Gruyère, qui m'es une province
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Gruyère, qui m'es une province

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.Henri Fragnière, Bulle

Gruyère, terre de poésie, province de lumière et de verdure, beaucoup te connaissent, et ton château comtal et ton royal fromage; beaucoup te parcourent sur les routes du dimanche, passant des concentrations urbaines au rassemblement du pique-nique familial - mais combien savent-ils percer ou entrevoir encore tes derniers secrets, au gré des quatre saisons?

Alors que le printemps déborde des vergers en fleurs, et qu' aux flancs des Vanils, la terre commence à dévorer les névés attardés,alors qu' au cœur de l' été, les chalets bardés d' argent brillent sous le soleil de midi, alors que c' est le lent retour des troupeaux au village, et les odorantes fumées qui montent des jardins, lorsque le soir d' automne descend, Chalet a " Ar pilles ( Vallon des Fornys ) 4 Le magnifique toit du chalet de Tissinivaz ( Motélon ) Photos Henri Fragnière, Bulle Die Argentière-Seite der Droites, wo die Route des Nordost-Sporns verläuft.

Von l.n.r.: Col de la Tour des Courtes, Tour des Courtes, Col des Droites, die Droites, Col l' Aiguille Verte, die Clochetons Photo Wunderlich. Bern — alors que des matins d' hiver ce sont les aubes glacées, les toits chargés de neige, le noir envol des corbeaux qui nous disent que tout est bien fini...

Géographiquement — et cela a son influence sur l' ethnique de la province -la Gruyère est un tout, elle est une.

Parce qu' elle est une vallée.

Et une vallée qui n' en est qu' à son origine, berceau d' une rivière n' ayant rien diminué de ses deux haussements, ne s' étant point encore perdue dans des plaines attendues et lointaines, comme la Loire nantaise ou le Rhône arlésien.

Telle la lame d' acier, en un solide poing serrée, la Sarine est l' élément de l' unité de la province, elle en est le fil conducteur.

Vallée fermée, et régulièrement, sur ses bords, par la chaîne des montagnes, et au sud, par l' étroit défilé de la Tine. Encore que l'on ne doive pas oublier l' existence du d' Enhaut, les Gruyères vaudoise et bernoise, terres de nos nostalgies, perdues par un prince fol et dépensier, et qui fut trouvé, au terme de son règne, à la fois si lourd et si léger dans la balance de Leurs Excellences de Berne.

La Sarine, née des neiges du Sanetsch, s' élance droit vers le nord, ayant formé au passage le lac artificiel d' Ogoz, descendant, paraît-il, d' une lointaine nappe d' eau de l' époque glaciaire.

La frontière géographique va s' effacer devant celle de l' Histoire. La vallée s' évase ici comme un delta sans mer, vers les horizons plus vastes et de plus en plus abaissés du Moyen-Pays.

De part et d' autre, des percées secondaires, mais non sans importance.

Tout d' abord, celle de la Jogne, la route de Crève-Cœur, hissant ses lacets autour de la bas-tille de Montsalvan, le lac découpé, Charmey, les chapelles et les maisons de race. Plus à l' est, Bellegarde où l'on parle un allemand plein de musique, et d' où l'on rejoint les lacs de l' Oberland bernois et les pays germains des païennes légendes.

Toute vallée est le réceptacle de vallons plus modestes, et sans doute plus sauvages: voici le Motélon, le Petit-Mont, les Fornys, le Gros-Mont et son haut plateau, le Stillwasserwald ( comme un nom composé de Corée ). Ce sont des syllabes chantantes, pour l' oreille qui perçoit et le langage des tétras-lyre à la fonte des neiges et l' appel plaintif du bouvreuil, pour celui qui sait découvrir la trace du chamois sur ses passées de terre, qui est sensible, et dont le cœur bat à la musique de l' été sur les pâturages de Brenleire ou de la combe d' Orgevaux.

A l' ouest de Bulle, la route s' ouvre en direction de la Veveyse, du Léman, de la France.

Nos affinités sont romanes; nos eaux fuient toutes, pourtant, vers le Rhin et la Mer du Nord.

La Veveyse, elle, est la seule rivière fribourgeoise qui s' écoule vers le Rhône latin.

Le paysage abandonne, dès lors, son caractère gruérien. Les horizons vont perdre de leur fierté. Aux villages éparpillés qui meublent le décor, vont bientôt succéder les villages groupés, laissant la campagne à sa solitude. Au-delà des limites de Vaulruz, apparaissent les premières cultures et, avec elles, d' autres labeurs, un autre langage, une autre mentalité.

