«Bon Dieu, Lunn, tu veux traverser toute la chaîne du Wetterhorn?» Les épopées de Sir Arnold Lunn dans les Alpes bernoises orientales
«Ce fut une course idéale, car elle nous a offert du beau ski pour chaque mètre que nous sommes montés, sauf environ 250 mètres sur les derniers sommets du Wetterhorn.» Voilà le bilan que tire Arnold Lunn dans Ski, l’Annuaire de l’Association suisse des clubs de ski.
Le 11 mai 1919, Arnold Lunn, Josef Knubel de St. Niklaus, son guide préféré, Fritz Amacher, son porteur, travaillant principalement comme liftier à l’hôtel Baer à Grindelwald, et Peter Schlunegger, concierge du Palace Hotel à Mürren, ont effectué en quatorze heures et demie l’impressionnante course suivante: montée de la Gaulihütte SAC (2204 m) à la Rosenegg, descente jusqu’à environ 3300 m sur l’Oberer Grindelwaldfirn, montée au Mitteljoch, descente au Wellhornsattel et montée au Wettersattel. Crochet au Wetterhorn (3690 m) sans les skis. Puis à skis jusque 60 mètres en dessous du Mittelhorn et à pied au sommet (3702 m). Descente au Wellhornsattel, puis plus bas dans la cuvette. Montée au Ränfenhorn (3255 m) et retour à la Gaulihütte.
Dans le premier volume du British Ski Year Book, qu’il a fondé et dirigé jusqu’en 1971, Arnold Lunn écrivait: «Some of the best skiing I have ever enjoyed.» Et dans l’article paru dans Ski: «En tout, nous avons fait quelque 2400 mètres en un jour, une journée bien remplie qui ne pouvait être tentée qu’au printemps.» Arnold Lunn, né en 1888, était un infatigable adepte d’alpinisme à skis, auteur sur le ski et acteur dans le monde du ski. A la gare de Mürren est érigé un monument portant l’inscription suivante: «Arnold Lunn a réalisé ici à Mürren, en 1922 le premier slalom et a organisé en 1931 les premiers Championnats du monde en descente et en slalom.» Il a défini pour cela des règles modernes, qui ont été reprises plus tard par la Fédération internationale de ski. C’est en Suisse que le Britannique a appris à skier. Son père, Henry, avait fondé une agence de voyages qui proposait souvent des vacances de sports d’hiver en Suisse. Aujourd’hui, elle fait partie de l’entreprise voyagiste Tui.
Les contrastes uniques du mois de mai
Ce n’est pas par hasard si Arnold Lunn a fait de sa course aux Wetterhörner l’aboutissement de son article en deux parties sur le ski de printemps et d’été, paru dans Ski en 1919 et 1920. Dans la première partie, le Britannique explique pourquoi l’hiver est en fait la saison pour les courses à skis en moyenne montagne, et le printemps, voire le début de l’été, celle pour des courses à skis en haute montagne.
Avant Lunn déjà, des adeptes d’alpinisme à skis comme le Bernois August Mottet avaient remarqué qu’à partir d’avril, on trouvait souvent sur les glaciers de meilleures conditions de neige, des crevasses mieux bouchées et un danger d’avalanches moins persistant. Mais Lunn, qui avait rédigé en 1910 le premier guide de courses à skis dans l’Oberland bernois, The Bernese Oberland, Part. I. The Alpine Ski Club Guides, fut le premier à expliquer en détail pourquoi exactement il fallait préférer le printemps à l’été: de la neige dure pour la montée et de la neige gros sel pour la descente, de longues journées et un contraste unique entre l’éclat des pentes blanches à skier et le vert dans les vallées.
«En mai, ce sont les contrastes qui récompensent les alpinistes. Entre l’aurore et le coucher du soleil, on peut vivre l’ensemble du cycle des saisons, passer de l’hiver au printemps, profiter du meilleur que la neige a à offrir au skieur.» En 1921, Lunn a assorti son guide d’un manuel idoine, Alpine Skiing at all heights and seasons.
Dans la deuxième partie de son article paru dans Ski, Arnold Lunn narre des courses à skis qu’il a effectuées en mai dans les Alpes bernoises orientales. Le 18 mai 1918, il est monté à la Finsteraarhornhütte SAC depuis le Jungfraujoch par la Grünhornlücke en compagnie de trois de ses compatriotes, les officiers E. T. R. Carlyon, R. D. Evans et R. Middleditch (ils faisaient partie des 800 internés anglais profitant d’activités à skis à Mürren, dont des excursions à la pleine lune sur une butte appelée depuis Maulerhubel [colline du Mauler], en référence au vin mousseux qu’on y buvait), des guides de montagne Knubel et Bischoff ainsi que des frères Feuz de Mürren.
Le 19 mai, les huit alpinistes ont gravi le Kleines Fiescherhorn et le Hinteres Fiescherhorn, avant de rejoindre la Lauteraarhütte SAC via la Gemschlücke, l’Oberaarjoch et l’Unteraarboden le 20 mai. Enfin, le 21 mai, ils sont montés en dix heures et demie au Rosenhorn (3689 m), le troisième sommet des Wetterhörner, via le Lauteraarsattel et Rosenegg. Son arête sud-est et ses nombreuses antécimes firent presque désespérer un des camarades de Lunn: «Good God, Lunning, are you going to traverse the entire Wetterhorn chain? How many tops has this cursed spitze?» Ce que l’on pourrait traduire ainsi: «Bon Dieu, Lunning, tu veux traverser toute la chaîne du Wetterhorn? Combien de sommets compte cette satanée pointe?»
L’adoubement
Une année plus tard seulement, Lunn était de retour avec trois compagnons pour entreprendre la boucle Wetterhörner-Ränfenhorn en question. Trois jours plus tard, ils ont rejoint la Lauteraarhütte depuis la Gaulihütte par le Hiendertelltijoch, puis dans l’après-midi la Strahlegghütte par le Finsteraarjoch. Le lendemain, ils sont descendus à Grindelwald, portant pendant des heures leurs lourds skis en bois.
On ne s’étonne donc pas de lire le souhait suivant de Sir Arnold Lunn en 1919 dans Ski: «Le jour viendra bientôt, je l’espère, où chaque cabane de club sera remplie de skieurs et où la vue d’une société qui gravit le Mont Rose à pied paraîtra aussi vieillotte et démodée que ces anciennes gravures qui montraient des alpinistes au Mont Blanc avec des hauts-de-forme.»
En 1952, à 64 ans, Arnold Lunn fut fait chevalier pour sa contribution au ski britannique et aux relations anglo-suisses.