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Bouquetins sous surveillance

Les autorités savoyardes ont ordonné l’abattage de plus de 200 bouquetins l’automne dernier. En cause, une épidémie de brucellose, maladie transmissible à l’homme via le bétail. En Suisse, on reste zen: de ce côté-ci de la frontière, le scénario français paraît peu probable.

Les défenseurs des animaux français sont écœurés. Dans le massif du Bargy, en Haute-Savoie, les autorités ont donné leur feu vert en automne 2015 à l’abattage de 200 à 300 bouquetins, soit près des trois quarts de la colonie locale. Raison de cette mesure drastique, qui fait écho à un premier abattage massif ordonné en 2013 dans la même zone? Une épidémie de brucellose, maladie infectieuse qui peut se transmettre au bétail, puis à l’homme. Par les produits laitiers non pasteurisés, entre autres.

La Suisse pas alarmiste

Situé en Haute-Savoie, le massif du Bargy n’est distant de la Suisse que de quelques dizaines de kilomètres. Pourtant, de ce côté-ci de la frontière, l’affaire hexagonale n’empêche pas les autorités compétentes de dormir. «Dès que nous avons eu vent de ces cas, nous avons accru notre surveillance de la faune et des troupeaux de la région. Mais aucun cas n’a été décelé jusqu’ici», a indiqué à l’hebdomadaire Terre & Nature Yvon Crettenand, biologiste au Service valaisan de la chasse. Du côté de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), l’heure n’est pas à l’alarmisme non plus. «La Suisse ne connaît actuellement aucun cas de brucellose, qu’il s’agisse du bétail ou de la faune sauvage», souligne Eva van Beek, du Service de communication. Dès lors, aucune mesure particulière n’a été prise.

Bêtes étroitement surveillées

Les responsables helvétiques se contentent visiblement de prendre acte de l’épizootie sévissant en France voisine et d’accroître quelque peu leur vigilance. Ce flegme est justifié par plusieurs facteurs, selon Nicolas Bourquin, collaborateur scientifique pour la gestion des ongulés auprès de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). C’est avant tout le fait que ces caprinés font l’objet d’une surveillance plus étroite en terres helvétiques qui permet aux spécialistes de se montrer confiants. «Lorsque l’épizootie de brucellose a été découverte en France, il y avait déjà de nombreux cas. Si l’on en croit les données de nos confrères sur place, cela pourrait faire une vingtaine d’années que la maladie est présente dans cette population», commente Marie-Pierre Ryser, responsable du groupe faune au Centre pour la médecine des poissons et animaux sauvages de l’Université de Berne (FIWI).

Des tirs ciblés pour réguler

Or, à l’inverse de la France, qui laisse les bouquetins s’autoréguler, notre pays pratique des tirs de régulation. Outre la sauvegarde de leur habitat et de la biodiversité, ce système permet «d’avoir un bon suivi de l’état de santé de ces ongulés», note Nicolas Bourquin. En effet, en vertu de l’article 9 de l’Ordonnance fédérale sur la régulation des populations de bouquetins, tous les animaux abattus doivent être présentés aux gardes-faunes. Si ces derniers observent sur la bête des symptômes inquiétants, les vétérinaires cantonaux sont immédiatement avertis.

«Certes, il s’agit de faune sauvage, donc on ne peut pas prétendre détecter toutes les maladies de façon précoce», constate l’expert de l’OFEV. Par ailleurs, «même mis au jour rapidement, un foyer d’émergence peut s’étendre très rapidement». Reste qu’une situation comme celle vécue actuellement dans le massif du Bargy «demeure pour l’heure peu probable».

Lacune française

Du côté de la France, on admet que le fléau qui touche les bouquetins de Haute-Savoie est le résultat d’une lacune. «Dans certaines zones situées hors de nos Parcs nationaux, les colonies ne sont pas assez surveillées», analyse l’expert français Dominique Gauthier, membre du Groupe national bouquetins. «La dernière fois que la population du Bargy a été étudiée, c’était à la fin des années 1980», précise-t-il.

Chez nos voisins, «le bouquetin est protégé depuis un décret de 1981», rappelle Dominique Gauthier. «Des études ont montré que cette espèce parvient particulièrement bien à s’autoréguler. Contrairement à nos homologues suisses, nous n’intervenons pas par le biais de tirs ciblés. Nous sommes plutôt guidés par un esprit de sélection naturelle.»

Pas une culture de viandards

Même si la régulation des bouquetins est autorisée en Suisse, ce malgré leur statut d’animaux protégés, elle fait l’objet d’un cadre particulièrement strict, avertit Nicolas Bourquin. «Nos 46 colonies (soit près de 17 000 bêtes au total, n.d.l.r.) sont gérées par les cantons, qui effectuent des comptages chaque année. Ils nous envoient ensuite des plans de tirs très précis – par exemple trois femelles de 3 ans – que nous examinons attentivement avant de leur délivrer l’autorisation.»

L’octroi de tirs pour les chasseurs est tout aussi sévèrement cadré. «Dans le canton de Berne, vous devez être au bénéfice d’au moins 18 patentes de chamois avant d’avoir le droit de tirer un bouquetin.» En outre, de nombreux chasseurs sont accompagnés par un garde-faune lorsqu’ils abattent un bouquetin. «On n’est donc pas dans une culture de viandards!»

Que la pratique helvétique présente des avantages, Dominique Gauthier l’admet volontiers. Mais il ne pense pas pour autant que la triste affaire du Bargy poussera son pays à introduire le même système. «Par contre, on sent monter la volonté d’accroître la surveillance de notre faune sauvage.»

D’autres préoccupations

Deux autres maladies occupent davantage la Suisse: la kératoconjonctivite infectieuse et la tuberculose bovine. Appelée «cécité du chamois», la première est une inflammation de l’œil pouvant s’étendre à la cornée et entraîner une cécité. Les bêtes qui en sont atteintes meurent souvent de faim ou suite à une chute. Après avoir connu une flambée de la maladie auprès de ses bouquetins l’été dernier, le Parc national suisse a subi au début de l’automne une poussée chez les chamois. «Nous étions inquiets, car cette maladie est tendanciellement plus grave chez les chamois», commente Flurin Filli, directeur d’exploitation du parc. La zone où vivent les bêtes concernées a été provisoirement interdite aux randonneurs. Finalement, «nous avons perdu peu d’animaux, car la plupart ont guéri d’eux-mêmes», se réjouit le responsable. Pour ce qui est de la tuberculose bovine, la Suisse est pour l’instant épargnée. Mais l’OFEV a appelé à la vigilance en août dernier suite à des cas positifs à la maladie signalés chez nos voisins.

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