Qu'il est long, le chemin de Bürstegg
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Qu'il est long, le chemin de Bürstegg

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le chemin de Bürstegg

Horst H. Ther, Ulm ( Allemagne )

Qui voudrait de nos jours faire à ski le long chemin de l' Arlberg, ce chemin que suivirent dejä les premiers occupants du Petit Walsertal dans les temps préhistoriques? Qui trouverait aujourd'hui encore assez d' enthousiasme pour faire 50 km à ski avec les bagages sur le dos? A notre époque, on est rive aux engins motorisés, aux larges routes d' accès et aux moyens de remontée mécanique. Tout est organisé de teile sorte que les stations de ski puissent etre atteintes le plus vite et le plus facilement possible.

Au départ, nous n' avions pas l' intention de marcher jusqu' à l' Arlberg. Aucun but ne nous attirait particulièrement; nous étions simplement venus en Allgäu pour faire quelques excursions, quelques tours à ski. C' est ainsi que nous sommes montés d' abord à la cabane de Schwarzwasser. Nous sommes descendus du train à Oberstdorf, comme tout le monde d' ailleurs, car pas moyen d' aller plus loin que le terminus! Nous avons pris l' autobus jaune pour monter, virage après virage, à Riezlern dans le Petit Walsertal. Au pont de la Breitach, nous avons charge nos sacs sur le dos et nos skis sur l' épaule, et nous voilä partis. Nous avons dédaigne le remonte-pente de la Petite Parsenn car nous étions alors de ces skieurs qui refusent catégoriquement toute aide mécanique; nous avions une haine sans limite pour cette facon de provoquer le skieur sportif, assez entraine pour renoncer généreusement à tout ,auxiliaire du ski alpin qui enlaidit le paysage. Pendant plusieurs soirs, nous avons nourri le projet utopique de sillonner systématiquement les Alpes pour en extirper définitivement à coups d' explosifs atomiques, ce progrès qui defigurait nos montagnes sublimes.

Bien que cette aventure soit déjà assez ancienne, je me souviens encore de chaque détail. Nous avions un appétit formidable. Avec nos peaux de phoque et nos lattes, dont la fixation au cable usé offrait peu de sécurité, nous voulions monter à l' assaut des pentes les plus abruptes. Nous nous voyions déjà perches sur les sommets en plein soleil ou dans une tempete de neige.

Un ciel bleu sans nuages s' étendait au-dessus de la Vallée de Schwarzwasser. La neige poudreuse cédait sous nos pas. Le soleil projetait des ombres denses dans la foret enneigée. Parfois le Steinmandl apparaissait derrière les troncs, et la paroi de l' Ifen se dressait au-dessus de nous. Dans la region de Melköde, nous levämes des yeux méfiants vers la paroi, car, quelques années auparavant, une puissante avalanche descendant de l' Ifen avait ouvert une énorme brèche dans la foret et emporté un groupe de skieurs. Une plaque commemorative rappelle cet accident. Nous fümes contents de pouvoir enlever nos peaux pour glisser vers la cabane de Schwarzwasser, à travers la haute neige bien sur, car nous trouvions les skieurs de piste bien bêtes, nous les meprisions tout en les plaignant.

La cabane de Schwarzwasser est tenue par un nommé Olando, un gars noiraud et d' origine indefinissable. On dit de lui qu' il boude toujours; en réalité c' est un joyeux luron qui met une ambiance teile, le soir venu, que personne ne peut s' ennuyer. Dommage que la cabane soit pleine à craquer. Il est vrai que c' est samedi soir. Nous nous serrons dans un coin et déballons un savoureux camembert, dont l' odeur se répand immédiatement, si bien que les gens commencent à froncer le nez, ou cherchent en silence à se placer à distance respectueuse.

