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As-tu vu mes Alpes ? Une exposition met en lumière un chapitre sordide de l’histoire

Des dizaines de milliers de Juifs ont été refoulés à la frontière durant la Seconde Guerre mondiale, et envoyés ainsi à la mort pour la plupart d' entre eux. Certaines associations alpines y ont leur part de responsablité. D' autres, comme le CAS, se sont tues.

« L' une des pires choses que Hitler m' ait infligées est de m' avoir volé mes montagnes. » C' est l' aveu du skieur et alpiniste passionné Bruno Roth ( 1896-1984 ) qui, à l' époque du national- socialisme, émigra d' Allemagne aux Etats-Unis. Il faisait partie des centaines de milliers de citoyens allemands contraints de quitter leur pays parce qu' ils étaient juifs. Parmi les choses qu' il voulait emporter dans son exil figuraient ses chaussures de montagne cloutées. On peut les voir exposées au Forum Schweizer Geschichte à Schwyz, siège du Musée national en Suisse centrale. L' aryanisation n' a pas épargné les clubs d' alpinistes Hanno Loewy, directeur du Jüdisches Museum de Hohenems, est à l' origine de l' exposition temporaire qu' il a organisée en collaboration avec le Jüdisches Museum de Vienne. Durant six ans, il a collecté des histoires concernant les Juifs et leur rapport aux Alpes. Il est résulté de ce travail un aperçu sensible, riche et varié de l' histoire de la judaïcité dans son rapport au monde de la montagne. Cette histoire ne se limite pas au mythique Mont-Sinase poursuivant dans les temps modernes, elle a marqué le développement de l' alpinisme comme on peut l' apprendre par les illustrations, écrits, films et objets personnels présentés. L' exposition est accompagnée d' un splendide catalogue, hommage au monde de la montagne, dont les descriptions se succèdent au long de quarante chapitres. On verra ainsi, à côté des souliers cloutés de Bruno Roth, des objets de découvertes géologiques et des instruments de mesure ayant appartenu à des alpinistes et chercheurs juifs réputés comme Joseph Braunstein, Gottfried Merzbacher ou Paul Preuss. Ce dernier, l' un des alpinistes les plus connus de son temps ( il passe pour le père de l' escalade libre ), était membre de la section Austria de l' Österreichischer Alpenverein. Cette section comptait parmi ses membres 2000 Juifs, un tiers de son effectif. On assista dès le début des années 1920 à l'« aryanisation » des clubs alpins autrichien et allemand, qui aboutit à l' exclusion des Juifs. Les alpinistes juifs créèrent alors leur propre section Donauland, qui en 1924 fut exclue de l' Association centrale. On peut voir à l' exposition des pancartes nommées « Judenabwehrschilder » ( défense contre les Juifs ) qui démontrent un antisémitisme ouvertement déclaré. Elles étaient fixées aux écriteaux des sentiers pédestres ou suspendues aux portes d' entrée des cabanes des clubs. Dans les hôtels, on trouvait des flyers portant l' inscription « Juden unerwünscht » ( Juifs indésirables ). Comment se présentait la situation au Club alpin suisse ( CASDes membres juifs ont-ils été exclus? Daniel Anker, historien et écrivain, a consacré son mémoire de licence au CAS et à son idéologie des montagnes: « Au cours de mes recherches, je n' ai trouvé aucun cas concret. Pourtant, j' ai pu constater clairement les fossés existant, durant la première moitié du 20e siècle, entre catholiques et réformés, entre Romands et Alémaniques. » Selon Hanno Loewy, le CAS a pratiqué une politique de l' autruche: l' antisémitisme était rarement exprimé ouvertement. C' est ce que reflète la correspondance échangée en 1925 entre Alfred von Martin d' une part, historien et membre de l' Österreichischer Alpenverein, et d' autre part le CAS et la rédaction de la revue Les Alpes. On peut en consulter des extraits dans l' un des nombreux portefeuilles de lecture à disposition. Sous le titre « Alpinismus und Antisemitismus », Alfred von Martin rapporte l' exclusion de la section autrichienne Donauland et en rend responsable l' antisémitisme de la section viennoise ainsi que les ambitions d' aryanisation. Un groupe de membres de diverses sections du CAS répond dans une longue lettre que l' exclusion de la section Donauland est la conséquence de problèmes internes. La rédaction invite alors Alfred von Martin à revenir sur le sujet pour rédiger « une réponse fondée sur les faits ». Celui-ci insiste une nouvelle fois sur le fait qu' il s' agissait de pur antisémitisme, une question d' importance européenne. Ernst Jenny, rédacteur de la revue, termine ainsi cette consultation: « Après cette réponse, je déclare le débat clos. » Mais le CAS ne s' est jamais clairement opposé à l' antisémitisme. Une émotion bouleversante, aujourd'hui encore Depuis la fin du 19e siècle, la Suisse, et particulièrement les Grisons, accueillaient des patients juifs dans les lieux de cure. Nombre d' entre eux s' installaient par exemple à Davos, devenaient membres du CAS ou s' engageaient dans la vie politique et sociale. Divers objets exposés en témoignent, provenant entre autres de la Dokumentationsbibliothek de Davos. Par exemple, la plaquette « Zehn Jahre Hilfsverein der jüdischen Heilstätte Etania » ( Dix ans de l' Association d' entraide de l' établissement de cure juif Etania à Davos ). On verra aussi les émouvantes réflexions et communications contenues dans le document « Zur Freiheit gelangten jüdischen Jugend Davos » ( La jeunesse juive de Davos parvenue à la liberté ) conservé aux Archiv für Zeitgeschichte ( Archives d' histoire contemporaine ) de l' Ecole polytechnique fédérale de Zurich ( EPFZ ). Dans un essai d' illustration, les photographes Michael Melcer et Partizia Schon posent un regard contemporain sur le rapport entre les personnes juives et les Alpes. Ils ont suivi des touristes juifs orthodoxes à travers des paysages alpins et ont observé « leur émotion enfantine bouleversante » à la vue des magnifiques pâturages et des neiges éternelles. Arrivés au plus haut cimetière israélite d' Europe, à Davos, ils s' étonnèrent du nombre de personnes jeunes, presque des enfants souvent, qui y sont enterrées. Au cimetière israélite, une tombe particulière se trouve à l' écart des autres, tout devant contre le mur d' enceinte, là où le visiteur jouit de la plus belle vue sur les montagnes. C' est la sépulture d' un couple de souche juive, installé à Davos, qui gît ici parmi les siens sans paraître pourtant faire partie de la communauté. Les deux époux étaient des alpinistes passionnés, membres durant de longues années de la section Davos du CAS. L' épouse fut l' une des premières femmes membres du CAS, dont elle fut même membre d' honneur. L' exposition On peut s' étonner de voir une exposition consacrée à l' histoire des rapports entre la judaı¨té et les Alpes, au milieu de celles-ci et en Suisse centrale. Pour Hortensia von Roten, commissaire de l' exposition pour le Forum Schweizer Geschichte à Schwyz, c' est l' occasion de faire ressortir un contraste frappant: « Il ne s' agit pas de montrer notre rapport aux Alpes, mais celui que peuvent avoir les Juifs, ces étrangers par excellence. »

L'exposition

Le vernissage aura lieu le 10 avril 2011. L'exposition sera ouverte jusqu' au 30 octobre, et l'on pourra y assister à des conférences ainsi qu' à la projection de plusieurs films, et participer à des visites guidées. Informations détaillées sur www.forumschwyz.ch

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