Il y a cent ans, les clubistes genevois se réunissaient au sommet de la Bella Tola
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Il y a cent ans, les clubistes genevois se réunissaient au sommet de la Bella Tola

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II y a exactement cent ans ce mois-ci que les membres de la section Genevoise du CAS, fondée une année auparavant, étaient conviés par un des leurs, M. Ernest Griolet, à un banquet champêtre au sommet de la Bella Tola.

Il appartint à J. Jullien de raconter dans un cahier de l' Echo des Alpes de 1867 les péripéties de cette manifestation dont le souvenir resta longtemps grave dans la mémoire des alpinistes genevois. Sachant combien il est difficile de se procurer les premiers numéros de cette publication, nous n' hésitons pas à publier in extenso un récit qui rappelle une époque où les clubistes avaient la plume facile et réservaient une large place à l' humour dans leurs comptes rendus.

Le 23 juin 1866, les membres de la section genevoise du Club alpin suisse recevaient de leur collègue, M. Griolet, un billet des plus aimables: « Je profite, leur disait-il, de ce que le Club alpin a désigné comme champ d' excursion une partie du Valais qui avoisine ma propriété de Bella-Tola, pour inviter avec empressement Messieurs mes collègues à venir à Bella-Tola, où je désire leur offrir un banquet champêtre à la mode du Valais, avec accompagnement de feux d' artifice. Le lendemain, on pourra jouir, au sommet, du spectacle du lever du soleil, cent fois plus beau que celui du Righi. » Le programme de la fête était celui-ci:

Dimanche, départ de St-Luc à 2 heures.

Après-midi, réception à Bella-Tola par M. Griolet; à 5 heures collation. Pose de la première pierre du phare.

A 7 heures, banquet fraternel servi exclusivement avec des produits anniviards. Départ.Musique ( Société Valeria ).

Feux de bengale pendant une heure. Repos confortable sous des tentes-abri.

A minuit, grand bivouac.

Le lendemain, à 3 heures et demie, réveil au tambour pour le lever du soleil. Départ volontaire.

Outre ses collègues du Club alpin, M. Griolet avait libéralement invite un assez grand nombre de personnes, de Genève et du Valais.

Il faut convenir que, pour peu qu' on eût la moindre déman geaison de se dérouiller les jambes, une pareille tentation était irrésistible. Quelques centaines de personnes passant une nuit sur une cime haute de plus de dix mille pieds, cela s' était jamais vu, cela était-il possible? Aussi, mettant de côté les si et les mais, allai-je m' inscrire chez le secrétaire de la section. Notre collègue, M. Freundler, eut l' heureuse idée de convoquer dans son jardin, autour d' une chope de bière, les personnes qui se disposaient à prendre part à la fête. Cette réunion, qui eut lieu le 23 juillet, nous permit de nous concerter et de prendre quelques mesures utiles. Pourvu, disait-on que le temps nous favorise! En effet, le temps, qui avait été variable pendant tout le mois, ne paraissait nullement disposé à tourner au beau fixe.

Une trentaine de membres de la section genevoise et un pareil nombre d' autres invités s' étaient inscrits. Grâce à la sollicitude de notre secrétaire, la Ligne d' Italie nous faisait sur le prix une réduction importante. Mais le ciel était sans cesse nuageux; aussi, vers l' époque fixée, s' abordait en se disant: « Bella-Tola, hélas! » Qui ne hasarde rien n' a rien, audaces fortuna juvat; partons: qui par le chemin de fer, qui par Lausanne, qui par Chamounix. Passager de la dernière heure, je m' embar le 28 après midi sur le bateau Y Italie. Nous nous trouvâmes huit, huit intrépides, car le temps était menaçant. Un dais de nuages épais couvrait le bassin du Léman et cachait la crête des montagnes. Aussi la Bella-Tola, hélas! formait-elle le fond de la conversation. Passons rapidement, s' il vous plaît, sur la course en bateau à vapeur, qui ne fut cependant pas absolument sans épisodes. Le vent d' ouest soufflait avec assez de violence pour procurer à quelques passagers les avantages du mal de mer. L' un d' eux faisait ses réflexions, couché sur la banquette du salon. Deux fois des ondées indiscrètes, pénétrant à travers les fenêtres ouvertes, avaient menace sa tête. Assis en face du patient, et respirant les fumées d' une bouteille de vin bouché offert à ses collègues par l' un des clubistes, j' attendais méchamment d' assister au baptême de l' infortuné, lorsque, tout à coup - punition méritée - je reçois moi-même une douche des plus copieuses, qui me rafraîchit désagréablement l' occiput et les régions avoisinantes. Presque au même instant, il est vrai, une ondée plus furieuse qu' aucune des précédentes passait par-dessus notre homme et le faisait bondir loin de sa couche.

