Quelques observations sur les Lepidoptères des Alpes
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Quelques observations sur les Lepidoptères des Alpes

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des Alpes * )

Par A. Gerber.

La Suisse alpine, et, en y comprenant dans une mesure un peu plus large le versant méridional des Alpes Pennines, la Valteline et le Stelvio, dont la faune ne peut guère en être séparée, est assurément la région la plus riche de l' Europe pour l' entomologiste qui s' occupe plus spécialement de la recherche des papillons.

La première fois qu' il parcourt ces belles contrées, l' entomologiste est émerveillé de la quantité et de la variété d' espèces qui passent devant ses yeux.

Explore-t-il les rampes brillantes du Valais, du Tessin, de la vallée d' Aoste ou de la Valteline, il est tout d' abord frappé du caractère méridional de la faune.

* ) Ce petit mémoire est écrit sans aucune prétention scientifique, et ne représente que l' impression générale qui m' est restée des chasses que j' ai eu le plaisir de faire chaque année dans les Alpes, depuis 1857. ( Note de l' auteur. )

30 L' Argynnis Pandora et Valezina au vol rapide, le-gracieux Limenitis Lucilla, la Libythea Celtis aux ailes si singulièrement découpées, y volent pêle-mêle avec Satyrus Cordula, Melitaea Phœbe, Argynnis Dapline, une foule de charmants Lycénides, tels que Gordius, Telicanus, Bœticus, Battus, Escheri, Meleager, un grand nombre de Zygènes, dont les plus remarquables sont Ephialtes, Angelicse, Transalpina etc. etc, toutes espèces ayant le cachet méridional.

Un des plus magnifiques papillons du midi de l' Europe, le Sphinx du laurier rose, n' est pas rare à Lugano et à Locarno.

Le Valais, et, d' après mes observations personnelles les vallées de Tournanche et de Formazza, paraissent être les localités les plus riches de la région des Alpes qui nous occupe. Les Alpes Graies, m' ont généralement semblé moins riches en espèces, mais les types y sont très-beaux, et vivement colorés.

Le chasseur Anderegg de Gamsen a découvert dans le Valais un grand nombre d' espèces nouvelles, dont quelques unes comptent parmi les plus belles et les plus rares de l' Europe. Certaines d' entre elles n' ont pas encore été retrouvées ailleurs; d' autres ont été capturées depuis en Kussie méridionale.

Parmi les espèces les plus remarquables découvertes par Anderegg, on peut citer: Chelonia Simplonica, Spselotis Helvetina et Valesiaca, Leucania Montium et Andereggi, Plusia Deaurata etc. etc. et la magnifique Plusia Mya, dont le premier exemplaire pris au vol, et très-défectueux, fut vendu par lui au prix de 50 frs. au docteur Boisduval. II est regrettable que les observations d' Anderegg aient été en partie perdues pour la science, puisque, de crainte de faciliter les recherches à d' autres, il n' a jamais rien publié sur les mœurs et les premiers états des raretés entomologiques qu' il élevait abondamment, et que, seul, il a livrées pendant longtemps à des prix élevés, aux collections d' Europe.

Aujourd'hui encore, les premiers états de beaucoup de ces espèces sont inconnus.

Supposons maintenant que nous fassions l' ascension d' une haute montagne d' une des localités citées plus haut, ou mieux encore, que nous parcourions une vallée depuis son entrée jusqu' à la limite des neiges.

A mesure que nous nous élevons, les espèces méridionales disparaissent. Vers 500 mètres, nous arrivons à la région subalpine. L' Apollon vole majestueusement le long de tous les chemins, en compagnie du brillant Polyommatus Virgaureae — quelques Erebia commencent à se montrer, ce sont: Euryale, Stygne, Goante etc. l' Argynnis Niobe fait son apparition. La plupart des espèces du centre et du nord de la France et de l' Allemagne habitent cette région, qui s' étend jusqu' à une hauteur d' environ 1500 mètres.

Ici, nous entrons dans la véritable région alpine, et la faune change souvent brusquement, surtout si la vallée, vers cette altitude, est coupée en travers par une pente rapide de quelques cents pieds de haut, comme cela arrive en certains endroits — notamment derrière le G oufi e de Buzeraiïles dans le Val Tournanche, où, après avoir gravi une pente escarpée, on se trouve presque sans transition dans une zone entomologique toute différente. Dans cette région, nous voyons apparaître la nombreuse série d' Erebia aux couleurs sombres, série si caractéristique pour les Alpes.

