L'arête des Châteaux
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L'arête des Châteaux

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Avec 3 illustrations ( 137—139Par L. Saudran

Dans le chapitre consacré au massif de la Gummfluh, le Guide des Alpes vaudoises, publié en 1946 par le CAS, dit que la plus belle course de la région serait la traversée de Château Chamois, de la Rognause au Col du Basset, suivie de celle du Petit Château, puis de continuer au sud et terminer cette randonnée par l' Arête des Salaires. J' ai décrit ici même la première étape, soit la course de Château Chamois 1; depuis longtemps le désir me tenait de réaliser la seconde partie de ce beau programme en faisant la traversée du Petit Château pour rallier ensuite les Salaires en suivant la crête. Mes amis Henchoz et Favre le savaient et ont voulu me procurer ce plaisir.

Tandis que la silhouette faîtière de Château Chamois dessine une ligne mollement arrondie, piquée de quelques pins rabougris, celle du Petit Château, décharnée et sévère, dresse contre le ciel une crête déchiquetée, défendue par de magnifiques gendarmes qui ne dépareraient nullement l' arête du Rothorn, sauf qu' au lieu de beau granit rugueux ils sont taillés dans le même calcaire blanc, dur et lisse qui forme les Salaires et les Gastlosen.

Dimanche 30 juillet. Louis vient me cueillir aux Mosses avant 6 h., et, dans la fraîcheur du matin, nous roulons à toute allure sur les routes désertes. Déjeuner rapide à d' Oex, puis la voiture emmène la caravane, qui s' est augmentée de Betty et Ernest Favre, jusqu' au fond du vallon de Gérignoz, dominé par les âpres parois de la Gummfluh et du Biollet. A 9 h. 15 nous sommes au point d' attaque, c'est-à-dire la cheminée d' entrée dans la face W, qui sert à la fois pour Château Chamois et le Petit Château. Au Col du Basset, laissant le premier à notre gauche, nous nous tournons vers le sud. Cinquante mètres de mousses et de gazons raides, entrecoupés de plaques, puis des rochers faciles, nous amènent au pied du premier gendarme. C' est un obélisque massif, inabordable de front, qui forme une tour d' angle en saillie, vrai oriel, légèrement en dehors de la crête. On pourrait le laisser de côté et monter par une fissure de trois mètres dans l' étroite brèche qui les sépare; mais Betty est en tête de cordée, et fidèle à son principe de ne négliger aucune dentelure de l' arête, elle décide d' en faire la conquête et disparaît à droite derrière l' angle, suivie de Louis. Tapis dans une encoignure, Ernest et moi attendons. Nous entendons discuter, nous voyons des mains qui se promènent sur le toit de la tour; que se passe-t-il là derrière? Enfin la frimousse auréolée de Betty réapparaît à la fenêtre du créneau, droit au-dessus de nos têtes. A mon tour. Passant de la face Est sur le flanc NW, je trouve une dalle lisse inclinée à 65 degrés, coupée horizontalement d' une fissure bordée d' un feuillet tranchant sur lequel il faut se rétablir. Il y a encore deux mètres à surmonter; la main gauche peut saisir le gendarme à l' épaule, mais la droite cherche en vain quelque chose à quoi s' agripper. Toutefois, grâce à l' invitation pressante et convaincante de la corde tendue, je parviens à me rétablir. La descente dans la brèche est rendue possible par deux petites niches dans la 1 Les Alpes, novembre 1946. Die Alpen - 1951 - Les Alpes26 paroi sud. La tour surplombant de trois côtés, la situation est saisissante. Les regards glissent sur ces pentes inexorables et plongent presque dans les derniers recoins des vallons d' Entre Sex et de la Plane. Un chamois y descend à grands bonds joyeux et légers.

