Fantaisie sur Moiry
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Fantaisie sur Moiry

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Par Louis Villard fils.

Tema con variazioni: sur le mode de l' imparfait de l' indicatif. ( A la manière de J. Giraudoux. ) Tema:

Lorsque ce merveilleux 17 juillet de l' an de grâce 1921 je me trouvais sur le plateau de Moiry avec quelques pionniers de la première heure pour fixer l' emplacement définitif de notre cabane, enfin décidée, je ne me doutais pas qu' il me faudrait attendre jusqu' en 1931 pour me retrouver sur ce même éperon; mais surcharge, cette fois, de la fameuse bicoque.

Var. I ( Adagio dolente ):

Non, je ne me doutais pas, en redescendant ce jour-là sur Grimentz et Vercorin, que pendant 10 ans j' allais être relie à Moiry par d' irrésistibles fils élastiques et résistants, bien qu' invisibles, et dont le nombre et la force attractive allaient croître en raison directe de l' éloignement et au carré des temps écoulés.

Tous les fils par lesquels on s' attache à un travail, à un ami, à un paysage, à un pays, allaient s' accrocher à moi: Pas une ligne tirée sur la planche à dessin, au cours de l' établissement des plans d' exécution, qui ne contribuât à en grossir l' écheveau; pas un trait de tire-lignes qui ne le consolidât, pas un chiffre de devis estimatif qui n' en fixât la résistance.

Pourtant je résistais, j' allongeais — pour les rompre — les fils jusqu' à Etain ( Meuse ), tirant dessus de toute la force des locomotives des C. F. F., y ajoutant celles des chemins de fer de l' Alsace, puis celles de l' Est; les étirant dans la filière du Hauenstein jusqu' à 500 km... l' écheveau résistait.

Je cherchais à l' user avec le temps, demeurant plus de deux ans au pied des Hauts de Meuse; essayant de me donner le change au milieu des « moraines » formées, non par les glaciers, mais par les ruines de guerre; ou en grimpant jusqu' aux 2400 unités du Fort de Douaumont — mais c' étaient des « pieds », non des « mètres ». Les fils résistaient, ils tiraient de plus en plus fort, augmentés du poids de tout ce que l' Helvétie compte de masses granitiques, de celui des millions de mètres cubes d' eau lémanique, de celui des milliers de stères de sapins et de mélèzes de nos Alpes; comme de ceux des plus jolies Vaudoises et des plus accortes Valaisannes... Il fallait céder. Je cherchais même à faciliter le mouvement en utilisant les roulements les plus huilés, les essieux les plus souples, les rails les mieux polis que pouvaient m' offrir l' Est, le P. L. M. ou les C. F. F. qui, entre temps — s' étaient électrifiés pour mieux tirer.

Mais j' avais mal calculé mon élan et, au lieu d' aller jusqu' à Moiry, c' est à Montreux que je m' arrêtais.

Pourtant je savais la cabane terminée, qu' elle avait été inaugurée dans les formes les plus solennelles et les plus humides, qu' elle faisait l' enchante ment de tous les visiteurs et qu' elle en pleurait de joie au dégel par tous les interstices de sa toiture en « tavillons », qu' elle en fumait de satisfaction par tous les trous de son fourneau...

Var. II ( Tempo rubato ):

Déjà le fourneau avait été changé, déjà le tavillonnage avait fait place au revêtement de cuivre, que je n' avais pas encore pu reprendre mon élan: ni en 1924, encore rouillé par deux ans d' inactivité clubistique; ni en 1925 où je n' avais pu atteindre que la Scheidegg, grâce encore à la crémaillère des chemins de fer de l' O. B.; ni en 1926 où, au lieu de monter jusqu' aux 2800 m. de Moiry je n' avais atteint que les 800 m. du Pellegrino sur Palerme, me trompant seulement de 2000 m. en altitude et de 8 degrés en latitude sud; ni en 1928 où, étant bien venu jusqu' à Sierre, je me trompais de côté pour aboutir, non à Niouc, mais à Montana; ni enfin en 1929 où, m' étant accroché à un mauvais câble, c' est au sommet du Niesen que j' arrivais... d' où justement on ne pouvait voir Moiry.

Désespéré j' allais renoncer... je boudais en 1930, mais la cabane m' appelait.

