Les pénitentes de neige sur le Pic de Ténérife
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Les pénitentes de neige sur le Pic de Ténérife

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Par le Dr H. Faes,

ancien Président central du C.A.S.

Beaucoup de voyageurs connaissent le Pic de Ténérife ou Pic Teyde, dans les Iles Canaries, volcan éteint qui culmine à quelque 3760 m. et attire l' attention de très loin déjà par sa fière silhouette s' élevant brusquement au milieu de l' océan.

Les circonstances m' ayant permis de me rendre aux Canaries à la fin du mois de mai dernier, j' en ai profité pour faire l' ascension de ce pic, toujours intéressante pour un montagnard.

Partant de la ville de Ténérife ou d' Orotava, de fort belles routes permettent de monter en automobile jusqu' à 2200 m. et de gagner ainsi les Canadas, immense cirque volcanique de 20 kilomètres de diamètre, témoin des gigantesques éruptions préhistoriques du Pic de Ténérife. Le cône dont on fait aujourd'hui l' ascension s' élève au milieu des Canadas. Guide et mulets vous convoient ensuite, voyageurs, couvertures, provisions et boissons, qu' à la cabane du Pic, à 3200 m. d' altitude. Ce refuge, solidement construit, comprend une salle à manger, deux dortoirs et des écuries pour les mulets. Dans les dortoirs, pouvant recevoir une vingtaine de personnes, des sommiers métalliques sont disposés sur deux étages comme les couchettes dans un bateau. Défense absolue de faire un mauvais rêve à l' étage supérieur, aucun rebord quelconque ne protégeant les somnambules d' une chute de quelques mètres sur le sol!

De la cabane, on gagne à pied le sommet, en quelque deux heures d' ascen facile.

Tandis que Suisses et Suissesses avaient chaussé leurs gros souliers de montagne, le guide des Canaries s' était muni de sandales de corde qui paraissent très adaptées au cheminement sur les laves.

Une des particularités du Pic de Ténérife est constituée par la ceinture de nuages qui s' installe au-dessous des Canadas et peut se rencontrer entre 700 et 1600 m. d' altitude, dès le milieu de la matinée. L' ascensionniste traverse cette zone de nuages à la montée et à la descente: au-dessus de la ceinture de brume, le Pic s' élève majestueux dans une lumière éclatante, sous un ciel d' un bleu tropical.

Dans les parties élevées du Pic, la végétation est fort réduite, la pluie étant des plus rares et les eaux de surface totalement absentes sur ce terrain volcanique. Les quelques plantes qui s' y maintiennent ne bénéficient que de l' humidité nocturne due à la condensation atmosphérique du moment. Dans les Iles Canaries on profite par places de ce phénomène pour cultiver, dans la cendre volcanique, certains végétaux, les pommes de terre primeurs par exemple, sans aucun arrosage. De nuit, la condensation atmosphérique humecte la cendre dès la surface et la pénètre assez profondément; de jour, la couche superficielle de la cendre se dessèche sous l' action des rayons solaires et joue alors le rôle de substance isolante empêchant l' évaporation dans les couches plus profondes.

Un très joli cytise, le Rétama bianca, à fleurs blanches et roses odorantes, fleurit sur les pentes du Teyde au mois de mai et pousse en même temps de petites feuilles qui tombent en juillet. L' arbuste qui peut mesurer jusqu' à trois mètres et demi de hauteur reste ensuite dépourvu de feuilles de juillet au mois de mai suivant.

Lors de notre ascension, cet arbuste, caractéristique du Pic, commençait à fleurir dans les parties basses, mais ne bourgeonnait pas encore sur les pentes supérieures du volcan. Tout près de la cabane, à quelque 3220 m. d' altitude, nous avons cueilli une autre fleur particulière à ce volcan, la violette du Teyde ( Viola teydensis ), d' un joli bleu pâle et dotée d' un feuillage blanchâtre, laineux, rappelant celui de l' edelweiss.

Fort intéressante est la multiplicité des figures qui peuvent s' observer dans les coulées de lave sur les flancs du Pic Teyde. En se solidifiant, la masse ignée a pris les formes les plus variées de dentelles, de découpures et dessine même parfois de façon extrêmement exacte les têtes de divers animaux.

