Escalade dans le Hoggar algérien. Entre ergs et regs | Club Alpin Suisse CAS
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Escalade dans le Hoggar algérien. Entre ergs et regs

erché sur les hauts plateaux de l' Atakor, à une altitude moyenne de 2200 mètres, nous escaladons des aiguilles volcaniques 1, doigts pointés vers le

ciel. Nous sommes au cœur du Hoggar algérien 2, dans le désert du Sahara. L' hiver, les températures y sont plutôt fraîches. Le soleil, d' ordinaire généreux au mois de janvier, a même décidé de nous bouder et a cédé la place à un ciel nuageux. Ce soir, l' orage gronde tandis que le sol recouvert de cailloux noirs s' assombrit en s' humidifiant. Emmitouflés dans nos polaires, nous supportons le froid tant bien que mal. Pourtant, nous cumulons avec bonheur les voies aux lignes esthétiques. Lorsque nous passons au pied de l' Ilamane 3, notre séjour touche à sa fin. Sa silhouette en forme d' ogive pointée vers le ciel attire tous les regards. La face sud y est haute et raide. Ses colonnes de basalte qui s' étirent en tous sens lui donnent l' aspect d' un œillet. Immédiatement, l' envie de gravir cette paroi me saisit, mais l' idée de faire un bivouac au pied de la face et d' atteindre la cime le lendemain ne séduit guère mes compagnons. Le froid, très vif, a eu raison de leur détermination. Finies les gourdes gelées le matin et les veillées auprès du feu: nous partons en plaine, direction Tamanrasset. Notre séjour se termine dans les souks de la ville, aux terrasses des bars, thé et cartes postales au menu.

P

1 Deux sortes d' aiguilles volcaniques: 1 ) extrusion de trachytes et phondites formant des aiguilles récentes où l' étalement de la lave est presque nul ( Ilamane, Tezoulaigs2 ) neck, restes, dégagés par l' érosion, des cheminées d' ascension de la lave comme l' Ihaghen 2 Ahaggar est le nom tamahak ( touareg ) de la région, Hoggar le nom arabe. 3 Selon l' ouvrage de C. Aulard et J.-M. Lhoste, Montagnes du Hoggar, Ed. du CAF, 1952, ce sont deux Suisses, W. Hauser et H. Bossard, membres du CAS, qui réalisèrent la première ascension de l' Ilamane en février 1935. Photos: Thomas Dulac Capturé par un Touareg, ce fennec était dans une cour intérieure d' une maison de Timimou. Cet animal dort le jour et s' agite intensément à la tombée de la nuit

ESCALADE DANS LE HOGGAR ALGÉRIEN

T E X T E / P H o T o s Thomas Dulac, Tarascon surAriège ( F )

A l' assaut de l' Ilamane

Un mois plus tard, nous traversons des regs, vastes étendues de cailloux et de graviers de couleur foncée parsemés de pitons d' une hauteur pouvant aller jusqu' à 300 m. Notre but: l' Ilamane, que je gravis ce jour-là en chemisette sous un soleil radieux. Mon dernier voyage me semble bien loin. L' ascension classique de ce sommet suit une rampe qui zigzague dans la face verticale. Pour l' instant, nous la suivons prudemment sans être encordés, jusqu' à ce que nous butions contre un ressaut. Quatre-vingt-dix mètres de paroi raide composée d' une succession de fissures et de dièdres nous séparent du sommet. L' ascension – qui ne dépasse pas le 4apourrait être facile, mais de nombreux blocs en équilibre nous demandent une grande concentration. Du sommet, la vue panoramique permet d' apprécier la géomorphologie complexe du Hoggar: volcans, oueds, regs... La vue s' étend jusqu' à l' horizon, la terre n' est plus qu' une vaste galette rugueuse sous la chape d' un ciel azuré. La descente se fait en rappel. Nous en profitons pour basculer dans le vide les blocs qui, telles des épées de Damoclès, nous faisaient frémir à la montée. L' hiver prochain, « Inch' Allah » j' irai à nouveau admirer la vue de ce belvédère exceptionnel.

Les génies malfaisants de l' Oudane

Une année s' est écoulée. Me revoilà dans le Hoggar. Cette fois, je me dirige avec une équipe de Touaregs vers l' Oudane 4, 2330 m, sommet mythique qui serait peuplé de génies malfaisants. Soixante-dix ans plus tôt, en 1935, l' écrivain et explorateur français Frison-Roche en réalisait la première ascension avec le capitaine Coche. Il fera le récit de cette expédition dans L' appel du Hoggar en 1936. Aujourd'hui, de nombreuses voies d' escalade mènent au sommet. Malgré tout, mes compagnons Touaregs ne sont pas tranquilles: l' ombre des génies plane encore sur les lieux. Ils resteront donc au bivouac pendant que nous tenterons le sommet. Il est temps de réveiller mes camarades. Quelques dattes et un peu de thé pris autour du feu qui nous protège du froid, puis c' est le départ dans la nuit au milieu d' un enchevêtrement de blocs. Pour l' instant, nous sommes éclairés par la voie lactée, mais bientôt l' aube se lève; le froid se fait alors glacial. Quelques instants plus tard, la chaleur du soleil nous brûle. Ainsi en est-il des contrastes au Sahara. Nous sommes au pied de la paroi qui s' élève sur une hauteur de 600 mètres. Après avoir franchi allégrement une petite dalle, je me glisse dans une cheminée qui, de ses 80 mètres de haut, m' oblige à ramoner en de grands mouvements énergiques. Ce départ a raison d' une bonne partie de mes forces. Les lon-

