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Formation et mouvement des glaciers

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 4 croquis.

Par René Kœchlin.

Tout le monde sait que la neige qui tombe dans les régions élevées de nos montagnes, dans les névés, ne s' y accumule pas à l' infini, mais qu' elle descend, transformée en glace, lentement vers la plaine, par un émissaire qu' on appelle le glacier. Mais, connaissant ce principe général de mouvement, dû à la gravité, une série de questions se pose à l' observateur de ce phénomène.

Comment la neige se transforme-t-elle en glace; comment celle-ci qui nous paraît solide p isse-t-elle en s' acheminenant vers la vallée d' une section à une autre, souvent dissemblable, pour former enfin une rivière de glace à largeur et à pente relativement constantes? Pourquoi pendant des années l' extrémité, la langue, du glacier semble-t-elle reculer vers l' amont pour avancer tout à coup avec une vitesse beaucoup plus grande, chassant devant elle, en une moraine frontale, les déblais accumulés et cela avec une puissance irrésistible? Comment ces vallées glaciaires ont-elles pu se creuser en tracé régulier et souvent rectiligne entre des parois verticales, comme taillées dans la masse compacte iu rocher?

FORMATION ET MOUVEMENT DES GLACIERS.

La réponse à ces questions, et à bien d' autres qui se poseront à la réflexion de l' alpiniste, découle de l' étude des propriétés de la neige et de la glace et des possibilités que présente leur écoulement.

Dans notre ouvrage « Mécanisme de l' eau ) nous avons pour la première fois donné une théorie raisonnée du mouvement des glaciers et de l' érosion qu' ils provoquent. Mettre, sous une forme concise, les résultats de cette étude à la portée des alpinistes, en leur permettant ainsi de comprendre les phénomènes qu' ils peuvent observer dans la haute montagne, est le but du présent article que nous avons rédigé pour répondre à un désir qui nous a été souvent exprimé.

La neige se compose de petits cristaux de glace réunis en flocons de grosseurs variables. Tassée, son poids spécifique est de 0,40 à 0,60. Plus l' épaisseur de la neige est grande, plus elle se comprime à sa base, pour se changer finalement en glace contenant une forte proportion d' air et dont le poids spécifique est d' environ 0,90.

La glace constitue un isolant excellent contre le passage de la chaleur et du froid. C' est pour cette raison que dans nos lacs de montagne l' épaisseur de la glace ne dépasse pas une limite de 0 m. 70 à 1 m.; à partir de cette épaisseur l' action de la gelée sur I' eau du lac ne se fait plus sentir.

On conçoit donc que dans le glacier, déjà à une faible profondeur, la température de la glace reste invariable, à 0°, jusqu' au sol.

L' effort de rupture à la tension de la glace est de 7 à 8 kgs par centimètre carré, c'est-à-dire qu' un glaçon de cette section pourrait supporter une charge allant jusqu' à 7 à 8 kgs suspendue à sa base. La rupture à la compression est de 22 kgs par centimètre carré ce qui correspond à la pression de 240 m. de hauteur ( ou épaisseur ) de glace. Si l'on pousse la compression au-delà, la glace se sépare en petits cristaux et doit être assimilée à une masse semi-plastique, qui sous l' influence de la compression aura la tendance à s' étaler. Mais même sous une pression moindre, mais prolongée, la glace doit être considérée comme une masse malléable, dont les particules peuvent être disloquées, mais que la pression ressoude ensuite. La plasticité de la glace augmente avec la pression; elle est donc à sa base d' autant plus grande que l' épais de la couche de glace est plus forte.

Les deux expériences suivantes vérifient ces propriétés de la glace: 1° Si l'on prend deux glaçons et qu' on les presse assez longtemps l' un contre l' autre, ils se ressoudent pour ne plus former qu' une seule masse. Cette propriété de la glace est appelée regélation.

2° Si l'on pose un glaçon horizontalement sur deux appuis dans une atmosphère voisine de 0°, on constate au bout de quelque temps que le glaçon s' est courbé sous l' influence de son propre poids. Cette propriété de se déformer sous de grands efforts de très longue durée est du reste commune à bien des corps et les géologues admettent que les couches de rochers ont pu ainsi être courbées au cours des siècles.

FORMATION ET MOUVEMENT DES GLACIERS.

On comprend do:ic que la neige accumulée dans les névés se transforme en glace sitôt que la pression des couches supérieures est suffisante. La glace ainsi formée étant une masse semi-plastique tend à s' étaler sous l' influence de la gravité, donc à descendre lentement, comme une bouillie épaisse, vers la plaine. Mais la glace conserve en même temps la propriété d' un solide de glisser sur une pente inclinée, dès que l' angle d' inclinaison dépasse une certaine valeur. Toutefois, si pour un solide cet angle de glissement bien déterminé ne dépend que de la rugosité des masses en contact, pour le glacier il n' est au contraire que dans une faible mesure fonction de la nature de la roche parce que celle-ii, polie par le frottement du glacier, prend une surface unie assez semblable pour les différentes roches. Par contre cet angle, sous lequel commence le glissement de la glace, dépend beaucoup du degré de plasticité de celle-ci, c'est-à-dire de la pression sous laquelle elle se trouve. Le glacier commencera donc son glissement sous un angle d' autant plus faible que l' épaisseur des glaciers est plus grande ' ). Placé sur un lit ayant l' inch limite correspondant à son épaisseur, le glacier glissera sur sa base.

