Discours d'ouverture de la fête centrale du C. A. S. | Club Alpin Suisse CAS
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Discours d'ouverture de la fête centrale du C. A. S.

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

de la

de la

fête centrale du Club Alpin Suisse à la Chaux-de-Fonds,

Emile Courvoisier ( président de la section La Chaux-de-Fonds ).

les 4, 5, 6 septembre 1897 par Messieurs et chers Collègues, En ouvrant la XXIXme fête centrale du Club Alpin Suisse, je commence, Messieurs, par vous remercier, au nom de la section Chaux-de-Fonds, d' avoir accepté notre invitation.

C' est un honneur pour nous de recevoir le Club Alpin dans notre ville, et nous tâcherons de nous en rendre dignes. Si la tâche est difficile après les splendeurs de plusieurs de nos fêtes du S.A.C., que nous n' avons pas la prétention de surpasser ni même d' égaler, elle est d' un autre côté rendue facile par le fait que les clubistes savent se contenter de ce qu' ils trouvent. Rappelez-vous, chers collègues, que vous êtes ici dans un village et à la montagne, à 1000 mètres d' altitude; c' est donc une hospitalité toute rustique, toute montagnarde que nous vous avons préparée.

Soyez, chers clubistes, les bienvenus dans notre localité. Si j' emploie cette formule quelque peu banale qui figure sur les arcs de triomphe de nos grandes fêtes populaires, soyez assurés, Messieurs, qu' elle n' a dans cette occasion aucun caractère de banalité; si je dis soyez les bienvenus, chers collègues, ces paroles sortent du cœur, non pas seulement de celui qui vous parle, mais du cœur de tous les clubistes de notre section, dont je suis l' interprète; soyez donc, Messieurs, une fois encore les bienvenus dans notre ville.

Beaucoup d' entre vous voient la Chaux-de-Fonds pour la première fois; aussi permettez-moi de vous donner quelques détails sur notre ville, sa population, son climat et son industrie.

La Chaux-de-Fonds, cette grande agglomération de maisons, perchée à 1000 mètres au-dessus du niveau de la mer, comptant 31,000 habitants, existait à peine il y a quatre siècles; c' était, en 1450, un groupe de quatre ou cinq maisons, accru au commencement du XVIme siècle de deux autres masures encore. C' est vous dire assez, Messieurs, de ne pas venir chercher chez nous des monuments historiques, des ruines romaines ou des châteaux antiques.

Ce hameau perdu végéta jusqu' au commencement du XVIII"16 siècle. A cette époque-là, l' introduction de l' industrie horlogère dans notre région y amena peu à peu une occupation lucrative. Le hameau devint village, et comptait déjà une centaine de maisons, lorsque le 5 mai 1794 un terrible incendie le détruisit dans sa presque totalité. La Chanx-de-Fonds ne date donc que d' un siècle.

Comment se fait-il, qu' en un temps relativement si court, notre ville ait pris un tel essor, notre population un tel développement? Certes, ce n' est pas à la prodigalité de notre sol, à la beauté de notre pays ou à la douceur de notre climat, que nous devons cette prospérité. Non, Messieurs, un climat aussi rude que le nôtre n' était pas fait pour attirer les étrangers et un sol aussi ingrat ne pouvait développer l' agriculture; mais c' est précisément grâce à ces conditions peu favorables que notre caractère montagnard s' est habitué à lutter pour l' existence, s' est trempé et a acquis cette énergie et cette persévérance au travail qui ont fait de notre population la ruche d' abeilles laborieuse dans laquelle chaque ouvrier apporte sa part de butin pour augmenter l' édifice. C' est également grâce au peu de distractions et de ressources qu' offrait le pays, et grâce à la rigueur et à la longueur de l' hiver qui retenait l' ouvrier enfermé chez lui pendant de longs mois, que l' horlogerie, s' adaptant exactement aux conditions de notre région, a pu se développer.

Nous sommes bien loin de l' époque où Daniel-Jean Kichard faisait sa première montre, en 1679; bien loin aussi du temps où les quelques rares élèves de Jean Richard fabriquaient à la main, et pour ainsi dire d' un bout à l' autre, toutes les parties de la montre. Depuis lors, la subdivision du travail, la fabrication mécanique ont tellement développé la production, les relations commerciales ont pris une telle extension que le bureau de contrôle de la Chaux-de-Fonds a poinçonné l' année dernière, une des plus fortes, il est vrai, plus de 387,000 boîtes d' or. Je rappelle également que si la Suisse a exporté en 1896 5,700,000 montres, représentant la somme importante de 95,000,000 de francs, la Chaux-de-Fonds seule peut bien s' en attribuer 60,000,000.

