Voie Ratti à la Noire de Peuterey
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Voie Ratti à la Noire de Peuterey

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Claude Remy, Renens

La lune est si claire que la neige dure brille de mille cristaux, et nous pouvons voir nos mouvements se profiler sa surface. Pas le moindre vent, une immense solitude. Seuls une parole ou le crissement des souliers qui laissent une petite marque interrompent le profond silence. Soudain, la face nous apparaît: livide, verticale, sinistre.

Le Col de l' Innominata, étroite échancrure, domine le chaotique Glacier du Frêney; à notre gauche, une plaque rappelle la tragédie du Pilier central... Déjà nous lançons les cordes pour le rappel, qui nous dépose sur un terrain délité, heureusement pas difficile. Incident: un de nos filins se coince, et je dois remonter les quarante mètres pour le dégager. Arrivés sur le glacier, nous suivons de vieilles traces qui font des détours incroyables. Montées, descentes, les difficultés allongent le chemin. Le piolet de Guy et ses crampons ont raison des passages les plus corsés, tandis que moi, sans pointes, je me tire à la corde. Un dernier saut, très douteux quant à l' atterrissage, nous amène sur un terrain plus sûr. Nous passons la rimaye, plus haut une terrasse, enfin nous abordons le rocher.

- Tu crois que c' est là? me demande Guy, tout en regardant une cheminée verticale.

— Ma foi, du moment que partout ailleurs ça paraît encore plus difficile, il semble que oui.

Levés à 2 heures, ça fait bientôt cinq heures que nous sommes partis du bivouac installé juste au-dessus du refuge Monzino ( remplaçant le Gamba ). Presque une course déjà.

Ayant pris la tête, je me venge du passage du glacier sur ce solide rocher, m' engage dans la cheminée, franchis un surplomb « au culot » et m' étonne:

- Aucun clou?

- Bout de corde, me signale Guy.

- C' est bon, j' ai un relais autour de gros blocs. J' en profite pour m' éponger. Si, dès le départ, je transpire, il ne va rien rester pour le haut. Il faut y aller tranquillement!

Les fissures s' allongent dans le ciel, le vide se creuse. Tiens! une trace, un coin de bois à trois ou quatre mètres. Je m' y accroche et me demande ce que j' aurais fait s' il n' était pas là; cet instant de distraction m' offre une vue plongeante sur le glacier, mais ne perdons pas de temps: les coins, ça pourrit vite. Guy n' aime pas tous mes relais; il veut de la qualité, et vérifie toujours mon travail après coup. Ah! c' est moins raide. Un couloir de caillasse puis de neige très dure, nous conduit vers une facette à gauche; tandis que, droit en haut, s' élève la Boccalate qui conduit à la pointe Bich. Sur la gauche, deux clous en pleine dalle indiquent la suite, mais les dalles ne sont décidément pas commodes et me ramènent dans une grosse rainure; là au moins je peux me tenir. Je passe un redressement dont Guy s' étonne, car il paraît que les difficultés n' ont pas encore commence. Nous arrivons à un semblant d' arête et profitons d' un replat pour énumérer les parois et les gigantesques arêtes de ce versant sud du Mont Blanc. Deux fourmis cherchent leur chemin en direction des Rochers Gruber, ce qui nous donne une idée des dimensions des voies des alentours. Si nous voulons terminer la nôtre, mieux vaut nous envoler plus haut.

Je remonte l' arête, passe une crête de neige, quitte ce que l'on pourrait appeler le socle, qui vient buter contre le reste de la paroi, nettement plus verticale.

Malheureusement, c' est délité, et il me faut viser au plus juste pour éviter deux genres de chutes; Guy en profite pour me dire l' utilité de son casque. Le haut devient difficile et le manque de clous m' inquiète.

Une grosse cheminée m' attire, des surplombs me repoussent, l' itinéraire n' a pas l' air logique; je force le passage tout droit vers le haut, découvre un four à cristaux, emporte des souvenirs; mais pas de pitons en vue. A droite? rien... A gauche?... Tiens! des clous dans une fissure, sous moi! Ils m' indiquent la suite évidente dans un dièdre pitonné.

Nous sursautons: c' est l' éboulement d' un sérac qui coupe nos traces... Relais sous un léger surplomb, que je passe athlétiquement, puis des dalles peu inclinées me conduisent sous une belle fissure où Guy souffre beaucoup. Malgré les secousses que mon camarade s' efforce de donner aux cordes, le surplomb freine trop leur glissement. Un piton me permet de descendre, je remets la suite à plus tard et fais monter Guy qui s' interroge sur le passage.

Nous hésitons. Les tentatives acrobatiques succèdent aux tâtonnements aventureux. Etirements à l' extrême. Pendule. Relais suspendu. Parfois, un piton nous tire provisoirement d' affaire; ailleurs une traversée délicate ou le passage d' un surplomb impressionnant semblent conduire à une solution. Le temps s' écoule. Nous nous élevons peu à peu. Puis de belles fissures débouchent sur un dièdre à gauche, apparemment praticable. Mais la voie ne serait-elle pas plus à droite? Nous nous rabattons sur le dièdre, où je plante un nombre de clous croissant avec la fatigue. Et dans les dernières longueurs, je fonte... l' énervement. La rage de vaincre...

Ce sommet, nous sommes contents de l' at, mais nous avons quelque inquiétude au sujet du retour. La Vierge est là. Comme je l' envie: elle n' a pas besoin de descendre! Photos. Nous signons le livre, qui contient des noms célèbres et ceux de cordées lausannoises. Enfin nous donnons « la moindre » à l' estomac, tout en regar- dant le versant de la Brenva, immense, avec ses voies extraordinaires. Et c' est la longue descente.

Décordés ( dans ce terrain, c' est plus sûr ), nous dégringolons rapidement: éboulis, arête, c' est pire qu' au Cervin; deux rappels et toujours droit en bas. Le jour baisse. En une heure et demie, temps très rapide, nous sommes arrivés à une tour carrée, qui marque un changement de direction pour le versant Fauteuil. Nous nous perdons dans le noir de l' Aiguille. Harassés, nous nous installons pour dormir. Guy m' explique qu' il a le sommeil léger; moi, c' est ma deuxième nuit blanche. Et puis... le froid me réveille; Guy claque des dents. Il a retrouvé son énergie et, avec sa lampe frontale, m' invite à descendre. Je le suis. Je me rendors, repars, et je ne sais plus... Soudain, c' est du délire: nous sommes en bas. L' épreuve est finie. Nous nous embrassons.

Nous rejoignons facilement le refuge de la Moire d' où une cordée part pour l' arête sud.

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