Une tentative d'ascension au Mönch en 1855
Unterstütze den SAC Jetzt spenden

Une tentative d'ascension au Mönch en 1855

Hinweis: Dieser Artikel ist nur in einer Sprache verfügbar. In der Vergangenheit wurden die Jahresbücher nicht übersetzt.

Avec une illustration ( 18Par L. Seylaz Hélène Ghika est née en 1829 d' une famille originaire de la Macédoine, et qui a fourni des princes-régnants à la Moldavie-Valachie. Son père y fut ministre de l' Intérieur. A 16 ans elle éprouve le « grand amour » pour un beau prince moldave. A 20 ans, elle se laisse épouser par le prince russe Kolkoff-Masalski. Devenue veuve, elle quitte la Russie et, après des séjours à Vienne et à Dresde, arrive enfin en Suisse, qui lui apparaît comme le. berceau et l' asile de la liberté.

Sous le pseudonyme de comtesse Dora d' Istrìa, elle a publié en 1856 chez l' éditeur Cherbuliez à Genève les souvenirs et impressions de son séjour dans notre pays, en quatre volumes encombrés de considérations historiques, religieuses et politico-philosophiques, ouvrage fort indigeste dont il ne vaudrait pas la peine de parler ici, si le quatrième volume ne contenait le récit de la tentative d' ascension qu' elle fit à la Jungfrau et au Mönch en juin 1855, et qui intéresse l' histoire de l' alpinisme 2.

Ce même tome IV contient, sous une affabulation transparente, un autoportrait de l' auteur:

« Elle ressemblait à une statue grecque descendue du Parthenon: nattes foncées dont les reflets étincellent au soleil, yeux longs et noirs, nez de forme antique, ovale parfait du visage, taille élancée, etc. » « J' étais née artiste. J' en avais dès les premiers jours les instincts, l' impétuosité, les besoins de gloire, le feu qui consume...

« J' appartenais à une de ces races qui ont fourni plus d' un nom glorieux au trône de 1 Arbres sous le ciel. Editions du Haut-Pays, Yverdon. 8 La Suisse allemande et l' ascension du Mönch.

nos Domini... Mlle unique d' une illustre maison, j' étais élevée dans les pompes magnifiques de l' Orient, je voyais se réunir sur moi toutes les faveurs de la fortune... Mais en grandissant, je compris que mes aspirations à l' indépendance, l' ardent amour de l' égalité étaient contraires à tous les préjugés d' une famille vénérée. » En conflit avec ses proches, déçue à 16 ans dans son amour pour le prince charmant, épouse à 20 ans d' un seigneur russe qui la laisse bientôt veuve insatisfaite et sans enfant, telle est la femme qui, au printemps 1855, vient promener son spleen et son âme éplorée sous les noyers du Höheweg à Interlaken. « Splendide et calme, comme une vierge solitaire qui rêve dans la paix des nuits, s' élève la Jungfrau, couverte des voiles d' albâtre dont l' enve les neiges éternelles. » Est-ce l' exemple d' Henriette d' Angeville dont la mémorable ascension au Mont Blanc en 1838 avait rempli l' Europe d' admiration et d' étonnement? Est-ce le « besoin de gloire » dont elle se disait être consumée? Toujours est-il que la princesse Kolkoff annonce son projet de gravir la Jungfrau. Stupéfaction générale! Incrédulité! On regarde cette extravagance comme « un caprice prêt à se satisfaire par le seul bruit qu' il causait ». La reine de FOberland n' avait été escaladée que quatre fois; la dernière ascension était celle de L. Agassiz et de ses compagnons du célèbre Hotel des Neuchâtelois sur le glacier de l' Aar en 1841. De même que les Meyer d' Aarau en 1811 et 1812, Agassiz avait attaqué la montagne par le versant valaisan; une seule ascension avait été accomplie en partant de Grindelwald par sept chasseurs de la localité, en 1828, exploit que le gouvernement bernois jugea bon de récompenser par un double ducat. Cela remontait à près de trente ans, et personne depuis n' avait osé tenter un nouvel assaut.