Le lendemain matin, nous sommes montés qu' au Steinmandl dans une merveilleuse neige cristalline. Le Hochifen se dressait plus au nord, clair et froid. Le plateau en pente douce était couvert d' une épaisse couche de neige qui avait parfois des reflets verts. Le soir, alors que nous étions de nouveau confortablement installés à la cabane, quelqu'un nous demanda si nous étions déjà allés à Bürstegg. Où est-ce? Nous n' avions jamais entendu ce nom-là. On nous apprit que c' était un hameau isolé, inhabité en hiver, qui se trouvait à bonne hauteur au-dessus des eaux écumantes du Lech, au milieu du paysage grandiose de l' Arl. Un certain Günter Hauser avait loué un chalet là-haut pour en faire un refuge de skieurs. La clé en était déposée au café Filomena, à Lech, où on pouvait l' obtenir sans autre. Pouvions-nous faire autre chose que de filer tout de suite vers Bürstegg? Nous etudiämes le parcours sur la carte. Notre but se trouvait à une distance folle, mais notre enthousiasme était sans borne. Pourquoi n' irions pas une fois à ski jusqu' à l' Arlberg, surtout pour trouver un coin si idyllique, qui, meme à l' époque, devait déjà etre une chose rare en Arlberg? Rien n' aurait pu nous dissuader de partir, ni la distance, ni la fatigue, ni les inévitables privations. Le lendemain de bonne heure, nous étions déjà en route vers le Col d' Ochsenhof. Le temps était superbe, pas un nuage ne troublait le bleu immaculé du ciel. Personne en vue, en ce jour calme et froid de février, si beau que je ne l' oublierai jamais. Je pense parfois avec nostalgie à ce moment où je marchais vers l' Arlberg avec mon ami Otto. De l' autre cöte du Col d' Ochsen hof, la neige était tout à fait gelée. Nos skis räclaient la pente et deviaient vers l' aval. Quelle torture pour les genoux! Nous sommes descendus au fond de la gorge du Skarzel et nous avons continue à descendre vers Baad, en soulevant des nuages de neige poudreuse. Puis le chemin montait légèrement sous le versant ouest du Widderstein, jusqu' à l' alpage inférieur de Bärgunt, où la vallée se ramifie. On a d' un cote PÜntschenjoch et de l' autre le Hochalppass. Nous suivîmes une trace à demi effacée qui montait dans la direction du Hochalppass à travers la foret. Une bande de nuages masquait le soleil au sud, au-dessus de la crete. La lumière avait päli, les ombres bleues avaient disparu, et, au-dessus de la limite des arbres, de vastes champs de neige se dessinaient vaguement. Nous marchions maintenant depuis quatre bonnes heures. Il était près de midi, et je doutais un peu d' arriver à Bürstegg le soir meme. Le chemin du Hochalppass n' en finissait pas de grimper. Au-dessus de nous se dressait le Widderstein, solitaire et inabordable. Personne à l' horizon. On n' entendait que le glissement de nos peaux de phoque dans la trace de ski. Au Col du Hochalp soufflait un vent glacial du sud-ouest. Loin au-dessous de nous, on voyait la route enneigée du Hochtannberg. A cette époque, le trafic automobile n' allait que jusqu' à Schröcken ou Warth. La route du col restait tout l' hiver fermée, enfouie sous plusieurs mètres de neige. Hochkrumbach était complètement isolé du reste du monde, et le restaurant de l' Aigle, seul bätiment de cette « localité » n' avait en cette saison que très peu de clients ou meme pas du tout. Aujourd'hui il règne une grande animation au Hochtannberg; le ski-lift du Saloberkopf ronronne et les pistes sont bien battues. Le temps de la solitude y est révolu. C' est pourquoi je suis heureux d' avoir connu cette region dans toute son authenticite.

Le temps n' est pas loin où de laids hoteis surgiront et où les remonte-pentes sortiront du sol comme des champignons. Des promeneurs aux jambes dans le plätre boitiUeront sur les routes et les chemins! Les plans d' un futur centre de sports d' hiver dorment probablement déjà dans les tiroirs des architectes, en attendant leur réalisation. « La superStation de ski du Hochtannberg relie l' Arlberg au Petit Walsertal ». Reve ou realite?

Les nuages ne bougeaient pas et restaient suspendus à l' horizon, du cote sud-ouest. La Braunarlspitze apparaissait au-dessus de la foret comme un infranchissable bastion. La neige ne portait plus ni lumière ni ombre. A Test seulement, il faisait plus clair. Là-bas les montagnes étincelaient, des sommets en dents-de-scie se profilaient sur la voüte du ciel. Sur le versant sud du col, la neige était soufflée par le vent. De grosses boules se détachaient de nos traces et roulaient sur la pente. Impossible de tourner; il nous fallait faire des conversions, sinon c' était la chute.

