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Du bois au lieu du carbone Retour aux racines dans le Bregenzerwald

Chacun peut suivre son inspiration à la découverte du Bregenzerwald et de ses sommets. Par exemple, s’équiper d’un bâton de berger à la manière de nos aïeux.

Depuis quelques minutes, le soleil a percé le brouillard matinal, recouvrant les forêts du Bregenzerwald. Quelques moutons s’ébrouent sur un petit pré. Au bord du chemin, un homme tient dans sa main droite une houlette longue de deux mètres, on le verrait bien conduire le troupeau. Mais les brebis d’Armin Malojer sont bipèdes : il est accompagnateur de randonnée. Au départ de la course, il nous a fait abandonner nos bâtons télescopiques. A la place, une branche de noisetier de forme, de longueur et d’épaisseur que chacun choisit à son goût. « Chacun doit trouver ce qui lui convient », a dit le guide. Notre modèle, dépassant la hauteur d’épaule, tient bien dans la main et donne une agréable impression de solidité. On s’habitue rapidement à s’en faire aider à la montée. Satisfait, Armin Malojer nous avoue qu’il déteste le cliquetis des bâtons de carbone sur le sol, alors que le bâton de berger ne fait quasiment aucun bruit.

 

Affûter son regard

Notre excursion a pour thème le retour aux racines. Il ne s’agit pas à l’occasion de revenir aux chaussettes de laine rêche ni aux semelles clouées de ses propres mains : les habits « respirants » et la veste multifonctionnelle sont admis. Par contre, la canne de berger remplace les bâtons modernes, et l’on se voit rappeler certaines choses dont nos prédécesseurs devaient tenir compte dans l’approche des montagnes. Il s’agit d’abord d’étudier attentivement les itinéraires. Notre guide nous explique pourquoi le chemin emprunte l’épaule gauche de la montagne plutôt que la droite. Ce week-end prolongé dans les monts du Bregenzerwald doit nous faire porter un regard plus affûté sur le monde de la montagne. Basés en plaine, nous avons au programme trois étapes d’un jour.

 

Des bouquetins sur un dos d’âne

Nous avons rencontré nos moutons sur une prairie au pied du Kanisfluh (2044 m), qui passe pour le plus beau point de vue du Bregenzerwald. Il paraît que l’on est sûr d’y observer des bouquetins. Il suffit de se munir de jumelles et de rester assez longtemps au sommet pour oublier ainsi l’effort d’une longue montée.

De loin, on peut facilement confondre le massif du Kanisfluh avec le Hoher Ifen (2230 m), qui s’élève du fond du Kleinwalsertal à quelques kilomètres de là. Les deux ont un sommet arrondi comme l’échine d’une vieille femme chargée d’ans et d’épreuves. Les nuages font à l’Ifen une mouvante pelisse, le découvrant parfois d’un bref déchirement.

 

Jamais sans ma houlette

Lors de la première pause, Armin Malojer explique l’origine de sa liaison avec le bâton de berger : il avait un jour accompagné un ami à la conduite d’un troupeau de vaches, et celui-ci l’avait invité à essayer le bâton de berger. Non que ce fût pour lui un objet exotique, il avait gardé les bêtes au cours de son enfance dans le Kleinwalsertal. Chacun avait alors son bâton. Aujourd’hui âgé de 46 ans, il en garde une collection dans sa voiture, pour les proposer à des amis au départ d’excursions communes. « Essayez donc » ! dit-il. Ses bâtons sont des articles d’inspiration rustique, dépourvus de cette pointe métallique que l’on voit aux cannes vendues dans les boutiques de souvenirs : le cliquetis du métal sur le sol, apparemment, lui donne sur les nerfs.

Comme les chocs sur sol dur émoussent la pointe de bois, il faut régulièrement la tailler. Notre guide tire de son sac à dos un couteau long de 20 centimètres propre à impressionner Crocodile Dundee lui-même, fait voler quelques copeaux et voici l’innocente houlette transformée en javelot. Quelques randonneurs de passage ont observé la manœuvre et se tiennent prudemment à distance. On demande souvent à Armin Malojer où se trouvent ses brebis, à la seule vue de son bâton. Rien d’autre pourtant ne lui donne l’apparence d’un berger, ni la sacoche qui décore sa hanche d’une palette arc-en-ciel, ni sa tignasse bien peignée et lustrée.

 

Contemplatif ou exigeant, selon la météo

Encore deux pauses avant d’atteindre enfin la brèche. Nous suivons maintenant un petit sentier, aéré de gauche et de droite par le seul souffle du Bregenzerwald, pour atteindre un impressionnant perchoir négligé par la plupart des excursionnistes.

Ils ne savent pas ce qu’ils perdent. On n’y trouve place que pour trois personnes, pour autant qu’elles aient laissé leur sac à dos au pied du pilier et qu’elles se déplacent d’un seul mouvement. Loin au-dessous, les douces prairies de la plaine luisent d’un vert fluorescent, la forêt avale la violente lumière solaire, et les flancs rocheux des montagnes font un lointain miroir au regard perdu.

Sans aucun doute, on jouit ici d’une vue plus belle encore que depuis le sommet où nous attendons comme promis l’apparition des bouquetins. Une petite harde s’est installée dans un terrain en forte pente, à quelque 100 mètres de la croix, et nous voyons un imposant bélier grimper vers l’horizon par l’arête opposée. Une halte s’impose, avec de nombreuses photos de bouquetins. Cette séance nous rappelle les prises de vues de la veille, lorsque nous étions partis de Dornbirn pour monter au Bocksberg. Cette première randonnée nous avait valu de fantastiques coups d’œil sur le lac de Constance ; les prés étaient d’un vert si intense qu’on les eût crus brossés par un peintre. La promenade, qui n’atteignait pas l’altitude de 2000 mètres, n’avait rien de rude, mais l’accès au sommet passait néanmoins par une via ferrata : la diversité n’est pas le moindre charme du Bregenzerwald. Par temps incertain ou si l’on n’est pas en pleine forme, on peut se contenter d’un sommet accueillant. Et le jour suivant, mettre au programme son voisin plus ardu.

 

La descente ? En sorcière !

Le jour suivant, nous voici au Hochälpele. La course d’au revoir doit nous offrir une vue panoramique sur les nombreux vallons, sur la forêt mystérieuse et sur les montagnes abruptes de la région. Il faut maintenant regagner la vallée, et l’itinéraire comporte quelques passages escarpés. « Tout se passera bien, nous avons un bon compagnon », déclare notre guide avant de nous expliquer la tactique de la sorcière : lorsque la pente est forte, on tient son bâton de berger à l’horizontale et l’on s’appuie dessus « presque parallèlement à l’horizon. A l’instar de la sorcière qui, elle, le chevauche ».

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