Face sud-ouest du Rosenlauistock
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Face sud-ouest du Rosenlauistock

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Andreas Flückiger, Zuoz

Itineraire Tschanz Engelhörner! quel excellent vocable pour ces aiguilles rocheuses qui s' élèvent audacieusement dans le ciel de l' Oberland bernois! A Tome de leur nom déjà, le cceur de tout alpiniste se met à battre d' enthousiasme. Mon ami et camarade de cordée, Gerhard Heindl et moi, passons chaque fin de semaine dans ce massif.

21 mai ig66: J' étends mes jambes lasses et laisse ma peau se rotir au soleil. Nous venons d' escalader le groupe occidental des Engelhörner et nous reposons devant la cabane. Pas mal de neige encore aux alentours, en cette saison. Aussi sommes-nous les seuls hötes de ce refuge idyllique. Dans la soirée pourtant, nous allons avoir de la compagnie, car des voix et des raclements de chaussures annoncent des arrivants. Bientöt nous sommes huit à déguster une soupe fumante et delectable.

De quoi s' entretenir pendant une veillée de cabane? De montagne naturellement. Nous écoutons avec interet. Nos dix-sept printemps font de nous les benjamins du groupe. Nous apprenons entre autres choses qu' une voie nou- velle, ouverte au Rosenlauistock par des alpinistes renommés, attend depuis quelque temps déjà d' autres amateurs. Un bref et simple échange de vues sur ce thème, et tout de suite la conversation s' oriente vers d' autres sommets. En moi cependant s' ancre la pensée d' escalader ladite face, et cela aussitot que possible.

Pendant la descente vers le Rosenlaui, je louche furtivement vers cette paroi à mainte reprise. Elle m' impressionne vivement, mais le courage me manque encore pour faire part de ce désir à qui que ce soit. Un entraînement sérieux est indispensable avant tout.

Ete ig66: Depuis quatre jours, je suis installé avec Gerhard et quelques camarades à la cabane des Engelhörner. Perspectives peu engageantes! De lourds flocons de neige tombent du ciel. En décembre, il me tarde toujours de voir un manteau d' hermine couvrir arbres et rochers. Actuellement nous nous en passerions volontiers.

Reveur, je contemple par la fenetre le jeu de la neige et du vent. Que nous sommes donc petits, face à la nature! Nous pouvons greffer un coeur neuf à un moribond, parcourir les espaces lunaires, mais sommes livres, impuissants, aux caprices des elements.

Encore un jour de nos vacances d' été qui s' achève, et nous n' avons pu entreprendre aucune ascension... Las d' attendre le retour du beau temps, je m' allonge sur une couchette. Mes camarades dorment tous - non pas tous, car Gerhard me demande brusquement:

— Que dirais-tu de tenter demain la voie Tschanz au Rosenlauistock? La face doit etre assez raide pour que nous n' ayons guère à nous préoccuper de la neige ou de la glace.

Ma paresse s' evanouit instantanément. Pas une mauvaise idée, en somme; nous pourrons toujours rebrousser chemin si les circonstances l' imposent. Très silencieusement, afin de ne pas éveiller les camarades, nous furetons dans la cabane. La route n' étant décrite que dans le livre du refuge, j' en note les principaux passages sur un bout de papier. Cela pourrait nous etre utile au cas où des difficultés d' itinéraire se présenteraient demain.

Le nom de la voie que nous convoitons Tschanz-Gedenkroute lui a été donne en mémoire du fameux alpiniste Hansueli Tschanz qui, avec Erich Friedli, tomba en montagne à la fleur de l' äge.

Nous nous recouchons et tentons de dormir. Quel privilège de posséder un excellent ami avec qui s' encorder pour affronter un rocher extremement difficile dans les heures prochaines! Longtemps encore je me tourne et me retourne, plonge dans mes pensées, et me sens très heureux.

Le lendemain, le temps semble vouloir se rappeler que Pete est là. Par moments meme, le soleil perce à travers de lourds nuages gris. Rien ne peut donc plus nous arreter. Rapidement nous rassemblons le matériel nécessaire: deux cordes de 40 mètres, quarante mousquetons, puis marteau, pitons, étriers, filin, casques, équipement personnel, bref tout ce qui convient à une ascension de sixième degré. En un clin d' ceil tout disparait dans les sacs. Notre imprudence juvénile nous a fait oublier nos gants - ce que nous regretterons cruellement par la suite.

