Les fermes du haut Jura au pays de Neuchâtel
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Les fermes du haut Jura au pays de Neuchâtel

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Par Maurice Favre

Avec 2 illustrations ( 134, 135 ) Leur origine est provençale a décidé Le Corbusier, célèbre architecte international; elles sont venues avec les Albigeois chassés de leur pays par les persécutions religieuses. Après tant d' autres, cette bonne blague s' en va rejoindre celles de Robert-des-Oiseaux, de Placide-le-Graveur et d' autres fameux farceurs des ateliers d' horlogerie d' autrefois. En réalité leur origine est la même que celle des hommes venus du Nord et du Sud, pour les construire.

Malheureusement, les vieilles fermes disparaissent rapidement, détruites par le feu, par les compagnies d' assurances qui n' assurent plus les maisons couvertes de bois, et surtout par la façon moderne d' exploiter un domaine. Toutes ces raisons ont oblige le paysan à modifier entièrement sa demeure.

Le Jura a toujours été une frontière. Frontière défendue par d' épaisses forêts ( celles qui lui ont donne son nom, Jura = Joux ), par des gorges profondes, d' accès difficile, et des chaînes de montagnes peu commodes à traverser, l' hiver surtout. Terre de refuge et de liberté. Ceux qui sont venus l' habiter furent avant tout attirés par les franchises et facilités accordées aux habitants des Noires-joux. Ces premières demeures ont toutes disparu; actuellement les plus vieilles datent du début du XVIIe siècle, et il n' en reste plus guère qu' une douzaine. On trouve ici et là un fragment de la fin du XVIe, mais il est en général d' un intérêt très médiocre. Il est donc impossible avec des données aussi vagues d' échafauder une théorie sur l' architecture des premières fermes construites sur le Jura au début du XIVe siècle et même avant cette époque. On a cherché cependant à tirer quelques règles, quelques formes, baptisées pour les besoins de la cause: fermes celto-romanes, bourgondes, francs-comtoises, seelandaises, bernoises; maisons à toits, à fosses à parois, etc etc. La vérité est que dans les vieilles maisons du Jura neuchâtelois en particulier, on retrouve des éléments donnant raison à toutes les théories et classifications.

En général la ferme est divisée en trois parties: du côté « vent » est l' écurie, du côté « bise » le logement et au centre une « remise » utilisée en fourragère, mais qui est surtout l' endroit où le paysan serre le petit matériel: les coffres à grain, à farine, le son, les tourteaux, les harnais, sonnailles et autres menus objets. C' est là qu' il harnache son cheval les jours de mauvais temps et c' est là qu' au retour de la foire il dépose ses achats. C' est le vestibule, celui que chez nous nous appelons le « devant' huis ».

Dans les toutes vieilles fermes l' écurie et le logement s' ouvraient dans ce vestibule, faisant la transition entre le chaud de l' étable et du logement et le froid de la montagne. Il reste par exemple à Lamboing ( plateau de Diesse ) une ferme où coule dans ce local une fontaine authentique, évitant au bétail et aux gens les rigueurs de l' hiver.

Dans le Jura neuchâtelois, il existe deux types bien définis de fermes: celles avec le toit perpendiculaire à la façade et l' autre avec le faîte parallèle à la façade qu' on désigne sous le nom de « mal-tournées ». Nous croyons que ces dernières sont les plus vieilles, parce qu' on les retrouve dans tous les pays latins.

Du premier type il faut distinguer les façades en pierres de celles en bois. Cette partie boisée est la « ramée ». Les uns prétendent que dans les fermes à grandes ramées, les granges sont mieux aérées, d' autres sont d' avis que le bois était utilisé à l' époque parce qu' il était moins cher à travailler que la pierre.Dans la vallée de la Brévine et celle de Morteau, presque toutes les fermes possèdent d' importantes « ramées », tandis que sur le plateau franc-comtois, dans les Franches-Montagnes et le Jura neuchâtelois les ramées sont de peu d' importante et les façades en pierres très nombreuses.