Nous débarquâmes au Bouveret à 7 heures et demie du soir. Le temps s' éclaircit un peu; quelques lambeaux de ciel bleu apparaissent entre les nuages. Bella-Tola, holà! Nous montons en chemin de fer. A St-Maurice, tapage infernal; tous les paysans de la contrée semblent s' être donné rendez-vous au buffet. Leurs bramées couvrent la voix des hommes d' équipe. On distingue pendant quelques éclaircies le cri de: Bella-Tola! Les voyageurs pour Bella-Tola! Cela me fit penser à ces stations fantastiques inventées par les administrations de chemins de fer pour les besoins de leur cause. Bella-Tola, une enjambée de dix lieues! Quelques clubistes et invités peuplent notre wagon; la lune, la pleine lune brille dans l' azur sombre, entourée de nuages blancs, et verse sur le flanc des monts des teintes blafardes; la cascade de Pissevache, devant laquelle nous passons trop rapidement et qui est très-abondante, revêt un aspect féerique. Ses énormes bouillons, se présentant par saccades à la lumière, semblent des avalanches d' argent pur. A la station de Vernayaz, nous sommes rejoints par deux de nos fonctionnaires, autant vaut dire deux grimpeurs déterminés. Ils viennent de Salvan et de Finhaut, harassés, mais délectés, enchantés. L. s' extasie sur les trente ou quarante ponts qu' il a passés ( ponts, dont, soit dit en passant, il pourrait « se passer » mieux que personne, bâti comme il est à enjamber une rivière sans s' en apercevoir ). Il ne veut plus entendre parler de l' ancienne route de Chamounix; il vent écrire à Baedeker, à Berlepsch, à Tschudi, à Murray, d' effacer de leurs itinéraires cette maussade Forclaz, qui n' aura plus pour elle que les guides affamés de Martigny. Et la vue, et la forêt, et Salvan, tout cela est à croquer.

C' est ainsi que nous arrivons à Sion. Il est dix heures, la lune semble nous sourire; M. Wagner, l' hôte du Lion d' or, nous sourit aussi et donne à souper à ceux qui, comme nous, veulent se coucher. Les autres partent pour Sierre; que Sierre leur soit léger; mais ils se privent de deux heures de sommeil. Dans une pièce attenante à la salle à manger, on entend des chants et des rires. C' est une bande arrivée par le train précédent, qui achève sa journée. Je reconnais E., monteur de boîtes de profession, journaliste par occasion, J., imprimeur, D., lithographe et catéchumène, K., touriste et dentiste, et un autre dont le nom m' échappe, prononçant l' oraison funèbre d' un melon oublié sur le bateau à vapeur. Ce melon, sous l' influence de Bacchus, a pris des proportions prodigieuses et constitue pour la société une perte incalculable. Afin de faciliter la digestion, l'on va faire le tour de la capitale du Valais, et l'on rentre à minuit et demi.

A demain: lever à 3 heures, départ pour Sierre par l' omnibus à 4 heures. Nous nous trouvons trois dans la même chambre, trois pères de famille d' âge rassis, c'est-à-dire qu' on doit ou qu' on est censé dormir aussitôt entre deux draps.

Dimanche 29 juillet. Il n' est pas trois heures, que je suis éveillé. J' entends l' un de mes deux compagnons qui se gratte, qui se gratte. Est-ce l' agitation du sang qui lui cause ces démangeaisons furibondes? est-ce?... Bah, me dis-je, rien n' est plus naturel que de se gratter en Valais. Un domestique frappe. Au bout de dix minutes, chacun est sur la ligne; on déjeune à la lumière; nous sommes quatorze prêts à partir. Neuf s' entassent dans une berline découverte, un épicier et un libraire à moitié anglais sur le siège, cela fait très bon effet, et fouette cocher.

Pour moi, j' avais prudemment jeté mon dévolu sur l' omnibus, moins fringant, mais plus grand et plus commode. Nous ne partons qu' à 4 heures et demie, au grand scandale de mon collègue W. Un avocat de Sion, un Bernois et un jeune homme indéfinissable, cause du retard, ont pris place à nos côtés. La route fut remplie par une dissertation en règle sur les vins du Valais, dont l' avocat fit les frais. Connaisseur consommé, il donnait la préférence au vin d' enfer, soit de Zelknen; avis aux amateurs. Le Bernois nous parla des origines des peuplades suisses: il prouvait, soit par la légende de Guillaume Tell, soit par certains noms, tel que celui de Lockmatter, qu' une colonie de Suédois avait émigré en Suisse dans les premiers siècles du moyen âge.

La route, comme on sait, longe pendant une lieue et demie le chemin de fer qui attend encore ses rails, et suit, au-dessus de lui, le cours du Rhône bordé de digues et de ces singuliers monticules, qui ont si fort intrigué les géologues. Dans la chaîne des Alpes italo-suisse, l' avocat nous montre la cime de la Bella-Tola ( c'est-à-dire du joli coin, comme il disaitelle apparaît sous un dais de nuages. Qu' elle est lointaine, qu' elle est haute, et que le temps est incertain! Nous mettons pied à terre devant l' hôtel du Soleil; là nous ramassons une partie de ceux qui ont passé la nuit à Sierre, et nous partons par groupes isolés.

Au sortir de Sierre, la route s' infléchit à droite et traverse le Rhône sur un pont de bois pour reprendre bientôt la direction de la grande vallée, à l' entrée du célèbre bois de Finges. A cet endroit le chemin de la vallée d' Anniviers s' en détache, laissant le bois de Finges à gauche, et grimpe le long du flanc méridional de la montagne pendant une demi-lieue. A mesure qu' on s' élève, la vue sur le Valais devient de plus en plus étendue. Le cours du Rhône se perd à l' horizon, bordé au nord par la gigantesque terrasse des Alpes de l' Oberland. Beaucoup plus près, l' œil surpris découvre le lac de Géronde, au bord du Rhône, au-dessus de Sierre, sur une espèce de plateau élevé. Après une heure de montée, le chemin, faisant un coude accentué à gauche, pénètre résolument dans la vallée latérale.

