Doldenhorn: 1<sup>re descente de l'arête est | Club Alpin Suisse CAS
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Doldenhorn: 1<sup>re descente de l'arête est

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

I. Première descente de I' arête est ( épreuve de dispositifs pour rappels ) Avec 1 illustration ( 29Par Adr|en Vo|(|m| ( Montreux ) Au-dessus du Lac d' Oeschinen, une des perles oberlandaises les plus admirées, serpente, ainsi qu' un tortueux reptile au soleil étalé, le sentier menant à la cabane du Fründen.

Du lac, sur une distance horizontale de deux kilomètres seulement, on s' élève d' environ 1000 m. La zone étant protégée, les fleurs qui, d' après les philosophes, sont « des magnifiques hiéroglyphes dont la nature se sert pour nous déclarer son amour », bordent à profusion le sentier et captivent le regard. Plus haut, la vue dégagée dont on jouit sur le lac, les Préalpes et la Blümlisalp offre des distractions et permet à l' esprit de s' évader durant que le corps travaille.

« Distillant » à grosses gouttes, nous atteignons la barre rocheuse supérieure. Un raidillon, et déjà - avec un accueillant sourire semble-t-il - apparaît la cabane campée en nid d' aigle sur son éperon rocheux en bordure du glacier.

Au cours de la soirée, sous les lampes artistiques, nous faisons part au père Ogi de notre projet de descente. D' un air surpris il nous répond: « Jââ... s' isch aber no nie niemer abex!... » puis il nous donne ses précieux conseils.

Le Doldenhorn, 3643 m ., lorsque les conditions sont bonnes, et par la voie ordinaire, ne présente pas de difficultés sérieuses, si ce n' est la rimaye qui est parfois presque infranchissable. C' est une belle course pour débutant accompagné ou de ski printanier. Le touriste qui le gravit par l' arête Gallet quitte habituellement la cabane du Fründen entre 1 et 3 heures du matin, à cause des chutes de pierres dans le couloir, provoquées par le dégel. Si les conditions sont bonnes, il est au sommet entre 6 et 9 heures. Il lui reste donc toute la journée pour faire la descente. Dans ces conditions, une bonne solution est, semble-t-il, le retour par l' arête est; la course n' en a que plus d' intérêt et de prestige, et le touriste autoporteur apprécie le retour à la cabane de départ; cela lui permet un allégement du sac. Ces raisons, et surtout le goût de l' aventure, nous poussent à descendre cette arête.

Le lendemain matin hélas, la pluie et le brouillard nous empêchent de partir pour le Doldenhorn!... Néanmoins ce contretemps a du bon, car nous nous décidons à traverser la Schafschnur ( Fründschnur dans la Carte nationale ). Le tracé part de l' alpage In den Fründen et aboutit au sentier du Hohtürli. Il traverse sur une vire étroite la vertigineuse paroi qui encastre la partie supérieure du Lac d' Oeschinen ( voir photo ). Ce tracé est sans difficultés notables, le vieux papa Ogi le traversait encore tout seul pour aller rendre visite à son fils Kilian, gardien à la Blümlisalphütte. La vue en plongée sur l' Oeschinensee est d' une beauté saisissante. Peu ou pas de premier plan, seulement par endroits quelques verts herbages parsemés de fleurs, puis... le vide. Tout au fond scintille le lac magnifiquement serti de forêts et d' alpages verdoyants reposant délicieusement la vue. Cet itinéraire mérite d' être beaucoup plus connu, nous regrettons vivement de ne pas l' avoir emprunté plus tôt, et ce, même en montant à la cabane.

Des nuées s' interposent à présent entre le soleil couchant et le lac. Elles forment un écran suffisamment opaque pour n' être perméable qu' aux rayons rouges du spectre solaire visible. Sous cet effet surprenant tout paraît s' embraser, et le lac se métamorphose en un chaudron infernal sur le rebord duquel nous déambulons en jetant des regards émerveillés.