Nous sommes entrés à l' Aigle. La salle était vide. Pas de clients ni de serveuse. Je dus aller chercher quelqu'un à la cuisine. La patronne y faisait un petit somme. Elle ouvrit de grands yeux effrayés lorsque nous la tirämes de son sommeil. Mais nous la rassurämes et lui expli-quämes que nous venions de la cabane de Schwarzwasser et que notre but était Bürstegg. Quel projet incomprehensible pour une brave dame d' aubergiste! Il faut etre fou pour aller comme ca en Arlberg au beau milieu de l' hiver! Nous avons savoure nos wienerlis à la moutarde, puis nous avons repris notre marche. La route du Hochtannberg était là, quelque part entre les piquets; invisible sous la neige épaisse de plusieurs mètres, elle serpentait vers Warth dans la Vallée du Lech. Malgré une longue période de beau temps, les surfaces de neige qui s' etendaient devant nous étaient absolument vierges. Aucune trace ne coupait ce blanc immaculé. Nous étions les premiers — et sürement les derniers - à venir en Arlberg par cette route. Il est vrai que notre méthode était un peu démodée. Normalement, on s' assied à son volant et on roule sur la « Bi » vers l' Arlberg. Si notre projet avait été connu, on se serait certainement moque de nous en frappant l' index contre un certain endroit du front! Mais que ce silence et cette solitude étaient beaux! Quand le vent caressait la neige, on entendait sa voix légère et on voyait de fins cristaux ruisseler à notre passage. Comme la vie quotidienne était loin! Tout ce qui me causait souci ou chagrin était relégué à l' arrière; c' était sans importance, ca n' existait presque plus. Je ne voyais plus que le présent, les hautes montagnes, le ciel bleu, la neige jusqu' à l' horizon et l' ami avec lequel je partageais cette aventure. Nos pas sonnaient creux dans le tunnel routier abandonné. Le temps filait très vite. D' un cöte j' étais heureux, de l' autre j' étais un peu inquiet, je me demandais si nous atteindrions notre but le soir encore. La petite station solitaire de Warth sommeillait paisiblement au pied du Wartherhorn. La place du village était dégagée ainsi que la route de Holzgau, mais nulle part on ne voyait de chasse-neige. Tout était comme mort. La foret enneigée sur le flanc de la vallée était muette et figée; plus haut se dressait la grosse pyramide du Biberkopf. Une trace fraîche nous montrait le chemin de Lech.

Non, ce n' était pis un « exploit », au sens actuel du terme, que nous avons accompli là, mais plutöt une course extremement longue, fatigante - et grandiose! Elle n' était pas difficile, mais à la fois belle et inhabituelle. Quelque part au fond de sombres gorges bouillonnait et grondait le jeune Lech, sous d' épais manteaux de neige. La paroi sud du Biberkopf, lisse, froide et inabordable, se dressait au-dessus de nous. A Lech, nous retrouvämes le monde civilisé. A la solitude des monts succéda la bruyante agitation des touristes. La foule nous arracha brusquement à notre marche sereine. Au café Filomena, nous nous sommes accordé d' abord quelques bières, ce que personne ne pouvait nous reprocher, et nous nous sommes remis en route, la clé dans la poche. Le soleil s' était couche depuis longtemps et nos jambes fatiguées com- men$aient à refuser tout service. Nous avons repris la route qui suit le Lech et traverse la foret enneigée jusqu' à la bifurcation pour Bürstegg. La lune s' était levée et éclairait les sommets sombres contre le ciel noir. Nous montions dans cette région inconnue, nous fiant à notre seul sens de l' orientation pour avancer dans la direction où devait se trouver Bürstegg. La lune avait surgi de derrière les cretes et nous montrait le chemin. La neige crissait doucement sous nos lattes. Cette montée vers Bürstegg était comme une marche dans l' infini. Au-dessus de nous brillait un fleuve d' étoiles, à travers lequel la lune se frayait son eternel passage. Nous étions deux petits etres minuscules, mais dans ce silence et cet air pur, nous sentions un peu de la grandeur de l' univers. Je me rendis compte alors combien nous sommes petits et insignifiants, puisque nous ne pouvons, malgré toute notre technique, comprendre ni dominer l' uni.

De temps en temps surgissaient devant nous les silhouettes de chalets d' alpage déserts. Un peu désorientés, nous errions dans la neige en cherchant notre refuge. Dans cette région inconnue, de nuit, ce n' était pas une entreprise facile. Enfin nous trouvämes la cabane et, après avoir dégagé la porte, nous constatämes que la clé entrait dans la serrure. Quand la vieille lampe à pétrole répandit sa petite lumière, que le feu ronfla dans le fourneau rouille, nous fümes heureux de pouvoir nous asseoir à la table de bois brut et reposer enfin nos membres rompus de fatigue. Le refuge de Mauser était une bonne bätisse. Dans ce hameau isolé de Bürstegg, il s' entourait d' un halo romantique du temps des pionniers. Dans la charpente, le vent sifflait; le plancher craquait mystérieusement et, lorsque nous nous sommes jetés sur les paillasses, écrasés de fatigue, le ver à bois a commence son petit bruit. C' était comme au temps glorieux de Fridtjof Nansen...

