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Groupes ethniques du Népal: Les Sherpas

Après trois premières descriptions des groupes ethniques du Népal publiées dans de précédents numéros1, voici une présentation des Sherpas. Malgré une évolution culturelle bien différente de la nôtre, ce peuple présente plus de similitudes avec les habitants de nos Alpes qu' on ne pourrait l' imaginer de prime abord.

Les raisons ( conflits guerriers, famine ou autres ) pour lesquelles les Sherpas ont quitté leur ancienne patrie de Kham ( Tibet oriental ), au milieu du XVe siècle, restent obscures. Mais nous connaissons arec certitude l' itinéraire de leur exode qui, partant de Derge et passant par Chamdo, Lhassa, Tringi et le col du Nangpa La ( 5716 m ), aboutit à leur actuelle région d' établissement, le Khumbu. Ce long voyage s' est déroulé sur un siècle entier, de 1450 environ à 1555. De même que les Walser dans l' arc alpin, les Sherpas ont colonisé les étages les plus élevés de la zone cultivable. Par la suite, quelques tribus ont poursuivi lAr migration et ont atteint le Solu, la vallée de Rolwaling et les collines de l' Helambu. Bien que leur nombre total ne dépasse guère cinquante mille âmes, les Sherpas sont probablement le peuple le mieux connu de ce pays fascinant qu' est le Népal. C' est là un fait surprenant qui justifie qu' on leur consacre une étude détaillée.

Le nom de sherpa, d' étymologie tibétaine, signifie « peuple de l' est » ( shar= est, pa = peuple ). Cette désignation ne se rapporte pas au lieu d' établissement des Sherpas au Népal oriental, mais à leur région d' origine, l' est du Tibet. La langue de ce peuple s' appelle aussi le sherpa; il s' agit d' un dialecte tibétain oriental qui s' est transformé au cours de la longue migration de ce groupe ethnique, puis au contact des autres tribus monta- gnardes du Népal. On considère cet idiome comme une langue parlée, car peu nombreux sont les Sherpas encore capables de l' écrire avec les caractères tibétains d' origine.

Lorsque deux Sherpas désirent communiquer par lettre, ils utilisent en devanagari. La langue sherpa ne connaît les nombres que de un à vingt; au-delà, on compte en népalais!

Les Sherpas sont essentiellement des paysans de montagne et des éleveurs de bétail. Sur leurs sols maigres, ils cultivent la pomme de terre, l' orge, le sarrasin et des légumes. Dans le Khumbu, leurs villages s' étagent à des altitudes avoisinant 3400 mètres et au-dessus, c'est-à-dire dans le domaine de prédilection du yak. Il s' agit d' un animal certes extraordinairement utile et précieux, mais parfois ombrageux, voire dangereux. En outre, les yaks du Népal ne peuvent pas vivre normalement à des altitudes inférieures à 3000 mètres. C' est pourquoi les ingénieux Sherpas se sont spécialisés dans l' élevage d' hybrides obtenus en croisant des yaks et d' autres bovins. Les rejetons mâles de ces croisements, appelés zopkyo ( dzo en sherpa ), sont des bêtes de trait et de somme très appréciées. Quant aux femelles, les chhauri ( dzom en sherpa ), elles assurent l' approvisionne en lait.

Les Sherpas ont principalement exporté les zopkyo au Tibet en franchissant le col de Nangpa La ( la = col en tibétain ), tandis qu' ils vendaient les chhauri dans l' avant du Népal. Lors de leurs déplacements dans ces régions, ils faisaient aussi commerce de toutes sortes de produits: sel, laine et graisse en provenance du Tibet, riz, maïs, millet et blé des régions basses du Népal, ce qui leur procurait un certain revenu.

Pendant les rudes mois d' hiver, les Sherpas se rendaient en grand nombre à Darjeeling, qui connaissait déjà un grand essor à l' époque victorienne. Outre ses célèbres plantations de thé, cette ville excellait dans cet autre domaine d' activité qu' on nomme jourd' hui le tourisme. Le médecin écossais Alexander Mitchell Kellas fut l' un des premiers à se rendre compte que les Sherpas l' accompagnant dans ses courses de montagne étaient des compagnons très consciencieux et toujours de joyeuse humeur. Grâce à leurs qualités physiques et morales, les Sherpas sont devenus, au cours de ce siècle, un facteur décisif et incontournable de la réussite des grandes expéditions himalayennes. Pour beaucoup d' entre eux, la tâche consistant à transporter des charges du camp de base aux camps d' altitu fut tout d' abord une source de gains accessoires, puis elle s' est transformée en véritable profession, à laquelle s' est attaché le nom même de ce peuple d' origine tibétaine. De nos jours, le tourisme a pénétré en force dans leur région d' établissement du pied de l' Everest et la plupart des Sherpas en tirent profit d' une manière ou d' une autre, comme tenanciers de divers types d' hôtels, restaurateurs, sirdars ( guides ), cuisiniers, membres ou assistants d' expéditions, ou comme propriétaires d' agences de trekking et de voyage dans la lointaine Katmandou.