1 Oui... mais personne n' est jamais descendu par là.

Tout l' été 1944 nous sommes attirés par nos chers 4000; ce n' est que le 17 septembre que ma femme et moi quittons à 3 heures l' hospitalière cabane. A la lueur blafarde de notre lanterne nous cherchons notre voie sur le glacier. Parvenus à la rimaye, en un quart d' heure de taille nous descendons rejoindre le câble qui facilite la traversée ascendante de la barre rocheuse. Celle-ci franchie, nous montons sans difficultés, et une heure plus tard éteignons notre lanterne. A environ 200 mètres en aval du couloir, la glace vive fait son apparition, il faut déjà tailler! La journée commence mal, comment finira-t-elle? Le ciel est diaphane, et le temps lourd est beaucoup trop chaud pour l' altitude et la saison ( mi-septembre ). Cela nous déplaît et fait présumer le mauvais temps dans la journée; mais nous continuons tout de même l' ascension. On va voir... ce qu' on va voir; et quand nous serons « dans le bain » l' occasion sera magnifique pour observer comment fonctionnent en montagne nos divers modèles de tubes à rappel1 dans des conditions défavorables. Les rochers émergent à nouveau de la glace, la progression devient plus rapide. Parvenus à une cinquantaine de mètres du couloir, la neige fait son apparition. Munis de nos crampons, nous avançons prudemment sur la pente raide. Cela paraît vouloir bien tenir mais... le couloir vomit des projectiles de toutes grandeurs, il ne faut pas songer à le gravir. C' est un couloir à surprises!

Il y a quelques années, nous attendions impatiemment à son entrée que trois touristes nous précédant en soient sortis. Les pierres vrombissaient sans discontinuer pendant nos trois heures d' attente. Soudain des cris angoissés et une avalanche de débris nous apprennent qu' une chute s' est produite. A chaque seconde nous nous attendions à les voir passer en trombe sous nos yeux exorbités. Par bonheur tout se calme, la chute ayant été miraculeusement enrayée grâce à un talon de crampon qui a mordu! Un quart d' heure plus tard ils débouchaient du couloir, sales, mouillés jusqu' à la peau, et grelottant - de frousse et de froid - comme je n' ai de ma vie vu grelotter. Une autre fois, ce couloir étant dans de bonnes conditions, nous étions plusieurs cordées à 7 heures déjà, sans nous être pressés le moins du monde, au sommet du Doldenhorn.

Pour éviter ce désagréable couloir, nous allons traverser en dessous, suivre la barre rocheuse, et monter de biais rejoindre la crête ( voir photo ). Cette variante a été très vraisemblablement inaugurée par les guides Ogi de Kandersteg ( les fils du gardien, à présent gardiens eux-mêmes ). Elle est beaucoup plus sûre et ne prend ordinairement pas plus de temps que le fameux couloir clef. Je commence à traverser, Rose laissant filer la corde. Soudain la plaque de neige se décolle et glisse sur la glace vive. Tombant à la renverse je pars avec elle. Me retournant immédiatement sur le ventre je freine de mon mieux avec le piolet et les crampons, sans grands résultats au début, puis avec une efficacité progressive. Néanmoins Rose ne peut résister au choc et est entraînée. Conservant tout son sang-froid elle bondit dans un tas de neige et, sur ce bon point d' appui, arrête notre glissade. L' alerte a été chaude!

Dans la glace noirâtre excessivement dure, je recommence à tailler avec suspicion, faisant des marches très profondes et des prises pour les mains. Le couloir continue à nous mitrailler, pourvu que sa grosse artillerie n' entre en action! Les pieds dans nos « baignoires » nous avons une base suffisante pour résister aux projectiles, nos sacs nous servant de protection. D' ailleurs nous traversons à une certaine distance de la barre rocheuse, de cette façon les pierres percutent sur la glace ou la neige qui, en brisant leur trajectoire, amoindrissent leur puissance de choc. La traversée s' effectue sans incidents fâcheux, néanmoins il me faut tailler pendant trois heures et demie. Ordinairement, c' est une course qui se fait au début de la saison, on n' a alors géné- 1 L' auteur a inventé un dispositif permettant de ramener à coup sûr la double corde après une descente en rappel ( voir Les Alpes, octobre 1953 ).

ralement que très peu à tailler et cela souvent dans une neige durcie. Longtemps les touristes qui sont en face nous regardent faire, un peu comme l' Anglaise qui suivait le cirque pour voir les lions croquer le dompteur!

Après la barre rocheuse la neige devient plus épaisse et, l' inclinaison diminuant, il n' est plus nécessaire de tailler. En peu de temps nous rejoignons l' arête. Elle se trouve en bonnes conditions, et la progression est rapide. La première partie de la descente itou.