Au nord de Bulle, enfin, la Sarine, suivant le cours de ses méandres jusqu' à Fribourg, suit le cortège des anciennes seigneuries, Vuippens, Corbières, Everdes, Illens et, plus loin, le monastère d' Hauterive qui repose, depuis 1138, dans la paix et le recueillement.

Au reste, le cadre est harmonieux, les légendes fleuries, l' accent et le patois chantants.

Seuls l' hiver et les avalanches donnent une figure austère aux génies de la montagne. Djan de la Bolyèta déteste qu' on l' outrage, mais sa vengeance n' a pas la résonance du taureau d' Uri: tout tourne autour d' un baquet de crème sur la table du vieux chalet.

Ici, tout élève et rien n' écrase.

Partout la montagne est à la mesure de l' homme.

Le Vanil-Noir, notre plus haut sommet, ne dépasse pas 2400 mètres.

,85 Le Moléson, malgré une face rébarbative, reste sans malice. Il s' isole, domine, marque le paysage: on comprend qu' il soit devenu un symbole de force et de majesté.

Les autres chaînes couronnent le pays.

Mise à part, bien sûr, celle des Gastlosen, avec ses multiples dentelles de calcaire, redoutables Dolomites en miniature, bornant le canton du côté de Berne et de Vaud, et formant, entre ces terroirs et le nôtre, la plus prestigieuse des barrières.

Là-haut tournoie le krotzéran, soufflent les violentes et funèbres tempêtes d' automne, dévalent les avalanches fracassantes, croissent la joubarbe et le daphné tardif, muse le tichodrome sur les parois grises qui n' en finissent pas, et broute le chevreuil enfin délivré des neiges, lorsque le temps d' allaiter son petit est arrivé.

Elles sont rares les terres dont on ne se lasse jamais.

Ce sont celles où les choses vont au-devant de vous, sans violence ni contrainte. Ce sont celles où rien ne heurte, où il y a des arbres et des haies, où le damier des champs se marie en justes proportions au damier des bois.

Ainsi en est-il de la basse Seine au pays de Jumièges, des bocages bretons, de l' Anjou sensuel ou de la Provence romaine où tout est doux, et gris bleuté, et gris de cendre, et pers comme les yeux de Minerve.

La palette du peintre ne connaît point de limite: clair-obscur des futaies de sapins, bois de mélèzes de Biffé aux ors persistant au-delà de la Toussaint, rameaux des hêtres des jours de Fête-Dieu: ce sont tous les printemps du monde qui dépassent les hivers et les chagrins, c' est la féerie du vert et la corolle des fleurs de narcisses, l' herbe qui vous monte aux genoux, l' étoile éclose du pommier, si vulnérable au gel dans son armure de beauté.

Toujours à la mesure de l' homme, la montagne est ici habitée. Et vivante d' une vie d' accueil et de chaleur, centrée sur le chalet, de façon intense et continue.

II touche aux fibres du cœur, exerce une fascination que connaissent très tôt les enfants, et une influence sur la littérature, la poésie, la chanson.

Car le chalet, c' est le troupeau, commencement et fin de toutes les activités paysannes.

Là se place la poya: les bêtes qui montent au chalet, pour alper, au printemps.

Aux moins initiés, les larmes montent aux yeux lorsque défile la lente procession des vaches. La musique des lourdes cloches, la marche et les croupes solennelles, le clair appel des armaillis, c' est le renouvellement d' un rite né au fond des âges. Il aura son aboutissement au chalet qui attend, au bout du sentier muletier, de pouvoir ouvrir la porte de ses écuries aux bêtes fatiguées.

Alors ce sera l' été, et les longues journées, et le lever matinal, l' orage qui se prépare dès les aubes trop chaudes, les génisses se serrant contre les murs rugueux, le travail de chaque instant et l' ac des gestes permanents, les gestes du feu, les gestes de l' eau, les gestes du bois.

Combe après combe, arête après arête, un toit gris de tavillons vient nous dire que sur chaque morceau de terre l' herbe ne croît pas pour rien, que la clôture franchie annonce un autre gîte, ou un sourire, peut-être, capable d' exprimer tant de peines et tant de joies, un verre de vin qu' on boira ensemble, en silence, devant le foyer entretenu.