Là commence réellement le val d' Anniviers ( Einfischthal ). C' est le moment de jeter un dernier coup d' œil sur la grande vallée. A vos pieds, au bas d' une pente rapide, dans la direction du Rhône, le regard plonge sur les toits du grand village de Chippis, détruit par une inondation en 1834, incendié il y a une dizaine d' années, et rebâti plus régulièrement, quant à la forme des bâtiments, mais sans ordre ni alignement quelconque. On dirait des maisons d' enfants jetées au hasard sur une table. On passe les hameaux de Niouc et de Barme; la route devient presque plate; la grande vallée disparaît peu à peu, tandis que le Val d' Anniviers et le magnifique glacier de la Dent blanche qui le termine se montrent d' autant mieux. Le torrent de la Navisanche coule à nos pieds à une grande profondeur. Des escarpements, surmontés de forêts et parfois de pâturages, se dressent sur le bord opposé du torrent. Nous sommes rejoints par M. le consul des Etats-Unis, monté sur un cheval. A trois quarts de lieue de là, la route serpente contre un vaste cirque, au flanc de rochers nus et sauvages. Nos voix éveillent l' écho de ces solitudes endormies. On franchit une seconde gorge en la contournant pareillement, puis une troisième. Par-ci par-là, la route est accrochée par des poutres aux parois de la montagne, ou percée à travers les éperons de rochers. Pas la moindre habitation, pas le plus petit cabaret. Puis, on aborde une magnifique forêt de mélèzes, entremêlés de bouleaux, en face du village de Painsec, qui attire les regards par sa position pittoresque sur le versant opposé. Nous y étions depuis quelques minutes, l' oreille basse, le parapluie ouvert ( c' est dire qu' il commençait à pleuvoir ), lorsque nous apercevons devant nous M. le Consul, son guide et l' un des nôtres, arrêtés, et qui paraissaient hésiter. Bon! dis-je, nous avons manqué notre route. En effet, nous nous acheminions vers le village de Vissoye, chef-lieu de la vallée, sans avoir remarqué le sentier à gauche, qui se détache de la route pour monter directement vers St-Luc. Deux ou trois de mes compagnons pénètrent résolument dans la forêt. Plus prudent, quoique ( ou plutôt parce que je suis ) membre du Club alpin, je fais demi-tour derrière M. le Consul, et, après trois minutes de rebroussement, je gagne l' entrée du sentier.

Il n' y avait guère plus d' un quart d' heure que je marchais tranquillement, lorsque je rejoignis l' un de nos hardis compagnons, C. Mais dans quel état, bon Dieu, je le trouvai! Assis sur une pierre, les traits décomposés, il promenait son mouchoir sur son visage pâle et trempé de sueur. Il m' expliqua qu' il avait dû grimper à la manière des chèvres, à travers les rocs moussus au milieu desquels prospéraient les gigantesques mélèzes. Décidément, à cinquante ans, il vaut mieux prendre le chemin des vaches. Emu de pitié, je m' arrêtai et l' engageai à reprendre haleine, pendant que je me rafraî-chissais au bord d' un filet d' eau, auquel il n' osait toucher dans la crainte d' un refroidissement; vrai supplice de Tantale! Quand il se fut un peu repris, je lui rappelai le proverbe italien légèrement modifié: « Qui va piano va sans eau, et qui va sans eau va longtemps haut. » Après avoir traversé quelques pâturages, à 10 heures 40 minutes nous faisions à St-Luc notre entrée triomphale, je veux dire sous un joli petit arc de triomphe en branchages de sapin, flanqué à droite et gauche des drapeaux valaisan et genevois, avec un grand drapeau fédéral au centre. Il était surmonté d' une inscription entourée de verdure, sur laquelle on lisait: « Soyez les bienvenus, chez nous les montagnards! » Quelques pas encore, et nous étions dans le village, au milieu d' une foule de touristes, d' invités, de clubistes et de naturels, ceux-ci en habits de fête; les hommes et aussi nombre de femmes, coiffés de grands chapeaux de feutre noir, assez semblables à ceux des curés. Les premiers offraient une variété indescriptible de costumes et de physionomies. Qui arrivait en blouse, qui en pantalons rentrés dans les bottes, qui en habit noir.

Du village il y a peu à dire; un petit hameau de montagne presque tout en bois, étranger à toute idée d' alignement. Dans la grande rue ( expression relative ), s' étalait une longue file de tables, de bancs et autres sièges, autour desquels, en dépit d' un soleil trop ardent pour être de bon augure, se pressait la foule bigarrée.