Par tous les moyens on essaie de décourager la téméraire en lui décrivant les dangers qu' elle courrait sur les glaciers, en lui faisant voir à l' aide de longues-vues les précipices de la Jungfrau; on faisait appel à sa conscience, prétendant qu' elle n' avait pas le droit d' ex la vie des guides. C' est une aventure inouïe, abracadabrante, impensable. Mais tous les efforts pour la dissuader ne font que renforcer sa résolution: elle veut triompher ou mourir. Elle convoque télégraphiquement à Interlaken les meilleurs guides du pays: Peter Bohren et Johann Almer de Grindelwald, Ulrich Lauener de Lauterbrunnen, Peter Jaun et Johann Jaun de Meiringen, qui avait accompagné Agassiz en 1841. Dans une entrevue secrète, elle réussit à convaincre Pierre Jaun, déclarant qu' elle prenait sur elle toute la responsabilité de l' entreprise, quoi qu' il arrive. C' est lui qui fut chargé des préparatifs de l' ex et de fournir à la princesse un costume idoine, « composé d' un pantalon de laine rayé de noir et de blanc, d' un habit boutonné descendant jusqu' aux genoux, d' un chapeau de feutre rond semblable à celui des montagnards et d' une paire de bottes larges et grossières ». Cet accoutrement était si lourd et si incommode qu' elle ne pouvait presque pas marcher, et Grindelwald elle demanda une chaise à porteurs pour se faire transporter jusqu' au glacier. En outre, elle fit un paquet de son jupon et de ses brodequins, « pour m' en servir dans le cas où je serais tout à fait paralysée par ces maudits habits ».

A Grindelwald, tout le monde s' efforce encore une fois d' ébranler la résolution de l' audacieuse. On lui fait lire sur le mur de l' église l' inscription rappelant la mort du pasteur vaudois Aimé Mouron, tombe dans une crevasse du glacier en 1821. Rien n' y fait.

Le temps s' étant mis au beau, on se met enfin en route le matin du 10 juin 1855: la dame dans la chaise à porteurs, les cinq guides et quatre porteurs charges de provisions, de cordes, d' échelles et de pioches, plus une foule de paysans qui firent un bout de conduite à la caravane. « Ceux qui restaient nous regardaient avec tristesse. » Les autres se donnaient du courage en chantant et en « yodlant ».

Du sentier du Mettenberg, on descend sur la Mer de Glace. La confiance est revenue avec l' assurance de la marche facile sur cette partie du glacier. Mais voici les rochers du Zäzenberg: « Nous grimpons à quatre pattes, en glissant comme des chats, ou en sautant d' une roche à l' autre comme des écureuils. Souvent, une poignée de mousse ou quelques broussailles sont notre seul appui. Quelques gouttes de sang teignent comme des fleurs de pourpre la verdure que nous foulons. Tout en bas, les chalets de Grindelwald sont comme des miniatures. ,Ah!, s' écrient les guides, c' est du haut des cieux que nous contemplons nos femmes! ' » Ail heures, on fait halte pour le premier pique-nique. Les guides allument un feu de broussailles et concoctent un chaudron de thé de feuilles de rhododendron et de brins de genévrier. La voyageuse trouve exquise cette boisson odoriférante.

