultime vérification du matériel, nous essayons de dormir. Cela va nettement mieux qu' il y a deux jours.

Mardi 25 avril. Grand beau! C' est le départ. Nous nous souhaitons réciproquement bonne chance: Roger pour le McKinley et nous pour cette course.

En quelques minutes, nous sommes à la base du Nez. Pour aller au pied de la première fissure, il faut surmonter une espèce de socle facile qui nous porte déjà à environ cinquante mètres du sol. A l' instant où nous arrivons au pied de la fissure, le soleil se lève et inonde la vallée. Le premier clou est en place, c' est bon signe! Les baudriers chargés à bloc, j' attaque ce premier passage. La fissure est peu profonde; c' est plutôt un repli du granit qu' une vraie fissure. Le cloutage est diffi- t Le Capitan ( Yosemite, USA ) Photo: Ch. Dalphin, Genève 2Peu avant Sickle Ledge Photo: Marc Ebneter, Genève 3Traversée précédant l' Ecaille de la Botte Photo: Marc Ebneter, Genève cile; par endroits, la fissure se réduit à de simples trous, et on voit alors distinctement les traces de la forme en V des angles américains.

Après avoir parcouru une vingtaine de mètres, j' arrive au passage que, après coup, je pense être le plus difficile et le plus dangereux de la course: une plaque de granit de deux mètres sur trois est coincée, on ne sait trop comment, au-dessus de la fissure. Il faut la franchir pour atteindre le relais qu' on devine trois mètres au-dessus. Je la täte au marteau: elle sonne tellement creux que je m' at à tout moment à la recevoir sur la tête! Non, c' est trop idiot! Vite je plante, un peu plus haut à droite, un clou qui assurera mon équilibre, m' élève au maximum sur les pédales et parviens à placer un minable couplage dans la fissure de gauche. Un rétablissement, et j' arrive au relais. Je n' aimerais pas avoir à surmonter trop souvent de tels passagesa me fait vraiment peur!

Au relais, je bloque l' une des deux cordes d' at à l' un des pitons à expansion, afin que Marc puisse déclouter au jumar et, pendant qu' il monte, je hisse le sac. A chaque relais, la même manœuvre se répétera, simple et rapide.

Après un petit pendule sur la droite, on prend un autre système qui nous conduit à gauche de Sickle Ledge qu' on atteint par une traversée assez difficile sur de mauvais clous. Au cours de ces longueurs, nous faisons connaissance avec les « mashies », petits blocs d' aluminium qu' on écrase dans les fonds de fissures ou les replis du granit et qui sont munis d' un câble ou d' une ficelle pour le mousqueton.

Sickle Ledge. Nous laissons descendre nos cordes, lestées de mousquetons, car un petit vent, par moments assez violent, s' est levé soudainement. Roger attache le gros sac, et en route pour le hissage! Les dalles sont tellement lisses qu' il n' y a aucun risque de coincement. Il est déjà i i h 30, et nous ne pouvons plus atteindre aujourd'hui le sommet de Doit Tower où se trouve la prochaine bonne plate-forme; d' autre part, nous ne voulons pas bivouaquer dans Dolt Hole, comme Gauci et 3 Dupont, ou quelque part sur étriers dans Stoveleg Crack. Nous décidons donc d' équiper la suite avec la corde de 80 mètres et de redescendre dormir à Sickle Ledge. Deux longueurs assez faciles, en esca-, lade libre, nous conduisent au premier grand pendule. Marc me laisse descendre d' une quinzaine de mètres, et c' est sans peine que j' attrape, au second essai, le clou en place. Encore deux longueurs sans histoire, et nous voici à Dolt Hole, espèce de niche très peu confortable, juste avant le pendule de Stoveleg Crack. Je monte encore quelques mètres dans une double fissure où il faut enfoncer un coin à gauche, l' autre à droite, pour éviter toute surprise, et j' atteins le début d' une série de pitons à expansion qui conduisent au départ du pendule.

Il faut s' arrêter là pour aujourd'hui, car nous n' avons plus de corde. Aussi redescendons-nous aux jumars jusqu' à Sickle Ledge. Il est 18 h 30; à peine avons-nous le temps de manger un morceau et de préparer le bivouac qu' il fait déjà nuit. Tout est beau, le temps est parfait et, grâce au vent providentiel, nous buvons peu.

