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Aventure à la verticale Les Wendenstöcke

Les Wendenstöcke sont devenus durant les trente dernières années un rendez-vous incontournable des amateurs d' escalade sportive alpine, qui y accourent du monde entier. On y trouve, dans un calcaire compact et grossier, près de 100 voies de plusieurs longueurs réparties sur différents secteurs peu éloignés les uns des autres. Et il reste encore de la place pour d' autres!

Ce rocher compact et orienté plein sud se mérite, nous en avons fait l' expérience en gravissant les pentes raides et souvent dépourvues de tout chemin, qui mènent au pied des parois. Ce premier obstacle passé, nous grignotons un petit quelque chose sous le regard attentif de bouquetins pas craintifs pour un sous, avant de nous équiper enfin sous les premiers rayons du soleil. La nervosité me gagne, comme c' est le cas à chaque fois au moment d' attaquer les quelques premiers mètres, mais nous ne tardons pas à nous habituer au toucher si exceptionnel de ce calcaire gris argenté et nous nous détendons petit à petit. Outre la musculature, l' esprit aussi se réchauffe lentement. Les mouvements se fluidifient, et la distance entre les spits ne fait plus peur, jusqu' à sembler parfaitement adaptée.

Le second obstacle passé, nous oublions complètement le quotidien, laissé loin sous nos pieds, dans la vallée encore baignée d' ombre. Il s' agit désormais de puiser profondément dans son répertoire technique pour venir à bout de quelques passages ardus et de se dépasser un peu pour atteindre le spit suivant ou le prochain emplacement où installer un assurage mobile. Le monde autour de nous n' existe plus, et notre esprit tout entier se concentre sur les quelques mètres qui nous précèdent. Arrivés à un relais, notre regard survole les formations glaciaires et rocheuses allant du Titlis au massif du Wetterhorn, en passant par le Sustenhorn. Au fond de la vallée, la ligne grise formée par la route du col du Susten luit au soleil.

Hans Peter Trachsel et Markus Brechbühl furent les premiers alpinistes à oser s' attaquer, en 1968, à la partie centrale des Wendenstöcke en escaladant le pilier sud du Pfaffenhuet. Cette voie ( VI, A2, équipement classique ) faisait partie jusque dans les années 1980 des escalades en rocher les plus difficiles de l' Oberland bernois. Par la suite, d' autres voies naturelles furent ouvertes, comme le pilier sud-est du Pfaffenhuet ( 1970, Hans Howald et J. Whiting ), le pilier sud-est du Reissend Nollen ( 1976, Etienne Gross et Walter Keusen ) et la face sud du Klein Wendenstock ( 1978, Christian Lemrich, Charles Oppliger et Gérald Vouga ). Parmi elles, la voie Gross/Keusen se fait encore aujourd' hui.

Peter Lechner et Kaspar Ochsner s' y attaquèrent dès 1983. Ils s' aventurèrent pour la première fois sur les dalles raides et compactes en ouvrant Lupus, dans le Pfaffenhuet. Cela ne fut rendu possible que par l' utilisation, très économe, de pitons à expansion. L' escalade pure supplantait l' appel du sommet au premier plan. Dans cet état d' esprit, les deux compères ouvraient la voie au développement des Wendenstöcke qui devaient très vite se transformer en un haut lieu de l' escalade sportive alpine. La même année, Peter Lechner et Viktor Ammann ouvrèrent Excalibur, un classique aujourd'hui, qui donna son nom à ce pilier. A l' époque, la voie n' était équipée que de quelques rares pitons à expansion fixés manuellement et de quelques pitons ordinaires. Un engin explosif perdu a même été calé dans une fissure et servira pour quelques années encore d' ancrage de relais. L' ascension très médiatisée d' Excalibur en free solo par Ueli Steck en 2004 déclencha une véritable ruée sur cette voie, si bien que l'on pouvait y observer jusqu' à trois cordées certains jours. Nombreux furent ceux qui la sous-estimèrent et qui ne parvinrent jamais à en atteindre la sortie.

