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Du plaisir dans les coincements de doigts Ecole d'escalade en fissures de -Medji

La Suisse n' a rien d' un paradis de l' escalade en fissures, même si pratiquement toutes les premières effectuées sur de grandes parois rocheuses en Suisse ont été effectuées en suivant des fissures. Mais pour qui aimerait s' essayer une fois aux techniques du coincement dans une mesure raisonnable, il existe dans l' école d' escalade de Medji, en Haut-Valais, un paradis des fissures unique en Suisse.

L' escalade en fissures, source de plaisir pour les uns, cauchemar pour les autres, est une forme toute particulière de l' escalade sur rocher. En fait, le principe est tout simple: selon la taille de la fissure, on y coince tantôt l' extrémité des doigts, tantôt la main, tantôt carrément le corps tout entier dans la perspective de prendre de la hauteur. On s' en sort très bien avec quelques astuces techniques et on y prend même très vite du plaisir avec un peu de routine. Pour l' assurage, on utilise très souvent des outils d' assurage mobiles.

Bon nombre de premières de grandes voies ont été effectuées le long de fissures, qui forment d' ailleurs la plupart du temps la ligne la plus logique à travers la paroi. C' est ainsi par exemple que les pionniers de la face nord de l' Eiger vinrent à bout de la « fissure difficile », de la « fissure pourrie » ou encore des fameuses « fissures de sortie ». C' est seulement plus tard que l' escalade en fissures proprement dite fut amenée à la perfection au parc national de Yosemite, aux Etats-Unis. Les fissures y sont le seul moyen de gravir les énormes murs de l' El Capitan ou du Half Dome. Elles représentent souvent l' unique structure propre à la grimpe sur ces parois presque lisses. Les cracks de la fissure se mesurent aujourd'hui à des fissures allant jusqu' au dixième degré de difficulté ( UIAA ). Greenspit ( 8b+ ou 10+ ), une voie cheminant à travers un impressionnant surplomb dans la Valle dell' Orco ( IT ), est l' une des plus célèbres et des plus difficiles. C' est le Suisse Didier Berthod qui s' y est attaqué pour la première fois en 2005.

J' ai commencé l' escalade en fissures dans le Yosemite il y a dix ans, mais j' ai eu de la peine à m' en convaincre au début. J' étais encore trop attaché aux parois de calcaire surplombantes et finement structurées. J' ai certes appris avec le temps à poser proprement friends et coins, mais la passion pour les fissures est apparue timidement. Ce n' est que des années plus tard, lorsque je me suis retrouvé au pied des fissures de Medji, que je me suis demandé ce qui avait bien pu freiner ainsi ma passion. Etait-ce les douloureux souvenirs du coincement de doigts ou la progression avec des friends et des coinceurs? Je l' appris bien plus vite que je n' aurais pu le souhaiter.

Un jour de beau temps, nous sommes quatre à faire le déplacement du Valais afin de clarifier les choses. Dans mon sac ont pris place deux jeux de friends et au moins autant de coinceurs, même si de nombreuses routes de Medji sont déjà équipées de pitons. C' est que cette école d' escalade laisse le choix dans la plupart des voies: poser des assurages soi-même ou utiliser plutôt les bons vieux pitons.

Bientôt, nous nous engageons dans l' impressionnant Mattertal et voilà que des barres de rochers se profilent déjà sur les pentes raides situées à notre droite, avant même d' arriver à St. Niklaus, point de départ pour l' école d' escalade. Les tours et les parois de gneiss de couleur orange et parcourues de fissures du secteur situé directement au-dessus du village se dressent, presque menaçantes.

« Cela fait vingt ans déjà que les premiers grimpeurs osèrent se mesurer à ces fissures », nous racontera plus tard Raoul Bayard, l' un des ouvreurs. Les choses se sont ensuite calmées durant longtemps, jusqu' à ce que lui et ses collègues équipent avec grand enthousiasme de nouvelles voies il y a cinq ans. « Les fissures s' étaient partiellement résorbées et d' énormes blocs de rochers instables menaçaient de tomber le long de la paroi », se rappelle-t-il.

