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Bon anniversaire Solvay-bivouac le roi des refuges fête ses 100 ans

Perché sur l’arête du Hörnli à 4003 mètres d’altitude, ce bivouac n’est autre que l’abri le plus haut de Suisse. A mi-parcours du Cervin, il représente, depuis des générations, une assurance-vie pour de nombreux alpinistes. Le 8 août, une petite fête sera célébrée à Zermatt pour son 100e anniversaire. L’occasion de faire une brève rétrospective de l’histoire du bivouac.

« J’ai appris une chose » dit Bruno Jelk, sauveteur depuis 35 ans à Zermatt, « je ne réponds plus aux alpinistes en détresse qui demandent combien coûte un vol de sauvetage ». A ses débuts, il a reçu un appel d’urgence du bivouac du Solvay et la première chose que les alpinistes lui ont demandée était le prix du sauvetage. Il a donné l’information et les conséquences ont été fatales. C’était trop cher pour les alpinistes, ils ont essayé de descendre par leurs propres moyens et ont chuté. La réponse juste est « soit vous avez besoin d’aide, soit vous n’en avez pas besoin ». C’est celle qu’il donne depuis cet accident et qui lui permet de dormir la nuit.
Bruno Jelk a dû intervenir près de 800 fois, il a récupéré quelque 1600 alpinistes en détresse – dont exactement 262 personnes décédées. Pourquoi se souvient-il si précisément de ce nombre? « Les morts sont différents. Ils marquent les esprits. » dit-il.

Une cabane indispensable

Le Cervin a fait de nombreuses victimes. Bien avant l’époque de Burno Jelk. En effet, aucune autre montagne en Suisse ne fascine autant les alpinistes. Des succès et des joies, mais aussi des défaites et des morts, ont écrit l’histoire depuis la première ascension du Cervin il y a 150 ans. Au début du siècle déjà, des voix se sont élevées pour demander la construction d’un refuge sur l’arête du Hörnli afin de faire diminuer les innombrables drames qui survenaient sur cette montagne.

La première cabane sur le versant Suisse a été construite en 1868, mais elle s’est rapidement délabrée. La Hörnlihütte a ensuite vu le jour en 1880 au pied du Cervin. De là, il était cependant difficile de venir en aide aux alpinistes qui se trouvaient sur la partie supérieure de l’arête. Il était donc nécessaire de construire une cabane à l’endroit critique. 

Un mécène a rapidement été trouvé : Ernest Solvay, un entrepreneur et philanthrope belge amoureux de haute montagne, en particulier des montagnes zermattoises. Il a généreusement fait don de 20’000 francs pour la construction du bivouac. « En remerciement pour tout le plaisir que la haute montagne m’a procuré » dit-il.

Des démarches difficiles

C’était en juillet 1904. Le reste n’est qu’une simple formalité pensaient les partisans au projet. Mais l’idée de construire un refuge sur l’arête du Hörnli n’était pas au goût de tous. La commune de Zermatt, propriétaire du terrain au Cervin rechignait à céder ses terres. Elle craignait que le nouveau refuge fasse de l’ombre à l’hôtel de plusieurs étages prévu au pied du Cervin (Hôtel Belvédère, nommé plus tard Berghaus Matterhorn). Les guides de montagne locaux étaient également réticents. Ils avaient peur que, grâce à cette « assurance-vie sur l’arête », les alpinistes se passent de leurs services. Le rapport de Karlrobert Schäfer de 1944 le décrit de façon vivante (en allemand). 

Le combat a été long et difficile : le CAS a dû frapper deux fois aux portes du Conseil d’Etat haut-valaisan. Il a fallu attendre 1912 pour obtenir l’aval des autorités zermattoises à la seule condition que le refuge ne serve qu’en cas d’urgence. Le début des travaux de construction a cependant dû être reporté de deux ans en raison des mauvaises conditions météorologiques. Ensuite la première guerre mondiale a éclatée et c’est seulement en juillet 1915 que l’architecte sédunois Alphonse de Kalbermatten a pu mettre sur pied un groupe de travailleur composé de guides et de porteurs : Oskar Supersaxo comme chef de chantier, Gustav Imseng, Roman Anthamatten, Cyrill Supersaxo, Hieronymus et Alois Lohmatter, Emanuel Burgener.