Var. III ( Allegro deciso ):

Maintenant reposés, les fils qui m' attachaient à Moiry reprenaient leur élasticité et se retendaient peu à peu, tellement qu' au début de l' été 1931 ils tiraient si bien qu' un tout petit effort supplémentaire suffisait pour me faire partir, avec huit de mes collègues de la section de Montreux. Le chef, R. Furer, nous attendait à la cabane. On partait. En vain l' office météorologique annonçait un temps instable, en vain des dépressions menaçantes s' organisaient vers l' ouest, en vain le sous-chef Comte retardait le départ jusqu' à 8 h. 42, augmentant ainsi les risques d' imprévus, en vain les autos de Sierre cherchaient à nous intimider par des tarifs pour nouveaux riches... On partait.

Pour la première fois depuis sept ans je prenais le bon train, n' oubliant pas de descendre à Sierre... pour la première fois je montais dans la bonne auto: celle qui monte à Grimentz, non à Montana... Le sort abandonnait la lutte.

Tous les obstacles qu' il avait accumulés pour m' empêcher de voir Moiry, il allait les supprimer et les remplacer par les plus aimables facilités: Au lieu de mettre cinq heures pour monter à Grimentz par le sentier le plus court ( la fameuse montée de Niouc par les lacets ), c' était en une heure et sans peine que nous allions atteindre le gracieux village, mais par la route la plus longue. L' auto qu' un simple mouvement de volant d' un demi degré de trop vers la droite pouvait précipiter dans le vide et nous transformer en simples héros de faits-divers était précisément conduite par le chauffeur le plus incapable d' un tel mouvement: « L' AS » Garbacio.

Plus d' arrêt à Niouc, dans la petite « pinte » sous l' œil narquois du Besso soudain apparu... la voiture brûlait l' étape. Quelques centimètres de moins dans le diamètre des tunnels des Pontis, et notre Fiat ne passait pas... mais les mesures avaient été bien prises et nous les franchîmes sans même les effleurer... Le seul endroit assez large où l'on puisse croiser « la poste », côté montagne, sans risquer une contravention fut exactement celui où l'on rencontrait les cars fédéraux...

Tout nous facilitait.

Pas d' arrêt intempestif à Vissoie, notre dévoué chef de station de secours, M. le curé Francey, n' était pas devant sa cure — si hospitalière aux Montreu-siens...; impossible de se tromper de chemin, le soleil, libre de tout écran nuageux, éclairait énergiquement tous les écriteaux indicateurs... pas de fondrières à craindre: toutes les secousses étaient instantanément absorbées par les pneus de l' auto.

Rien ne nous contrariait.

A Grimentz, tout ce qui aurait pu nous être antipathique en fait d' hôtel: un « palace international »; un « cabaret borgne »; une « gargotte » avec ses ragoûts pour villes assiégées; un restaurant « sans alcool », tout nous fut épargné: car on y trouvait le seul établissement qui pouvait convenir à des membres du C.A.S.: un modeste hôtel de montagne: aux locaux avenants, gais et propres, abondant en mets appétissants et en « Fendant » généreux, modéré dans ses prix grâce à la sagesse et à l' amabilité de l' hôtesse, Madame Rusch... l' Hôtel des Becs de Bosson, cher aux Montreusiens.

Var. IV ( Con brio ):

Mais Furer, de la cabane, tirait de plus en plus énergiquement; il fallait partir. C' était facile; Grimentz ne possédant ni un musée comme le Louvre demandant des heures pour être seulement parcouru en vitesse... ni une Ste-Sophie où nous n' aurions pu entrer avec nos « tricounis »... ni un tombeau de Tout-Ank-Amon, d' où nous serions sortis plus morts que vifs... ni un « Labyrinthe » d' où nous ne serions jamais ressortis; mais seulement la plus gracieuse des églises, au gai carillon, la plus pittoresque des rues, pavée en larges dalles, comme la Rome antique, les plus charmants chalets fleuris de géraniums et abondamment « culottés »... merveilles qu' une petite demi-heure permettait d' apprécier et que dépare seule la fausse note des fontaines en ciment moulé.