Nous accédons au site par un petit sentier longeant de gros blocs de gneiss dans une forêt de pins à l' allure mystique. Sur notre chemin, nous traversons un bisse et en profitons pour nous rafraîchir un peu de cette eau limpide. Nous atteignons finalement les rochers après une bonne demi-heure de marche en terrain raide.

La paroi est extraordinairement élevée pour une école d' escalade. Elle est traversée par un dense réseau de voies, toutes indiquées par des panneaux réalisés avec art. De cette manière, nous avons rapidement une vue d' ensemble sur les vingt voies, que leurs équipeurs ventent comme étant de la meilleure qualité.

Pour nous « acclimater », nous commençons par Ischtig zum Üfschtig, une courte fissure. Matthias König coince ses doigts de manière exemplaire et grimpe le long de cette fissure sans utiliser les pitons à disposition. Il s' assure avec des friends et des coins. Après l' échauffement, Vera attaque Medji Orginal et poursuit directement jusqu' au relais de Risse des Lebens.

Son sourire éclatant en dit long sur la beauté de la voie parcourue… et sur le bonheur que procure l' escalade en fissures. Personnellement, le toit fissuré bien marqué et débordant de cinq bons mètres d' Unendliche Geschichte m' a séduit. La partie supérieure de cette fissure est l' une des rares longueurs en « clean climbing»1 de la région, ce qui signifie qu' elle n' est équipée d' aucun piton.

En l' absence de pitons familiers à portée de main, mes mains ont tôt fait de devenir moites et j' ai de la peine à faire confiance aux friends que j' ai posés moi-même. Bien que j' aie conscience que mon dernier placement2 est sûr, je me cramponne à chaque prise comme s' il s' agissait de mon seul espoir de survie. Arrivé au milieu du toit, je dois déclarer forfait. Je ne peux plus ni avancer, ni reculer, et cela deux mètres au-dessus du dernier friend. C' est non sans effroi que je me laisse entraîner par la gravitation, mais les friends, placés comme dans les manuels, tiennent tous le choc. La deuxième tentative est la bonne. L' enthousiasme que procure la beauté de la voie l' emporte sur l' angoisse, je parviens finalement au sommet.

Nous retrouvons Raoul Bayard dans un bistrot valaisan typique de St. Niklaus pour le souper, l' occasion pour nous de goûter à quelques détails croustillants. En effet, la pose de pitons le long des fissures n' a pas plu à tous les grimpeurs de la région, car la plupart des voies de Medji peuvent sans problème être escaladées en « clean ». Les équipeurs s' en sont finalement sortis en argumentant que la présence de pitons permettrait aussi à des grimpeurs moins expérimentés de s' essayer à l' escalade en fissures. « Il reste toujours la possibilité de grimper clean », insiste Raoul. Ce que vient d' ailleurs rappeler le « livret de grimpe » déposé au pied de la paroi et où les « clean climbers » peuvent laisser leurs impressions. Nous discutons encore jusque tard dans la nuit des plus belles voies de la région, de mouvements de grimpe, de tailles de fissures et de friends. Ce n' est que vers minuit que nous regagnons le secteur d' escalade pour bivouaquer au pied de la paroi.

Le lendemain matin, nous gravissons les voies que Raoul nous a recommandées. Grâce à une corde de 100 mètres, il est possible de combiner deux longueurs. Nous sommes bientôt pris par l' ivresse de la grimpe. A l' exception de quelques rares passages, les voies sont effectivement d' excellente qualité. Nous remontons des dièdres, tortillant tantôt nos poignets dans les fissures les plus larges, coinçant tantôt nos doigts dans les plus fines, et franchissons des dalles en nous aidant de petites vires. Je jubile même au moment de placer mes mains, histoire de changer un peu, dans des trous creusés dans la roche de Rose ohne Dornen ( Rose sans épines ). La grimpe, ça peut être aussi beau que cela.

1 « Clean climbing »: escalade sans pitons. L' assurage se fait exclusivement à l' aide d' outils d' assurage mobiles. Voir aussi Les Alpes, 8/2009.

2 Placement: représente, dans le jargon des grimpeurs, la qualité du placement d' un outil d' assurage mobile ( friend, coinceur ).

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