Peu soucieux de me rôtir à cette fournaise, je montai me rafraîchir à « l' hôtel et pension de Bella-Tola, tenu par les propriétaires », comme disait la carte; une maison cossue, moitié bois, moitié pierre, décorée d' une superbe flamme rouge et jaune de vingt pieds de longueur, pleine de monde et de bruit, et quartier général de la musique Valeria. On apprit bientôt que, vu la chaleur et le nombre des convives, le dîner aurait lieu à la maison de commune. Cette perspective me soulagea. Diner sur une place publique ou à l' auberge eût été peu agréable ou tout au moins insipide; mais dîner à la maison de commune de St-Luc, c' était original. On passe devant le four banal, on enjambe un escalier de Gargantua, et l'on pénètre à travers une espèce de soli dans une salle à plafond bas, propre, mais noircie par le temps, pouvant donner place à une centaine de personnes. Cinq portraits de respectables prêtres et archiprêtres, une lettre à la main, et un crucifix ornent les panneaux. Six tables étroites, dont deux doubles, formées de troncs de mélèze partagés en deux, et des bancs à l' avenant reçoivent les joyeux convives, tous ceux du moins qui ont le bonheur de trouver place. La musique Valeria entonne ses plus jolis morceaux, alternant avec les détonations des mortiers. Le drapeau de la Bella-Tola ( avec l' inscription: Aidons-nous les uns les autres; Un pour tous, tous pour un ) est arboré aux fenêtres, et le repas commence. Les mets, marmotte, pommes de terre, etc., sont servis sur des plats d' étain; le vin, d' excellent vin blanc, ma foi, digne de sa réputation, coule des semaises ou pots ventrus d' étain, dans des verres en bois. M. le pasteur B., membre du Club alpin, s' annonce comme major de table, et M. le Conseiller d' Etat du Canton de Vaud, Cérésole 1, ouvre le feu. Son toast aux autorités et la commune de St-Luc a les honneurs du ban fédéral. M. Daumas, Conseiller d' Etat de Genève, venu pour la première fois dans ces contrées, porte la santé du Conseil d' Etat du Valais. « Il se passera longtemps avant que ce pays, ce beau pays, soit annexe, dit-il; il a des dents formidables; pour le défendre, nos cœurs suisses valent les fusils à aiguille. » M.de Courten, préfet de Sierre, remercie les confédérés, les clubistes et les étrangers. « St-Luc, désolé par l' incendie, se rappellera longtemps à qui il doit d' avoir pu se rebâtir. Un étranger, un Français, l' un de ses plus grands bienfaiteurs, va élever un phare à l' humanité. » Il boit à la Confédération helvétiqueban redouble et musique.

M. Long, vice-président de la section genevoise, prend la parole ( ces diables de Genevois ont toujours des seilies d' eau froide à leur service ). M. Long, dis-je, dit: « Messieurs, on vient de vous dire qu' on va élever un monument à l' humanité; il ne faut pas se dissimuler que c' en est un, avant tout, au maître d' hôtel. Nous, nous voudrions laisser un souvenir à l' hôte aimable qui nous reçoit aujourd'hui. On vous propose une souscription, séance tenante, pour un album, fait par nos artistes, représentant quelques épisodes de cette fête, avec les photographies, cartes de visite, des assistants; ceux qui n' en ont pas feront faire leur portrait ad hoc. » Approuvé avec acclamations. Pendant qu' on s' occupe de finances, M. le major de table annonce que le repas coûte 2 fr. 50 par tête, et M.J. et le maître d' hôtel, chacun en ce qui le concerne, encaissent leurs fonds. M. Upton, Consul des Etats-Unis, avec une grâce et une simplicité parfaites, s' exprime ainsi: « Je ferai la même remarque que le Conseiller du Canton de Vaud, qui vient de parler. J' ai vu bien des pays, mais je n' en ai pas vu de si démocratique que le vôtre; je n' en ai pas vu où tout le peuple se réunisse ainsi pour se connaître et s' entr. Nous étions depuis longtemps unis par des liens de fraternité; mais voici qu' aujourd le câble transatlantique est posé, qui réunit les deux mondes. Eh bien! c' est un lien 1 Paul Cérésole ( 1832-1905 ), homme politique vaudois qui joua un grand rôle en Suisse durant la deuxième moitié du siècle passé. Conseiller d' Etat vaudois de 1862 à 1866, juge fédéral de 1867 à 1870, Conseiller fédéral de 1870 à 1875, il fut président de la Confédération en 1873.Réd. ) de plus. Les Suisses ne sont pas une si grande république que la nôtre, mais ils sont plus anciens et ils ont la première place dans notre cœur. Pour vous serrer la main, nous voudrions franchir les mers. » M.le major de table porte un toast à la prospérité des Etats-Unisban vigoureusement enlevé.

M. Adrien de Courten, membre du Conseil national, remercie chaleureusement M.le Consul de tout ce qu' il a dit de bienveillant et de flatteur pour la Suisse. Celle-ci vient de prouver, par des souscriptions, qu' elle sympathise avec l' Amérique, et qu' elle l' aime comme une sœur aînée aime sa sœur cadette. Le câble n' est pas un lien de plus entre nous, c' est un moyen de nous exprimer nos sentiments. M. le commandant de Roten, dans un discours plein de poésie, en langue allemande, donne essor à ses sentiments patriotiques. « Toutes ces beautés de la nature que vous allez admirer, dit-il, ne sont rien sans la liberté. Pour elle, nous, canton frontière, nous voulons vivre et mourir. » M. Brenner, de Bâle, prononce aussi en allemand un discours des plus chaleureux.

M. Bernard, de Genève, dans l' effusion qui déborde de ses lèvres, déclare que, bien qu' il n' ait pas tout compris, il s' associe à toutes les belles paroles qui viennent d' être prononcées. Il n' est pas clubiste, il compte avec les années; mais, dans des réunions comme celle-ci, il se sent jeune par le cœur. 11 exalte l' alpinn clob, et, comme on le reprend sur sa prononciation anglaise, il déclare boire à la prospérité du schweizer alpinn clob.