A partir de la « Jonction » ( 3484 m.point de réunion des arêtes est, Gallet et faîtière l' arête est pratiquement libre de neige. Toute la partie supérieure de cette arête est se descend en varappe libre et en général nous marchons ensemble face au vide. Les prises nombreuses et croulantes au début se raréfient à mesure qu' on perd de l' altitude. Le vide est de tous côtés très impressionnant. Au sud, la paroi tombant d' un seul jet est cachée sous un surplomb, le regard ne s' arrête que 1700 mètres plus bas au Gasterntal ou plus à l' est sur le Kanderfirn. Au nord, des dalles noirâtres, très inclinées et par places encore enduites de neige ou de glace, aboutissent au Fründengletscher. Au fond de ce glacier, ancré sur un récif aux flancs battus par les vagues figées des séracs, on distingue nettement la cabane et les touristes s' égayant aux alentours. Après la cabane... un vide de 1000 mètres et, au fond de sa profonde orbite, comme un œil bleu foncé, le Lac d' Oeschinen nous met la joie au cœur. Pas pour bien longtemps! Il devient gris acier puis progressivement s' estompe ainsi que les Préalpes dans la grisaille d' un brouillard léger. Ce brouillard donne à l' imagination des ailes grises nous emportant aux pays des Cyclopes. Tout paraît agrandi, et les précipices qui nous entourent semblent devenir de plus en plus prodigieux et sinistres. Le temps se bouchant graduellement, nous progressons le plus rapidement possible en négligeant maintenant le paysage pour concentrer nos regards sur les quelques mètres devant nous.

L' arête à présent se dérobe sous nos pieds, on n' aperçoit qu' un saillant une quarantaine de mètres plus bas et tout au fond le Fründenjoch. Les prises sont devenues rares et imbriquées, mieux vaut ne pas perdre trop de temps à les chercher. En varappant par adhérence, une vitesse satisfaisante peut être conservée.

Il faut par endroits aller sur le versant nord sans toutefois s' éloigner beaucoup de l' arête, la traversée sur les dalles serait délicate. Le temps s' assombrit encore, finalement une pluie drue et glacée bat furieusement les rochers ruisselants. Un brouillard opaque nous isole totalement, puis quelques instants plus tard la grêle et la neige se mêlent à la pluie. Les dalles deviennent glissantes et enduites de neige collante, la corde mouillée, raide et glacée, est très difficile à manier. Sous nos vêtements trempés nous perdons une grande partie de notre souplesse. L' arête, à cet endroit, est presque verticale; le moment est donc venu de soumettre nos dispositifs à 1'«épreuve du feu » - feu transformé en l' occurence en eau, froid et neige -. Les conditions sont pires que je ne l' espérais: psychologiquement et physiquement, nous ressentons les effets conjugués de l' altitude, de la fatigue et du mauvais temps. Nos réactions sont donc bien celles requises pour l' épreuve, nous agissons avec toute la gaucherie et le manque de perspicacité désirés. La corde elle aussi a son compte, car on ne l' espérait mouillée que par la neige fondante.

C' est avec inquiétude que machinalement je plante un piton, attache une cordelette ( assez longue pour que la corde de rappel ne fasse pas de coudes brusques ) et passe la corde sur le tube1. Tout est prêt pour l' aventure! Du fonctionnement du dispositif dépend l' issue de notre course. Si la descente s' avère impossible, le bivouac est apparemment inévitable. A cette saison et par ce temps, cette perspective n' est guère attrayante.

1 Voir Les Alpes, octobre 1953.

La lente descente se fait assez bien, en dépit de la corde et des vêtements mouillés, raidis, glissant difficilement l' un sur l' autre. Parvenus sur une petite plate-forme, anxieusement nous tirons sur la corde et... elle glisse sans effort sur le tube puis tombe à nos pieds. La « combine » fonctionne à merveille, nous nous en sortirons par le bas. Quel soulagement!... l' angoisse qui nous étreignait disparaît à présent que nous sommes certains de pouvoir dégager notre corde en toutes circonstances. Un piton à grosse boucle peut parfois faire le même usage, mais on sait le temps qu' il faut souvent perdre à chercher une fissure à l' endroit convenableUne petite traversée et nous arrivons de nouveau sur la crête. Après une dizaine de mètres, un surplomb nous contraint à poser un second rappel où la corde se dégage tout aussi bien. Le rocher que je devrais pitonner pour un nouveau rappel n' a aucune fissure, mais, par contre, une fente d' environ trois centimètres de large. J' y chasse un bout de bois, préalablement et sommairement ajusté au couteau de poche d' après le profil de la fente. La cordelette assurée par un nœud et une entaille à fleur du rocher passe sur un bloc et pend avec son tube. Les taquets en bois sont souvent plus sûrs que les pitons, et, s' ils ont presque disparu de l' attirail des varappeurs modernes, c' est, semble-t-il, bien à tort car ils sont plus légers et moins chers que les pitons, et même au besoin combustibles. Ils peuvent, comme on l' a vu, facilement s' ajuster sur place d' après la forme et la grandeur de la fente ( qu' un piton parfois ne peut remplir ), ils ont sur le rocher un coefficient de frottement double ou même triple des métaux. Ils ont surtout l' impor avantage d' être assez élastiques pour pouvoir se comprimer au lieu d' écarter, et souvent fendre le rocher comme le font parfois les pitons. Si le piton est un peu trop long, le rocher est soumis finalement à une trop grande pression et se fend à notre insu. Sous une forte traction ou un choc, il lâche parfois le malheureux qui y est suspendu. Cela peut arriver aux varappeurs les plus expérimentés, preuve en sont certains accidents ( voir par exemple Les Alpes 1947, Varia p. 204 ).