4 Oudane est le nom tamahak ( touareg ) du sommet. En arabe, celui-ci est appelé Garet el Djenoun, ce qui signifie « montagne des génies ».

Photos: Thomas Dulac Massif de l' Assekrem, sommet de l' Ilamane. La voie la plus facile pour atteindre le sommet est celle de l' arête nord-nord-ouest. On descend par le même itinéraire. Ici, rappel dans des orgues Massif de Tissalatine. Micheline dans la voie Sous-mission, 1 ère longueur, 6b Massif de l' Assekrem, sommet de l' Ilamane. Rémi sur le sommet avec, à l' arrière, une vue sur l' ouest

gueurs s' enchaînent et ne se ressemblent pas: fissure courte et raide, dalle lisse en artificiel sur burils 5, désescalade, pendule, traversée. L' itinéraire n' en finit pas de s' éti le long de cette arête. Enfin le sommet! Nous y contemplons longuement les îlots de rochers perdus dans la plaine d' Igharghar, qui s' étend vers le nord avant d' enta la descente. Nous nous engageons dans une gorge étroite aux parois si hautes qu' elles ne laissent passer qu' un rai de lumière. Les derniers rappels se font de nuit. Arrivés au bivouac, nous allumons un grand feu. Il est temps de préparer le réveillon de la Saint-Sylvestre: une boîte de sardines, quelques portions de fromage et un peu de thé... Nous ne tiendrons pas le coup jusqu' à minuit pour nous souhaiter la bonne année: la fatigue nous emporte.

Dunes et vent de sable

Nous dépassons l' Oudane pour rejoindre le Tassili d' Amguid, une falaise propice à la grimpe qui est la plus septentrionale du Hoggar. Trois mois se sont écoulés depuis notre frugal réveillon et nous sommes maintenant lancés à vive allure sur une piste de sable fin et compact.

5 Cheville courte de six centimètres de diamètre enfoncée par pression dans la roche 6 Espace désertique recouvert de dunes 7 Ernest Psichari, Le voyage du centurion, Ed. L' Harmattan, Paris, 1994 La première longueur de l' arête nord de la Garet n' est qu' une petite mise en jambes. Les deux suivantes aboutissent dans une cheminée athlétique. Il y a 21 longueurs en tout! Massif de la Tefedest, aux alentours du village de Mertoutek. Sommet de l' Escar N Eyhed, voie du Fennec occidental, L1 6a+ Photos: Thomas Dulac La voie du président et du mouflon réunis tire son nom de deux événements. D' une part Frison-Roche, lorsqu' il ouvrit ce sommet par un autre itinéraire, y aurait vu un mouflon, sans doute monté par là; d' autre part, la voie en question – la plus facile pour atteindre le sommet de la Garet El Djenoun – fut ouverte vingt ans plus tard par un président du CAF

Après une heure et demie de trajet sur un plateau monotone, nous voilà enfin auprès des grandes dunes d' Amguid, qui comptent parmi les plus hautes d' Algérie. Bien décidés à monter au sommet de l' une d' elles, nous mettons nos mollets à rude épreuve dans ce sable sans cohésion. A la tombée de la nuit, nous rejoignons le bivouac à l' inté des gorges de l' erg 6 d' Amguid. Nous sommes en mars, période connue pour les vents de sable. Par malchance, le vent se lève cette nuit-là, nous faisant craindre le début de tempêtes de sable qui peuvent durer plusieurs jours. Au réveil, le vent est tombé, nous partons grimper. Les fissures et les prises horizontales sont gorgées de sable. Le début de la voie centrale est facile, ce qui nous permet de trouver des solutions pour progresser tout en essuyant sur nos pantalons le trop-plein de sable qui, telle la farine, reste collé sur nos mains. Au fur et à mesure de l' ascension, le sable se fait oublier. Il ressurgira dans toute sa beauté lorsque, arrivés au sommet, notre vue s' étendra sur d' innom dunes aux courbes gracieuses que la lumière du soir gorge d' un rouge sang.