On annonce M. le syndic de St-Luc, un petit homme à la figure joviale et rubiconde, qui porte rondement ses 78 ans. « Je tiens à remercier, au nom de la commune de St-Luc, nos confédérés, des secours soubits et prompts qu' ils nous ont donnés, dit le brave Elie Zu Ferrey ( prononcez: Elle y te souffrait ). Je vous offre mes compliments les plus cordials. Vous venez visiter un pauvre village, qui est plaque sur des rocs. Acceptez aussi le vin d' honneur, chers amis, Vous allez trouver notre aimable Griolet; il a trouvé un local, il va nous y recevoir; je l' en remercie au nom du maître d' hôtel. » L' excellent syndic termine son petit discours en souhaitant à ses hôtes toutes sortes de prospérités. Les détonations des mortiers et les fanfares de la musique Valeria accompagnent la foule, qui se met immédiatement en route, à 1 heure et trois quarts, pour l' ascension de la Bella-Tola. Les braves Lucquois leur font la haie.

Si j' ai été long à décrire le repas de la maison de commune, je serai bref pour l' ascension de St-Luc au sommet de la montagne. Le sentier, prenant au haut du village, traverse d' abord des bouquets de sapins et de mélèzes, puis des alpages herbeux, émaillés de fleurs plus chères aux bestiaux qu' aux botanistes. Les courants d' eau sont rares, la soif est ardente. Oh! que le vin d' hon de la commune de St-Luc serait ici le bienvenu. Hélas! nous avons mangé notre foin en herbe. D' ailleurs, pas d' incidents. Mais ces longues files d' ascensionnistes offrent un coup d' œil original et varié; chevaux et mulets, charges de provisions, d' instruments de musique rappelant l' artillerie de montagne, d' effets ou de voyageurs; montagnards au pas long et mesuré, clubistes à l' allure plus légère, invités suant sang et eau, petits drapeaux aux couleurs variées, tout cela réparti en groupes ou marchant à la débandade sur un espace de plusieurs kilomètres. On monte, on monte; une force mystérieuse sollicite tous ces grimpeurs, l' attrait de l' inconnu, la hâte d' arriver. Parfois un infortuné s' écartant du sentier, via dolorosa, va s' asseoir sur une pierre, tire son mouchoir, et médite quelques instants sur les inconvénients des ascensions. Et que serait-ce si le temps n' était pas couvert? Mais les nuages, en compromettant les plaisirs des uns, ménagent la santé de tous.

Cependant la végétation disparaît peu à peu; les pierres brisées la remplacent. De larges flaques de neige apparaissent; l' air se rafraîchit singulièrement. Vers 4 heures trois quarts, nous atteignons la cabane Griolet, une bonne maisonnette en bois, construite pour la commodité des voyageurs. Là, j' entends les premiers arrivés nous annoncer que la partie est manquée, que le mauvais temps vient de se déclarer sur la cime, que le vent n' a pas permis de dresser les tentes, que le repas aura lieu à St-Luc, et qu' il ne reste plus de couvertures. Ces foudroyantes nouvelles glacent le peu d' ardeur qui reste chez une partie de la caravane; plusieurs s' arrêtent; quelques-uns rétrogradent sur-le-champ d' autres persistent. J' étais de ces derniers, et, comme j' avais prévu dès le matin l' impossibilité de passer la nuit au sommet de la montagne, médiocre était mon désappointement; je déplorais seulement le manque de couvertures, car, bien que chaudement vêtu, je commençais à souffrir du froid.

Au bout de quelques minutes, nous avions gagné l' arête de la montagne. Un vent impétueux, glacial, mêlé de neige, soufflait en plein du fond de la grande vallée complètement dérobée par les nuages. A quelques pieds au-dessous de l' arête, du côté du nord, commençait le glacier, dont les pentes rapides plongeaient dans un océan de vapeurs. Je m' acheminais ainsi le long de l' étroite frète, les mains glacées, grelottant et affamé, derrière un invité qui n' avait trouvé rien de mieux que de s' accrocher à la queue d' un mulet complaisant. Enfin, après quelques minutes de cette marche pénible, nous atteignions le lieu de halte préparé pour la collation, une espèce de terrasse légèrement abritée, que M. Griolet avait fait niveler et garnir de tables et de bancs. Sur les rochers avoisinants flottaient quantité de drapeaux. Dans la partie la mieux garantie du vent, on avait allumé un feu, autour duquel étaient assises quelques personnes plus ou moins indisposées. Tous, à peu près, étaient munis de bonnes couvertures. Bientôt se présenta à nous M. Griolet lui-même, allant, venant, inquiet, mais toujours aimable et empressé; il nous serra la main, et témoigna, d' une manière expressive, son regret du contretemps qu' il éprouvait. Les tables étaient garnies de provisions: j' allais m' y installer, lorsqu' on annonça qu' un invité venait de prendre mal; je m' empressai de mettre ma petite fiole de cordial à sa disposition, et je revins me mettre à table. En ce moment, je m' aperçois qu' un bâton de montagne, un vénérable alpenstock qui vient de m' être confié par un ami, n' est plus entre mes mains. Ce bâton, il faut le dire, était poli par l' usage, couvert du haut en bas d' une spirale de noms et de dates marqués au fer chaud, glorieux trophée du grimpeur des Alpes; il était demeuré le fidèle compagnon d' un des élèves et touristes du dernier des voyages en zigzag de notre illustre Tœpffer. Le sentiment de la responsabilité qui pèse sur moi me saisit; je cours comme une âme en peine, examinant tous les bâtons, consultant tous les assistants; je vais, je reviens, et en revenant je trouve le précieux dépôt, qui m' attendait appuyé contre le rocher. Mais, pendant ces allées et ces venues, j' ai laissé mon parapluie je ne sais où. Nouvelle peine et nouvelle recherche. Bientôt enfin, en possession de mes deux appuis, je m' assieds à table, et, abrité sous la couverture de l' une des premières autorités du Valais, je satisfais tranquillement à l' un des besoins les plus impérieux de la nature. Salé, saucisson, vin blanc et eau-de-vie de marc à discrétion. M. Griolet nous distribue une petite médaille qu' il a fait graver pour perpétuer le souvenir de la fête et de la pose de la première pierre du phare; mais, en ce moment, le vent est si impétueux, que, bien qu' on aperçoive la place de celui-ci à quelques portées de fusil, il y aurait témérité à vouloir s' y hasarder. Pendant ce temps, d' autres clubistes arrivent encore; nous nous trouvons ainsi réunis au nombre d' une centaine. Le vent nous fouette, la neige nous aveugle, la terrasse est au bord vertigineux d' une pente de soixante degrés, que parfois elle surplombe; n' importe, on monte sur les tables, et l'on entonne le Rufst du mein Vaterland, et autres refrains nationaux.

