Randonnée en Corse
Avec 3 illustrations ( 21-23Par C.M. Briquet
Le 11 juin 1954, nous partons, huit clubistes genevois, dans trois voitures, avec tout un matériel de camping, cordes et piolets, pour Marseille où nous arrivons en fin d' après. Laissant les voitures dans un garage à proximité du port, nous embarquons à bord du Cyrnos, avec des billets pour le pont des quatrièmes. Oui, nous ne sommes que de pauvres prolétaires, préférant le grand air du large aux odeurs des entreponts.
Pendant que nous savourons notre pique-nique, les célèbres Calanques, paradis des varappeurs, défilent à nos yeux; puis c' est Toulon, les îles d' Hyères et le soleil qui se couche. Il fait beau, la mer est calme; étendus sur nos matelas pneumatiques, dans nos sacs de couchage, nous passons une excellente nuit et nous éveillons en vue d' Ajaccio.
Sitôt débarqués, nous nous mettons en quête de deux voitures à louer, où nous engouffrons nos provisions achetées sur place et nos nombreux impedimenta, au grand ahurisse-ment du garagiste...
Vite encore un bain de mer, et nous partons pour Zonza par des chemins montants et tortueux à souhait. A 18 heures nous plantons nos tentes au Col de Bavela au-dessus de bergeries habitées par des chèvres, des porcs et quelques bergers fort accueillants.
Le dimanche 13 juin, diane à 5 heures. Chacun s' affaire à chauffer de l' eau pour le déjeuner; les primus ronflent; les chefs de cordées choisissent leurs compagnons de la journée, et nous partons pour les Tours d' Asinao et les Aiguilles de Bavella, deux chaînons situés sur l' épine dorsale de la Corse et séparés par le Col de Bavella. La roche granitique y est excellente, les prises sûres, et dame Nature y a creusé par place, juste au bon endroit, des trous arrondis qui facilitent certains passages. La Tour I, nommée Pointe de l' Oiseau, nous attire par l' élégance de ses lignes.
Par des voies et des fortunes diverses, deux groupes atteignent la Pointe de l' Oiseau, l' un par une cheminée de la face sud, 4e degré, l' autre, finalement, par une cheminée de la face nord, pas difficile, mais très délitée. Les deux voies se rejoignent peu avant le sommet, qui est atteint par une splendide varappe aérienne. Un magnifique rappel de trente mètres nous ramène au col à l' est de notre sommet.
Pour la Tour II, la voie est plus difficile à trouver, les renseignements si vagues que toutes les joies de l' explorateur alpin nous sont offertes. Elle est finalement vaincue par sa face nord, où nous trouvons un joli passage en tunnel.
La Tour III est facile: une simple bosse rocheuse sur la crête.
De retour au Col de Bavella, le souper est vite expédié et nos tentes nous reçoivent pour une nuit venteuse mais excellente.
Le lundi 14, le temps instable nous permet cependant de nous attaquer aux Tours V, faciles, avec un seul petit passage de 4e degré, en surplomb, et à la Tour VI, où se distingue la cordée Larpin-Mouchet qui enlève la face sud, après un savant pitonnage. Descente par la face nord et un rappel.
D' autres tours, innombrables, nous tentent; il y aurait de quoi s' occuper pendant des semaines sur ces cimes aiguës. Retour au Col de Bavella.
Il pleut toute la nuit, et c' est encore sous la pluie que nous plions bagages. Nous descendons sur la côte est, à Salenzara, par une route en bon état mais très raide. Arrivés à la mer, la pluie a cessé, nous nous baignons puis repartons pour Corte, dans l' intérieur, où nous logeons pour une fois à l' hôtel.
Le mercredi 16, nous montons par les gorges magnifiques du Golo Calacuccia vers le Col de Vergio. Quatre kilomètres avant celui-ci, nous dressons notre camp près d' un ancien hôtel incendié. Eau fraîche, forêt magnifique; mais là aussi, comme à Bavella, les chenilles processionnaires font des ravages, établissant plusieurs nids par pin. Dommage que l' ad ne fasse rien pour sauver ces admirables forêts.
Le 17, levés très tôt, nous remontons le Val Viro pour atteindre la crête du Paglia Orba. Par des éboulis nous attrapons dans la face sud-est une grande cheminée point trop méchante qui nous conduit par des gradins faciles au sommet atteint vers 10 heures. Des brouillards se traînent et nous cachent par moments la vue admirable dont on jouit sur toute cette épine dorsale de la Corse. A l' est et à l' ouest la mer bleue miroite jusqu' à l' ho.
Une rapide descente et une traversée horizontale nous amènent en moins d' une heure au pied du Capo Tafonato. Ici la roche de porphyre rouge est compacte, solide à souhait; les prises sont peu anguleuses mais en nombre suffisant pour ne point rendre l' ascension du Tafonato trop ardue. En une petite heure toutes les cordées se retrouvent au sommet, en utilisant une fissure de 4e degré, très amusante en ce lieu. La chevauchée de l' arête sud, souvent délicate, mais jamais très difficile, nous dépose après un rappel de 25 m. à la vire menant au trou qui perfore cette étrange montagne. A un moment le brouillard montant la face ouest s' engouffre dans ce tunnel et ressort comme une fumée en pleine face est. C' est vraiment extraordinaire. Le Capo Tafonato ( tête à fumée ) est bien nommé. Une descente facile et point trop longue nous amène vers 6 heures à notre campement.
Le 18 au matin, avant de quitter cette admirable région, nous allons encore au Lac Viro, magnifique plan d' eau, dans un site tout à fait alpestre dominé par des cimes neigeuses. Une excellente route nous ramène à Porto. Nous saluons au passage les pointes de Capo d' Orto, dernier défi jeté au varappeur tenté de se vouer aux délices du camping maritime. Car lui aussi, comme Samivel, a dit: « l' an prochain, j' irai à la mer. » On trouvera dans les Varia des notes techniques sur les ascensions effectuées dans les Aiguilles de Bavella par les membres de la section Genevoise.