Mercredi 26 avril. Au lever du jour, je pars avec le petit sac sur le dos et remonte la première des deux longueurs qui précèdent le pendule. Au relais, nous retrouvons la corde fixe. Marc monte à son tour avec le gros sac; il est en effet impossible de le hisser dans cette longueur ( ce sera heureusement la seule de toute la course à présenter une telle difficulté ) et je l' aide de mon mieux en l' assu fermement.

La remontée aux jumars se fait rapidement et, du point où finit la série de pitons à expansion, Marc me laisse descendre pratiquement au niveau du relais pour me permettre de « penduler » à droite. C' est un dur morceau, car Stoveleg Crack ne débute pas au point de départ du pendule, mais plus en arrière. Il faut donc « penduler » à droite et, en même temps, reculer, en quelque sorte, pour sortir du dièdre. Je dois m' y reprendre à cinq fois avant d' attraper la fissure. Je m' élève de quelques mètres, et je m' aperçois que je n' ai plus assez de coins pour monter jusqu' au relais que je devine plus haut. Je dois donc > ) « relayer » sur étriers, dans une position inconfortable. Tout se passe bien également avec le sac, et Marc reste sur les deux premiers pitons de Stoveleg Crack, afin d' en maintenir le plus possible entre nous deux. Encore une dizaine de mètres, et j' at un relais confortable.

Stoveleg Crack s' élève sur environ cent cinquante mètres, et le pitonnage est souvent pénible et difficile, du fait que la fissure pénètre en biais et possède une forme en V. Cinq longueurs de ce type et, à la fin de l' après, nous sommes au sommet de Doit Tower. La plate-forme est magnifique, nous pouvons nous y étendre tous les deux parfaitement à l' aise. Nous équipons encore une longueur avant la tombée du jour et laissons la corde de 80 mètres comme corde fixe. Nous passons une excellente nuit.

Jeudi 2j avril. Le beau temps nous tient toujours compagnie. Un magnifique dièdre enlevé en escalade artificielle, une longueur en libre de cinquante mètres, et nous sommes au pied de Y Ecaille du Texas. Nous nous restaurons quelque peu, puis j' attaque la cheminée surplombante qui donne accès au sommet de l' écaille. J' arrive sur des blocs coincés et, sans trop réfléchir, je m' élève dans la cheminée immédiatement au-dessus de nous. Elle est complètement lisse et s' élargit au fur et à mesure de la montée. Me voilà bientôt dans une position extrêmement désagréable: c' est tellement lisse que rien n' adhère plus. Tout à coup, en regardant à droite, dans un rétrécissement de la cheminée, j' aperçois une série de prises qui semblent mener facilement au sommet. Dans ma situation, il m' est impossible de traverser, et ma position est si inconfortable que je suis complètement épuisé. Inutile d' insister, ça risquerait de tourner mal. Je me laisse dégringoler sur les blocs, et Marc prend la tête de la cordée. En quelques enjambées faciles, il est au sommet. Nous ne hissons pas encore le sac, car nous sommes trop peu à l' aise, à califourchon sur le sommet très étroit de Y Ecaille.

Un regard vers la clairière où nous avons laissé la voiture: Roger est en train de partir pour l' Alaska. Il donne de longs coups de klaxon et nous lui répondons par de grands signes. Bonne chance!

Du sommet de Y Ecaille, en traversée ascendante, une série de pitons à expansion conduisent, par une belle dalle rouge, à Y Ecaille de la Botte. Les grimpeurs américains nous avaient dit en riant qu' elle allait bientôt se décoller, et Gauci raconte que, à chacun des coins qu' il plantait, les tressaillements de l' écaille descellaient ceux du dessous...

En fait, lorsque j' arrive au pied, je la trouve parfaitement saine et pas du tout prête à se détacher. Après avoir passé la double corde dans le dernier piton à expansion ( on ne sait jamais !), je plante le premier clou, qui répond très bien. En tâtant avec le marteau, je m' aperçois que cette écaille est sans commune mesure avec celle rencontrée dans la première longueur! Par précaution, je m' assure au piton que je suis en train de planter. Mais tout se passe bien, aucun clou ne me joue de mauvais tour, et cette longueur est absolument magnifique. Le sommet de l' écaille est une plate-forme parfaite; trois pitons à expansion assurent le relais, et le hissage du sac se fait sans difficulté.

Pendant que Marc décloute avec sa rapidité habituelle, j' examine la longueur suivante, qui n' est autre que le fameux pendule de Y Ecaille de la Botte, le plus long de la voie, passage-clé de la course. Cet endroit est fantastique: de tous côtés des dalles incroyablement lisses et compactes, d' une couleur extraordinaire, semblent bloquer toute progression. Au-dessus, elles surplombent et se perdent dans le ciel. A droite, ce n' est qu' un mur poli, sans aucun point d' accrochage pour l' œil; à gauche le fil du pilier avec, en bas, le clou du pendule.

