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Deux ascensions dans la Sierra Nevada

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR FRIEDRICH KOBLET

Avec 3 illustrations ( 58-60 ) La chaîne bien visible de la Sierra Nevada, dans l' Espagne méridionale, est la première chose qui frappe les regards du visiteur de la ville de Grenade. Ses sommités, qui dépassent 3000 mètres et restent enneigées jusque très avant dans l' été, posent une ravissante toile de fond au palais mauresque de l' Alhambra.

Par une pluvieuse journée de novembre, quatre jeunes Suisses se mettaient en route dans une auto de louage, pour gagner la « Residenzia Universitaria », qui sert de point de départ pour les ascensions dans le massif. Vu la saison tardive, nous ne pouvions espérer de trouver la maison 1 A. Voillat - loc. cit. 150 ouverte, aussi emportions-nous tout le matériel et les vivres nécessaires pour un camp de plusieurs jours. Toutefois, la neige et la tempête ne nous permirent pas même d' atteindre le but fixé, et nous obligèrent à dresser le camp au pied des Penones de San Francisco. Notre espoir de voir le temps s' améliorer fut justifié; peu après minuit la tempête s' apaisa, et un ciel sans nuages arrondit au-dessus de nos tentes sa voûte criblée d' étoiles.

La Veleta, 3428 m Je suis réveillé par la voix de Victor qui annonce le déjeuner. Nous grignotons notre pain croustillant que nous arrosons de lampées de malt de soya. Sepp, notre chef, propose de tenter l' ascension de la Veleta, et bien que le ciel brillant de la nuit ait fait place à un plafond de brouillard élevé, cela ne doit pas nous arrêter, non plus que la neige qui saupoudre le paysage. Seul le vent violent et persistant nous cause quelque souci. A 9 heures nous sommes en route. Du haut de la colline qui domine le camp, nous nous orientons. Devant nous se dressent les tours des Penones de San Francisco. Tout au fond de la vallée, nous voyons le village de Pino; plus loin s' étendent la plaine et la ville de Grenade. A notre gauche, les cimes de la Sierra Nevada sont incrustées de neige et de glace; mais déjà le soleil, perçant le brouillard, réchauffe et colore le paysage. Tournant à droite, nous retrouvons la chaussée, qui nous amène aux « Résidences » universitaire et militaire.Voici la Veleta, dont la cime pointue étincelle au soleil. Peu après, la route disparaît sous le tapis de neige; nous amorçons alors une marche de flanc qui doit nous conduire à l' arête nord de notre sommet Dès que nous avons tourné son contrefort ouest, le vent nous assaille de ses rafales, contre lesquelles nous devons bander toutes nos forces; le froid transperce tous nos vêtements. A droite de la Veleta surgissent dans le soleil des montagnes ignorées de la carte. Juste sous l' arête nord, le vent nous laisse quelque répit; mais cette accalmie ne sera que momentanée. Péniblement, nous grimpons dans les rochers verglacés et enneigés de cette abrupte paroi ouest, où les plus grandes précautions sont nécessaires. Par les créneaux de l' arête, nous apercevons à l' est les autres cimes de la Sierra Nevada, et admirons l' élégante silhouette de l' Alcazaba. D' un effort soutenu et tenace, nous nous élevons dans la paroi en direction du sommet que nous touchons enfin à 2 heures de l' après. Silencieuse poignée de main; la lutte contre le vent, avec la neige et la glace, est déjà oubliée.

Le panorama est incomparable. Loin au sud et à l' est luisent les eaux glauques et moutonneuses de la Méditerranée, et nous apercevons distinctement des bateaux sur la nappe infinie. Tout près de nous, les géants de la Sierra, le Mulhacen et l' Alcazaba, présentent les précipices impressionnants de leurs flancs N et NW, qui plongent dans le cirque de Maitena. D' innombrables crêtes se succèdent jusqu' à l' horizon. Au sud, les ramifications de la Sierra s' allongent vers la mer. A nos pieds, la Laguna del Rio Veleta est déjà recouverte de glace. Le regard s' étend au nord jusqu' au Plateau ibérique, à l' ouest vers les monts du Portugal, au sud-ouest à la côte d' Afrique. Les rochers et la végétation sont une féerie de couleurs.

Après avoir fait flotter au sommet notre drapeau national, nous essayons de fixer par la photo tout ce qui nous entoure; mais l' image est impuissante à enregistrer les impressions que laisse une telle ascension; il faut les conserver dans le souvenir.

Réconfortés par l' heure de repos au sommet, c' est de joyeuse humeur que nous entreprenons la descente. La nuit a déjà succédé au crépuscule lorsque nous retrouvons le camp. Pendant de longues heures, le vent obstiné sifflera autour de nos tentes.

Le Mulhacen, 3478 m Quatre jours se sont écoulés. Dans la nuit qui suivit notre ascension de la Veleta, la tempête abattit notre camp, que nous dressâmes le lendemain dans un site mieux abrité. Le deuxième jour fut consacré à une reconnaissance qui eut pour résultat d' anéantir notre espoir d' atteindre de ce côté la base de la paroi nord du Mulhacen, et de nous convaincre que cette ascension exigeait préalablement la traversée de toute la Sierra Nevada. Hier eut lieu un premier départ; parvenus sous le premier sommet des Crestones, une bourrasque de neige nous obligea à nous abriter dans un trou, et mit une fin peu glorieuse à cette tentative. Fatigués et déprimés, nous rentrâmes au camp dans la nuit et le brouillard.