Et lorsque vient la saison de partir, que les derniers piquets ont été couchés sur le pâturage roussi par le premier gel, le chalet garde les marques de la vie. On y entre, solitaire, accueilli par l' odeur de l' écurie déserte, du feu éteint dans l' âtre, par un objet oublié, par le fil de l' araignée tendu d' une solive à l' autre, par le mulot frileux qui a déjà pris ses quartiers d' hiver.

L' esprit de province va imprégner le Gruérien de quelque suffisance à l' égard de ce qui n' est pas de chez lui. Qu' il est à plaindre, l' homme des plaines en butte aux incessantes cultures, aux intempéries et au brouillard d' automne! Point de travaux, ici, qui se poursuivent tard dans la mauvaise saison, point de labours et de récoltes qui usent avant l' âge et transforment en vieilles ridées des femmes de trente ans.

Nos filles sont jolies et ont de douces mains. Nos paysans sont de solides gars qui ne s' en laissent pas conter, qu' il faut savoir prendre non par ruse ou par force, mais avec franchise, simplicité et gentillesse. Le Gruérien ne baisse pas le regard pour vous parler; il n' est point veule ni flatteur. Il ne craint pas de dire ce qu' il pense, souvent avec assez de verve et de causticité pour que son adversaire soit promptement désarmé.

On pourrait appliquer au Gruérien, descendant d' une lignée d' hommes libres, la noble devise des seigneurs des Baux: « race d' aiglons, jamais vassale », ainsi qu' il est dit au chant premier de Calendal. Jusqu' aux époques récentes, il a toujours montré sa haine des despotes et des baillis, fussent-ils de Berne ou de Fribourg!

Ainsi, le fil conducteur de la Sarine nous conduit à connaître l' homme se mouvant dans le cadre harmonieux des lignes, des formes et des nuances de la montagne.

Riche de ses qualités qui la font unique, la Gruyère est hors des démesures: elle est humaine. Et elle est aussi le paradis des fleurs et des bêtes sauvages. Sans doute, l' inclination du Gruérien pour les mollets bien faits et les tailles galbées, son aversion pour la bassesse et tout ce qui dégrade, n' ont point éteint chez lui son ardeur pour le braconnage. La traite des vaches et le fromage à faire ne font pas oublier l' existence, dans le couloir qui domine le chalet, d' un vieux bouc solitaire. Celui-là n' aura pas à souffrir de l' hiver, lui qui mourra d' une balle de carabine, au petit matin d' un jour de septembre.

Mais il ne s' agit pas ici de massacre. Les chamois sont encore nombreux. Une colonie de bouquetins, dans la chaîne du Vanil Noir, est en plein essor. La marmotte est abondante. Le chevreuil, malgré les renards, vit en altitude. L' aigle n' est forêts s' étalant au pied des rochers. Le Vallon des pas rare, et les petits passereaux hantent les vastes forêts s' étalant au pied des rochers. Le vallon des Morteys, d' une sauvage grandeur, est une réserve de plantes les plus recherchées.

Mesure de l' homme: la vie sauvage côtoie la vie quotidienne, et la nature ne connaît pas de limites, sinon pour celui qui ne vent pas marcher ou qui ne vent pas ouvrir les yeux.

C' est la couronne et le cadre dont on retrouve la séduction bien loin dans le passé, sur toutes les gravures des artistes d' autrefois.

A coup sûr, lorsqu' il vous arrive de vous égarer, de gré ou de force, sur les troupes du Jura, les Préalpes de la Gruyère se reconnaissent de loin, dominées par les élégantes jumelles de Brenleire et de Folliéran. Elles émergent de la mer de brouillard, brillent au soleil couchant, et vous attirent irrésistiblement hors de votre exil passager.

Approchez-vous: les cimes vont perdre de leur hauteur et le cadre s' humaniser. Les murs antiques de la cité de Gruyères reprennent alors leur place dominante: vous êtes au cœur d' un pays dont on ne se lasse jamais.

Bientôt, ce sera une saison plus belle après une belle saison, à nouveau l' automne, à nouveau le printemps.

Elles sont mortes, les coraules du passé que conduisait le comte Michel, le seigneur sans-souci. Mais il est éternel le grondement de la Sarine sous les ponts de bois, éternel le bruissement des feuillages reverdis.

Lève-toi, mon amie, t' en, ma belle, Voici que l' hiver est passé, La pluie a cessé, elle a disparu. Les fleurs ont pointé sur la terre, Le temps des chansons est revenu.

( Cantique des Cantiques )

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