Après l' ouverture d' Excalibur en 1983, les choses s' accélérèrent. En quelques années, des voies réputées comme Elefantenohr, Blaue Lagune, Inuit, Stars Away, Sternschnuppe, Jednicka, Batman, Letzter Mohikaner et Caminando virent le jour. Si la fièvre des ouvertures s' estompa quelque peu dans les années 1990, quelques voies prestigieuses vinrent tout de même s' ajouter, à l' instar de Voie du Frère, Patent Ochsner, Tsunami ou Millennium. Les années 2000 ne furent pas en reste non plus, avec la découverte et la première de jolies voies très exigeantes pour certaines. Parmi elles, citons Portami Via, Coleophysis et Zahir, la référence dans le secteur avec sa cotation en 8b+, voire 8 c si l'on dépasse de quelques mètres le relais de la longueur clé.

Aujourd' hui la réputation des Wendenstöcke a largement dépassé les frontières du pays. Des grimpeurs venus de toute l' Europe font le sacrifice d' un long voyage pour vivre un moment intense de grimpe dans ces alignements de dalles fascinants.

Même si les voies des Wendenstöcke inspirent un certain respect, il s' agit de bien faire la différence entre exigences sur le plan psychique et difficultés réelles. Une première tentative dans ces voies demande quelque expérience préalable de ce genre d' escalade sur plusieurs longueurs. A cet effet, Silberfinger dans les Engelhörner ou les très belles voies de Michel Piola sur la Rote Fluh pourraient très bien convenir. Dans les Wendenstöcke, Aureus, Sonnenkönig, Spasspartout et, un peu plus difficile, Patent Ochsner sont des voies toutes indiquées pour une première fois. On trouve ensuite les magnifiques classiques de difficulté moyenne comme Voie du frère, Sternschnuppe, Lancelot, Torwächter ou Millennium. Enfin, les grimpeurs à la recherche de nouveaux challenges se mesureront encore dans Letzter Mohikaner, Jednicka, Tsunami, Batman ou Rockmantic.

La satisfaction durable que l'on ressent après une visite aux Wendenstöcke n' est pas uniquement due à la qualité parfaite du rocher et à l' ambiance fantastique des lieux, mais aussi au fait que l'on s' est lancé un défi personnel relevé grâce à ses propres capacités. Un bon niveau de grimpe en salle ou dans les écoles d' escalade est certes d' une grande aide, mais il n' est pas une garantie de réussite dans les Wendenstöcke, qui ne sourient qu' aux grimpeurs capables d' allier assurance, responsabilité et respect. En effet, tandis que de nombreuses voies classiques ont été assidûment rééquipées et que des spits ont été ajoutés à la pelle durant ces dernières années un peu partout en Suisse, les Wendenstöcke sont restés en marge de telles actions, à l' exception de quelques voies assez anciennes comme Blaue Lagune, Inuit ou Excalibur, qui se sont vues légèrement assainies dans le respect de leur caractère originel. L' approche de telles voies demande aujourd'hui encore circonspection et expérience à ceux qui voudraient s' attaquer par exemple au passage-clé de Blaue Lagune sans risquer de se blesser gravement en cas de chute.

L' avenir des Wendenstöcke vu par l' ouvreur Michal Pitelka

Interview: Peter von Känel Les Alpes: Les années 1980 ont vu le début de la grande vague d' ouvertures en escalade sportive alpine dans les Wendenstöcke. Avec tes collègues de l' époque, tu as équipé et ouvert plusieurs voies qui font partie aujourd'hui des grands classiques de la région. Qu' est que cette époque avait de particulier?Michal Pitelka: Nous étions une douzaine d' ouvreurs locaux à évoluer dans une ambiance amicale et détendue. Nous nous rencontrions de temps en temps et nous échangions nos expériences. Une telle quantité de parois encore vierges et de qualité si exceptionnelle, tout cela dans un périmètre aussi réduit, était très motivant pour nous. Ceci d' autant plus que je revenais de six mois de grimpe en Amérique, où les distances entre les bons sites d' escalade sont énormes.

