La Montagne du Diable ou le monde perdu
Avec 1 illustration ( 114Par René Naville
II existe, au sud de l' Etat de Bolivar ( Venezuela ), dans une zone comprise entre le Caroni à gauche et la frontière de la Guyane britannique et du Brésil, un vaste territoire, sorte de plateau émergeant de la jungle et où règne un climat relativement tempéré. Ce plateau, pourvu d' un sol fertile, est parcouru par de nombreux cours d' eau qui, la plupart, vont rejoindre le Caroni. Des sierras pareilles à de gigantesques plateformes s' élevant jusqu' à 3000 m ., se dressent çà et là au milieu de vastes savanes plantées du légendaire « mo-nche ». C' est cette région que l'on appelle la Grande Savane, pays de rêve qui a tenté plus d' un explorateur à la recherche de miraculeux trésors. C' est là que les anciens « conquistadores » plaçaient le fameux lac de Paraima, sur les rives duquel s' élevait, dit-on, la ville mythique de Manoa, cité fabuleuse pavée d' or, et où des prêtres hiératiques, chaque matin, prétend la légende, s' enduisaient le corps d' une poudre faite de ce métal précieux.
C' est cette région qui hanta l' esprit de Sir Walter Baleigh quand, dans une expédition fameuse, il lança ses barques sur l' Orénoque, dans l' idée de gagner les zones les plus reculées de la Guyane, où il pensait découvrir la « cité impériale ». Sir Bobert Schombruck, qui le premier découvrit ces régions, y laisse supposer l' existence d' un lac intérieur, et Sir Edward von Thurm, qui entreprit l' ascension du Mont Boraima en 1884, dans la chaîne du Para-caima, raconte qu' il entrevit, au moment où le soleil dispersait les nuages recouvrant les montagnes voisines, une ville couronnée de tours.
Nombreux sont ceux qui, par la suite, essayèrent de pénétrer ces régions: chercheurs de trésors, savants, géologues, économistes.
Des missions franciscaines sont installées dans diverses parties de ce pays, que peuplent encore aujourd'hui les Indiens Arekuras.
La Grande Savane est limitée à l' est par un système de « seranias » dont le point culminant, le Mont Boraima, atteint 2800 m. Plus au sud, du côté du Brésil, s' étend la Sierra Paracaima. Une série de massifs se trouve sur la bordure occidentale de la Grande Savane. Ce sont l' Akopân, le Chimantâ et FAuyan-Tepuy, qui atteint 2400 m.
Il y a quelques années, ce massif mystérieux ne. figurait sur aucune carte géographique; les Indiens le considèrent comme tabou. On l' appelle aussi la Montagne du Diable, ou le monde perdu du Venezuela.
Certains ont émis l' hypothèse que le célèbre aviateur Paul Bedfern, qui conçut le projet d' entreprendre un vol d' U. S.A. au Brésil et se perdit corps et biens en cours de route, a fort bien pu se heurter contre ce massif inconnu jusqu' alors. En 1927, le capitaine F. Cardona et Juan Mundo tentèrent pour la première fois de gravir l' Auyan, mais ne réussirent pas àmener à chef leur projet. Ce n' est qu' en 1937 que Cardona, accompagné de Gustavo Heny, réussit enfin dans son entreprise. Peu après l' Américain James Angel parvint à atterrir sur le sommet de la montagne où son avion s' enterra de telle façon qu' il fallut l' abandonner.
Quelques mois plus tard, Mr. W. Phelps organisa dans cette région une expédition scientifique en coopération avec le Musée américain d' histoire naturelle. Un compte rendu de cette exploration fut publié dans la Geographical Review de juillet 1938.
Un ingénieur américain, L.R. Dennison, qui avait entendu parler par Angel d' extraordinaires gisements d' or reposant dans les rios de l' Auyan, a fait une narration de son ascension dans un livre intitulé « La Montagne du Diable ». Pour parvenir au pied de ce massif, on part généralement de Paraguana, en longeant le Caroni. On s' engage ensuite dans le Rio Carao pour arriver bientôt, à travers l' épaisseur de la jungle fleurie d' orchidées noires et blanches, au lieu dit « La chute d' Angel » qui est une cascade retombant sans interruption, comme une mince corde blanche, d' une hauteur de près de 1500 m. L ascension se poursuit les jours suivants, souvent dans des tempêtes de pluie et à la lueur des éclairs et dans le grondement du tonnerre. L' arrivée est impressionnante et elle a été fort bien décrite par Dennison.
« L' atmosphère, raconte-t-il, était claire, et nous pouvions voir la Grande Savane, avec ses plaines verdoyantes se déployant le long d' une pittoresque vallée. Un jardinier n' aurait pas tracé une vallée plus agreste. Au loin nous apercevions une autre chaîne de montagnes surgissant majestueusement du sol verdoyant; la monotonie de ses flancs abrupts et blancs était rompue par d' innombrables chutes d' eau, qui s' écroulaient des hauts sommets comme de blancs rubans pour former le réseau de multiples méandres. Le sommet de l' Auyan présente lui-même un aspect désolé et sinistre; on dirait les ruines antiques de quelque cité d' Incas. Partout, ce ne sont que d' énormes blocs érodés par les pluies et qui ressemblent à des débris de castels écroulés. Aucun symptôme de vie ni de végétation, sauf quelques buissons aux branches blanchies croissant parmi des flaques d' eau accumulées par de récentes averses. » Tel apparaît l' Auyan, la Montagne du Diable, haute plateforme de roches abruptes dominant le désert des savanes et de la jungle; monde perdu où de nombreux explorateurs se sont dépensés en vains efforts pour chercher les gisements d' or fabuleux décrits par Angel et ont tenté sans résultat de retrouver les traces de l' avion de Redfern dont les débris épars jonchent peut-être quelque recoin inexploré de ces solitudes pétrifiées.
Plusieurs de ces hauts plateaux qui s' élèvent dans la Grande Savane n' ont jamais encore été explorés.
Erratum: Dans l' article Mont Kenya ( nov., p. 427 ) une regrettable faute d' impression attribue 5719 m. au Batian, sommet principal; il faut lire 5197 m.