Le montagnard solitaire
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Le montagnard solitaire

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Par Claude Ruchet

II s' était arrêté sur une corniche qui dominait la vallée. Il avait posé son sac et son piolet, allumé sa pipe, et là, dans ce silence, dans ce silence lumineux parce que le soleil était haut dans le ciel, haut lui-même sur cette pierre qui semble déjà ne plus être de ce monde, il regardait tout ce qui s' offrait à sa vue, tout ce vide qu' il avait sous les pieds, cette vallée, ce fleuve comme un léger fil de soie bleue, ces petits points rouges et blancs qui devaient être les toits et les façades des maisons; il regardait, mais il lui était impossible de regarder un seul point, car son œil était saisi par l' immensité du vide, et son esprit ne pouvait se fixer sur une chose déterminée, de sorte qu' il regardait et qu' il pensait à beaucoup de choses sans y penser, pensant à tout et à rien, tant ce spectacle était grandiose, tant aussi ce silence éloignait davantage le monde qui s' éployait autour de lui, abaissant la vallée, élevant la montagne, tant encore il se sentait heureux, heureux d' être heureux, heureux de vivre dans cet exil montagnard. Il avait dit:

— C' est bien beau par ici.

Il était resté longtemps encore sur cette tour de pierre; il était demeuré seul. Lentement le soir était venu; l' immensité bleue s' était muée en immensité grise, noire; puis des couleurs fantasques, rouge, orange, violet, lilas et ce vert-rouge enfin avaient annoncé le coucher du soleil. Maintenant le soir glissait lentement dans le ciel; un petit vent s' était mis à souffler et des lumières s' étaient allumées, là-haut. Il se rendit compte qu' il était tard; là-haut, on ne pense pas aux heures qui passent; là-haut, on pense au moment qui est là! Alors une sorte de torpeur l' envahit soudain: il se sentait seul, seul plus que jamais, seul avec la solitude. Il regarda fixement devant lui, parce que maintenant il pouvait regarder devant lui, l' obscurité ayant caché le spectacle du jour, ayant aussi comblé le vide de son air noir; mais le vide, il le sentait, là, à ces souffles frais qui lui venaient d' en bas, à ces lumières qui miroitaient dans la vallée. Mais dans cette uniformité noire, la vallée lui paraissait comme le prolongement du ciel, de sorte qu' il ne savait plus si ces feux étaient des lampes ou des étoiles, lampes et étoiles ne formant qu' un point lumineux dans la nuit.

Seul.

Et il eut pris aisément les petites lampes pour les étoiles du ciel si, soudain, regardant en bas, il n' avait remarqué, à côté de ces lumières d' en bas, une petite chaîne lumineuse qui se déplaçait lentement et dont il entendit s' élever, peu après, un bruit sourd.

Seul.

Il s' était levé, éprouvant comme une vague peur devant cette solitude. Il s' était aidé avec les paumes de ses deux mains, appuyant celles-ci sur la pierre qui lui servait de siège: il sentit alors que la pierre était encore tiède, et la seule sensation de cette chaleur ôta de lui toute crainte. Parce qu' il repensa au soleil, c'est-à-dire au jour, et le jour, même seul, on n' est jamais tout seul. Il alluma son falot, qu' il décrocha du sac...

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