Il fallait partir: Furer tirait. Tous les agréments que le sort pouvait inventer pour nous faciliter nous furent prodigués: Pour se mettre en train sans brusquerie, un délicieux sentier, presque horizontal, s' offrait au sortir du village, d' abord découvert, pour qu' on puisse admirer Grimentz de profil, puis en sous-bois pour qu' on puisse prendre son élan sans être accablés par la chaleur avant la première grimpée... Juste au moment où celle-ci pouvait devenir fastidieuse, elle cessait, faisant place au merveilleux tapis de verdure de l' alpe de Torrent, uni, vers la fin, comme un billard et décoré, exprès pour notre plaisir, des plus jolies fleurs des alpes... tout nous facilitait... jusqu' au « soir » qui, avec ses adoucissements de température et de chaleur tombait justement à l' heure où, arrivés à « La Fita d' Août », il allait falloir redoubler d' efforts avant la dernière montée.

Vers 19 heures la cabane me recevait enfin, touchée par sept ans d' efforts patients et désordonnés... On entrait.

Var. V ( Andante, un poco maestoso ):

C' était bien la cabane Moiry. Je reconnaissais tous les détails tels que nous les avions imaginés dans le feu de la composition: la façade avec son pignon posé sur le grand côté suivant l' idée de F. Huguenin; les lits superposés proposés par Schmitt, admirateur des paquebots et des sleepings; la salle commune en T préconisée par le soussigné: C' était bien Moiry. Tout le disait: les ustensiles marqués au nom de la section de Montreux, les murs décorés des cartes de la région, les cartes postales reproduisant la cabane, les affirmations dignes d' une absolue créance de quatre clubistes veveysans certains d' être à Moiry, comme le « sceau » portant le nom de notre refuge. Impossible de s' y tromper: c' était bien Moiry.

Au dehors, c' étaient bien les Pointes de Mourty, du Za de l' Ano, les cataractes de séracs du Glacier de Moiry que nous admirions... non les Alpes bernoises... en se penchant dans le vide, c' était bien le petit lac morainique de la Fità d' Août qui nous attirait, non les flots violets de la Mer Tyrrhénienne... à l' intérieur c' était bien avec la haute et fière silhouette du gardien Salamin que nous sympathisions, non avec le souriant minois de la téléphoniste du Niesen... c' était bien Moiry.

Tout ce qui peut rendre agréable et confortable un séjour à 2800 m. d' altitude, alors que la nuit et le froid régnent au dehors par un temps devenu maussade, nous le trouvions réuni à l' intérieur ce soir-là:

Un bon appétit assuré d' un prompt et sérieux apaisement grâce à la générosité bien connue des milieux clubistiques, au talent culinaire de notre hôte, Ja complaisance même. Le double plaisir de pouvoir étancher joyeusement nos soifs en savourant une délectable « verte » tout en faisant une niche à nos austères législateurs... et l' inestimable bien-être que procure la paix de l' alpe, l' absence de klacson, la compagnie de collègues mis en bel humeur par quelques bouteilles de Malvoisie, l' oubli complet des soucis de la plaine: Foin du cours des changes, du prix du beurre, du plateau électoral... loin de nous vedettes, star, champions du monde... S. D. N. et B. I. T couloirs polonais et rapprochement franco-allemand, problèmes d' urbanisme, tour « Bel-Air », fusion montreusienne, confusion du monde... Nous étions à Moiry entre amis joyeux et confiants... paix des âmes et des cœurs.

Var. VI ( Dolce — ma poco a poco più lento ):

Mais il fallait dormir. De tous les lits fixes ou mobiles épars sur le vaste monde:... lits à ressorts ou à sangles, lits de fer des casernes ou ripolinés des hôpitaux, honnêtes lits de familles ou larges divans, couchettes superposées des rapides ou cadres mouvants des navires... pas un qui ne fût plus à notre goût ni plus favorable à notre repos que les dures couchettes de Moiry.

C' est que, dans la paix de l' alpe, nous dominions de plus de 2800 mètres les grands de ce monde... les trompes des autos pouvaient mugir au travers des cités enfiévrées et en réveiller les habitants; nous ne les entendions pas... l' express de minuit pouvait ébranler de son tonnerre les locataires de tous les « Terminus »... nous dormions... Pendant que M. Laval s' agitait en songeant à la multiplication des querelles d' Allemands, que M. Curtius sursautait VIII38 FANTAISIE SUR MOIRY.

dans son ministériel « plumard », rêvant que le terrible Hitler le tirait par les pieds, que les belles Madrilènes se réveillaient aux bruits de « vive la république », que les vertueux New-Yorkais profitaient de la nuit pour savourer les alcools prohibés... que nos syndics montreusiens se tourmentaient en songeant qu' avec la fusion il n' y aurait plus qu' un syndic sur trois... nous dormions.