Mais on a hâte de redescendre; une âme charitable me prête une couverture; on s' élance, et en quelques minutes on gagne la hutte Griolet. Là, nous trouvons nombreuse compagnie. La maisonnette était encombrée. Sept intrépides Vaudois, disait-on, se disposaient à y passer la nuit. Je m' arrêtai quelques instants à contempler le curieux spectacle qu' offraient guides, mulets et touristes affublés de couvertures. Le temps est gris, la neige abonde autour de nous; nature sauvage, âpre et désolée. Quelques Genevois plus ou moins de sang-froid se groupent et entonnent à tue-tête le ranz-des-vaches de Fribourg, puis quelques couplets du Ce qu' è laino. Les bons Lucquois les entourent et paraissent chercher à comprendre ce patois, qui n' est pas le leur.

Cependant il faut songer sérieusement à la retraite, car il est passé 6 heures, et St-Luc est à trois lieues. A bas les couvertures, et en route! Descente d' abord échevelée; quelques jeunes gens font assaut de hardiesse le long des pentes pierreuses ou neigeuses, au risque de se rompre le cou. Bientôt l'on gagne les hauts pâturages; la course se ralentit; la fatigue se fait sentir; le crépuscule arrive; je chemine tantôt avec les uns, tantôt avec les autres. Nous entrons dans la forêt. Avons-nous pris le bon sentier? Il est si facile de s' égarer! Heureusement, l' écho des détonations des mortiers, qui imite à s' y méprendre le roulement majestueux des grandes coulées de pierres, monte à nos oreilles et nous rassure. Mais voici la pluie, une pluie fine, serrée. Enfin, l'on approche du village; les détonations sont de plus en plus sèches et éclatantes. Au moment où, passablement mouillés, nous découvrons les toits de St-Luc, la musique se fait entendre. C' est la foule rassemblée au sommet du hameau, qui se forme en colonne: les drapeaux ouvrent la marche, puis les musiciens, les invités, et une notable quantité de naturels. Nous faisons ainsi notre entrée triomphale; il fait presque nuit; on forme le cercle sur la petite place; la musique joue un de ses plus jolis airs; M. Griolet s' avance, en grand costume de clubiste, chapeau sombre à bords retroussés, la gourde au côté. Il embrasse avec effusion l' un des chefs. Véritable scène d' opéra, que je renonce à décrire, qui ne dura que deux ou trois minutes, mais que je n' oublierai jamais.

Cependant je dois penser à un gîte pour la nuit; je n' ai pas retenu de chambre. Que faire? je suis peu solliciteur de mon naturel; il serait dur pourtant d' avoir à descendre à Sierre au milieu de la nuit; il y a trois fois plus de monde à loger ici que la localité ne le comporte. L"auberge et l' hôtel regorgent, perdent la tête. Celui-ci demande sa chambre, celui-là est en quête de son sac de voyage, un autre appelle son guide; c' est un brouhaha infernal. Je me glisse en silence à la suite de F. et de A., qui m' ont annoncé avoir, avec deux autres, retenu un logement chez le régent. Nous entrons; je m' annonce prêt à coucher sur le plancher, ne demandant qu' un peu de paille; mais la paille est rare à St-Luc. M. Salamin nous offre libéralement une bouteille de vin d' Anniviers, mais il déclare sa bonne volonté impuissante à me procurer une seule gerbe. Je coucherai donc sur le bois. Bah! ce ne sera pas la première fois. Sûr d' un lieu pour reposer ma tête, je puis songer de sang-froid au souper. Tout s' organise à la salle de commune; un veau tout entier est mis au four. On annonce qu' un va tirer les feux d' artifice, ces feux, dont un orateur disait le matin que bien des yeux les regarderaient; mais l' artificier ne vient pas; toute la population est dans l' attente.