La construction du bivouac Solvay en images

Des milliers de kilos de matériel hissés sur l’arête

Le transport du matériel jusqu’au chantier à 4000 mètres d’altitude était difficile et épuisant. 3340 mètres de dénivelé séparaient Viège, où était coupé le bois, et le chantier. 960 mètres ont pu être parcourus grâce au train à vapeur qui reliait Viège à Zermatt. De là, des mulets ont transporté le matériel 1678 mètres plus haut, à la Hörnlihütte. Un système de treuil en 6 relais a permis de franchir les 645 mètres de dénivelé restants. Il a fallu dompter des couloirs très raides, des rochers exposés, la neige et la glace. Un homme pouvait hisser au maximum 250 kg de matériel à la fois. Le wagon vide retournait ensuite à son point de départ en 5 minutes. 8000 kg de matériel ont ainsi été acheminés jusqu’au chantier. Cette technique a permis d’achever la construction en seulement deux mois.

Ne pas être sujet au vertige

Même avec l’aide du treuil, le travail était très éprouvant physiquement. Chaque matin, les hommes montaient de la cabane du Hörnli jusque sur l’arête. Ils travaillaient pendant des heures dans la neige et la glace avec de simples chaussures cloutées. Le risque de chute était constamment présent. Une erreur d’inattention ou une glissade aurait été fatale. Il était nécessaire d’avoir le pied sûr et de ne pas être sujet au vertige. Par ailleurs, les mauvaises conditions météorologiques sont venues compliquer le travail. Mais mise à part une luxation de l’épaule, il n’y a pas eu d’accident. Cela tient presque du miracle.

Un journal qui en dit long

Le chef de chantier, Oskar Supersaxo tenait un petit journal. Après une dure journée de travail de près de 14 heures ses mots étaient souvent : « fatigué, fatigué, fatigué mais content ». Les mauvaises conditions météorologiques ont miné toute la période de construction, « mais pas la volonté, la force et la détermination des travailleurs » a-t-il relevé. Même quand Oskar Supersaxo n’était pas pleinement satisfait de son équipe. Il a écrit une fois avec humour : « En altitude l’air se fait plus rare et les forces diminuent. Surtout chez les couples mariées ! ». (Lien vers le journal).

Il a écrit les derniers mots sur son journal après l’ultime transport de matériel le 21 août : « Nous sommes tous cassés mais heureux qu’aucun accident ne soit arrivé. » Dix jours plus tard, le 31 août 1915, le bivouac était terminé. Ses 5 mètres de long et 4 mètres de large permettaient d’accueillir 12 à 15 personnes. Il n’y avait ni table, ni lit, juste une pièce vide. Cependant, il assurait ce qu’il y a de plus important, la sécurité. Depuis lors, le bivouac trône sur un minuscule éperon rocheux sur l’arête du Hörnli. Aucun autre bivouac en Suisse n’est situé à une telle altitude, ce qui lui vaut le titre de roi des bivouacs.

Aperçu du journal du contremaître

« C’était pire à l’époque »

La cabane n’a pas perdu de son importance. Au contraire, entre 400 et 600 alpinistes y passent la nuit chaque année. Mais seulement 30 à 40 d’entre eux sont vraiment en situation d’urgence, comme le précise Air Zermatt. Le bivouac ne devrait être utilisé qu’en cas d’urgence lors de la descente. Il y a toutefois toujours des gens qui y séjournent pour raccourcir leur ascension ou pour éviter les coûts d’une nuitée à la cabane Hörnli. La plupart ne paie même pas les 20 francs correspondant au prix d’une nuitée dans le bivouac. Mais à Zermatt, on ne veut pas parler d’abus. Selon Jelk, « c’était pire à l’époque ».

Une sécurité aussi pour les sauveteurs

Certains alpinistes trouvent le bivouac Solvay inutile, Bruno Jelk le sait. Pour eux, la « véritable » ascension du Cervin est réservée aux « vrais » alpinistes. « Ces gens ne connaissent rien au secours alpin », dit-il. « Pour nous, le bivouac Solvay est indispensable ». Les sauveteurs sont heureux de savoir les alpinistes en sécurité dans le refuge pour pouvoir entreprendre les opérations de sauvetage lorsque les conditions météorologiques sont meilleures. 