Toutefois, ne croyez pas, Messieurs, que dans notre industrie tout marche de soi-même; les temps où tous, patnons et ouvriers occupés à l' horlogerie, amassaient facilement une fortune sont bien passés, les bonnes années se font rares et de plus en plus médiocres, tandis que des crises intenses nous ont à plusieurs reprises, comme dans toutes les industries du reste ,'rendu la vie pénible. Actuellement, je vous assure qu' il faut un travail opiniâtre, une persévérance audacieuse pour lutter avec la concurrence étrangère et pour supporter les tarifs douaniers qui soumettent en ces temps nos exporteurs à de rudes épreuves.

Mais l' industriel n' est pas seul à lutter pour l' existence dans notre pays; l' agriculteur, peut-être plus encore, doit employer toute son énergie pour faire produire à notre sol ce qui est nécessaire à son entretien; et que de fois, hélas, il est mal récompense de ses peines: ses champs d' orge et d' avoine semblent près de mûrir, ou bien, il se prépare à la récolte des pommes de terre, lorsqu' une épaisse couche de neige survient ensevelissant tout jusqu' au printemps, et anéantissant le travail de l' année.

Notre climat est vraiment rude; les gelées soudaines et imprévues dans les mois d' été rendent tout essai de cultures délicates impossible; aussi ne cherchez pas dans notre cité des villas entourées de riches jardins, contentez-vous de nos sombres, mais majestueuses forêts de sapins.

La lutte contre l' envahissement des neiges vaut la peine d' être citée aussi, il faut avoir passé un hiver dans notre Jura pour se rendre compte de la violence des bourrasques, et des efforts considérables exigés de nos édilités pour maintenir ouvertes nos rues et nos communications avec les autres localités.

N' omettons pas la lutte pour l' eau, lutte sérieuse et opiniâtre, qui a mis à la brèche nos autorités et nos hommes les plus éclairés pendant de longues années; nos géologues et nos ingénieurs ont enfin triomphé des difficultés de l' entreprise en 1887 en dotant notre ville d' eaux de sources abondantes et pures captées dans les gorges de l' Areuse.

Ces sources cristallines, qui coulaient à 400 mètres plus bas que nous et à vingt kilomètres environ de la Chaux-de-Fonds, ne paraissaient guère destinées à alimenter notre ville; la solution de ce problème paraissait une utopie pour beaucoup; mais, grâce aux progrès de la science et de l' art de l' ingénieur, grâce au talent des hommes compétents qui ont dirigé ces travaux, depuis 1887 aucun accroc ne s' est produit dans notre installation d' eau, qui est, par l' audace de sa conception, une des plus remarquables entreprises de ce genre.

Lancés dans la voie du progrès, nos autorités communales et nos ingénieurs ne se sont pas arrêtés en chemin; ils ont encore fait appel à l' inépuisable ressource des gorges de l' Areuse, et une nouvelle usine nous a fourni quelques cents chevaux d' énergie électrique. Bienfait de plus en plus apprécié dans notre industrie, qui avait grand besoin d' une force motrice à la portée de tous, pour remplacer la houille trop coûteuse dans notre région.

En entendant parler de ces superbes travaux de l' ingénieur, vous vous demandez sans doute si la Chaux-de-Fonds a produit les hommes de génie qui ont doté notre ville de ces nouvelles créations? Eh bien non, Messieurs, ces bienfaiteurs de notre village ne sortent pas de son sein; si le montagnard neuchâtelois s' est dès longtemps montré inventif, ses efforts se sont concentré exclusivement sur la petite mécanique. Les pendules extraordinaires, les automates merveilleux des Jaquet-Droz et des Maillardet, les recherches continuelles auxquelles ont dû se vouer les horlogers distingués qui ont porté au loin la réputation de notre industrie, ont absorbé toutes les énergies de nos inventeurs et de nos fabricants. L' horlogerie marchait bien, rapportait gros il y a trente-cinq à quarante ans; un fils qui ne serait pas entré dans le commerce de son père aurait été considéré comme un malavisé et un ingrat.