La caravane quitte les rochers du Zäzenberg pour gravir les longues pentes de neige du Grindelwaldner Fiescherfirn. Il faut atteindre avant la nuit au pied de la paroi du Kalli la fameuse grotte de l' Eiger, connue des chasseurs, et qui, pendant plusieurs années, servit de refuge aux premiers alpinistes du versant bernois, de même que celle du Faulberg abritait, du côté valaisan, les grimpeurs partis de l' hôtel Eggischhorn pour la Jungfrau ou le Finsteraarhorn. Elle est en partie obstruée de neige; les guides allument un feu de genévriers pour en tempérer l' humidité. « On étendit des peaux de génisses blanches sous un bloc qui formait un enfoncement. Je m' enveloppai de couvertures et de châles, car le froid devenait pénétrant... Personne, cependant, ne songea à dormir... La nuit se passa à chanter... J' étais impatiente et joyeuse de voir de près les glaciers immenses et les sommets des Alpes dont l' image avait souvent passé dans mes rives. Cependant, je m' inquiétais un peu de l' in que je commençais à ressentir. J' éprouvais de légères nausées et un abattement que je tâchai de vaincre en me levant précipitamment et en donnant le signal du départ. » Vers 3 heures du matin, on quitte la caverne hospitalière. Johann Jaun, Almer et Lauener vont en avant en éclaireurs. La princesse suit, encadrée par Peter Jaun et Bohren. La montée du glacier est longue et pénible.Vers 8 heures, on aborde le plateau supérieur: « Là commencèrent nos véritables souffrances. La chaleur était excessive, la marche lente et difficile... Ma bouche était sèche; je souffrais de la soif et, pour la satisfaire, j' avalais des morceaux de neige et du kirschwasser. Je respirais avec peine; je m' affaiblissais de plus en plus... A peine les guides avaient-ils assez de force pour frayer le chemin, tant la montée était rude, tant la neige était épaisse... » A 10 heures, on fait halte au pied du Mönch, c'est-à-dire dans les parages du Mönchjoch. La voyageuse, à bout de forces, se couche dans la neige. Les figures des guides sont soucieuses. Après avoir délibéré tout bas, ils déclarent qu' il sera impossible d' atteindre la Jungfrau ce jour-là. Que faire alors sans abri, sans feu, sans boisson chaude? Tous sont unanimes pour prédire un orage violent dans la soirée. Almer fait mine de s' en aller. « Ma conscience me défend de prêter la main à un péril que je sais inévitable. » Mais la princesse ne veut pas s' avouer vaincue: la Jungfrau lui échappe, soit; mais le Mönch est à quelques pas; il est libre de brume; pourquoi n' irions pas jusqu' au sommet«Mais savez-vous, disent les guides, que ce mont n' a jamais été escaladéTant mieux, nous le baptiserons. » Et l'on repart. P. Jaun et P. Bohren vont en avant, portant le drapeau Blanc faune-bleu sur lequel était brodé le nom bien-aimé de la Valaquie, et qu' ils iront planter sur les plus hautes assises du Mönch « avant que nous y fussions parvenus nous-mêmes ». Les autres suivent en se tenant de manière à former une chaîne et avancent en zigzag, stimulés par l' impatience d' arriver au sommet.

Celui-ci fut-il atteint? A partir de ce moment le récit tourne court. L' auteur qui jusque-là UNE TENTATIVE D' ASCENSION AU MÖNCH EN 1855 a copieusement délayé ses descriptions, passe comme chat sur braise sur ce point essentiel. Il n' y a plus qu' une vague allusion au succès et la vue de la plaine suisse perdue sous la brume. La descente, commencée à 3 heures, est expédiée en quelques lignes. L' intrépide retrouve sa chaise à porteurs sur le sentier de Bäregg et la caravane rentre à Grindelwald en chantant.

Le lendemain, son visage n' était qu' une plaie ( la veille, pour mieux respirer, elle avait enlevé son voile vert ). Elle se leva néanmoins pour accueillir ses guides qui lui apportaient, toujours chantant, le superbe diplôme que nous reproduisons ici. Ce document a beau faire mention de la « toute première ascension du Mönch » ( allererste Besteigung des Mön-chesselon P.E. Schatzmann, qui a exhumé le récit de cette tentative, les déclarations ultérieures des guides auraient révélé que, parvenus à une hauteur honorable sur les flancs du Mönch, la voyageuse se serait laissé persuader de rebrousser chemin, à moins qu' elle n' y eût été forcée par son état d' épuisement. Quoi qu' il en soit, cette prétendue première ascension n' a pas été retenue par les historiens de l' alpinisme; ils ne connaissent que celle du Dr Porges avec les guides Christian Almer, Ulrich et Christian Kaufmann, qui eut lieu deux ans plus tard, le 15 août 1857.

Feedback