Il faut encore souligner la différence très nette des fermes du plateau franc-montagnard de celles du Jura neuchâtelois: les premières sont carrées, avec un toit à quatre pans, les autres ont un toit à deux pans. La frontière entre ces régions est très marquée par ces habitations et, pourtant géographiquement elle est invisible. Il n' est pas logique d' y voir une frontière religieuse, car les relations commerciales entre ces deux contrées ont existé de tout temps très suivies et importantes.

Quant à la disposition intérieure de l' immeuble, elle ne varie pas ou peu si ce n' est que l' écurie est quelquefois placée côté « bise » et d' autres fois côté « vent ». Un vieux charpentier de La d' Abel prétendait qu' au « vieux temps » on ne crépissait jamais les murs de l' écurie afin que l' air puisse pénétrer et sécher le bois humide de condensation. Il citait des exemples probants et pertinents, car aujourd'hui encore le charpentier est le maître d' oeuvres dans nos campagnes, et commande aux autres corps de métier.

On a beaucoup parlé des cheminées en forme de hottes renversées sur le toit de l' im, elles aussi disparaissent rapidement devant l' électricité; elles occupent toujours une majeure partie de la cuisine, quelquefois même, comme à La Rasse sur le Doubs, elle repose directement sur les quatre murs du local. Les « ancien » attachaient une grande importance aux aliments « fumés », non pas pour satisfaire une gastronomie inexistante, mais plutôt par raison d' économie et de conservation. Un des derniers habitants d' une ferme sans cheminée ( il en reste quelques-unes ) prétendait que la fumée s' échappant de la cuisine dans la grange « fumait » le foin à l' instar des jambons et saucisses et le rendait ainsi profitable au bétail qui en mangeait moins !!!

La maison du vieux temps était toujours couverte de « bardeaux » qui sont des « tavillons » dix fois plus grands et plus épais. Les « bardeaux » sont taillés dans un bois de sapin soigneusement choisi avec des veines régulières et droites, retenant la neige et conduisant l' eau de pluie à la citerne.

Mais ce qui est le plus remarquable dans ces fermes jurassiennes et plus spécialement dans celles de l' ancien comté de Valangin, ce sont les façades. Elles sont toutes armoriées. Les portes d' abord mais les fenêtres aussi, sont ornementées avec goût. Les portes construites généralement en « anses de panier » portent, sur la clé de voûte, les initiales du propriétaire avec les attributs de la profession: une faulx et un râteau pour l' agriculteur, des pinces et un marteau si c' est un forgeron, un rabot s' il est charpentier, tout est disposé dans un écusson; la date de construction est généralement taillée de chaque côté de cette décoration. Cette manière de faire a duré de 1600 jusqu' à la fin du XVIIIe siècle. Il est rare que les motifs décorant les façades soient les mêmes, ils diffèrent presque toujours. Comme sur les chalets des Alpes, les inscriptions sont toutes d' inspiration religieuse: « Que la bénédiction de Dieu demeure sur cette maison et tous ceux qui l' habitent », « Oh!, que bienheureux est l' homme qui s' assure en l' Eternel » ou plus simplement « Que la paix soit sur cette maison! ».Les fautes d' orthographe mises à part, ces inscriptions sont fort belles. Tout ce travail de tailleur de pierre est anonyme; il est si divers qu' on peut supposer qu' une quantité d' ouvriers y ont « mis » la main, ceux probablement venus des couvents et abbayes bourguignonnes et passant par le Jura pour se rendre dans les cantons suisses et plus loin en Alsace, voire dans les Flandres. Ils apportaient du même coup leurs gabarits et leurs croquis et les ajustaient tant bien que mal sur les façades des fermes dans lesquelles ils logeaient et travaillaient. Le pittoresque y gagnait ce que la symétrie y perdait; tout le monde reconnaîtra cependant que les vieilles fermes du Jura ont un caractère, une beauté, que malgré les efforts très louables des architectes modernes on n' a plus jamais retrouvés.

C' est que les Montagnards aimaient leurs maison; le soin qu' ils mettaient à les édifier et les orner le prouve. Ils étaient certainement moins riches que de nos jours et pourtant ils sacrifiaient des sommes importantes à l' embellissement de leur « otau ». Maintenant ce sont quelquefois les géraniums et les fuchsias qui décorent les façades de nos fermes. C' est plus facile que de tailler le roc, et mieux vaut cela que rien du tout.

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