Mer de brouillard
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Mer de brouillard

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Par B. Piccioni.

Dans mes souvenirs je retrouve, très précis, celui d' un soir poudré d' or, au début de juin, lorsque la montagne était encore revêtue de sa housse hivernale.

En bas c' était le désert immense de la mer de brouillard.

L' horizon était patiné d' une féerie de teintes capucine dégradées dans l' air limpide en des tons vifs et délicats d' Orient.

Mais, pourquoi ce soir n' était pas pareil aux autres, pourquoi tout paraissait-il inaccoutumé, fictif, figé dans je ne sais quelle anxiété d' attente?

Nous étions très haut, entre des vallées invisibles, sur le faîte d' une crête écaillée par des tavaillons d' ardoises. Cette arête formait comme une côte ininterrompue de falaises hâlées, lourdes murailles fatiguées, usées par les siècles.

Autour de nous, un semis de décombres, vestiges oxydés de ruines grandioses, hérissement de débris torturés, de saillies biscornues, de protubérances cariées, monstrueuses, inélégantes.

Soudain, presque tous les détails s' effacèrent, estompés de pénombre, dans le contre-jour du couchant et, il ne subsista plus qu' un écran unique, d' un bleu de lapis-lazuli, violemment découpé sur un fond d' incendie.

La mer de brouillard étirait à perte de vue les plis de sa houle brillante.

Sur ce rivage occasionnel, bizarre, à l' abandon de néant, au bord de ces flots compacts, se déroulant sans cesse, nous étions seuls à contempler l' in et merveilleuse monotonie des vagues de brumes.

Par endroits, elles s' élevaient énormes volutes d' eider, irisées de nacre, échafaudant une architecture de rêve qui aussitôt s' effondrait en un lent écroulement.

Alors, le jeu recommençait, inlassable, variant toujours le dessin prodigieux des nuages.

Aux confins moirés de l' interminable moutonnement de l' espace, le clapotis lacté effleurait un diadème endenté de pointes régulières, perdu comme un atoll sur l' océan vaste. Près de là, à la retombée du ciel, l' écu écarlate du soleil atteignait les dunes mouvantes qu' il ensanglantait de son contact éphémère.

Pendant quelques minutes l' incandescente cohue des ondulations parut irrésistiblement attirée vers l' éclat rouge de ce foyer extraordinaire.

Sérénité accrue du crépuscule. Angoisse de l' irrémédiable...

Sur les parois de béton, dressées derrière nous, semblables à des étraves géantes, tout ce feu était réfléchi avec intensité.

Solitude pourpre, étrange...

Inconsciemment, nous étions étreints par l' ambiance d' inconnu, inexplicable, mystérieux, où il y avait quelque chose d' extrême et d' indéfinissable, comparable peut-être à un sentiment de recul infini parmi les millénaires fantastiques.

Quand le dernier redan, celui qui entamait le vide mauve, s' éteignit, tout de suite ce fut la clarté phosphorescente et douce de la lune avec ses innombrables rais d' argent dardés sur la marée illimitée.

Comme un désert immense la mer de brouillard étalait son suaire, créant un monde nouveau, isolé, qui couvrait l' autre, celui où vivent les humains.

Des pans entiers de cimes, noircis de ténèbres, s' enfonçaient dans cette nappe d' un cristal embué, y projetant l' opposition d' ombres veloutées.

Epars, les grands blancs des champs de neige luisaient de reflets micacés.

Toujours plus l' irréel du calme nous emmitonnait.

Sensation de crainte, puis d' apaisement... de consolation...

Emouvante, la symphonie du silence emplit la nuit.

Splendeur tranquille d' une nuit illuminée de radium.

Etendue immobile, déserte, immense de la mer de brouillard

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