Au bas de ce troisième rappel l' arête s' humanise pour quelques instants. Sous nos vêtements trempés et glacés nous sommes devenus tout à fait maladroits dans nos mouvements. La corde de rappel qui vient de tomber a glissé sur les plaques imbriquées comme les tuiles d' un toit. Ces plaques paraissent se faire un malin plaisir de harponner les boucles et les coudes de la corde raidie; on a beau tirer à hue et à dia, rien ne bouge, vraiment ça mord bien. Assuré par ma femme, je dois descendre sur la face nord et dégager chaque coude. C' est incroyable, la facilité avec laquelle la corde, dans ces conditions, se coince sous ces plaques.

Parvenus au-dessus d' un ressaut à peu près vertical, nous passons la corde autour d' un bloc saillant ( à faible rugosité et d' un diamètre d' environ 40 cm .), puis descendons en nous aidant de la corde. Quand nous voulons la retirer, nous sommes désagréablement surpris. Malgré tous nos efforts en traction d' un côté, et les secousses imprimées à l' autre filin, elle ne glisse pas!...

J' escalade nécessairement le ressaut et libère la corde. Les prises étant à présent connues et bien dégagées de la neige, ce n' est plus qu' un jeu de le redescendre en varappe libre. Prudemment la descente continue dans la neige et le vent. A trois reprises nous avons encore recours à nos cordelettes et tubes à rappel pour assurer par la corde notre descente. Chaque fois, elle se retire facilement. Malgré ce temps déplorable, sans anicroches, à 17 h. 30 nous atteignons le Fründenjoch, heureux d' avoir quand même réalisé notre projet et ce en nous enrichissant de précieuses expériences.

Pour descendre cette arête est de son point de jonction avec l' arête Gallet au Fründenjoch, nous avons mis sept heures et demie, fait trois rappels, et descendus trois fois avec la corde en main courante. Si les rochers sont secs, on peut semble-t-il la descendre facilement en cinq heures. Le parcours de cette arête est, dans les deux sens, ne peut procurer de grandes jouissances qu' aux alpinistes munis de chaussures avec semelles à grand coefficient de frottement ( caoutchouc, corde, feutre, etc. ), et varappant avec confiance par adhérence. Le rocher étant souvent imbriqué, les bonnes prises sont rares.

La neige fraîche recouvrant la pente qui, du col, aboutit au glacier, m' oblige à tailler dans la glace vive. Engourdi comme je le suis et à la descente, cela ne va pas tout seul. A mi-hauteur Rose passe première et en un quart d' heure nous atteignons le glacier où nous trouvons des traces. La descente est facile, mais dans ce damné brouillard l' orientation ne l' est pas du tout. Nous perdons finalement la piste, puis nous égarons dans le labyrinthe des crevasses.

- Où est donc dans ce dédale le passage menant à la cabane?...

Enfin! revoici des traces, nous n' avons plus qu' à les suivre. Elles deviennent de plus en plus nombreuses, et il semble que, d' après le chemin parcouru, nous devrions atteindre le but. La neige étant à un endroit moins profonde, les formes des souliers sont bien moulées. Malheur! Nous reconnaissons les empreintes des semelles de Rose. Alors... Nous tournons donc en rond!

Remontant le glacier pendant quelques minutes, nous traversons à notre droite. Parvenus au pied de la paroi, nous la longeons et rejoignons notre piste du matin. En peu de temps, nous atteignons la cabane déserte. Une bonne tasse de thé encore bouillant que le gardien a eu la prévenance de nous laisser au chaud nous insuffle une vie nouvelle.

Dans le crépuscule blafard, en vitesse nous filons sur Kandersteg sous une pluie diluvienne. L' eau dans nos « godasses » fait - flac - truïïïe - à chaque pas. La nuit est là; bientôt il faut ressortir la lanterne, et la descente se poursuit lentement, longuement sur le sentier glissant.

A notre arrivée à Kandersteg, le dernier train est parti. En guise de dessert, nous nous « appuyons » encore trois heures de bécane. Ainsi se termine cette journée bien remplie, si riche en souvenirs.A suivre )

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