A 9 heures, on prend place au banquet. Des chandelles sont réparties sur les tables; un grand crésu est suspendu au plafond. Soupe à la semoule, pommes de terre, marmotte, tasson ( blaireau ), etc. Le vin d' Anniviers coule à profusion; on a mille peines à obtenir de l' eau; les servants la refusent; il faut presque se fâcher. D' ailleurs, la fatigue a quelque peu amorti le feu des convives. La première faim apaisée, M.de Courten porte un toast à l' organisateur de la fête, à M. Griolet: « Il est de la France, mais il est des nôtres; la France nous le donne, nous voulons le garder. M. Griolet est notre bienfaiteur; il nous avait prépare une belle fête, mais il n' est pas maître des éléments. » M. Rigot, gendre de M. Griolet, après avoir remercié M.le préfet au nom de son beau-père, présente une coupe d' argent ciselé, dont celui-ci fait hommage aux Anniviards. M. Bécherat, d' une voix sonore et musicale, entonne un chant en l' honneur de la Bella-Tola, composé la veille, paroles et musique, par M. Hoiler de Genève. M. Kampfen, curé de Varonne, membre du club, l' alpenstock à la main, prononce dans le plus pur allemand un discours éloquent sur les beautés de la nature alpestre; enfin, une chanson de M. Julien, membre de la section genevoise, sur « nos Alpes helvétiques, » et dont le refrain est répété en chœur, clôt cette gaie soirée, que malheureusement nombre de clubistes, préférant bon lità bonne table, ont désertée, et à laquelle la présence de M. Griolet, les fanfares de la musique et la lueur des feux d' artifices qu' on tirait sur la place, prêtaient une animation particulière. Il était passé minuit lorsqu' on se retira.

L' eau que j' avais prudemment mêlée à mes libations m' avait entretenu dans un état de sang-froid relatif très-satisfaisant: ma vertu devait recevoir sa récompense; une bonne nouvelle m' attendait. L' un des deux compagnons de F. et de A. avait trouvé un gîte plus confortable, et j' allai coucher dans son lit. Nous regagnons la demeure de M. Salamin; je suis bientôt entre deux draps à côté de mon partenaire, prêt à dormir. La chose ne devait pas être si facile pour nos deux camarades. F. s' étend tranquillement et se prélasse avec délices; A., plus gai, s' élance sur la couche; mais soudain tout le fond du lit se détache avec un patatras épouvantable. Nous nous levons en sursaut. A. a disparu; F. se trouve les jambes dressées, prises entre les couvertures et le bois de lit comme dans un étau. Ces longues jambes impuissantes semblent des bras tenduspour demander grâce. Mon camarade et moi nous nous prenons les côtes, et dès que le rire qui nous laboure les entrailles nous le permet, nous nous hâtons d' opérer le sauvetage des deux infortunés. La place une fois déblayée, nous constatons que le fond du lit était forme de trois longues planchettes, reposant simplement sur un escabeau, échafaudage qui devait nécessairement céder au premier choc. Les deux naufragés refont leur lit, sur le plancher, devant la porte, et vers une heure et demie tout est silencieux.

Lundi 30 juillet. Je fus debout avec le soleil. Rappelé par mes affaires, je me décidai à partir tout de suite avec C, et il ne me resterait guère que quelques lignes à ajouter, si je n' avais des détails à donner sur la réception faite à Sion par nos confédérés valaisans à un groupe de clubistes genevois.

Donc, le lundi matin, à 5 heures, je reprenais le chemin du logis. Toutes les cimes étaient couvertes de neige, phénomène rare dans cette saison, et témoignage éloquent du temps qu' il avait dû faire durant la nuit au sommet de la Bella-Tola. Entre Sierre et Sion, tandis que nous allions grand train en cabriolet, C. et moi, sous la conduite du fils du brave syndic de St-Luc, afin d' arriver pour l' heure du chemin de fer, le temps s' éclaircit complètement; le soleil brillait radieux; la montagne pyrami-dait dans l' azur du ciel, et semblait nous dire: Bella-Tola, ah! ah!

A Martigny, je fus pris d' un remords, ou plutôt d' un vif désir de m' ébattre encore quelques heures; je me disais que, par un temps pareil, c' était pitié de rentrer si précipitamment dans la vie bourgeoise. Je m' enquis auprès de mes compagnons de wagon s' il en était qui voulussent aller à Abondance, à Champéry n' importe où; mais nous voici déjà au Bouveret. Le bateau à vapeur m' offre la consolation d' un dîner, et, à 6 heures et demie, j' ai terminé mon odyssée, les jambes un peu raides, mais le cœur plein de souvenirs.

Une partie des nôtres, mieux avisés, avaient déjeuné à St-Luc. Vers 8 heures, ils virent arriver les Vaudois qui avaient persisté à passer la nuit dans la cabane Griolet avec l' espoir d' un beau lever de soleil. Ils racontent leurs tribulations: neige, froid, vue complètement couverte.Vers 9 heures, trois intrépides montent de nouveau à l' assaut. J' ai su depuis que leur courage avait été récompensé.

