Flying Circus (M10) | Club Alpin Suisse CAS
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Flying Circus (M10)

Escalade mixte extrême

Reconnaissance du terrain dans la partie inférieure de la voie

je donc changé d' état d' esprit, écartant la notion de sécurité? Je ne le crois pas, car j' ai agi plus prudemment encore que dans toutes mes autres aventures sur glace. Pour des raisons de sécurité et pour éviter de faire une chute mortelle, je me suis inspiré de la philosophie de l' escalade sportive. J' ai assuré la voie comme on le fait dans un jardin d' escalade: depuis le haut. Comme Trait de Lune est située dans le Jura bâlois, une région de terrains d' exercice pour les grimpeurs, j' ai pensé que cette démarche était acceptable. Mais, en bon alpiniste, je voulais garder la pureté du style et ne pas utiliser de pitons à expansion. C' est ainsi que j' ai pu réaliser un rêve, celui de découvrir mes limites personnelles, en intégrant un

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risque très exactement calculé et limité. Le degré 8+ en glace était devenu réalité!

Afin d' avoir un point de comparaison sur le plan international, je me suis rendu dans le Colorado, la Mecque du terrain mixte aux USA, pendant l' hiver 1997/98, avec ma femme Daniela. L' escalade mixte y a été marquée ces dernières années par Jeff et Alex Lowe, deux grimpeurs qui font autorité. Jeff avait réussi avec Octopussy, la première voie M 8 du monde. Les photos de cette entreprise ont fait sensation, même chez nous, et ont donné un nouvel élan à l' escalade mixte un peu partout.

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Comparaison sur le plan mondial

Aurais-je pu trouver meilleure comparaison sur le plan international qu' avec la voie Amphibian, M 9, qui a été un certain temps la voie mixte la plus difficile au monde? A la deuxième tentative, j' avais déjà réussi à la franchir! Je ne m' attendais pas à un succès aussi rapide. Cela confirma pourtant ma propre estimation des difficultés, facteur important lorsque que l'on s' approche de la limite connue ou que l'on ouvre une voie d' un degré de difficulté plus élevé.

Malheureusement, et contrairement à mon idéal, la plupart des voies aux USA sont très bien équipées, avec des pitons à expansion, comme dans les jardins d' escalade. Je trouve cette évolution discutable, mais il sera difficile de l' arrêter, comme la tendance actuelle le démontre.

Le spectacle peut commencer

« II faut rester ouvert à la nouveauté et avoir le courage de relever les défis. » C' est en suivant cette devise que je suis parti à la recherche de nouveaux terrains de jeu dans les Alpes, ces dernières années. Mais pour découvrir des voies nouvelles, il faut d' abord pouvoir s' imaginer des choses qu' on croyait impossibles.

Lorsque j' ai atteint un but, je ne m' en contente pas très longtemps. Je n' arrive pas à me reposer sur mes lauriers. Je sens bientôt la nécessité de faire un pas de plus, de continuer à avancer, de réaliser un nouveau rêve.

Si on veut constamment repousser ses limites, une préparation parfaite s' impose! Ce n' est que si je suis bien préparé que je peux assumer le risque que je vais prendre. Cette préparation inclut l' entraîne à l' escalade, que j' ai maîtrisé ces dernières années jusqu' au degré ultime, le 10e ( UIAA ), une bonne condition physique et mentale, et, surtout, la pratique de l' alpinisme et de l' escalade de glace. En hiver 1996/97, j' ai découvert un endroit complètement fou à la Breitwangfluh, en Suisse: une paroi de cent cinquante mètres avec une immense grotte

Alpinisme et autres sports de montagne a

haute de quatre-vingts mètres où de puissantes stalactites de glace pendaient du plafond, telles des épées de Damoclès. Tout d' abord, je n' osais même pas envisager grimper là. Et puis la question me tracassait toujours plus: est-ce possible ou est-ce simplement un rêve absurde?

En 1997, j' avais escaladé la voie glaciaire la plus difficile au monde. Lors de notre voyage en Amérique, j' avais franchi une des voies les plus exigeantes dès mon deuxième essai. Cette voie, très

surplombante, nécessitait une escalade très athlétique, mais elle offrait trop peu de ce « mélange explosif » que représentent le rocher et la glace ensemble. Or c' est justement le bon dosage qui pimente le tout!

Flying Circus ( M 10 )

Je me sens prêt pour ma première tentative. Mais les choses se présentent mal. Au bout de vingt mètres, je suis déjà complètement épuisé. La force de gravité tire sur mes avant-bras. Suspendu à une colonne de glace, je n' arrive pas à ancrer un point d' assurage. Les forces me manquent. Un dernier effort me permet d' éviter la chute fatale. Demi-tour!

Pourtant, Flying Circus ne me lâche plus. Une semaine plus tard, je suis de nouveau à l' attaque, avec ma femme, Daniela. Les conditions de glace semblent un peu meilleures.

