Face nord du Doldenhorn
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Face nord du Doldenhorn

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Markus Liechti, Liebefeld BE

( Photos 3 àj ) C' est avec le dos mouillé que nous atteignons la corniche aérienne de la Fründenhütte. Soulagés, nous plongeons nos regards dans l' œil bleu du lac d' Œschinen, sur la rive duquel nous avons mangé voilà deux heures, joyeux et satisfaits, attentifs à éviter la raison précise de notre présence. Ici, nous n' y réussissons plus. La paroi est trop proche; elle est là, même si les nuages l' enveloppent. On n' en voit que les derniers mètres, les plus raides, et on comprend clairement que demain ne sera pas un jour de promenade.

Nous passons la soirée, les cinq, tranquilles dans un coin, entourés d' une troupe joyeuse et bruyante de visiteurs de la cabane. Ils peuvent rire! Mais ne le pouvons-nous pas aussi, même si une grande course nous attend? C' est l' accomplis d' un vieux désir secret, sûrement une raison de se réjouir. Seulement, nous ne sommes pas encore en haut, et ce ne sera pas un plaisir léger. Enfin - nous verrons...

Quelques étoiles percent la couche des nuages. C' est orageux. Heureusement, parce que cela permet de compter que le beau reviendra demain. A travers la foule bruyante de la cabane, nous nous frayons un chemin en direction des couvertures. Pour le moment, il ne faut pas penser dormir, mais on peut essayer. Dans un demi-som-meil, des « mélodies » à douze ou quinze voix, toujours en crescendo, ne cessent de se mélanger avec nos idées somnolentes de face nord, jusqu' au moment où le marchand de sable descend la paroi de glace pour venir nous délivrer.

Comme d' habitude, je me réveille quelques minutes avant que le gardien vienne nous secouer. Il est deux heures. Avant le déjeuner, nous jetons un coup d' ceil critique à l' extérieur. Couvert de nuages! A peine quelques étoiles. Fichu! Nous nous asseyons derrière nos tasses sans grande conviction, et, sans grandes paroles, nous décidons de partir quand même. On peut toujours faire demi-tour.

Les cônes de lumière de nos lampes frontales cherchent le sentier qui descend au glacier tout proche. Nous essayons sur la neige à moitié gelée. Peut-être qu' elle portera mieux plus haut. Le bref parcours jusqu' à la barre rocheuse demande déjà toute notre attention. Le glacier est presque dénudé, et, après quelques mètres, René est déjà à moitié assis dans une crevasse. Le retrait du glacier rend de plus en plus mauvaise l' arrivée à la barre rocheuse. Nous rejoignons Varête Gallet à un grand cairn. Une brise rend maintenant la montée plus agréable. Nous suivons l' arête, tantôt sur les rochers, tantôt dans la neige, jusqu' à ce que, brusquement, nous enfoncions à mi-jambe dans la neige. Les jurons n' arrangent rien, il faut passer par le rocher, même là où il est mouillé et glacé. Près du pied de la paroi, nous traversons à droite, vers la rimaye.

Le jour se lève, cependant le temps ne s' amé pas. La moitié supérieure de la face se cache dans les nuages, mais, même sans cet écran, il serait difficile de s' en faire une idée, parce que, d' en bas, on la voit dans une perspective très raccourcie. Les conditions semblent bonnes, et nous nous décidons à tenter le coup. Personne n' oserait exprimer l' idée de la retraite.

Toni, Markus et moi mettons encore nos crampons, alors que Beat et René passent déjà la rimaye. Les deux jeunes enthousiastes pourront bientôt employer leurs forces à tailler. Je les suis avec des sentiments mélangés, et la confiance ne me vient qu' avec la progression régulière. Nous gagnons de la hauteur avec une rapidité surprenante. La neige est légèrement gelée, et un seul coup de pied donne une bonne marche, au point que nous nous faufilons entre les îlots rocheux sans nous assurer. L' incertitude du début ne tourne pas seulement en confiance, mais vraiment en joie qu' augmente encore l' amélioration du temps. La montée est presque un délassement ici, comparée aux efforts enrageants de l' arête Gallet. En tirant toujours un peu à gauche, nous nous tenons au milieu de la face. La couche de neige devient plus mince, mais plus ferme. Nous ne trouvons quelques mètres de glace vive que juste au-dessous d' un promontoire rocheux déversant. Une vis à glace assure ce passage délicat, et bientôt nous sommes assis, serrés les uns contre les autres, sur le balcon incliné.

