Les troupeaux et la flore
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Les troupeaux et la flore

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rPar Cl. Favarger et P.A. Robert

Les Alpes ne se conçoivent pas sans la poésie prenante des bergers et de leurs bêtes, sans toutes ces présences humaines et animales qui leur donnent leur cachet familier. Le botaniste lui-même n' y est pas insensible, bien qu' il soit parfois indisposé contre les ruminants qui lui disputent son butin et lui coupent littéralement l' herbe sous le pied! Ceux qui veulent jouir du spectacle ravissant d' une prairie alpine feront bien d' y aller avant le passage des troupeaux.

Les modifications que le bétail imprime aux pelouses alpines sont plus profondes qu' on ne l' imagine d' ordinaire. Il ne s' agit pas d' une simple « cueillette de fleurs ». Le dommage atteint la végétation elle-même et va jusqu' à transformer de fond en comble les groupements naturels. Lorsqu' on parle d' une influence de l' homme à l' étage alpin où les prairies fauchées sont exceptionnelles, il s' agit avant tout de l' action qu' il exerce par le truchement de ses troupeaux.

Les bêtes en broutant causent un tort sérieux aux plantes les plus délicates, qui non seulement perdent avec leurs fleurs la faculté de se reproduire sexuellement, mais sont lésées aussi dans leurs organes végétatifs. Et ce n' est pas seulement la dent des herbivores qui compromet l' existence des végétaux alpins. Leurs pieds exercent des ravages tout aussi importants. Bien que le poids d' une vache repose sur quatre pattes, la pression exercée par chacune d' elle est suffisante pour creuser des ornières dans le sol. Les prairies servant régulièrement de pâtures prennent une allure très caractéristique de montagnes russes. Les creux n' abritent que quelques mauvaises herbes paraissant insensibles au parcours du bétail, comme le paturin couché Poa supina. Quant aux buttes qui représentent les parties les plus dures du sol et recouvrent souvent quelque caillou, elles sont épargnées par le bétail routinier qui suit l' ornière. La végétation qui les recouvre est cependant très pauvre. En effet, exposée à l' action lessivante des pluies, la terre de ces « taupinières » s' appauvrit peu à peu en éléments minéraux. Seules, des plantes peu exigeantes et plus ou moins acidiphiles peuvent s' y maintenir. Comme ces dernières à leur tour sont productrices d' humus acide, le phénomène primaire s' accélère, comme une réaction chimique qui serait catalysée par ses produits. Le résultat final d' une telle réaction en chaîne est l' appauvrissement général du pâturage. En résumé, on peut dire que le bétail exerce sur la prairie alpine une sorte de sélection négative ou sélection du plus mauvais en broutant ou écrasant les plantes les plus délicates qui sont aussi les meilleurs fourrages et en ne laissant subsister que les moins exigeantes qu' il dédaigne souverainement1.

1 Page tirée de Flore et végétation des Alpes, par Cl. Favarger et P.A. Robert. Delachaux et Niestlé, 1956.

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