Je me lance dans l' aventure avec un courage renouvelé, et cela ne marche pas si mal. J' atteins la stalactite de glace. Est-ce la glace qui a épaissi ou moi qui suis plus en forme? Toujours est-il que je découvre une étroite fissure. Je m' assure vite à l' aide d' un minicoinceur et, grâce à un pendule sur un bras, j' arrive à me propulser jusqu' à la prochaine stalactite. Mes bras commencent à s' engour

Alpinisme et autres sports de montagne Passage délicat avant la sortie

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dir. Il s' agit de progresser rapidement. J' attaque le toit surplombant à quarante-cinq degrés. D' une très longue traction, je croche le piolet-ancreur derrière une écaille de rocher. Mes jambes pendent dans le vide. Mes muscles sont tendus à l' extrême. A l' aide d' une pointe de crampon, j' essaie de trouver la tension corporelle nécessaire. Complètement épuisé, j' atteins le relais salvateur. Deux autres longueurs me séparent encore de la sortie et donc de la joie de la victoire. Mes forces vont-elles suffire pour réussir

Après l' ascension victorieuse, nous regagnons l' entrée de la grotte d' où nous admirons la Breitwangfluh dans le soleil couchant

la voie entière en style libre? Car ce n' est qu' ainsi qu' une première a de la valeur!

Daniela me rejoint au relais. Nous mangeons quelque chose et buvons du thé chaud, puis je me lance dans la longueur décisive, la deuxième. Le départ du relais est périlleux: je dois me tirer sur un crochet, que je plante prudemment dans la mince couche de glace, pour gagner le toit formidablement large. Un rurp est la seule sécurité dont je dispose sur les prochains mètres. Je n' ai pas particulièrement confiance dans ce minipiton. Pourtant, je suis décontracté tout en restant très concentré. Le

rurp ne pourrait sûrement pas stopper une chute, mais il l' amortirait un peu. Je ferais alors un vol et un grand pendule avant de m' arrêter. La progression est très athlétique. D' une main je me tiens à un crochet sur une petite écaille rocheuse couverte de glace, de l' autre, je cherche à trouver un appui à mon piolet à glace dans la fissure surplombante. Je parviens à l' extrémité du surplomb, d' où l' un des nombreux stalactites de glace me permet de gagner le deuxième relais. Je pose vite un friend dans la fissure - il devrait tenir. Je respire profondément. Maintenant, je suis de nouveau bien assuré. Cela devenait vraiment nécessaire, car, avant la sortie, j' ai encore le passage clé à franchir. Un dernier effort me permet de coincer le piolet dans la glace du stalactite de sortie, car je n' ai plus assez de force pour l' enfoncer. Je mets tout le poids de mon corps dessus. Il tient bon. Mon corps est vidé de ses forces, mais j' ai réussi. Le reste, une longueur en M 7 / WI 5, n' est plus qu' un exercice de routine où je me lance après une petite pause. Ça passe sans

problème et nous atteignons la sortie, dans la pente enneigée, heureux comme des rois. Je n' arrive pas à croire que je viens d' escalader la voie la plus difficile du monde. Flying Circus est de loin l' épreuve la plus dure que j' aie remportée!

Où est la limite?

C' est comme en alpinisme: on a à peine atteint un sommet que déjà le regard s' attarde sur le sommet voisin. Peut-on jamais toucher l' horizon quand on marche droit devant soi? Moi, je rêve toujours de nouvelles aventures en montagne. Ma quête va continuer, vers les cascades de glace les plus difficiles, vers les montagnes de la planète les plus inhospitalières et, surtout, vers la réalisation de mes rêves les plus fous!

Traduit de l' allemand par Annelise Rigo

Upinisme et autres sports de montagne

[Alpinismo e altri sport [di montagna

Alpinismus, Berg-i. a. Sportarten

Fascination, préparation, lien avec le métier de guide de montagne Les Alpes: Qu' est qui te fascine dans l' escalade de glace?

Stefan Siegrist: C' est la structure fragile de la glace. Par ses formes variées et les conditions qui changent rapidement, selon le moment et le lieu, elle offre toujours de nouveaux défis. Quand j' évolue dans les voies de glace, je dois me concentrer au maximum et estimer mes capacités au mieux. Dans ce terrain, les fautes les plus minimes peuvent avoir des conséquences imprévisibles, la pression psychologique est donc grande.. " " .Vaincre cette pression me tient en haleine.

- Comment es-tu venu à l' escalade de glace?

SS: De la même façon que je suis venu à l' escalade. Au printemps, j' allais dans les jardins d' escalade pour entraîner ma force et ma technique en vue des grandes voies alpines. En hiver, je cherchais un terrain d' entraînement semblable pour les courses de glace. Les cascades de glace se présentèrent tout naturellement à moi. Tout d' abord, je ne cherchais pas des voies particulièrement raides. Mais après avoir réalisé plusieurs faces nord, les voies vraiment raides et difficiles sur cascades de glace ont commencé à m' attirer.

- Est-ce que cet entraînement t' a aidé dans les faces nord?

SS: Bien sûr, par exemple quand nous sommes montés par le couloir Jackson, dans la paroi nord des Droites. Il était recouvert d' une fine couche de glace. Dans de telles situations, on est content d' avoir assez d' entraînement pour se sentir sûr dans des conditions difficiles.

- Comment te prépares-tu?

SS: La force acquise en faisant de l' escalade sportive est un facteur important. Je ne pratique pas un entraînement purement glaciaire. Pour l' escalade de cascades de glace, on doit apprivoiser les difficultés lentement, on apprend surtout par la pratique.

- Tu travailles comme guide de montagne. As-tu aussi des clients qui veulent faire de l' escalade de glace?

SS: Comme j' aime bien ce terrain, j' essaie de motiver mes clients. Mais je fais très peu de voies difficiles avec eux.

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