J' avais des montagnes de chèques à classer et derrière moi se tenait le chef, scrutant d' un regard percant mon corps rudoye pendant toute la journée. Et je classais, je classais, toujours plus vite et plus nerveusement; mes doigts vibraient comme des feuilles de tremble dans le vent du printemps, tandis que le chef remettait sa montre, essuyait ses lunettes, puis commencait à gronder et crier pour finalement balayer d' un geste mes cheques si péniblement classes. Alors je bondis, pris la montagne de cheques et la jetai dans le visage bouffi du chef. Je l' entendis souffler, grincer et gronder, et de petits ronds blancs se mirent a danser devant mes yeux...

Mais ces petits ronds blancs n' étaient que les rayons du soleil matinal qui entraient par la fenetre entrouverte; il y avait aussi le vent du Karhorn qui soufflait là-haut dans les poutres, et le parquet grincait, sous les pas de mon ami Otto qui allait et venait, tandis que le feu grondait déjà dans le fourneau rouille. J' avais fait un mauvais reve, le reve de la réalité quotidienne vue depuis les Alpes. Je me trouvais bei et bien dans la merveilleuse solitude de Bürstegg, loin du bureau et des obligations et personne ne pouvait me poursuivre qu' ici.

Dehors on entendait le glouglou de la fontaine de Bürstegg. Otto et moi restions devant la cabane, silencieux, admirant les hauteurs de PArlberg couvertes de neige. De l' autre cote, on voyait la petite chapelle parée de neige, avec son clocher couvert de bardeaux, et à l' arrière l' Omeshorn encore dans l' ombre. Une trace de ski solitaire traversait toute cette blancheur pour aboutir sous le large avant-toit de la cabane; c' était la nötre! Tanne par le soleil et charge d' ans, le chalet de Hauser se profilait sur la neige. Ses vieilles poutres fendillees se faisaient accueillantes et, dans les chauds rayons du soleil, elles sentaient bon et prenaient un air sympathique et romantique.

Nous avons skie au Hexenboden, au Weissen Ring, au Kriegerhorn, sur les pistes raides et bosselées du Mahdloch, nous melant aux fanatiques du ski de piste, foncant vers la vallée aussi vite que nos poumons et la musculature de nos jambes nous le permettaient. La neige poudreuse et etin-celante jaillissait en longues gerbes. Où était cette haine mortelle contre les engins qui narguent le skieur sportif? Nous profitions nous aussi des remonte-pentes et des pistes de l' Arlberg!

Et quand l' ombre dense des montagnes dévora la lumiere du soleil, les pentes abruptes de l' Arl se vidèrent de leurs skieurs. La neige crissait maintenant sous nos pas tandis que nous marchions vers Warth. Haut sur nos tetes, un fleuve d' étoiles scintillait et au-dessous le bruit de la riviere décroissait. Nous montions en zigzag vers Bürstegg. La silhouette des chalets surgissait de la nuit sans lune, muette et sombre. La porte de la maison et celle de la chambre tournèrent en grin-Sant sur les gonds rouilles — et les deux mordus du ski, brunis par le soleil, s' affalerent sur leurs couchettes. Des jours entiers de ski, de neige et de soleil suivirent les premiers. Nous dessinions des traces solitaires dans la neige croütee, au-dessus d' Anenfeld, jusqu' aux grottes de la Mohnenfluh.

Puis, par un matin splendide, nous avons quitté notre coin d' Arlberg hors du monde, car un troupeau de skieurs bruyants nous avait tires de notre sérénité. D' ailleurs c' était presque un miracle digne des Mille et une Nuits que d' avoir garde cette maison fascinante pour nous tout seuls pendant près de quinze jours. Le cceur gros, nous avons dit au revoir au vieux bois bruni par le soleil, à ce matériau très ancien qui rayonne toujours la chaleur et le bien-etre et qui porte en lui une odeur bien sympathique. Adieu tranquille abri perdu dans les solitudes neigeuses de l' Arl! Je ne sais pas si nous reviendrons jamais. Nos pas sonnaient creux comme dans un tombeau tandis que nous suivions les galeries antiavalanches de la route du Flexenpass. Au-dessus de l' Albona, un amoncellement de nuages annoncait le mauvais temps. C' est à travers une tempete de neige que nous dümes nous frayer un chemin dans le Valfagehr, le visage fouette par les rafales. Nous avons rendu les armes à mi-chemin et nous avons loge à l' alpage de Rauz, bien qu' il ne soit guère accueillant.

