Un matin de cabaniste
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Un matin de cabaniste

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Mireille Chaperon, Gryon VD

Holà! déjà huit heures passées!

C' est vrai qu' il y a longtemps que les allées et venues des alpinistes troublent mon sommeil. Et puis il y a aussi le soleil qui, chaque matin, lance un rayon indiscret dans ma chambre, dès qu' il pointe au-dessus de l' arête de la Wandfluh. Cependant, le silence revenu et la lumière admise, je retombe généralement dans un profond engourdissement et me replonge dans des rêves à peine interrompus.

Quittant à regret la douce chaleur de mon lit, je me décide à descendre de ma couchette haut perchée et prends pied sur un sol froid et peu avenant: des frissons me parcourent le corps du haut en bas. Bougre! il va falloir se laver, et il ne fait sans doute que quelques degrés dans ma chambrette. Je pense alors aux propos de l' épouse d' un chef OJ qui affirmait pendant nos semaines de courses réalisées autrefois que la crasse tenait chaud! Mais tenir le coup plusieurs mois sans douche, ni baignoire, ça s' arrose que diable! même si ce n' est qu' avec un ou deux litres d' eau dans un petit baquet!

Le précieux liquide en question sommeille ce matin sur un fourneau potager quasiment éteint et dans une grande casserole presque vide! Hum! l' eau est tout juste tiède! Voilà qui va accélérer ma toilette!

Jean, le gardien, s' est rendormi.

Une fois habillée, sans bruit, je me mets au travail, non sans avoir observé les alpinistes qui parviennent au sommet de Tête Blanche, ou, de l' autre côté, les skieurs qui descendent du Pigne d' Arolla, minuscules bâtons noirs qui inscrivent leurs arabesques sur les pentes blanches.

Le ciel se ternit déjà de nuées incertaines, surgies on ne sait comment de derrière les montagnes. Le thermomètre indique à l' ouest moins 8 degrés, et le vent souffle du sud-est. Une fois ces observations faites et inscrites, comme chaque jour, dans un carnet, j' empoigne mes balais et nettoie le réfectoire, puis descends dans les dortoirs. Ma première tâche consiste à remettre de l' ordre sur les couchettes: oreillers en bataille, couvertures pliées selon des règles qui feraient honte à la géométrie, papiers abandonnés, boîtes de coca à moitié vides, miettes de pain, sparadraps souillés. Je m' affaire donc, à genoux, jusqu' à ce que chaque place ait retrouvé quelque allure. Je tends encore soigneusement la toile qui recouvre les matelas pour rendre les couchettes de nouveau accueillantes. Enfin, je passe la « roulette » sur le tapis de fond, vide la corbeille et balaie le couloir. Tout en accomplissant mon travail solitaire, j' en viens à juger nos hôtes aux centimètres cubes de poussière que je trouve ou à la manière de plier les couvertures. J' en oublie presque la gentillesse des visiteurs, leurs sourires et les paroles échangées la veille. Et puis je songe à mes propres séjours en cabane, quand j' entreprenais des courses: comment étais-je? polie? propre? soigneuse? Est-ce que j' avais une pensée pour le gardien?

Tout à coup la sonnerie du téléphone m' arra à mes réflexions. Je monte rapidement l' esca et saisis le récepteur: c' est le gardien de Schönbiel qui prend des nouvelles. On parle du temps et des touristes qui traversent d' une cabane à l' autre. Je raccroche et profite de cet instant de répit pour prendre l' air et rapporter un bidon d' eau. Les choucas manifestent leur impatience avec des croassements aigus. Ces affamés attendent leur petit déjeuner. Je cours chercher du vieux pain à la cuisine que j' émiette devant la porte. Mais le timbre du téléphone me rappelle à l' intérieur: il s' agit d' une réservation pour le long week-end tout proche. Il y aura du monde et du va-et-vient àBertol!

Je m' apprête à reprendre mon travail dans le ventre de la cabane, quand Jean, l' œil lourd de sommeil, sort de sa chambre et s' étire à qui mieux mieux.

Chic! on va déjeuner!

Tandis qu' il s' assied et contemple le paysage, je mets la table: pain, beurre, lard, viande séchée, miel et fromage. C' est un des bons moments de la journée. Seuls et tranquilles, nous jouissons de l' instant présent. La radio qu' on vient d' enclen diffuse des bruits qui nous sont devenus étrangers et des nouvelles qui nous étonnent et nous attristent. Est-ce que nous habitons la même planète que ceux dont on nous annonce les malheurs?

Le feu se remet à crépiter joyeusement. Un coup d' œil au moyen des jumelles: personne en vue. On se met à table...

Bertol, printemps 1980

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