Var. VII ( Allegretto ):

Déjà c' était le matin. Le temps se levait, nous fîmes comme lui. Dehors, le paysage m' attendait depuis 10 ans... il n' avait pas changé. Pourtant les sommets me parurent plus abrupts, les pentes plus inclinées, les neiges plus glissantes... c' est que j' avais changé: j' avais 10 ans de plus. Toute la course que j' avais faite alors, dans un sens, j' allais la refaire, mais en sens inverse: Le Col de la Lex, atteint « du haut » en descendant du Pigne, avec le soleil dans le dos, c' était en venant « du bas » avec le soleil en face que j' y arrivais. Cette arête que j' avais parcourue libre, le sac allégé d' une fin de course, maintenant c' était encordé, le sac lourd des provisions de la journée que je l' es. Rien n' était changé, tout semblait différent. C' étaient toujours les mêmes géants alpins: le Weisshorn, le Rothorn de Zinal, l' Obergabelhorn, mais l' éclairage différait: au lieu de s' estomper dans la lumière oblique du soir, leurs silhouettes se découpaient durement à contre-jour, dans les feux du matin... mais eux, n' avaient pas changé: toujours tels, séduisants ou hargneux dans leur immobilité séculaire, avec leurs mêmes parois rocheuses, leurs mêmes couloirs de glace, leurs mêmes profils aériens... Rien n' avait changé ni l' immense « appareil » de Moiry, ni les entassements chaotiques des moraines, ni les moelleux tapis verts des pâturages, ni, plus bas, les bataillons serrés des mélèzes... tout restait pareil... Pourtant tout était changé: mais cela ne se voyait pas. Une autre neige avait constamment remplacé celle qui fondait, une autre eau avait sans cesse remplacé celle qui coulait, les arbres avaient ajouté des anneaux à leurs troncs et des centimètres à leur taille... des roches avaient roule dans les abîmes, des séracs s' étaient écroulés... mais cela ne se voyait pas. Rien ne paraissait changé, sauf pourtant le profil du dernier épaulement où un petit prisme gris-rosé venait terminer géométriquement le tas de cailloux croulant qui le constituait.

Pourtant on reconnaissait bien vite que la nature n' était pour rien dans ce changement, mais que la main de l' homme avait passé par là. On s' appro: C' était notre cabane. Quelques mètres cubes de maçonnerie, quelques sacs de ciment, quelques planches ouvrées, quelques plaques de cuivre, du temps, de l' argent, de la peine et beaucoup de bonne volonté... quoi, un rien dans l' immensité du Cirque de Moiry, et pourtant tout semblait changé: C' est comme si on avait diminué l' échelle du paysage, la réduisant des deux heures nécessaires pour atteindre la cabane des chalets de « Torrent », et de tous les pas en moins que nécessitaient les ascensions depuis Moiry.

Déjà on quittait la corde, la zone des névés étant finie, déjà on était à la hauteur de l' énorme cataracte muette des séracs du glacier, déjà le soleil arrive au milieu de sa course s' arrêtait au-dessus de nous: C' était midi, tous nous attendaient, y compris l' hospitalière cabane si largement ouverte aux alpinistes, y compris le gardien J. B. Salamin si aimablement actif, y compris un touriste « ja ja » solitaire et philosophe, y compris le nouveau fourneau lavé, astiqué et reluisant de propreté.

On dînait. Tout ce que les sacs pouvaient encore contenir de comestible: œufs, conserves, pain, biscuits, pommes, poires, chocolat, tout prenait le chemin de nos œsophages. On dînait.

Var. VIII ( Tempo di marcia ):

Le café était à peine absorbé et le « pousse-café » savouré que le soleil déclinant insistait pour qu' on parte. Il fallait quitter l' hospitalière cabane. Donc nous abandonnant à la pesanteur, nous refaisions, pas à pas, tout le chemin de la montée, répondant à l' appel de la plaine qui, pour chaque mètre que nous perdions en altitude, nous offrait, en compensation, une richesse nouvelle: de la glace jusqu' à 2500 mètres, des cailloux multicolores en nombre infini jusqu' à 2000 mètres, de l' herbe et des fleurs au-dessous, puis des mélèzes, des sapins... puis des sentiers de plus en plus aisés, puis desécriteauxcomplai-sants, un chemin carrossable, une rue pavée, des mazots, des boutiques, des enseignes, une pinte... nous étions à 1500 mètres: c' était Grimentz.

