Du sommet des Andes à la forêt pluviale. Voyage hors du temps en Equateur | Club Alpin Suisse CAS
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Du sommet des Andes à la forêt pluviale. Voyage hors du temps en Equateur

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VOYAGE HORS DU TE MPS EN E

T E X T E / P H O TO S Andreas Fischer, Lucerne

LES ALPES 3/2002

Le paramo, prairie herbeuse des Andes

Le matin suivant, installés sur la plate-forme d' un pick-up, nous progressons dans la montagne jusqu' au point où l' itinéraire ne se poursuit que par des sentiers et des chemins muletiers. Notre petit groupe international de voyageurs fait l' effet d' un objet insolite et bigarré, déposé au milieu du jaune doré d' un paysage de collines doucement ondulées et recouvertes d' une herbe très dense. Chacun souhaite dans son for intérieur qu' il ne pleuve pas. Les paramos, ces prairies des Andes qui s' étendent au-dessus de la limite des arbres, sont, par endroits, traversés de bancs de rochers, mais pointes escarpées, glaciers et cimes neigeuses font étrangement défaut. Notre marche haletante a tôt fait de nous rappeler que nous nous déplaçons nettement au-dessus de quatre mille mètres. Cet environnement insolite perturbe grandement nos sens habitués aux Alpes.

Le charme inusité de cette steppe d' altitude nous captive rapidement, en particulier les « Freilejones » qui ornent ce paysage. Ce sont des composées, du genre Espele-

Autour du petit village de Moran ( 2600 m ), situé sur le versant occidental des Andes, s' étale la douce harmonie de la vie à la campagne Photo: Lorenz Andreas Fischer

MPS EN EQUATEUR

LES ALPES 3/2002 C' est encore Maria Muñoz qui se charge de faire cuire sur le feu les repas pour sa famille. Le sol de sa cuisine est en terre battue Notre guide nous montre avec prudence une ortie qui cause des éruptions de fièvre au moindre contact De nombreux fleuves traversent la forêt pluviale impénétrable, située sur le versant pacifique des Andes Pho to s: Lo ren z A nd re as Fi sc he r LES ALPES 3/2002

tia,sorte d' edelweiss géantes à tige épaisse et ligneuse et au faisceau de feuilles grasses et très velues. Hugo nous explique que les « Freilejones » sont des plantes endémiques ne poussant que dans le paramo d' El Angel. Il attire ensuite notre attention sur quantité d' autres végétaux intéressants, nous informe de leurs parties comestibles ou de leurs propriétés médicinales, et nous raconte aussi à quels animaux elles servent de nourriture. Tous ces détails nous passionnent, car le but de notre voyage est écologique. Presque sans nous en apercevoir, nous atteignons le point culminant de notre itinéraire. Devant nous s' ouvre le versant occidental abrupt des Andes. Le terrain s' abaisse brusquement en gradins comportant parfois des arêtes vives, et se perd au loin dans une immense mer de brouillard. Semblables à des îles, des cimes boisées et escarpées pointent ça et là, à travers les ondulations de la masse nuageuse. Quelque part, à des kilomètres de distance, la forêt pluviale fait place à l' océan Pacifique.

Monde étonnant

Il s' est mis à bruiner et des lambeaux de brouillard plongent les environs dans une pâle lumière grise. De temps à autre, Hugo doit nous frayer un sentier à la machette dans cette jungle impénétrable. Pour nous, cette forêt fantastique ressemble à celle d' un conte de fées. Pareils à de gigantesques tampons d' ouate, d' épais coussins de

Dans les secteurs ruraux de l' Equateur, les enfants passent pour la meilleure des retraites. Portrait de famille des trois générations du clan Muñoz-Quintanchala Maria Muñoz, fière et indépendante, lave le linge dans le petit ruisseau qui coule derrière sa maison et jette un regard critique sur son petit-fils de Quito LES ALPES 3/2002

mousse s' agrippent aux arbres. Un fouillis de broméliacées, famille à laquelle appartiennent les ananas, masque les grosses branches. Tout là-haut poussent des feuilles de fougères et des lichens. Ici et là, des orchidées en fleurs jettent leurs taches colorées; bref, une vie végétale exubérante à tous les étages, de la racine jusqu' à la couronne des arbres. Mais les animaux sont rares. Par moments seulement, on entend le gazouillis des oiseaux et on en distingue un quelquefois. Un peu plus loin, la forêt s' éclaircit et nous permet de découvrir quelques huttes en bois. Nous sommes arrivés à Moran, but de notre première étape et village natal de Hugo. Pour nous, c' est un véritable voyage dans les temps anciens. Aucune route ne conduit à ce coin perdu à 2600 mètres d' altitude, sur le versant occidental des Andes et oublié du gouvernement du pays. Il n' y a même pas d' électricité. Autour des habitations s' étale la douce harmonie de la vie animale à la campagne. Chiens et chats vivent en paix; quelques pas plus loin, une truie suivie de sa ribambelle de petits laboure le sol en quête de nourriture. Des mères poules réchauffent sous leurs plumes gonflées les boules duve-teuses de leurs petits poussins, des moutons bêlent et des chevaux hennissent dans leur enclos. Il y a aussi quelques vaches. Des enfants effrontés, aux grands yeux sombres et à la bouche barbouillée, jouent, rampent et se vautrent dans les prés, en accord parfait avec cette ménagerie. Nous prenons nos quartiers de nuit dans la maison de Maria Muñoz. Cette maîtresse femme est fière des huit enfants qu' elle a mis au monde, ici, à Moran, presque sans aucune aide. « Ils sont encore tous vivants », affirme-t-elle sans emphase. L' un d' entre eux est précisément Hugo Quintanchala, notre guide. Elle n' arrive pas à comprendre notre embarras à propos de tous ces noms de famille différents. Son nom, c' est Muñoz, pourquoi de-vrait-elle porter celui de son mari? Nous apprenons vraiment des choses étonnantes dans ce village.