Nous quittons la cabane; six visages ahuris nous regardent qui ne veulent pas ajouter créance à notre projet, mais force leur est de reconnaître que notre décision est irrevocable.

Nous voici dehors: un vent glacial siffle dans nos oreilles. Péniblement nous piétinons dans la neige mouillée en direction du départ. Soudain, la voici - notre face! De petites écharpes de brouillard trainent sur le rocher. Rapidement nous gravissons les derniers metres de l' étroit sentier qui se dérobe dans un magma de terre e( de neige.

Nous nous encordons silencieusement. Chacun de nous est plonge dans ses pensées. Que nous apporteront les prochaines heures? Car les petites taches bleues disparaissent de nouveau dans le gris uniforme, sinistre, de nuages de mauvais augure. Une certaine crainte nous saisit tous deux - mais qui la révélerait à son J' affirme cependant qu' un sentiment analogue s' empare de chaque alpiniste au moment d' entamer une face inconnue et scabreuse.

J' enfouis le marteau dans ma culotte, une culotte ornée d' innombrables « pièces » qui la font ressembler à un puzzle. J' ai toujours du acheter personnellement tout mon équipement, tour de force financier très ardu, si bien que, bon gré mal gré, je me suis borne à l' essentiel.

Par des éboulis et des rochers délités, la première longueur de corde conduit aisément à une petite niche.Voici déjà qu' un piton chante sa cantilene familière! J' assure - et Gerhard peut suivre. Il grimpe avec élégance jusqu' à mon relais. Nous exultons. Disparus les sentiments de crainte, les questions insidieuses! Gerhard prend immédiatement la tete, car nous nous relayons toujours dans l' escalade. Avec prudence il traverse environ vingt mètres à gauche dans la paroi ouverte. A son tour d' assurer: je suis.

— Si cela n' empire pas, nous serons en haut dans une demi-heure, dis-je en plaisantant. Nous savons pourtant tous deux que les choses se présenteront d' autre manière. Le vent s' est un peu calme; en revanche, il recommence ä - neiger. Avec la neige, nos pensées se tournent vers les gants chauds, restes inutiles dans un tiroir à la maison...

Je reprends la tete et réussis une traversée délicate. Lorgnant autour d' un angle rocheux je découvre une fissure lisse et légèrement surplombante.

- Ah!, me dis-je, fini d'«herboriser »!

Un coup d' ceil pour vérifier la « ferraille » - et en route. Je m' élève de piton en piton. Après chaque escalade de deux à trois mètres en libre, je dois rapidement pendre un étrier afin de pou- voir souffler un peu. Il me faut aussi m' occuper de mes doigts que rien, absolument rien, ne protège des frimas. Tous les quelques mètres donc je me repose et tape vigoureusement des bras afin de rétablir la circulation. Regardant entre mes jambes j' apercois les cordes courant de mousqueton en mousqueton. Au bout de 25 mètres j' atteins un maigre relais et fais monter Gerhard. En restant immobile pour m' assurer, il n' a pas du se réchauffer, et je ne lui envie nullement les longueurs qu' il va affronter. Au bout d%n quart d' heure il me rejoint. Les efforts l' ont un peu « dégelé ». Combien nous nous félicitons de notre entraînement du soir sur de petits « béquets » près de chez nous.

Je consulte la description de la voie: traversée de 15 mètres à gauche - vers une plaque grise -VIe degré. Gerhard avance prudemment. La paroi est dangereusement délitée, et les pitons ne tiennent pas. Impossible de faire un rétablissement, car le rocher exige d' etre « caresse » avec circonspection. Il faut surtout se garder de rester trop longtemps sur une prise, mais progresser très regulierement.

J' observe chaque mouvement de mon ami. Une chute ne serait guère recommandable. Au-dessous de nous le vide, et 250 mètres plus bas le petit sentier où nous nous trouvions voici une heure et demie. Bientot je ne vois plus Gerhard. La lenteur avec laquelle la corde file dans mes mains me permet de mesurer les difficultés. Au-dessus de moi, je n' entends que le grattement des souliers et le cliquetis des pitons. Je m' attends au pire. Mais soudain un appel retentit:

- Relais!