Marc me laisse descendre d' une quinzaine de mètres et, au quatrième essai, j' attrape le clou qui est orné de nombreuses sangles. Je fixe seulement un des brins de la corde d' attache, laissant l' autre libre pour le sac. Je descends encore un peu pour tourner l' angle, et c' est plutôt une sorte de reptation qu' un vrai pendule qui me conduit à une confortable terrasse.

Marc fait descendre le sac que je tire à moi avec la corde d' attache laissée libre. Il arrive comme dans un fauteuil, presque aussi bien qu' avec une grue! Je renvoie la corde de 80 mètres avec celle d' attache à son extrémité, et Marc fait son rappel, mais je dois tirer vraiment fort pour qu' il parvienne à la plate-forme. Il fait chaud, le vent s' est calmé et nous en profitons pour boire et manger. Il ne nous reste plus qu' un pendule à exécuter, bien moins important que le dernier, mais nous sommes déjà à l' aplomb du grand Toit et des dièdres de sortie.

Nous rappelons la corde de 80 mètres seulement au relais suivant, afin d' éviter qu' elle ne se coince au pied de l' écaillé, comme cela était arrive à une cordée. Nous voici maintenant dans une zone de granit gris, peu accueillante, car il faut pitonner dans des systèmes de fissures-blocs qui sonnent parfois un peu creux. Après deux relais sur étriers, je parviens juste au-dessous du dernier pendule. Une sangle sur une écaille quelque peu suspecte me permet d' éviter un feuillet vraiment dangereux et de partir en escalade libre pour arriver au piton de rappel. Il y a déjà longtemps que le soleil a quitté la paroi, il faut nous hâter si nous voulons bivouaquer au-dessous du Toit. Le pendule me pose sur un relais incliné. Une vire s' en échappe horizontalement sur la gauche et donne accès à la dernière longueur avant les terrasses, que les Américains appellent le camp IV. Le jour tombe, lorsque nous sommes rassemblés: Marc, le sac et moi. A peine avons-nous le temps de nous restaurer que la nuit nous enveloppe. Soixante mètres plus haut, le Toit gigantesque semble veiller sur notre somnolence.

Vendredi 28avril. Le départ est pénible ce matin: les muscles sont raides, la fatigue se fait sentir, le soleil est encore loin. La longueur est difficile, toute en traversées ascendantes dans des fissures-blocs du même genre que celles rencontrées la veille.

Nous voici cependant au pied du Toit. Les lignes de sa structure sont d' une grande pureté et fantastiques: on dirait un pétale de fleur qui s' élève au-dessus d' une tige très mince et s' ouvre pour former finalement le Toit. Je ne crois pas avoir pu admirer jusqu' à maintenant une architecture aux lignes aussi parfaites.

On grimpe par la fissure de droite qui longe d' abord la tige, puis le Toit proprement dit, et qui s' étire jusqu' à l' abside en redescendant même un peu vers la fin. On a toujours les pieds appuyés contre la paroi, les clous étant évidemment à l' en. Tout se passe bien et j' arrive à l' un des relais les plus exposés de toute la course! La dalle, au-dessous de moi, tombe d' un jet jusqu' à l' attaque du Nez, que les rayons du soleil éclairent déjà, six cents mètres plus bas. L' impression est vraiment unique. Je n' ai jamais surmonté et n' escaladerai sans doute pas souvent un si beau passage!

Il fait frais, le vent qui nous a accompagnés dès le premier jour n' a pas faibli et, grâce à lui, nos réserves d' eau sont encore abondantes. Un aigle plane, indifférent à nos efforts, disparaît derrière le sommet, revient, puis s' échappe vers la vallée en unelongue glissade. Des hirondelles plongent en faisant un bruit de pierre et disparaissent à toute allure dans des fissures verticales où elles ont installé leurs nids. Des insectes minuscules rampent sur le granit: la vie se manifeste partout. En face de nous, les Cathedrals Rock nous permettent de me-surerle chemin parcouru depuis quatre jours. Nous savons qu' il nous reste environ trois cents mètres à parcourir et que nous aurons tout juste assez de vivres pour subsister jusqu' à la sortie de la paroi.