La halte est méritée, et elle nous donne l' occa d' exprimer notre joie sur nos progrès. Nos paroles confiantes essaient de donner l' impression que nous ne sommes pas au-dessus du vide, mais autour d' une table.

Un coup d' œil prouve pourtant rapidement le contraire. En face, au Fründenhorn et à la Blümlisalp, des points s' approchent des sommets; au Doldenhorn, nous sommes seuls - seuls dans cette face glaciaire haute de six cents mètres! Il nous semble en avoir déjà fait la moitié, mais c' est difficile à estimer quand on est en pleine paroi. Ce qui est certain, c' est que la partie supérieure va exiger beaucoup plus d' efforts que le bas, car la pente devient de plus en plus raide, et la neige plus rare. Par endroits, elle manque totalement là où elle a glissé. Heureusement, « Jean Rosset » est avec nous: ses rayons frappent par instants la face.

Nous continuons, tendus vers ce qui nous attend. Après deux longueurs de corde, il faut tailler la plate-forme de relais, et enfoncer une vis à glace. A coups secs et violents, les éclats de glace frappent mon casque, mes épaules, mon sac. Je grimpe tête baissée, sans regarder en haut, sur les marches étroites à côté desquelles les morceaux de glace pleuvent en bourdonnant. Sans casque, on serait assommé. Les longueurs de corde se suivent. Relayer - s' auto - faire monter - changer les cordes: les gestes se répètent et deviennent une routine. Nous nous mettons à trouver splendide le relais exposé dans la paroi. Deux mille mètres tout droit ou presque jusqu' au lac d' Œschinen - quelle plongée! Mais un coup d' œil vers le haut calme notre enthousiasme. La pente raidit encore, et nous montons de plus en plus lentement. Une fine croûte de neige permet encore de grimper sur les pointes frontales. Des écharpes de neige emportées par le vent me caressent la nuque et me font frissonner. A chaque fois, on reprend haleine en arrivant au relais, on passe le mousqueton d' assurage à la vis, et on essaie d' es le nombre de longueurs de corde qui manquent encore. Trois? Ou cinq? Ou plus? Petit à petit, on espère bien être enfin dehors. Pour nous encourager, un rayon de soleil illumine toute la face, la détache de son cadre d' ombre, et fait rêver au paradis.

Nous tirons toujours un peu à gauche, et nous tendons vers la sortie. Le but se rapproche, mais les derniers mètres demandent la plus grande concentration. Une ou deux pierres se détachent du banc rocheux sous le sommet, passent en sifflant, et laissent clairement deviner ce qui arriverait si... La dernière longueur est en glace vive. C' est aussi la plus raide, et j' y grimpe prudemment sur mes seules pointes frontales. Six cents mètres de vide sous moi. Les muscles de mes mollets sont tendus à faire mal, pendant que, de la main droite, je cherche à fixer le bec de mon piolet. Je gagne mètre après mètre en tâtonnant.

C' est un jeu où le corps et l' esprit unissent leurs forces comme je ne l' ai encore jamais ressenti. Brusquement, la pente faiblit, je marche de nouveau sur de la neige, et, en quelques pas rapides, j' atteins l' arête. C' est fait!

Mes camarades suivent, rassurés. Un sourire satisfait laisse deviner leur joie et le contrecoup de la tension. La dernière longueur, rocheuse, n' offre aucune difficulté, et nous pouvons nous serrer la main au sommet, après six heures de concentration et d' efforts.

Il fait froid, ici en haut. Les nuages enveloppent la montagne, et on se sent plus proche du ciel que de la terre. Notre joie sans bornes apparaît sur tous les visages. Les provisions sont mises à mal, et seule la température désagréable nous pousse bientôt à partir.

Nous descendons d' abord rapidement sur la neige dure, mais nous sombrons brusquement dans une neige mouillée et sans fond. Il faut lutter en silence, et peiner dans la descente, mais même une large crevasse dans la zone des séracs ne peut plus troubler notre contentement, car un désir que nous gardions depuis longtemps s' est réalisé. ( Traduit de I' allemand par Pierre Vittoz )

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