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Face nord du Mont Blanc de Cheilon

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR MAURICE ROUX-MAYOUD, LYON

Avec 1 illustration ( 116 ) Quand nous avons quitté la cabane des Dix, il était 3 h 20. Une clarté bleutée traînait sur le Glacier de Cheilon. Les étoiles étaient toutes présentes. Celle du berger semblait un phare posé sur la Tsa. Il ne faisait pas froid, néanmoins la neige crissait sous nos pas. Nous fixions nos pieds, évitant de porter le regard sur la face qui nous faisait peur.

1 Ascension de la voie directe de la face nord du Mont Blanc de Cheilon, réussie, le 19 juillet 1969, par la cordée Louis Favre ( guide à Arolla ) et Maurice Roux-Mayoud, de Lyon.

Après la traversée du glacier et le contour du bec, nous avons bien été obligés de la voir, cette terrible paroi, car nos yeux, encore pleins de sommeil, n' eurent plus devant eux que cet horizon sinistre. Le petit déjeuner ne voulait plus passer, les jambes devenaient soudain lourdes, lourdes...

- Tu sais, Louis, nous pouvons encore faire demi-tour... ou bien prendre l' arête Gallet? Tant que nous n' avons pas passé la rimaye, nous pouvons renoncer à gravir la face!

La pente de glace et de neige est raide. Les crampons mordent bien, seules les pointes antérieures travaillent. Les pas succèdent aux pas, et, derrière nous, le soleil éclaire doucement, timidement, les crêtes et les corniches. Alors que tout semble reprendre joie, vie et couleurs, dans un bleu blafard, nous progressons rapidement.

Parfois un chuintement tout près: c' est un caillou qui glisse dans l' abîme. Toute la journée, ils vont tomber en sifflant, percutant à gauche et à droite, frôlant nos têtes fragiles et exposées, malgré les casques.

Les longueurs de corde succèdent aux longeurs de corde. Monotonie des couloirs. La rimaye semble s' enfoncer sous nos pieds. Quand nous aurons atteint les premiers rochers, nous la dominerons de trois cents mètres.

Le soleil est apparu. Sorti de derrière la Dent Blanche, il a essuyé une dernière larme du Mont Pleureur, puis il a frappé la face et nos dos ruisselants.

Merci, soleil! tu viens mettre un peu de clarté où ne s' étendait que l' ombre, un peu de chaleur où ne régnait que le froid et la glace.

Voici les premiers rochers. Il faudra les escalader, crampons aux pieds. Pendant deux longueurs, glace et rocher alternent. La glace est mauvaise, le rocher ne tient pas. Pourquoi, diable, sommes-nous dans cette maudite paroi? La pente se redresse, les rochers semblent suspendus au-dessus de nos têtes et posés en équilibre instable. Nous nous retenons presque d' éternuer, de peur de les ébranler...

Bientôt, nous remettons les crampons sur le sac, le piolet est glissé dans la bretelle, les gants sont enlevés, et nous sortons marteau, anneaux de corde et pitons. Le soleil est chaud, la pente de 70 degrés. Jusque dans ses couleurs, la face reste lugubre et effrayante, car le soleil ne parvient pas à donner quelque vie à ces rochers noirs et rouges. Parfois pourtant, quand Louis taille une marche dans un passage de glace, mille étoiles jaillissent autour de lui. C' est beau! mais hélas! pour moi qui attends trente mètres plus bas, cela me contraint à baisser la tête, car ces étoiles sont autant d' aiguilles qui crépitent sur mon casque, me piquent les mains et pénètrent dans mon dos, entre la veste de duvet et le rebord arrière du casque.

Les cailloux sifflent sans arrêt. Là-haut, le timbre clair du piton résonne joyeusement sous les coups de marteau du guide. Plus le son est clair, mieux le clou tiendra, mais aussi que de peine aurai-je à l' enlever!

Trois longueurs, le ressaut est passé. Il est 2 heures. Je ne sens plus mes doigts. La tension nerveuse noue mon estomac, et ce n' est qu' après le grand « becquet » que nous pourrons enfin faire une halte et boire un peu de thé.

Il doit y avoir du monde au sommet, car les lucioles de glace descendent continuellement de là-haut.

Pitons, mousquetons, anneaux que l'on met et que l'on enlève, puis que l'on remet, et cela tous les quarante mètres, ça ne finira donc jamais!

La rimaye, petite ligne brisée, court à six cents mètres maintenant sous nos pieds.

Louis vient de me dire que je peux y aller... J' enlève l' assurage, mousquetons et pitons, et m' élance pour une quarantaine de mètres. Je cherche une prise pour la main gauche, un gratton pour le pied droit. Ah! attention! un bloc qui ne tient pas! Il faut le contourner, avant de continuer vers Louis qui m' encourage aimablement. Je m' approche de mon guide... plus que cinq mètres... trois mètres! Mais... est-ce possible?... C' est le sommet! Plus rien devant, plus rien au-dessus.

J' ai envie de pleurer. Je crois que j' ai embrassé Louis. La voie directe de la face nord du Mont Blanc de Cheilon était dans la poche!

Tous les grands sommets valaisans étaient là, resplendissants de lumière, pour assister à notre victoire: le Cervin, la Dent Blanche, le Weisshorn, le Pigne d' Arolla, le Mont Collon, le Grand Combin.

Seul le chocard qui nous suivait depuis une heure semblait déçu.

Alors la peur m' a quitté, la tension nerveuse est tombée, et pour remplacer ces deux compagnes qui, comme des sangsues, me collaient à la peau, la fatigue m' a envahi subitement, gagnant tous mes membres enfin détendus.

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