La longueur suivante est une « expending flake » ( écaille qui s' écarte ), du même genre que Y Ecaille de la Botte, mais beaucoup plus mince, avec, de temps en temps, un piton à expansion sur la droite pour donner un peu plus d' assurance. Ici encore tout se passe bien, et Marc en dépitonnant a quand même quelques surprises: certains clous sont vraiment médiocres.

Au-dessus, nous entrons dans le système des immenses dièdres de granit fauve qui conduisent au sommet. L' escalade est extraordinaire, le plus souvent artificielle, le rocher parfait. C' est un vrai plaisir.

Après un petit dièdre surplombant, nous arrivons au camp V, une zone de vires horizontales où nous pouvons nous reposer et manger un peu.

Le soleil quitte précisément la muraille lorsque nous attaquons les dièdres qui mènent au camp VI. L' architecture de la paroi est ici extraordinaire: au-dessus de nous, légèrement à gauche, un immense auvent, complètement lisse et surplombant, masque le sommet. On devine un cheminement possible sur sa droite. De part et d' autre se dressent des dalles polies, rouge-fauve, qui prennent, sous ce soleil rasant, un aspect fabuleux.

L' escalade du dièdre est fatigante, les jurons fusent, mais les bras tiennent toujours, et c' est bon signe. Une zone de petites terrasses, le hissage du sac toujours sans problème, une longueur en escalade libre, et nous parvenons bientôt au camp VI, une plate-forme triangulaire où nous pouvons une fois de plus nous étendre. Une surprise nous attend: nous trouvons un gallon en plastique à moitié rempli d' eau, boisson bienvenue pour d' éventuels assoiffés! Quant à nous, c' est plutôt du côté de la nourriture que les choses se gâtent: nous n' avons presque plus rien et nous conservons juste une ration de fruits secs pour le lendemain matin.

En levant la tête, nous apercevons la fameuse Casquette du Capitan, une barrière de surplombs qui marque le sommet. Pour les franchir, Harding planta, pendant toute la nuit, une série de pitons à expansion, une »Bolt Ladder » comme disent les Américains. Nous savons que, une fois parvenus au point de départ de ces pitons, nous aurons la course dans la poche.

En attendant, nous dévorons notre maigre pro-vende jusqu' à la dernière miette. Nous nous enfonçons dans nos duvets avec un étrange sentiment de satisfaction: les Cathedrals, dont nous dominons maintenant les sommets, luisent doucement dans la lumière des étoiles.

Samedi2gavril. Le ciel est toujours bleu ce matin. Nous grignotons quelques fruits secs, gardons deux litres d' eau pour la journée et versons le reste dans le gallon. Nous savons que la sortie est pour aujourd'hui. Notre forme est excellente et, quant à moi, je poursuivrais encore cette ascension pendant quelques jours, tant l' escalade est belle! C' est une véritable griserie que de suivre ces fissures qui rayent sur cinquante ou cent mètres des dalles lisses à perte de vue.

Accrochés à nos pitons, au milieu de ces parois lisses et polies, nous éprouvons une étrange sensation. Le socle du Nez, tout en bas, est à peine éclairé par le soleil... Ici, je me sens à ma place. J' ai la chance de réaliser un vieux r&ve. Que souhaiter de mieux?

Encore un dièdre, un surplomb, un autre dièdre, puis un relais sous un nouveau surplomb: les manœuvres se succèdent facilement, la machine est bien rodée.

Nous voici au relais précédant la Bolt Ladder. Une très belle fissure conduit aux pitons qui zigzaguent à travers les surplombs. Les cordes se coincent, je m' assure à un piton sur deux, voire sur trois. Encore deux pitons à expansion couples, et je fais le relais au sommet de la Casquette.

Un vent parfumé, le soleil, mille mètres au-des-sous la base de la paroi, la route plus loin, les forêts: cette vallée est vraiment magnifique.

Le sac se balance, je l' accroche, Marc arrive rapidement. Quel vide incroyable! Je repars sur des dalles lisses, mais cette fois inclinées dans le bon sens. Après quatre jours et demi passés sur les étriers, comme je peux être lourd et maladroit! Encore quinze mètres.

- Ça est, nous sommes sortis!

Dernier relais sur un « expan » en place. Marc arrive, bardé de matériel et portant le gros sac.

Nous avons de la peine à y croire. Machinalement, nous plions les cordes et faisons les sacs. Il nous reste un peu d' eau. Nous buvons et jetons le reste.

Chargés, nous montons lentement au sommet. Un cairn, et la descente commence. Je pense déjà à d' autres courses, d' autres montagnes. La terre est si vaste et la vie est si belle...

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