Le Silence
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Le Silence

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Par Louis Gianoli.

« Les alpinistes sont la volonté protestant contre l' obstacle aveugle, et ils plantent sur l' inaccessible le drapeau de l' intelligence humaine.»Th. Gautier.

Nombreux encore sont ceux qui vous demandent: « Pourquoi allez-vous sur ces hauteurs où règne la solitude et le silence? » Nous allons plus haut, dans le silence, fuir pour un temps cette vie infernale, agitée, qui « klaksonne », où la jouissance a pris plus de place que le devoir; nous allons chercher plus de liberté, plus d' énergie, plus de santé, et de nouvelles lumières.

Jamais la vie n' a été plus difficile qu' aujourd dans la plaine. Nous ne trouvons jamais le temps de penser. C' est une course à l' abîme qui fatalement aura pour conséquence un désordre moral.

La vie des montagnards est rude, mais combien plus heureuse, parce qu' ils n' ont pas à lutter comme nous pour leur existence mondaine. Avec leurs métiers à tisser, ils confectionnent encore leurs frustes vêtements; vie primitive malheureusement menacée par l' exemple des citadins.

Ce que nous allons chercher là-haut, c' est un peu de silence; ce silence, dont nous avons tant besoin, règne dans ces régions surnaturelles. A vrai dire, il règne aussi en plaine, mais moins pur. Vous avez tous assisté à un spectacle, à un concert; avez-vous remarqué combien est impressionnant le silence qui précède l' ouverture, dès que le chef d' orchestre a frappé sur son pupitre?

Combien d' athées en pénétrant dans une cathédrale, baissent la voix; ils sont malgré eux troublés par le silence.

En mémoire de nos disparus, c' est encore la minute de silence qui impressionne le plus, plus éloquente que tous les discours et que tous les roulements de tambours.

Il y a bien des années, j' accompagnais une classe d' école secondaire en excursion à Zermatt. Le ciel était menaçant en montant à Riffelalp. Le jour déclinait. Je proposai à quelques enfants de venir avec moi sur le chemin qui conduit au-dessus du Glacier du Gorner. Quand nous fûmes arrivés dans ce site sauvage, je leur demandai un instant de silence, puis je les questionnai sur l' impression ressentie. Il est vrai que l' endroit, le ciel, tout était tragique. Je m' adressai au plus turbulent de tous. Il me répondit, mais le timbre de sa voix n' était plus le timbre ordinaire: « Je ne sais, il me semble que je deviens meilleur; je voudrais avoir près de moi tous ceux que j' aime. Je voudrais pardonner... » Ce mot de « pardon » prononcé par cet enfant dans ce moment sombre et silencieux fut pour tous une telle leçon de bonté que le retour s' effectua dans le plus profond silence.

En parcourant nos Alpes, vous éprouverez ces émotions si diverses et si profondes, et vous comprendrez pourquoi nous trouvons dans le culte de la haute nature tant de bonheur et tant de jouissances.

Rien qu' à la pensée d' échapper à notre vie matérielle, on est ému; on songe aux beautés majestueuses qui veillent et nous attendent là-haut.

A chaque saison, la montagne est belle:

Au printemps, toute la nature s' éveille, se pare de fleurs, et le murmure des cascades, comme un hymne, monte vers le ciel.

L' été est attendu avec impatience par les montagnards. Les troupeaux animent de leurs sonnailles l' alpe fleurie et enchantée. Les longs jours permettent aux touristes de s' attarder, de fixer par un souvenir durable les beautés entrevues.

En automne, la nature, violente et mélancolique à la fois, agonise lentement.

Puis, tout se tait, tout s' éteint, voici l' hiver, la saison qui offre le plus de splendeurs.

Quand tout est enseveli sous un tapis de neige, il est enivrant de se glisser, de s' envoler presque, dans de folles randonnées.

J' ai choisi cette saison pour chercher dans l' altitude l' impression du silence.

Je viens de quitter la plaine qui, enveloppée de brouillards, traînait sa sinistre clarté.

A 1700 mètres, première impression, premier silence. Mer de brouillard, air vif, variété infinie de teintes bleues.

J' arrive au village, costumes pittoresques; le jour décline et le soleil, invisible, colore intensément les Alpes qui couronnent notre patrie. Les montagnards, après avoir gouverné le bétail, regagnent leur confortable chalet; je les vois de l' autre côté de la vallée, avec leur petite lanterne pareille à un ver luisant qui chemine avec eux.

Bientôt tout s' éteint.

Tout devient silencieux, et sous le ciel étoile je monte dans la nuit d' opale chercher un silence plus profond encore.

L' astre que l'on peut fixer a franchi l' arête. Quelque cent mètres plus bas, le village sommeille. Il ressemble, avec ses toits couverts de neige, à un troupeau de moutons géants et immobiles. Plus bas, dans la vallée, le torrent gelé a cessé son murmure.

Elle s' étend à perte de vue, cette vallée, jusqu' au barrage des neiges éternelles. Plus bas, tout en bas, dans la nuit plus sombre, beaucoup s' étour dans le plaisir.

Ici, la nature silencieuse, discrètement illuminée par les astres qui sont comme suspendus dans le ciel et par milliers scintillent sur la neige. Il y a tant de sérénité dans cette beauté que toute la montagne semble rêver...

J' écoute. Aucun son. Rien qu' un profond silence, et ce silence est tel qu' un sanglot en a troublé le mystère. L' instant est solennel. Je pense aux malheureux qui peinent, qui souffrent, qui pleurent. Et aussi à ceux qui s' amusent et cherchent le bruit parce qu' ils ont peur du silence.

Et je me retrouve en communion intime avec ceux qui ont compris que le silence qui règne là-haut est la présence d' une protestation divine.

Tous vous l' avez éprouvé.

Que ce silence soit pour vous un baume consolateur dans les heures claires comme dans les heures sombres qui vous retiennent à vos devoirs!

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