Le temps s' améliora au cours de la nuit, et nous remit sur pied, si bien que quelques heures plus tard nous étions de nouveau en route pour le Mulhacen. Le soleil, qui se lève sur la Méditerranée, fait briller les neiges de la Sierra, tandis que quatre hommes ouvrent péniblement une trace en direction du Col de la Veleta. Le froid est mordant; mais bientôt le soleil viendra nous dispenser sa chaleur. Le col atteint, sans nous accorder la moindre halte, nous descendons l' autre versant où la neige durcie permet d' avancer rapidement. A 10 heures, nous sommes dans l' échan de l' arête, près du premier sommet des Crestones, d' où nous avons du hier rebrousser chemin. Devant nous, auréole de soleil, se dresse le Mulhacen; son arête ouest, qui conduit directement au sommet, semble toute proche. La traversée du flanc sud, qui nous fait face, paraît possible, et le bon état de la neige en fait un vrai plaisir, qui dure toutefois plus longtemps que prévu, car la perspective est trompeuse. Dans ces montagnes, on ne se rend compte des distances que lorsqu' on a les pieds sur le chemin. Nous croyons toujours que la brèche vers laquelle nous montons nous donnera accès à l' arête ouest. Quelle déception en arrivant en haut! La montagne ne s' est pas rapprochée d' un fil. Tout au fond, à nos pieds, git le lac de la Caldera; à gauche, les Crestones alignent leurs tours, dont la traversée exigerait des heures. La descente vers le lac est trop raide, et nous ne sommes pas sûrs que la glace nous porterait. Sepp prend la tête de la caravane. S' assurant de son piolet enfoncé jusqu' à la panne, il descend d' abord obliquement à gauche sur une vingtaine de mètres, puis entreprend une traversée horizontale vers l' est, en se tenant immédiatement sous les rochers verticaux des Crestones; nous le suivons à distance convenable. Il atteint ainsi un pilier abrupt, qui divise tout le flanc de la montagne et plonge dans le lac au-dessous. Prudemment il attaque le rocher. Pour la première fois, dans ces montagnes méridionales, nous trouvons de la vraie varappe. La roche, il est vrai, est très friable; les pierres ne cessent de dégringoler. Après 50 mètres de montée directe, il est possible de franchir un couloir de glace pour gagner une nervure parallèle que nous tournons par une traversée exposée sur une vire couverte de neige que dominent des rochers légèrement surplombants. Nous pouvons maintenant quitter le rocher et continuer l' ascension par des pentes de neige. Peu à peu l' inclinaison faiblit, et l' accès au Col Mulhacen est libre.Vu d' ici l' Alcazaba, qui nous avait paru si imposant, n' est plus qu' un tas de caillasse enneigée; nous le dominons déjà.

Après une brève halte, nous attaquons la dernière pente. L' arête ouest se révèle spacieuse; nous ne reconnaissons pas la crête neigeuse effilée qu' elle nous montrait de loin. Mais elle présente d' autres difficultés. Les plaques de la roche, imbriquées comme les tuiles d' un toit, sont enrobées de glace, et comme nos crampons sont restés au camp, nous devons tailler. Victor est le seul ferré convenablement, aussi disparaît-il bientôt au-dessus de nous. Lentement mais sûrement nous surmontons ce dernier obstacle, et soudain la vue s' étend librement tout autour: nous sommes au point culminant de l' Espagne. Nous nous regardons, un peu décontenancés; seuls les versants nord et ouest de la montagne sont précipitueux, les autres s' abaissent en pentes relativement faibles. Seule la paroi nord est à l' échelle alpine.

Une joie profonde nous envahit; nous sommes heureux d' avoir atteint le but rêvé pendant des semaines. Le temps radieux et la vue incomparable récompensent largement de toutes les peines endurées. La Méditerranée, la côte andalouse et le Plateau espagnol enchantent nos regards. L' heure vécue près de la croix du sommet du Mulhacen, où flotte notre drapeau, restera indélébile dans notre souvenir.

La 3e heure de l' après est déjà passée, et nous avons devant nous une longue marche de retour. La descente du versant ouest verglacé réclame toute notre attention. Du sommet, nous avons vu que la traversée dangereuse du flanc sud des Crestones pouvait être évitée en descendant au lac et en contournant sa rive gauche jusqu' au pied de la Caldera. La remontée de celle-ci est raide; mais la neige porte bien, et à 5 heures nous sommes en haut. De là commence une course de vitesse contre l' obscurité. Montant, descendant, nous courons tout pantelants, sourds à la fatigue. Au Col de la Veleta, la nuit a déjà gagné sur nous; heureusement que la lune vient éclairer notre retour au camp. Nous sommes fiers d' avoir réussi à franchir, en novembre, par la neige et la glace, toute la Sierra Nevada, malgré les furieuses tempêtes qui balayent la chaîne en cette saison.

Traduit par L. S.

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