Le lendemain, la tempete et la neige avaient disparu comme un fantome de la nuit. Le ciel d' un bleu profond, sans un nuage et sans un souffle de vent, s' étendait à nouveau sur PArlberg. Nous avons alors vagabonde par la Kandahar, le Schindlerkar, la crete du Vallerga, pour aboutir dans les salles trop soignées de la cabane Ulmer, une cabane fort conventionnelle qui ne nous a pas plu du tout, et qui n' a vraiment rien de commun avec Bürstegg. Enfin nous avons dormi du sommeil du juste dans un dortoir strictement reserve aux hommes, car, pour plus d' un gardien de cabane, la morale n' admet pas qu' hommes et femmes dorment tous ensemble.

Comme des chevaux sauvages, nous avons dévale les pentes du Windharsch en Valfagehr jusqu' à l' alpage de Rauz, suivant la trace de pionniers du ski disparus depuis longtemps et dont nous nous sentions les descendants. Nous dümes refaire 60 kmdans l' autre sens pour revenir à notre point de depart, la cabane de Schwarzwasser. Derrière nous, le Col du Mahdloch s' abaissait; là-haut nous vîmes pour la dernière fois la chapelle de Bürstegg qui nous faisait signe. La neige crissait doucement sous nos pas tandis que nous marchions sur la route déserte de Warth. Du fond de la vallée montait le grondement assourdi du Lech et là-haut brillait un ciel sans nuage.

On était au début de mars 1957. Sur la route de Hochkrumbach, un chasse-neige se frayait un passage à l' allure d' un escargot. II attaquait la masse de neige qui jaillissait de cöte en puissantes gerbes. Je souhaitai secrètement à ce parasite, qui tel un insecte venimeux insultait à la beauté du paysage, de tomber avec son chauffeur dans la gorge à nos pieds. Peut-etre une violente avalanche allait-elle écraser ce moustique importun et l' empecher d' avancer. Cependant, mon ami Otto, moins hostile à la technique, se tenait sur le talus, à trois mètres au-dessus de la route, et regardait avec interet les gerbes de neige que le monstre crachait. Tout à coup, il y eut un bruit sourd - et Otto se retrouva avec son sac trois mètres plus bas qu' a. Etait-ce un saut audacieux ou avait-il simplement perdu l' équilibre? Oh! malheur! Son ski gauche avait raccourci de 50 cm. A la place de la pointe élégamment recourbée il n' y avait plus qu' un moignon de bois en dents-de-scie. Que faire? Sortir la pointe de reserve et la visser sur le moignon de bois! Mi-figue, mi-rai-sin, Otto croyait aller à Canossa. Essayez donc d' aligner des virages serrés avec deux lattes inégales dans une neige pas particulièrement bonne! Non, ce ne fut pas une marche vers Canossa; cette dernière fut certainement plus agréable! C' était vraiment la pire humiliation pour un skieur; une descente à ski vers Hei dans la neige croütee, du Col de Hochalp jusqu' à Baad, et cela après une marche de plusieurs heures! Par un dernier effort de volonté, nous avons enfin atteint notre point de départ, la cabane de Schwarzwasser, à une heure avancée de la nuit. Mais à peine le jour était-il levé que nous nous sentions de nouveau à l' aise comme des poissons dans l' eau et prets à de nouveaux exploits. Nous avons foncé vers Melköde puis nous sommes partis à grands pas vers la cabane d' Auen, avant de monter ä l' assaut du Hahnen-köpfle; en passant nous avons liquide l' Ifen, traverse le Gottesacker, descendu la Vallée du Mahd pour aboutir à Riezlern, morts de faim. Mais nous pouvions attendre longtemps notre pitance, car nous n' avions plus qu' un Schilling et demi en poche. Experience faite, on ne peut pas aller bien loin avec ca! Deux bières mousseuses, ce fut tout ce qui resta de notre enthousiasme debordant...

Bürstegg est une réalité. A coup sür. Ou bien ne serait-ce qu' un reve sans fondement? Une année après, j' eus envie d' y remonter. Mais de tels paysages de montagne, intacts et couverts de neige, j' en reve aujourd'hui encore...

Traduit de l' allemand par Annelise Rigo Le Rüfikopf ( 2363 m ), vu de Bürstegg La descente du Mahdloch Photos Horst H. Ther, Ulm

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