Une échine tailladée conduit au second gendarme contre lequel va buter une lame ébréchée. Il se présente sous l' aspect d' un mur lisse zébré à droite de quelques rainures dérisoires, orné à mi-hauteur d' un piton rouillé et coiffé à gauche d' une saillie rappelant l' aile d' un bicorne. L' itinéraire « officiel » prévoit ici un lancer de corde; mais Betty dédaigne ces procédés indignes d' un grimpeur et tente d' aborder l' obstacle de front. Seulement, sa petite stature ne lui permet pas de saisir quoi que ce soit. Alors Louis s' accroupit à califourchon sur le parapet; Betty monte sur ses épaules, maintenant l' équilibre par simple adhérence des mains contre le rocher; puis Louis se redresse et se met lentement debout, la pyramide vacillante s' élève peu à peu, tandis que nous retenons notre souffle. Enfin une bonne prise à droite a suffi à Betty pour s' enlever... et nous respirons, ou plutôt je respire, car mes camarades en ont vu d' autres récemment sur les parois du Badile.

Le troisième gendarme s' annonce bonasse et bienveillant, réservant ses sévérités pour la descente. Le quatrième est d' une hauteur inusitée. Betty raille ma suggestion de le tourner par son flanc Est — ce qui paraît possible — et l' attaque carrément par le fil de l' arête. En effet, les prises sont ici nombreuses et excellentes, et ce campanile d' aspect rébarbatif se laisse gravir facilement. Quelques pas sur la crête, et voici l' ultime défense du Petit Château: l' arête est coupée net par une profonde entaille aux lèvres surplombantes, large d' un bon mètre à la hauteur du faîte. Ici encore on pourrait tourner l' obstacle en descendant dans le flanc Ouest; mais mes camarades font fi de ces fuites mesquines; ils connaissent leur montagne et savent qu' on peut franchir la coupure, non pas d' un bond — le faîte est trop étroit — mais d' un pas posément effectué. C' est d' ailleurs plus impressionnant que difficile. Le pied gauche posé sur une saillie en contrebas, il faut s' écarteler, sans perdre l' équilibre, pour permettre au pied droit d' aller prendre appui de l' autre côté; puis la main droite, à son tour, doit aller chercher une petite prise pour aider au transfert du poids du corps. Ceci fait, le sommet est tout proche; quelques pas le long de la crête nous y amènent à 12 h. 15.

Le sommet du Petit Château n' est que le premier point de notre programme de ce jour. Il s' agit maintenant de descendre d' une quarantaine de mètres sur l' étroite selle qui le relie au puissant contrefort nord de l' Arête des Salaires. Il faut d' abord se glisser le long du flanc d' un mince mur délabré jusqu' à un arole desséché qui recourbe les deux bras de son squelette bifide au-dessus d' une cheminée oblique. C' est très raide et la roche, jusqu' ici franche et saine, est friable et délitée au possible. Avec un filin de 60 mètres, on pourrait accrocher le rappel à la fourche de cet arbre; le nôtre n' a que 40 mètres, nous devons donc nous laisser couler dans la cheminée qui débouche sur un beau surplomb. Un bloc, où des mains prévoyantes ont taillé une mignonne gorgerette, est là à point pour fixer le rappel. Sous la menace constante de la mitraille, nous nous laissons glisser tour à tour sur la selle vertigineuse et croulante où il y a à peine place pour nous quatre.

En face, le contrefort de la Douve s' élève en une vaste paroi arrondie, faite de dalles bleuâtres, striées de bandes de gazon verdoyant. Bien que Louis ait affirmé à plusieurs reprises qu' ici toutes difficultés sont terminées et que le reste n' est qu' une promenade, l' aspect de cette muraille n' est rien moins qu' engageant. Les quinze premiers mètres en effet, très redressés, sur des plaques de mousse humide et des bancs de roche visqueuse, sont délicats. Peu à peu cependant la pente s' atténue; le tapis de mousse et d' herbe devient plus épais; les sabots des chamois, dont c' est le terrain de prédilection, y ont creusé de véritables marches d' escalier. Tantôt par la crête, tantôt coupant à travers de raides couloirs, Betty mène un train cruel à mes poumons. En 40 minutes, avec quelques haltes pour reprendre haleine et admirer encore la ligne crénelée des Châteaux et leurs abruptes murailles, nous atteignons l' arête principale entre la Pointe de la Douve et celle des Salaires, juste à l' endroit où un gendarme aigu semble monter la garde. D' ici, nous pourrions traverser les Salaires pour regagner la voiture par la Potse dy Gaules. Mais il est 4 h.; ce sera plus court de passer par le sommet de la Douve et le Plan du même nom, d' où je dégringolerai vers l' Etivaz tandis que mes compagnons rentrent à d' Oex.

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