Mais au milieu des préoccupations tout industrielles de notre localité, un citoyen, chercheur infatigable, travailleur acharné, admirateur de la nature et observateur passionné de tous les phénomènes climatologiques et météorologiques devait rompre avec la vieille tradition; j' ai nommé Célestin Nicolet. Nicolet, dont le nom ne vous est pas inconnu, fut le premier alpiniste et pendant longtemps le seul alpiniste de notre région. Après avoir fait d' excellentes études de pharmacien à Paris, où il habita cinq années, il se fixa à la Chaux-de-Fonds où, pendant les heures de liberté que lui laissait sa profession, il étudia avec passion la géologie de notre Jura, les fossiles de nos marnes, la flore de notre pays. Ne trouvant pas à la Chaux-de-Fonds de compagnon à sa hauteur au point de vue scientifique, et capable de comprendre ses goûts, sa passion même pour l' étude, il se lia intimement avec Agassiz et Desor; si je me permets de citer le nom de Nicolet à côté de ceux plus célèbres de nos anciens membres honoraires du Club Alpin Suisse, c' est que, pendant plusieurs années, il prit une part active aux excursions scientifiques organisées dans les Alpes par Agassiz.

J' ai prononcé les noms de Desor et Agassiz; Messieurs, j' ai pensé qu' une fête centrale du Club Alpin dans le canton de Neuchâtel était précisément le milieu désigné pour parler de ces deux hommes. Ces noms sont et resteront intimement liés aux grandes découvertes faites dans le monde des glaciers, dans le monde merveilleux de l' alpe qui est la patrie du clubiste. J' ai pensé que vous, Messieurs les vétérans du club, vous seriez heureux de revivre pendant quelques instants avec vos anciens et savants collègues et que l' occasion était propice pour les présenter aux jeunes clubistes qui n' ont pas eu le bonheur de les connaître.

Agassiz, né le 28 mai 1807 à Môtier en Vully, près Morat, fit de sérieuses études de médecine; mais ses goûts le poussaient de préférence vers les sciences naturelles où, très jeune encore, il se fit remarquer par des travaux d' une grande valeur. En 1832, grâce à M. Coulon, on créait au Gymnase de Neuchâtel une chaire d' histoire naturelle pour attirer Agassiz dans cette ville; le nouveau professeur déploya une activité dévorante dans son enseignement, pour la création du musée, dans la publication de son livre resté célèbre sur les poissons fossiles, et dans l' étude de sujets variés du domaine de la zoologie et de la géologie.

Desor, né en 1811 près de Francfort sur le Main, après avoir fait des études de droit en Allemagne et à Paris, vint à Berne où il rencontra Agassiz en quête d' un secrétaire; il s' engagea à son service. Il se passionna pour l' étude des sciences naturelles et devint non plus un employé d' Agassiz, mais son collaborateur distingué.

Messieurs, je n' ai pas la prétention de vous parler des innombrables travaux scientifiques de ces deux hommes, je m' y perdrais; mais suivons-les pendant quelques instants dans le plus original cabinet d' étude que jamais savant ait occupé: l' hôtel des Neuchâtelois, installé au milieu du plus merveilleux domaine que propriétaire ait jamais possédé: Ins Alpes.

Installons-nous chez eux, vivons avec eux sous leur bloc de granit, de la vie simple et rustique du montagnard, et profitons de ce court séjour chez nos illustres collègues pour apprendre quelque chose de ce monde mystérieux des glaciers, pour nous retremper dans l' air pur et vivifiant de l' alpe.

Profitons de leur aimable compagnie pour faire avec eux quelques excursions, marchons à leur suite, à la découverte de ce monde, alors presque inconnu, de la Haute-Alpe. Les heureux! ils n' avaient que l' em du choix pour la conquête des cimes vierges, ils n' en étaient pas réduits, comme les alpinistes actuels, à s' attaquer à quelques rochers se détachant des arêtes secondaires.

Je ne veux pas non plus à ce propos discuter ici la nouvelle théorie qu' essaye d' introduire M. Stanislas Meunier. Il prétend que les moraines et les blocs erratiques déposés le long du Jura, des Vosges et en France n' y ont pas été transportés des Alpes par les anciens glaciers, mais qu' ils sont les restes d' un Jura énorme, aussi haut que les Alpes, qui a été diminué et rongé par l' usure de ses propres glaciers et par les intempéries.

Non, Messieurs, je reste fidèle aux théories découvertes, prouvées, démontrées par notre célèbre et eminent membre honoraire Agassiz; et cela non pas par simple habitude ou par idée de routine, mais parce que, j' en suis persuadé, ces théories qui sont le fruit d' études approfondies, d' observations suivies et savamment conduites, n' ont été adoptées par le monde scientifique qu' après un consciencieux et sérieux examen; et parce que nous pouvons sans crainte adopter, dans ce domaine, comme vrai, ce qui a été reconnu tel par tous les naturalistes de l' époque.