Citons: Cassiope, Melampus, Pharte, Ceto, etc. etc. Les Lycénides nommées plus haut sont remplacées par des espèces toute différentes, telles que: Eurydice, Pheretes, Eumedon. Eros. Les jolis Argynnis Amathusia et Thore sont propres à cette région, de même que la rare Anthocaris Simplonia que j' ai eu la bonne fortune d' observer en assez grand nombre aux environs de l' hôtel du Giétroz, dans la Vallée de Bagnes.

Le genre Chionobas, qui comprend cinq espèces européennes, est représenté ici par Aello, les quatre autres étant propres à la Sibérie et à la Laponie.

C' est aussi la patrie de la magnifique Chelonia Flavia qui ne se trouve que dans cette région, pour reparaître en Sibérie. Sur les pentes couvertes de Rhododendrons volent en abondance les Colias Palaeno et Phieomone, qui se trouvent également en Suède, où ils habitent la plaine. La jolie Némeophila Plan-taginis et ses nombreuses variétés se lèvent à tout instant sous les pieds du voyageur pour aller se poser à une petite distance.

Vers 1700 mètres, l' Apollon disparait à son tour pour faire place à l' espèce suivante, le Phœbus.

La première partie de la région alpine s' étend jusqu' à la limite des arbres; sa faune entomologique présente le plus d' analogie avec celle de la Suède, de la Finlande et de la Russie septentrionale jusque vers le 60e degré de latitude.

Nous arrivons maintenant dans la zone entonio- logique la plus élevée, qui s' étend jusqu' à la limite des neiges perpétuelles, et qui correspond à celle de la Norvège, de la Laponie, de la Sibérie septentrionale, de l' Islande, du Groenland et même du Labrador.

Cette région n' est pas moins intéressante que les précédentes, et comme elle a été moins explorée, c' est assurément celle qui réserve encore le plus de découvertes à l' entomologiste.

De nombreuses Pieris Callidice et d' Argynnis Pales au vol désordonné la parcourent en tous sens. La Melitsea Cynthia, un des plus jolis papillons des Alpes, s' y trouve en abondance surtout dans les Alpes Pennines et les Alpes Graies, où je l' ai vu voler par centaines. Quelques autres Melitsea, qui habitent aussi la plaine, se trouvent jusqu' ici, telles que Artemis, Parthenie, mais le type s' y est complètement modifié pour devenir les variétés Merope et Varia.

Les Erebia Arachne, Manto, Alecto et Gorge sont ici les derniers représentants de ce genre essentiellement alpestre. Quelques Lycénides, Eros et Orbitulus, s' élèvent jusqu' à une hauteur de 2700 mètres et plus. Sur les Aconits se trouve assez communément la chenille de la jolie Plusia Illustris. La Plusia Diver .: gens, l' Anarta Mélanopa, la Psodos Trepidâria voltigent dans les Alpes jusqu' à 3000 mètres.

C' est dans cette région qu' habite le Nemeophila Cervini découvert il y a quelques années au Gorner- grat. On y a également trouvé la remarquable Chelonia Quenseli, dont on ne connaissait jusqu' alors que quelques rares exemplaires pris dans le nord de la Laponie.

Un phénomène remarquable dans ces hautes ré- gions est la puissance extraordinaire des rayons solaires, qui développent la vie des insectes et des plantes avec une rapidité inconnue dans les contrées inférieures.

Il m' est arrivé souvent de trouver dans des localités d' une altitude de 2500 à 2800 mètres, à des endroits abrités contre le vent et bien exposés au soleil, les chenilles, les chrysalides et l' insecte parfait de diverses espèces de papillons tels que Melitsea Merope et Cynthia, Zygsena Exulans, Bombyx Fran-conica, alors que — moins d' un mois auparavant, d' après l' affirmation positive des guides — ces endroits étaient encore couverts de neige.

Dans la plaine, il faut toujours un temps beaucoup plus considérable pour la transformation de la chenille en insecte parfait.

La puissance des rayons solaires à ces grandes hauteurs est due à l' excessive transparence thermométrique de l' atmosphère, transparence qui, d' après les observations du chimiste anglais Frankland et du physicien Français Desains, provient de la grande sécheresse de l' air dans les régions élevées. Cette sécheresse permet aux rayons solaires de frapper les objets avec toute leur intensité, dont ils se dépouillent en partie en traversant les zones inférieures plus denses et de plus en plus chargées d' humidité.