« Pour nous, écrit un de nos clubistes, nous quittons avec regret cette vallée, qui, pour nous retenir, semble vouloir étaler à nos yeux tous ses charmes. On se serre la main; on s' embrasse avec le brave M. Griolet, dont la nuit n' a point calmé le chagrin. Il distribue aux partants des paquets de cigares de choix à profusion, et son dernier mot, c' est: « Au revoir, dans deux ou trois ans. » Quand nous débouchons dans la grande vallée, le temps est splendide; d' autant plus amers sont les regrets. On arrive à Sierre, à 11 heures et un quart; plusieurs groupes de clubistes et d' amis valaisans se trouvent réunis à l' hôtel du Soleil autour d' une joyeuse table d' hôte. M.A. de Torrente, l' aimable président de la section, M. le commandant de Roten et deux ou trois collègues nous font les honneurs du vin du glacier. A midi et demi, la bande prend place dans les omnibus et les chars à bancs.

Au relais, entre Sierre et Sion, nouvelle politesse de la part de MM. les Valaisans. Enfin, à 3 heures, à la débridée à Sion, ils nous enlèvent. Nous nous trouvons ainsi réunis au Casino, au nombre d' une trentaine. Ces messieurs nous offrent une collation, dont les meilleurs vins font les honneurs, flanqués de quelques bouteilles du cru du Rhin. Puis toasts et speeches d' usage en pareil cas. M. Freundler, tout en regrettant que le but principal de la fête ait été manqué, se réjouit des résultats qu' elle aura produits. Nous avons passé ensemble d' heureux moments, nous avons noué de précieuses relations avec des confédérés. Il remercie nos amis du Valais pour leur excellent accueil. En particulier, en sa qualité de pasteur, il a pu apprécier de nouveau, dans ce peu de jours, les progrès qu' a faits en Valais l' esprit de tolérance religieuse; il porte un toast à la continuation de ces progrès. M. le commandant de Roten le remercie de son toast; il est heureux de voir que ses confédérés aient remarqué et apprécié les progrès de la nouvelle génération. Il croit aussi ces rendez-vous précieux: « Si le ciel, dit-il, n' a pas été serein sur la Bella-Tola, certes nos cœurs l' étaient. Il en est d' ordinaire ainsi sur les sommités des hautes Alpes, qu' il en soit de même dans la plaine! que là des rapports étroits nous rapprochent, et que nos cœurs battent à l' unisson: Assurément, le Club alpin peut y contribuer beaucoup pour sa part. » « M. de Torrente réclame en faveur de la jeune section du Valais l' indulgence et l' amitié de ses sœurs, dont elle veut être le Benjamin. M. le pasteur Bret porte un toast à la section du Valais, ainsi qu' aux hommes de lettres et aux artistes qui ont fait connaître les Alpes et qui les ont aussi fait aimer, aux Calarne, aux Diday, aux Tœpffer, aux Desor, aux Agassiz, aux Tschudi, etc., etc.

A 5 heures, nous nous dirigeons vers la gare, accompagnés de Messieurs les Valaisans; on se serre cordialement la main, et en route! qui pour d' autres courses, qui vers le foyer domestique, qui vers le bureau ou l' atelier. » Deux mots encore en terminant: le premier pour payer un juste tribut de reconnaissance aux honnêtes montagnards de St-Luc. Certes, il y a loin de l' hospitalité pleine de bonhomie et de désintéressement, qu' ont rencontrée dans les moindres chaumières tous ceux ( et ils sont nombreux ) qui ont été dans le cas de loger ailleurs qu' à l' hôtel, à la rapacité proverbiale et trop réelle des moustiques qui s' attachent aux touristes dans les stations très-fréquentées. Puissent les braves Lucquois, dont la fête de la Bella-Tola et le phare de M. Griolet ont mis le village en évidence, conserver leur simplicité et leur honnêteté! Puissent-ils ne jamais oublier que le touriste qui visite leurs belles montagnes est un ami à accueillir et guider et non un voyageur à détrousser!

En second lieu, je désire attirer l' attention de notre section sur les perspectives que nous a ouvertes la tentative de notre hardi collègue. Je crois que le Club alpin suisse pourrait de temps en temps organiser des ascensions, des rassemblements sur des cimes élevées, mais non d' un accès trop difficile ( de 9 à 11 mille pieds, par exemple ). L' entreprise de M. Griolet, il faut bien le reconnaître, était une entreprise colossale. Il eût fallu non seulement, comme on l' a dit, qu' il fût maître des éléments, mais encore qu' il pût gouverner la santé de ses nombreux invités; et, si une chose m' étonne, c' est que nous n' ayons pas eu, à ma connaissance, un seul accident à déplorer. Certes, la sollicitude, la libéralité de notre aimable hôte avaient pourvu à bien des choses; pourtant il n' avait pas pu tout prévoir. Sur une échelle plus restreinte, le Comité central pourrait provoquer de semblables ascensions. Entre clubistes, tous habitués aux grandes courses, munis chacun des vivres et de l' attirail nécessaires, les difficultés et les frais seraient bien diminués. Quelle plus belle salle de séances, que ces belvédères des hautes Alpes! quel lieu plus propice pour échanger de ces paroles qu' on ne prononcerait pas ailleurs, pour admirer Dieu dans ses œuvres, pour se jurer de s' aimer, de s' entrai, sans distinction de classe sociale, de canton, de langue ou de confession! UN POUR TOUS, TOUS POUR J. Jullien, membre de la section Genevoise

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