C' est à la réunion de la Société des sciences naturelles, à Neuchâtel, en 1837, qu' Agassiz exposa sa nouvelle théorie des glaciers; ce fut comme un coup de foudre, dont le retentissement fut extraordinaire dans le monde des géologues; cette théorie fut acceptée par quelques- uns, très vivement discutée et combattue par la majorité. Pour approfondir ses études, pour prouver son hypothèse, Agassiz organisa ses voyages et ses séjours, restés célèbres dans le monde scientifique.

L' année 1838 voyait nos savants parcourir la vallée du Hasli qu' au Grimsel; l' année 1839, c' est la vallée de St-Nicolas, c' est Zermatt, c' est le Gornergrat que visitent les naturalistes neuchâtelois et c' est lors de cette excursion que Studer, jusqu' alors resté réfractaire à la théorie d' Agassiz sur l' usure des rochers par les glaciers, fut convaincu et finit par dire: „ On ne peut plus en douter, c' est une chose démontrée. "

De Zermatt aussi, Desor écrivait en 1839: „ Les touristes n' ont pas encore infesté cette vallée, fasse le Ciel qu' elle en soit encore longtemps préservéePauvre Desor, il ne se doutait pas que, cinquante ans plus tard, c' e par milliers que le chemin de fer déverserait les étrangers à Zermatt, et que ceux-ci, quelques années plus tard, seraient transportés par l' électricité jusqu' au sommet même du Gornergrat.

Rentrant du Valais par le Grimsel, nos savants firent une visite au glacier de l' Aar et décidèrent de s' y installer pendant quelques jours l' année suivante.

Comme convenu, en 1840 les naturalistes neuchâtelois inaugurèrent leurs séjours sur le glacier de l' Aar. A 700 mètres de l' Abschwung ils découvrirent un bloc de rocher immense, sons la partie surplombante duquel un abri fut aménagé, un mur grossier parerait aux intempéries, quelques dalles de pierres formeraient le plancher, une épaisse couche d' herbe servirait de lit, et une couverture ferait l' office de porte d' entrée. Fiers de leur œuvre, nos savants décidèrent que ce modeste refuge porterait le nom pompeux d' Hôtel des Neuchâtelois et que ce nom serait gravé sur la face septentrionale du bloc, ainsi que ceux des membres de l' expédition, savoir: Louis Agassiz, Charles Vogt, Edouard Desor, Célestin Nicolet, Henri Coulon, François de Pourtalès.

Et là, dans ce gîte primitif, nos naturalistes passèrent des semaines à étudier le glacier, avec ses traîtres crevasses, ses bruits mystérieux, ses moraines toujours en mouvement. Le résultat de leurs travaux fat si considérable et préoccupa à tel point le monde scientifique, que de tous côtés accouraient des savants qui voulaient voir à l' œuvre les naturalistes neuchâtelois. L' hôtel fut bientôt, trop petit; et pour l' été 1842, Agassiz fit construire une grande tente de vingt mètres de long sur quatre de large, divisée en plusieurs chambres, où tous, savants, guides, ouvriers trouveraient facilement à se loger. C' était une installation princière, comparée à l' ancien refuge, aussi toute la studieuse colonie resta-t-elle deux mois entiers dans sa résidence d' été et la saison se termina-t-elle par un grand bal, offert aux frères, sœurs, fils et filles des guides et porteurs de la société.

Mais l' instabilité du sol sur lequel ils vivaient donnait quelques inquiétudes aux naturalistes; la grandeur de l' édifice offrait trop de prise au vent quand la tempête faisait rage; aussi, pour l' été 1843, les savants abandonnèrent-ils définitivement la moraine pour construire u » refuge sur la rive gauche du glacier, à l' emplacement où s' élève actuellement le pavillon Dollfus du S.A.C.

Dans ces trois habitations, plus originales I' une que l' autre, vécurent successivement les savants neuchâtelois durant cinq années: Pendant la journée, chacun était occupé à une étude spéciale; mais le soir, tous se retrouvaient à l' hôtel, et là, assis autour de la dalle de granit qui servait de table à manger, on discutait les observations faites pendant le jour. Que de charmes devaient avoir ces causeries d' hommes compétents, en face de ces cimes admirables du Finsteraarhorn et du Schreckhorn encore éclairées des derniers rayons du soleil, alors que leurs ombres gigantesques remplissaient lentement les vallées! On comprend que, peu à peu, ces savants, qui étaient là pour étudier les glaciers, se laissèrent séduire par l' imposante majesté de ces montagnes et qu' ils voulurent les voir de plus près encore, et même les conquérir.