« Une chose est certaine » pour Bruno Jelk, « si l’abri n’existait pas, nous aurions des heures de marche supplémentaires à parcourir ». Et c’est ce que certains souhaitent lorsqu’ils appellent les secours. « Venez me secourir à pied et pas en hélicoptère ». Même un préposé aux secours aguerris comme Bruno Jelk est sidéré par de tels propos. Mais il garde son sang-froid pour répondre aux alpinistes en détresse : « Tu décides si tu as besoin d’aide ou non, je décide comment je viens te porter secours ».

Une sécurité trompeuse

Bruno Jelk connaît toutes les histoires tragiques survenues autour et même dans le bivouac. Comme celle de cet alpiniste qui avait déjà atteint le bivouac lors d’une descente par mauvais temps. Il passait le seuil de la porte et se croyait en sécurité lorsque son partenaire de cordée, qui parcourait les derniers mètres avant d’atteindre la cabane, a glissé et l’a entraîné dans sa chute.

Toutes les histoires n’ont pas une issue aussi dramatique. Par exemple, celle de deux jeunes alpinistes bloqués pendant plusieurs jours dans le bivouac en raison du mauvais temps, sans eau, ni nourriture. La tempête ne permettait pas une évacuation par hélicoptère, mais les sauveteurs ont pris le risque de voler jusqu’au bivouac et de leur faire descendre du thé chaud et de la nourriture au moyen d’une corde, tout en gardant une distance de sécurité avec les rochers.

Un appel d’urgence ou un récit de course

Il y a aussi des histoires un peu particulières : Une fois, un japonais a appelé les secours depuis le bivouac. Il ne parlait aucune autre langue. Bruno Jelk a donc pris sa radio et est parti à la recherche de japonais. Il y en avait à la gare de Zermatt. Il leur a brièvement expliqué la situation en anglais et transmis la radio en espérant qu’ils pourraient lui expliquer ce dont l’homme avait besoin. Après dix minutes de discussion animée, les japonais ont redonné la radio à Bruno Jelk en le remerciant. Eux aussi ne parlaient que le japonais. Impossible de savoir ce qui s’est dit. Bruno Jelk et son équipe sont donc partis en intervention. Heureusement, l’homme était juste épuisé. Il avait peut-être simplement raconté son ascension du Cervin a ses compatriotes.

Lorsqu’il y a l’orage à midi, Bruno Jelk sait qu’il y aura du travail. Chaque fois qu’il y a l’orage, il y a des gens qui se retrouvent bloqués sur l‘arête car ils n’ont pas pu redescendre à temps. « Nous aurions beaucoup moins de problèmes si le Cervin n’existait pas » raconte Bruno Jelk en riant. Mais il n’est pas prêt de s’effondrer et le bivouac Solvay, le roi centenaire perché sur son arête, continuera de venir en aide aux alpinistes en détresse.

PS: Le bivouac Solvay devait être rénové avant la saison 2017. Les descendants d’Ernest Solvay ont déjà assuré plus de la moitié des 90’000 francs nécessaire. Il est prévu de renforcer le toit et d’installer une nouvelle toilette. Ces travaux ont cependant dû être reportés jusqu’à nouvel ordre en raison du mauvais temps sur l’arête du Hörnli.

Inauguration et rénovation

La construction du bivouac s’est achevée en 1915 mais il n’a pas été possible de l’inaugurer tout de suite car la neige avait déjà fait son apparition. L’inauguration a été reportée à l’année suivante. En 2016, un groupe de quelque 20 personnes est donc parti pour le bivouac mais, à 3800 mètres d’altitude, l’équipe a dû renoncer à continuer en raison des fortes chutes de neige. L’inauguration officielle a finalement eu lieu le 8 août 1917. Le mécène Ernest Solvay n’a pas pu participer à la fête. La guerre faisait rage en Europe et il n’était pas possible de sortir de Belgique. Il n’a malheureusement jamais pu voir l’abri qui a été érigé grâce à lui. Le CAS a estimé qu’il était de son devoir de donner son nom au bivouac.

 

 

Le 8 août 2017, l’Association centrale du CAS célèbre les 100 ans du bivouac à Zermatt, en compagnie des descendants d’Ernest Solvay, l’occasion de remercier une nouvelle fois chaleureusement le mécène Ernest Solvay et ses descendant. Car même 100 ans après sa construction, l’abri n’a pas perdu de son importance.

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