Halte heureuse et bienvenue à l' Hôtel des Becs de Bosson pour combattre nos soifs et chercher une auto. Toujours aimable et prévenante, Madame Rusch avait déjà fait le nécessaire, retenant pour nous la voiture des clubistes genevois: ceux-là même que nous avions croisés un peu au-dessus du village, se rendant à Moiry pour un cours d' alpinisme. Comme auto, ce n' était plus la confortable et nerveuse « Fiat » de la montée, mais une lourde et robuste « Ford ». La « torpédo 6 places » avait fait place à un « car » pour sociétés, made in U. S. A. Alors qu' à l' aller l' Italienne, fille du pays du Chianti, du vino rosso et du Moscato bianco, était montée d' une traite, au grand dam de toutes les « osteria » de la route, au retour la lourde Américaine, en dépit des lois sèches de sa vertueuse patrie, n' atteignait Sierre qu' après moult stations, à Vissoie, puis à Niouc, pour boire un coup par délégation de son conducteur.

Cela ne l' empêcha pas, au demeurant, de nous descendre à Sierre à 40 à l' heure et avec une maestria quelque peu inquiétante pour des voyageurs non habitués à ce genre d' acrobatie.

Entre temps le ciel s' était couvert: il pleuvinait, il allait pleuvoir. Maintenant que nous avions vu ce que nous voulions voir, le « sort » s' estimait déchargé de son mandat envers les délégués du « Soleil de Montreux »: il nous abandonnait, nous sachant sous l' abri de la capote du car, puis à Sierre, au Terminus, puis à Sion, au Buffet.

Var. IX ( Finale, presto ):

Déjà nous quittions le Valais. Toutes les merveilles du canton le plus météorologiquement sec de la Suisse s' enfuyaient derrière nous avec une vitesse égale à celle qui nous emportait vers le paysdeVaud: à quatre-vingts kilomètres à l' heure... mais il pleuvait: S' enfuyaient ces robustes et braves confédérés qui voussoyent le bon Dieu, nous traitent d' étrangers « du dehors », disent « là outre » pour là-bas, appellent leurs maires « Mossieu le Président » et leurs ennemis « monstres crétins »... s' enfuyaient leurs femmes énergiques et dévotes et leurs gracieuses filles aux fichus multicolores... s' enfuyaient leurs curés autoritaires mais bons enfants, les conduisant rondement, mais sachant boire un verre à l' occasion... s' enfuyaient les « de Preux », les « de Cocatrix », les « Zufferay », les « Salamin », les « Coquoz », les « Girard »... son Excellence Monseigneur l' Evêque de Sion... avec leurs montagnes, leurs mayens, leurs villages aux vieux chalets brunis... tous plies sous le respect des vieilles traditions, mais libres d' aller et de venir à leur convenance, de passer à travers le champ du voisin et de boire leur Fendant au soleil...

Le train accélérait sa marche, comme pour forcer par le poids de ses lourds véhicules multipliés par le carré de la vitesse l' étranglement de St-Maurice, jetant derrière lui, pêle-mêle des forêts d' abricotiers, des files de peupliers, des maisons couvertes d' ardoises, des églises aux clochers de pierres et des plaines d' éboulis striés par la pluie.

Comme un canon lance son projectile, le tunnel de St-Maurice nous lançait dans le pays le plus bleu de la Suisse... mais ce soir-là, triste et gris sous l' averse... dans le canton de Vaud, si beau.

Déjà nous étions parmi nos compatriotes, ceux qui tutoient le Seigneur, qui disent: « On a bien le temps »... « On verra voire »... « Tiesté bête »... « Dites-voi, mossieû le syndic »... pays du juste milieu, du bon sens, où il fait bon vivre... pays des sociétés de tempérance, des « défenses de passer »... des « défenses de fouler l' herbe »... « défense de toucher »... « défense de salir »... avec le montant des amendes imprimés sur les écriteaux... Déjà les«Pache »... les«Duruz »... les«Puenzieux »... les«Dufour »... les«Cochard » se précipitaient à notre rencontre... déjà les enseignes des hôtels montreusiens nous saluaient dans leur jargon international... Hôtel des Alpes... Excelsior... Golf... National... Splendid... déjà trois communes fusionnaient, confondues par la vitesse du train... C' était le canton de Vaud... c' était Montreux...

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