Les premières années, ils se contentent de sommités modestes, comme le Siedelhorn et l' Ewigschneehorn; mais peu à peu, enhardis par le succès et habitués aux fatigues des ascensions, ils se lancent dans de plus grandes entreprises. Ils traversent la Strahlegg, considérée comme difficile à cette époque; ils sont émerveillés de la vue que leur offre ce passage et Desor, dans le récit qu' il fait de cette excursion, dit: „ Jamais la Suisse ne nous avait paru si belle; ce fut avec transport que nous bûmes à sa prospérité. " En 1841, partant du Grimsel, ils traversent l' Oberaarjoch pour aller demander abri aux pâtres de Märjelen. Le lendemain, le 28 août 1841, les savants quittent les chalets à 5 heures, remontent le glacier d' Aletsch et par le chemin encore suivi actuellement gravissent les pentes de neige et de glace qui aboutissent au Roththalsattel. Malgré la longueur de la course et la perspective de ne rien voir au sommet, car la Jungfrau s' était pudiquement cachée sous un épais voile de nuages, les vaillants grimpeurs suivent leur intrépide guide Leuthold et arrivent bientôt sur la cime si ardemment désirée. Pour récompenser leurs peines, le brouillard a fait place au plus brillant soleil. On comprend, à la vue de ce spectacle grandiose, l' enthousiasme et l' émotion d' Agassiz et de Desor, qui dit: „ De ma vie je ne me suis senti si heureux. Je crois que nous eussions pleuré tous deux si nous l' avions osé, mais les pleurs d' hommes doivent avoir de la pudeur et nous n' étions pas seuls. "

L' année suivante, plus audacieux encore, ils veulent vaincre le grand Schreckhorn. Ces formidables aiguilles, qui se dressaient effrayantes devant eux, les attiraient. Le 8 août, Desor, Escher de la Linth et Girard avaient l' honneur de planter le drapeau de la victoire sur le grand Lauteraarhorn encore vierge alors, mais non pas sur le grand Schreckhorn, comme ils l' espéraient et dont ils se trouvaient séparés, à leur grand étonpement, par une profonde et large brèche.

L' année 1843, c' est le Rosenhorn qui recevait comme première visite celle des habitants de l' hôtel des Neuchâtelois.

Desor décrit de main de maître la vue de chacune de ces cimes; on sent en lui un admirateur passionné de la grande nature alpestre, et chaque nouvelle sommité vaincue lui remet en mémoire les joies, les plaisirs et les émotions des ascensions précédentes.

Enfin, en 1845, Desor fait la première du Galenstock; cette „ première " devait être la dernière ascension de Desor, car à la descente un terrible accident faillit arriver à un des membres de la caravane qui, entraîné dans l' abîme par la rupture d' une corniche, fit une chute formidable. Ce n' est qu' au prix d' efforts considérables que l'on parvint à le sauver.

Dans le récit de cette ascension on sent la mélancolie qu' éprouvait Desor à la vue de ces Alpes bien aimées, car il disait ce jour-là un long adieu à ces glaciers, qui avaient été l' objet de ses études de prédilection, et il devait s' en aller peu après au travers de l' Océan jusqu' en Amérique à la recherche de phénomènes semblables.

C' était la fin de cette vie alpestre si pleine tie saines émotions et de nobles jouissances, la fin des séjours à l' hôtel des Neuchâtelois.

La suite des travaux d' Agassiz et de Desor n' eut pas moins de retentissement que leurs études sur les glaciers; mais mon but était de ne les suivre que dans cette région qui nous intéresse plus particulièrement.

Je termine en rappelant qu' Agassiz fut nommé membre honoraire de notre association en 1864 et que Desor reçut le même témoignage de reconnaissance en 1878.

Eh bien, chers collègues, ces Alpes, qui, dans notre enfance, nous apparaissaient comme quelque chose de mystérieux, d' inabordable et que nous regardions même avec une certaine terreur, si nous les parcourons maintenant en tous sens, traversant tous les cols, gravissant toutes les cimes, c' est grâce aux hardis pionniers qui nous en ont frayé les chemins, découvert les passages. Ces hommes vaillants nous ont prouvé que par la persévérance et le courage on peut vaincre les plus farouches sommets.

En ce jour de fête des alpinistes, nous devions bien une pensée de reconnaissance à nos anciens membres honoraires Agassiz et Desor et à leurs compagnons de l' hôtel des Neuchâtelois. Que leur souvenir reste en honneur parmi nous!

Messieurs et chers collègues, je déclaré ouverte la XXIXme fête centrale du Club Alpin Suisse, en faisant le vœu que tous emportent un bon souvenir de cette fête, de notre Jura et de notre Chaux-de-Fonds.

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