Qu' est qui te pousse à ouvrir des voies?L' ouverture et la répétition de voies sont deux disciplines totalement différentes. L' ouverture est une aventure à l' issue incertaine. On ne sait pas à quoi s' attendre lorsqu' on se lance. Il arrive que l'on soit bloqué dans un passage difficile qui sera finalement vaincu un autre jour. C' est très excitant!

As-tu des préférences dans les Wendenstöcke? Et qu' est qui te plaît moins?Il y a plusieurs voies que j' adore, Excalibur et Zyklopenauge en font partie. En revanche, les voies équipées dans la paroi principale du Reissend Nollen ( Caminando, Millennium,… ) me plaisent moins en raison de la texture du rocher. Tu as assaini durant l' été 2009 la voie baptisée Inuit au Pfaffenhuet. A quoi es-tu attentif lors d' une telle opération? Contrairement à d' autres grimpeurs actifs dans l' assainissement de voies, je trouve important d' en conserver le caractère originel. Je me contente généralement de remplacer les anciens pitons, dont le nombre total reste à peu près le même au final. Dans des passages que l'on peut considérer objectivement comme vraiment dangereux, j' installe un piton supplémentaire, à condition bien sûr que le caractère de la voie n' en soit pas changé. Je remplace aussi quelquefois par des pitons à expansion des anneaux de corde fixés dans des lunules ( naturelles ou creusées par des grimpeurs ) s' éloignant de la voie. Lorsque des points d' assurage naturels comme des lunules ou des fissures sont à disposition, j' évite le plus possible d' installer des pitons. Lors d' un assainissement, j' utilise le moins de matériel possible. En revanche, je ne pose que du matériel d' excellente qualité en inox. Prochainement, j' aimerais assainir quelques voies dans la région en restant le plus fidèle possible à leur aspect originel. Je pense entre autres à Excalibur. Après discussion avec ses ouvreurs, nous allons remplacer le matériel d' assurage existant, souvent accumulé au fil des années, par des pitons à expansion en inox. Les relais solides seront aménagés comme pistes de rappel. Pour se rapprocher du caractère originel des voies, la tendance est à la réduction du nombre de points d' assurage fixes.

Comment vois-tu l' avenir des Wendenstöcke? Le nombre de jeunes grimpeurs à l' aise au-delà du 7b et attirés par des secteurs d' escalade aventureux comme celui des Wendenstöcke est de nouveau en augmentation. Cette génération cherche aussi ses propres challenges et sera probablement à l' origine de quelques ouvertures de voies difficiles. Il y aura toujours des grimpeuses et des grimpeurs en quête de voies alpines exigeantes de plusieurs longueurs. C' est pourquoi je pense qu' il faut laisser quelques-unes des voies restées « sauvages » dans leur état actuel. Dans les cas d' Indian Summer ou Zyklopenauge par exemple, je ne ressens pas le besoin d' assainir. Dans ce genre de voies, il n' y a pas que le niveau d' escalade qui compte, mais aussi la recherche d' itinéraires. Souvent, on n' y grimpe pas d' un spit à l' autre, mais on doit y trouver son chemin tout seul, ce qui rend l' exercice encore plus attrayant. Les choses se sont toujours passées ainsi: l' avenir des grimpeurs de demain repose sur les épaules de ceux d' aujourd.

Portrait express de Michal Pitelka

Né en Tchécoslovaquie (actuelle République tchèque) en 1961, il arrive en Suisse en 1981 et s’établit en 1987, dans l’Oberland bernois. Parallèlement à de nombreuses ouvertures et répétitions de voies alpines difficiles ayant fait sensation, il se consacre à l’ouverture de voies d’escalade sportive alpines. Michal Pitelka est père d’une fille aujourd’hui.

en âge adulte et vit aux côtés

de Dana, son amie de longue date. Il

dirige une petite entreprise de construction

spécialisée dans le bois à

Matten, près d’Interlaken.

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