Apprentissage d' une philosophie de la vie

A Moran, on est au moins d' accord sur un sujet: on ne veut pas d' une route carrossable, même si elle devait apporter diverses facilités. Il ne faudrait plus, par exemple, utiliser les chevaux pour charrier chaque matin, jusqu' à la crête des Andes, le lait destiné à la vente. Mais on aurait peur des bandits de grand chemin et l'on ne pourrait plus laisser paître les animaux domestiques sans surveillance autour des maisons.

Don Leo, président de la commune, est très conscient de la pauvreté de ses administrés. Mais il considère ce dénuement comme une rude école de la vie qui contraint les

Pho to :L or en z A nd re as Fi sc he r LES ALPES 3/2002 Dans les rayons de soleil matinaux, la jungle sue les nuages, qui s' abat avec plus de force encore sur le paysage, l' après venu LES ALPES 3/2002

gens à pourvoir eux-mêmes aux besoins quotidiens. C' est un excellent terreau pour l' improvisation et la fantaisie. Une autre qualité lui semble primordiale, la curiosité qui ouvre l' esprit et s' intéresse à l' inconnu. Cette soif de savoir engendre la connaissance qui développe, à son tour, le discernement et la compréhension. La modestie et la Bible sont d' autres piliers importants de sa vie, qui l' aident dans ses décisions.. " " L' authenticité d' un tel sentiment protège des erreurs à répétition. Il voit aussi dans le principe d' amour et de compassion pour son prochain le concept fondamental propre à résoudre les problèmes existentiels.

Nous sommes littéralement bouleversés par cette courte introduction philosophique. Nous ne nous attendions pas à découvrir une telle profondeur d' esprit dans ce recoin perdu de la jungle équatorienne. Comme au temps de nos arrière-grands-parents, nous sommes assis à la cuisine, autour de l' âtre sur lequel grésillent des tranches de pommes de terre et des œufs dans une poêle à frire en fonte. Naturellement, tous ces produits sont du terroir. Une lampe à pétrole distribue un peu de lumière supplémentaire. Au cours de la soirée, Don Pastor, le vieux curé d' El Angel, de passage dans le village, vient se réchauffer auprès du feu et nous raconte ses souvenirs d' autrefois. Il y a cinquante ans, il était l' un des premiers de l' extérieur à venir dans cette vallée. Comme le climat froid et humide de Moran ne lui convenait pas, il a continué son périple vers Cortadera, Gualchan, puis jusqu' à Rio Blanco, là où le climat subtropical fait parvenir à maturité une multitude de fruits délicieux: bananes, ananas,

Un quatre mille différent de tout ce que l'on peut voir dans les Alpes: les prairies dorées du nord-ouest de l' Equateur sont ornées de « Freilejones », des edelweiss géantes uniques en leur genre On chercherait vainement de la neige ou des falaises abruptes; en Equateur, la neige ne tombe pas en dessous de 5000 mètres Pho to s:

Lo ren z A nd re as Fi sc he r LES ALPES 3/2002

mangues. Il arrive au point culminant de son récit qu' il évoque le moment où il a contracté le paludisme. Tout à coup, il s' est senti saisi de frissons, immédiatement suivis de bouffées de chaleur intolérables qui le brûlaient intérieurement, jusqu' à ce qu' une décoction de « casca-rilla », nom local de l' écorce de quinquina, qui prospère partout dans cette région, le délivre de cette plaie.

Accoutumance

Le jour suivant, nous marchons à nouveau dans la forêt vierge. A 2300 mètres d' altitude, la stature des arbres est encore plus grande et moins rabougrie. Il y a même des palmiers et nous nous déplaçons sous le dais vert clair de grandes fougères arborescentes. D' élégantes tiges de lianes pendent comme des cordes de la couronne des arbres et nous découvrons sur le sol des restes de fruits. « C' est la trace du passage des singes », nous explique Hugo. La solitude de cette forêt nous saisit et nous fascine. Nous faisons partie d' un tout, nous respirons au rythme de la nature et, sous ce toit de feuilles, nous nous sentons à l' abri et en accord avec cet environnement extraordinaire. L' après, un interminable déluge se déverse sur nos têtes. Nous nous frayons péniblement un passage dans le terrain glaiseux et atteignons enfin,complètement trempés mais d' excellente humeur, une cabane qui nous hébergera pour la nuit.. " " .Les gouttes de pluie tambourinent inlassablement sur le toit de tôle,mais,ici au sec,nous ressentons l' attrait particulier de cette atmosphère mélancolique. C' est vrai, on peut s' habituer à la pluie. Elle fait partie du décor.

Le matin suivant nous apporte un soleil rayonnant. A notre goût, nous n' arrivons que trop tôt au village de Gualchan où la foule humaine s' affaire au son du klaxon des voitures. Notre voyage dans le passé se termine. Nous sommes revenus au XXI e siècle où l' informatique et ses octets rythment la vie. Et dire que, non loin d' ici, il n' y a pas d' électricité? Inconcevable! a

Traduit de l' allemand par Cyril Aubert

Le cœur des broméliacées, famille à laquelle appartiennent les ananas, est le mets favori des rares ours LES ALPES 3/2002

Protection de la montagne

La difesa dell' ambiente

Schutz der Gebirgswelt

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