M. Frankland rapporte que lors de ses expériences sur les montagnes des Grisons, il a vu dans une boîte garnie à l' intérieur de noir de fumée, et fermée par un couvercle en verre, le thermomètre monter à 10,5° C, lorsqu' il exposait la boîte au soleil. Au commencement d' Août 1873, à la descente du Grand Combin, j' ai eu l' occasion d' observer cette grande intensité du soleil.

Arrivés sur la plate-forme au pied de la dernière pyramide, à une hauteur d' environ 12,800 pieds, nous nous assîmes dans la neige, le dos tourné au soleil. Le thermomètre marquait zéro à l' ombre, et l' air était d' un calme absolu; en quelques instants, l' habit de laine foncée que je portais s' échauf fait à tel point aux endroits exposés au soleil, que Von avait peine à y appliquer la main. Le thermomètre, placé dans un pli de l' habit, montait à 60 ° R.

On conçoit aisément que, dans des localités où les rayons solaires possèdent une si grande énergie, la vie des insectes et des plantes redouble d' activité.

En résumé, on a dit avec raison d' une manière générale, qu' en faisant l' ascension d' une haute montagne des Alpes, et plus spécialement des Alpes méridionales, le touriste voit passer devant ses yeux toute la faune entomologique et toute la flore que lui pré-, senterait un voyage de 800 lieues depuis le Golfe de Gênes, par exemple, jusqu' au Cap nord.

D' après les calculs approximatifs qui ont été faits, une hauteur verticale de 200 à 250 mètres représenterait, comme changement de faune et de flore, environ un degré de latitude, soit 25 lieues ou cent onze mille mètres.

Ces chiffres disent assez l' immense intérêt que les Alpes présentent au point de vue entomologique et botanique.

Il faudrait pourtant se garder de prendre cela en principe absolu, les Alpes se trouvant dans des con- ditions météorologiques bien différentes de celles des régions polaires.

D' abord, dans les Alpes, les vents et les tempêtes tendent continuellement à mélanger les faunes. Il est arrivé à tous ceux qui ont parcouru les glaciers et les névés, d' y trouver en assez grande quantité, et souvent à des hauteurs considérables, des papillons et des libellules amenés là par les ouragans. M. de Saussure, lors de sa première ascension au Mont Blanc, trouva au sommet une Plusia Gamma se débattant sur la neige.

En passant le Col de Valpelline, il y a trois ansr nous vîmes un grand nombre de papillons et de libellules à une hauteur d' environ 3500 mètres et à une distance considérable de toute végétation.

Les papillons étaient morts ou engourdis sur la neige, mais les libellules volaient au soleil.

La raréfaction de l' air, sa plus grande sécheresse,. la fraîcheur des nuits dans les hautes Alpes ont également sur la vie des insectes une influence qui n' existe pas dans les régions polaires. En outre, dans ces dernières, le soleil ne descendant pas au-dessous de l' horizon pendant plusieurs semaines, cette lumière et cette chaleur incessante doivent exercer également une action considérable. *

On sait qu' en Laponie et en Dalécarlie, pendant le court et brûlant été, certaines espèces de cousins se trouvent en si prodigieuse quantité, que, d' après les récits des voyageurs, ils sont plus insupportables que les moustiques des pays tropicaux.

Pareil phénomène ne se présente jamais dans les Alpes, où les diptères du genre cousin sont peu abondants.

C' est à ces différences météorologiques qu' il faut rapporter sans doute les anomalies que présentent certains papillons. Ainsi, à mesure que l'on s' avance vers le nord, l' Apollon, par exemple, prend des formes plus grandes et des colorations plus vives, pour arriver enfin à sa forme la plus belle, la variété Nomion de Sibérie.

On devrait croire qu' il en est de même, lorsqu' on s' élève dans les Alpes, mais c' est précisément le contraire qui a lieu. Les plus beaux exemplaires de l' Apollon se trouvent sur les pentes du Jura, et à mesure que Pon monte dans les Alpes, il devient plus petit, de couleur plus terne, pour arriver à l' espèce suivante le Phœbus. Quelques Argynnis et Erebia présentent la même particularité. Ces faits ont été fort bien décrits par M. Meyer-Dürr de Berthoud, le premier entomologiste qui se soit occupé sérieusement de la géographie des insectes de la Suisse et de leur distribution sur les pentes des Alpes.

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