Ces deux mouvements: premièrement déplacement intérieur de la masse qui tend à s' étaler vers l' aval comme une bouillie épaisse et secondement glissement sur son lit, dès que l' épaisseur du glacier aura atteint la valeur qui correspond à l' angle de glissement, régissent tout le mécanisme des glaciers.

Lorsque le glacier se trouve sur une base horizontale ou de faible inclinaison, mais que la surface du glacier a une pente ( comme dans les continents arctiques ), l' écoulement se fait dans la direction de cette pente par le déplacement intérieur, par l' étalement de la masse. C' est également ainsi que se fait le mouvement de la couche inférieure dans les névés. Dès que le glacier se trouvera sur une base inclinée suivant l' angle de glissement correspondant à son épaisseur, il glissera sur sa base tout en conservant le premier mouvement d' étalement.

Le glissement du glacier correspond à une usure très active du lit, usure qui tend à établir, comme pour les cours d' eau, une situation d' équilibre, dans laquelle l' épaisseur du glacier est fonction de la pente du lit, cette pente correspondant, dans le glacier normal, à l' angle de glissement.

Mais si, dans un cours d' eau, le lit tend à se creuser suivant un profil en long et une section bien déterminée, fonction du débit et de la nature du terrain 2 ), il semble a a contraire que pour le glacier il y ait différentes solutions du problème et que ce soit la pente primitive de la vallée qui ait eu une influence déterm riante sur la forme que le glacier a prise. Partant de la configuration primitive du terrain, le glacier tendra à prendre un profil en travers bien défini et à égaliser la pente de son lit pour que, dans les conditions normales de débit, sa masse s' écoule sans glissement sur sa base.

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Cependant, comme c' est le cas pour le cours d' eau, le glacier doit aussi pourvoir à l' écoulement des précipitations anormales qui correspondent à une série d' années humides. La neige dans les névés et la glace dans les glaciers dépassant alors l' épaisseur limite, le glacier se met à glisser lentement sur sa base; ce mouvement se communique avec retardement de proche en proche jusqu' à l' extrémité, la langue du glacier qui avance avec une puissance irrésistible vers la vallée poussant devant elle en une moraine frontale, souvent imposante, les détritus de roches de toutes sortes.

Ce phénomène impressionnant que nous appellerons crue du glacier qui peut durer plus d' une année ne s' arrêtera que lorsque le glacier, diminué d' épaisseur, aura retrouvé ou même dépassé la position d' équilibre: la crue du glacier est alors terminée; l' ablation, c' est à-dire la fonte du glacier par l' atmosphère et le soleil, fait lentement son œuvre évaporant plus de glace qu' il n' en arrive. L' extrémité du glacier se déplace alors vers l' amont, le glacier « recule » comme on le dit à tort vulgairement, avec des fluctuations ordinaires moins importantes, jusqu' à ce que, après une série d' années souvent longue, le phénomène de crue se reproduise.

Ainsi dans les glaciers, l' écoulement des crues se fait par une augmentation relativement considérable de vitesse, alors que dans un cours d' eau cet écoulement se fait par augmentation de section et de vitesse. Dans les glaciers tous les mouvements sont lents et se répartissent sur des années. La proportion de l' excédent de neige d' une série d' années humides ne se fait qu' avec un retard de bien des années sur cette période. Ce retard est fonction de la longueur et de la constitution même du glacier et l' époque de crue n' est donc forcément pas la même pour les différents glaciers d' une même région.

Pour de longues périodes d' années le glacier conserve ainsi sa même structure superficielle correspondant à son épaisseur limite de glissement; c' est pour cette raison qu' on retrouvera sur les bords d' un glacier les vestiges des arêtes bien définies des anciennes moraines qui sont autant de lignes parallèles à la pente du glacier et qui correspondent à différentes époques de celui-ci.

Dans le cours des âges, les variations dans l' étendue des glaciers ont été beaucoup plus grandes que celles de notre temps. Ainsi aux époques glaciaires, entre lesquelles se placent des époques tempérées, les glaciers recouvraient toute la Suisse et ont eu une influence considérable sur la formation du relief du sol.

Mais comment se fait cette érosion par le glacier? Dans son mouvement de glissement sur le sol, faible en temps ordinaire, mais très actif en temps de crue, le glacier polit la roche en l' usant et cela d' autant mieux qu' il se forme à sa base un amas de détritus mélangés à une boue vaseuse qu' entraînent les eaux d' infiltration. Celles-ci pénètrent par les fentes du glacier jusqu' au fond de son lit. Le glacier agit ainsi comme un énorme rabot-polissoir et cela avec d' autant plus d' énergie que la pression sur le sol est formidable et que les détritus charriés sont plus nombreux. C' est ainsi que le lit tend petit à petit à prendre un profil d' équilibre non seulement dans sa pente longitudinale, mais aussi dans sa section. Les profils en travers relevés dans FORMATION ET MOUVEMENT DES GLACIERS.

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I Profil Mm en aval du bout du glacier ( Profil actuel ) II Profil au bout du glacier ( Profil actuelTighede glace en Ï87V~~ Profils superposés I et II et parabole - le lit de glaciers en retrait, avant que les alluvions ne les aient déformés, montrent que ces profils se rapprochent de la parabole. Le contour du lit abandonné par le glacier du Rhône en est un exemple typique ( fig. 1, état après retrait du gla;ier).C^ suivre. )

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