Mais le phénomène qui nous a le plus frappé au cours de l' ascension du Pic de Ténérife fut la découverte vers 3500 m. d' altitude, d' un splendide champ de pénitentes de neige ( nieve de los pénitentes ou nieve penitente, fig. 1 ). Ces productions si particulières qui atteignent en général 1,50 à 2 m. de hauteur, très rarement 4 et 5 m ., furent tout d' abord signalées dans les Cordillères de l' Amérique du Sud ( République de l' Equateur, Chili, République Argentine ), puis retrouvées dans l' Himalaya ainsi qu' au Kilimandjaro. Elles furent observées déjà au Pic de Ténérife, en particulier par O. Pratje, qui parle de leur structure dans les Annales de la Société de physique de Königsberg en 1927.

Les lances et les aiguilles aiguës qui figurent les pénitentes de neige restent tout d' abord soudées par leur base ( fig. 2 ). Plus tard, la fusion s' ac, les « pénitentes » se séparent et dessinent alors de façon très caractéristique la procession religieuse qui leur a valu leur nom ( fig. 3 ).

On a discuté bien souvent de la formation des pénitentes de neige et donné des explications fort diverses sur leur origine.

La présence des pénitentes de neige typiques et bien développées est liée à des conditions particulières d' altitude ( entre 3000 et 5000 m .) et de latitude ( par exemple entre le 24e et le 36e degré de latitude sud pour les Cordillères d' Amérique ).

Une chose est sûre: on reconnaît que seul le soleil très chaud, agissant au zénith — ou presque — dans le milieu du jour, peut former des pénitentes. D' où leur groupement dans une zone réduite par des latitudes données au sud et au nord de l' Equateur.

L' altitude est aussi indispensable, car, pour prendre ces formes si spéciales, la neige doit être dure, c'est-à-dire geler fortement et assez régulièrement durant la nuit. Plus bas, la neige fond et se liquéfie sans autre sous l' action du soleil. Mais, plus haut, impressionnée par le gel nocturne régulier, la neige durcit, prend la consistance du névé. Or, les champs de neige présentent toujours de nombreuses inégalités de surface dues à des causes très diverses. Tout d' abord, ce sont les creux qui tendent à se marquer de plus en plus sous l' action du soleil tropical, puis à s' allonger dans le sens est-ouest. Il en résulte des lignes de creux qui s' approfondissant progressivement seront bientôt séparés par des arêtes. Celles-ci, telles les arêtes rocheuses, se désagrègent ensuite sous l' action des agents atmosphériques en aiguilles qui, frappées directement sur leur sommet au moment où le soleil est au zénith, tendront à prendre une forme de plus en plus aiguë.

Pour permettre la formation de belles pénitentes, il faut non seulement une situation spéciale du soleil, mais aussi une très grande sécheresse de l' air, l' eau formée par la fusion progressive des pyramides devant immédiatement s' évaporer, sinon les belles figurines seraient rapidement détruites.

On remarque très généralement que les pénitentes se développent surtout facilement dans les cuvettes, les « combes », parce que le soleil y darde le plus fort au milieu du jour et que le refroidissement de l' air y est le plus marqué durant la nuit.

Contemplant ces productions si curieuses, on pourrait être appelé à faire quelques comparaisons avec les pyramides d' Euseigne, bien connues des membres du Club Alpin Suisse qui ont parcouru la vallée d' Hérens. Mais comparaison n' est pas raison. S' il peut arriver, par chance, qu' une pierre posée en surface protège la neige de la fusion et soit ainsi à l' origine de la formation d' une pénitente, le cas est tout à fait exceptionnel et ne saurait s' appliquer à l' ensemble de cet impressionnant phénomène qui ne s' observe jamais sous sa forme classique dans les Alpes d' Europe.

Il ne peut en effet se former de pénitentes sous les climats tempérés ou polaires, parce que le soleil y est trop rare et les journées d' ombre trop nombreuses, soit en hiver dans les plaines, soit en été dans la montagne. En conditions spécialement favorables, on signale parfois dans nos Alpes des « esquisses » de pénitentes, mais qui sont rapidement détruites par la première pluie qui les attaque.

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