« Et comme il va vers des terres qu' il ne sait pas, de même le voyageur, lorsqu' il s' arrête ici, découvre dans son cœur de grands espaces inexplorés. » 7

Le Hoggar pratique

Situation: le Hoggar est un massif gréseux, volcanique et granitique situé dans le désert saharien au sud de l' Algé. Son altitude moyenne est de 2200 m, le sommet le plus élevé est le Tahat, 2918 m.

Les quatre peuchères et les bons moulays, la plus belle et la plus haute voie du massif de Tesnou, est aussi l' une des plus engagées. Ici, dans la 9 e lon- gueur, les dalles font place à des fissures, qui se redressent et gagnent en difficulté dans toute la partie supérieure de la voie. 7a+ max Les quatre peuchères et les bons moulays. Sur la photo, la partie supérieure de la voie, qui parcourt des fissures de plus en plus raides et difficiles. Bicou est dans le creux avant le seul bon point de la longueur ( 7a )

Style d' escalade: les falaises regroupant des voies d' une longueur sont rares et sans intérêt. Les grandes voies représentent le gros du potentiel escalade. Le niveau de difficulté va du 3 au 8 avec une majorité de voies dans le 5. La marche d' approche se réduit généralement à quelques minutes. Peu de sommets ont des approches qui se comptent en heures. Dans le rocher granitique, les voies sont équipées pour une bonne moitié par des goujons et des spits. Le reste est soit mixte ( équipé et à compléter par des coinceurs ), soit vierge de tout équipement. Le rocher est dans l' ensemble de bonne qualité. Dans le rocher volcanique ou gréseux, les voies sont en terrain d' aventure, ce qui demande une grande connaissance de la pose des coinceurs et de la recherche de l' itinéraire, exception faite pour un très petit nombre de voies équipées.

Sites: la région des hauts plateaux d' Atakor est celle qui compte le plus de voies. La roche y est volcanique et granitique. Le massif de Tefedest comprend des sommets granitiques. Les voies sont peu aménagées, il faut rechercher les itinéraires et les approches sont longues. La voie de la face sud de l' In Acoulmou, point culminant du massif de Tefedest ( 2336 m ), et la voie du président et du mouflon réunis, à l' Oudane, sont des voies de niveau 3 et au parcours exceptionnel. Compter une journée de 434 pour y accéder depuis Tamanrasset.

Le massif de Tesnou comprend une multitude de dômes séparés par des oueds. La majorité des voies se trouvent sur le sommet nommé le dôme de l' éléphant. Elles y sont plus hautes que dans l' Atakor. Les ascensions des sommets par les voies normales sont très belles, la marche se fait sur de vastes dalles de granit parsemées de blocs en équilibre aux formes étranges.

Bloc: on trouve des sites de bloc qui s' étendent sur de vastes superficies ( par exemple dans les alentours du village de Hirafok ) et de nombreuses aiguilles dispersées dans le Hoggar dont la plupart sont encore vierges de voies d' escalade.

Bibliographie: Thomas Dulac, Escalade au Sahara, Editions Thomas Dulac, 2005

Sécurité: il est vivement conseillé de grimper à trois personnes au minimum. En cas d' accident, deux personnes pourront ainsi porter le blessé; l' idéal est de grimper à deux cordées autonomes. Maîtrise des gestes de premiers secours indispensable. Pas d' évacuation possible en dehors de vos propres moyens. Guide ou accompagnateur ayant une grande expérience du terrain d' aventure conseillé. Avant de partir, s' informer sur le site de la Confédération sur la situation actuelle dans le pays 8.

Le dôme de l' éléphant, dans le massif de Tesnou Fritz dans la sixième longueur de la voie Char-lala Watili à Tesnou, 5b 8 Cf. www.dfae.admin.ch, rubrique Conseils aux voyageurs

Période: toute l' année, mais les températures sont fraîches de novembre à mars. L' été, il faut grimper en face nord dans le massif de l' Atakor. L' hiver, il faut descendre et grimper en face sud à Tesnou, Amguid, etc. Températures agréables à l' Assekrem en octobre et en mars. En mars, éviter les zones de sables: risque de tempêtes. Mouches nombreuses et pénibles à supporter lorsqu' il fait chaud

Généralités: si vous avez besoin de plus amples renseignements, l' auteur se tient à votre disposition: tomdulac@hotmail.com. Sur son site www.desert-dulac.com, vous trouverez toutes les infos utiles et à jour sur les dernières voies ouvertes. a

Photos: Thomas Dulac Aiguille volcanique. Le sommet de l' Iharen est à une dizaine de kilomètres de Tamanrasset. On l' aperçoit depuis la ville et il figure sur les cartes postales ainsi que sur les murs des restaurants de la ville Aiguille volcanique en forme de doigt. Massif de Tazrouk, sommet de l' Aokassit Massif de l' Assekrem, sommet du Tizouyag sud, voie de la nouvelle lune, L7 5 c+. Une des plus belles voies équipées du Hoggar

Escalade libre/ Compétition

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