Je respire, soulage.

Je me sens tendu. Comment vais-je me comporter pendant les longueurs qui suivent, certainement les plus difficiles que nous ayons rencontrées jusqu' ici. A peine si j' entends:

- Tu peux venu.

G' est donc mon tour. Je me déplace lentement vers la gauche sur le rocher lisse. Je compte vraiment les mètres jusqu' à l' arete ou a disparu Gerhard. Dans de tels moments, le sens de l' espace s' abolit. On ne voit que le piton ou l' anneau qu' il faut atteindre. Encore un metre jusqu' à l' angle. Je repère un filin qui se balance à un piton. Espérons que Gerhard ne va pas rappeler la corde. Je voudrais le lui crier, mais mes paroles sont couvertes par un vent de plus en plus violent. Dangereux de rester longtemps au meme endroit. Mes yeux seuls me révèlent encore l' existence de mes bouts de doigts; ils sont insensibles depuis longtemps. Je découvre une minuscule aspérité pour mon pied gauche, mais chaque fois que je tente d' y poser mon poids, une sensation étrange envahit tout mon corps.

- Tu n' arriveras pas à progresser ainsi, me dis-je.

II faut donc que la prise tienne. Je me dresse avec precaution. Encore dix centimetres jusqu' à l' anneau... encore cinq... trois... enfin j' y suis. Au meme instant la prise à laquelle je m' étais fie lache. Je plante un mousqueton, fixe une boucle... enfin je puis souffler.

II etait grand temps, car mes doigts n' au pas tarde à refuser tout service. Six mètres plus haut, j' apercois Gerhard sur une petite protuberance rocheuse. Il cligne de l' oeil vers moi. Le passage lui a donne beaucoup de mal à cause du froid surtout.

Nous sommes bientot réunis et nous reposons un instant, puis nous échangeons les impressions laissées par les dernières longueurs de corde et sommes tous deux très fiers d' escalader une face de cette difficulté dans des conditions presque hivernales.

Nous croquons quelques biscuits, mais la curiosité ne tarde pas à l' emporter. Je reprends la tete. Deux fissures minces - j' arrive à un piton, contröle sa solidité. Vite deux mousquetons où placer la corde - et en avant. Comme la vie est belle! Au bout d' une trentaine de mètres, j' atteins une grotte accueillante. Le registre de la face s' y trouve. Gerhard me rejoint rapidement.

Nous feuilletons le livre. Peu de noms y figurent. Nous sommes la cinquième ascension. Péniblement, avec des doigts gourds, je grif-fonne les notres.

Nous sommes protégés du vent et de la neige qui continue à tomber. Comme la vue sur les Wetterhörner serait belle de notre abri!

- Te rappelles-tu, Gerhard, notre bivouac au Wetterhorn l' hiver dernier et...?

Mais qu' importe! Il s' agit maintenant de continuer, car le sommet ne saurait titre éloigné. Encore un ressaut raide, et bientot nous traversons l' arete occidentale au plus haut point du Rosenlauistock. Avec des yeux qui pleurent sous le vent, nous touchons au but.

Combien de fois avons-nous eu la chance — malgré notre jeunesse - de nous serrer la main sur un sommet après une ascension réussie. Aujourd'hui, jour faste! Nous venons de mener à bien notre escalade la plus scabreuse.

Mais il faut nous häter. Le brouillard épaissit et Von ne voit guère à plus de cinq mètres devant soi. Heureusement nous connaissons bien la descente. Soudain une voix retentit au-dessous de nous. Nous crions à gorge déployée. En réponse, un appel encore plus pressant. Il ne peut provenir que de notre ami Walter. La tempete l' inquietait. C' est dans de telles situations que se révèle le prix d' une solide camaraderie. Haletants, nous lui contons, pele-mele, notre aventure de la journée puis, dans l' euphorie de la victoire, regagnons la cabane hospitalière en compagnie de notre ami.

Adapte de l' allemand par E.A.C.

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