Les Sherpas sont un peuple d' hu très joyeuse, tolérant, fidèle, consciencieux et vigoureux. Il convient de remarquer, au passage, leur comportement assuré mais dépourvu de toute présomption. Ils constituent le seul groupe ethnique qui se sente assez fort pour s' affirmer dans les démêlés avec la classe dominante des Bahun et des Chhetri, et cela grâce à leurs qualités de persuasion bien plus qu' à celle de hausser le ton.

Aujourd'hui encore, les femmes sherpas s' habillent de manière assez traditionnelle. Elles portent une robe plissée à manches courtes et de couleur sombre, Venki, rehaussée par un tablier à bandes de couleurs vives. En outre, elles revêtent une blouse et, par temps frais, une jaquette de laine. Leurs bijoux préférés sont des turquoises, des coraux et des pierres nommées zhi, qu' elles accrochent à leur cou et à leurs oreilles. Le tablier est fermé sur le devant par une grosse agrafe d' argent. Quant au costume masculin traditionnel, il se compose de la chuba noire, un grand manteau de laine à longues manches, ceint aux hanches d' une écharpe colorée. Lors des fêtes, la plupart des Sherpas déambulent dans ce vêtement sobre mais plein de noblesse. Souvent, la manche droite, non utilisée, est rejetée de manière désinvolte dans le dos. Quant aux caractéristiques bottes de feutre coloré, elles ont en grande partie disparu.

Coup d' œil sur une maison sherpa typique

C' est le climat inhospitalier de la haute montagne qui a incité les Sherpas à développer un style d' habitat tout à fait remarquable. Le rez-de-chaussée de leurs massives maisons de pierre abrite les étables des bovins, des chevaux et des veaux de yaks. Un escalier en bois conduit au premier étage. Il donne sur un étroit couloir débouchant directement dans une pièce spacieuse, servant à la fois de cuisine, de séjour, de pièce de travail et de chambre à coucher. Derrière la paroi du vestibule se dresse le foyer, autrefois ouvert, maintenant délimité en général par un mur en maçonnerie et appelé le chulo. Sur le devant de la maison, les parois sont percées de nombreuses fenêtres sous lesquelles sont disposés des sièges et des banquettes de repos. Plusieurs petites tables occupent la surface restante de la pièce. Quant au mur du fond, il s' orne d' un grand rayonnage compact contenant les divers ustensiles du ménage. A l' extrémité de la paroi du corridor, on place habituellement le dromo, cylindre de bois dans lequel infuse l' inévitable thé tibétain salé. Au-dessus de ce récipient, on suspend le moulin à prières que l'on fait tourner dans le sens des aiguilles de la montre en entrant et en sortant de la pièce. Dans les maisons de familles aisées s'ouvre, à l'opposé du couloir d'entrée, une porte donnant sur la chapelle familiale, appelée lhakhang. Ce lieu de culte est équipé d'une étagère à livres et d'une sorte d'autel sur lequel sont disposés sept coupes d'argent, un brûle-parfum, des statuettes et des 46 lampes à beurre. Des rouleaux d'images (thangkas) ornent les parois. De l'extérieur, on reconnaît la présence de ce sanctuaire grâce à un dôme transversal dans la toiture, ellemême recouverte de tavillons. Autour de chaque demeure se dressent des drapeaux de prière, souvent associés à des paravents sculptés. En outre, chaque maison sherpa possède traditionnellement des latrines dont on chasse l'odeur avec des aiguilles de pin et des feuillages.

Disposition des villages

Chaque maison se dresse au milieu des champs et des pâturages qui en dépendent, ce qui donne un habitat assez dispersé. Les pierres des champs sont entassées sommairement autour des parcelles cultivées, formant ainsi des murets de délimitation. Les villages serrés, Namche Bazar par exemple, ne sont pas caractéristiques de l' habitat sherpa. En effet, cet important lieu de marché ( basar ), ayant de tout temps joué un rôle prépondérant dans le commerce entre le Tibet et les régions basses du pays, n' est pas tourné vers l' agriculture autant que les localités toutes proches de Khumjung et de Khunde. Par ailleurs, la localité de Salleri abrite l' administration du district du Solukhumbu. Au Solu, les Sherpas, majoritaires, vivent en communauté avec des Chhetri, des Bahun, des Tamang, des Magar et des Kami, alors qu' au Khumbu, ils forment la totalité de la population.

Jeunesse

De nos jours, les enfants se développent dans un milieu empreint des activités les plus diverses. Le tourisme joue un rôle dominant par rapport à l' agriculture et l' élevage du bétail. De très bonnes écoles existent partout dans le Solukhumbu et procurent aux écoliers sherpas la meilleure instruction de tout le Népal. De nombreux jeunes fréquentent également les internats de Katmandou, ou même des établissements de l' Inde ou des Etats-Unis. Le temps où les enfants - comme c' est encore le cas chez les Tamang, par exemple - ne se consacraient qu' aux travaux de la ferme est depuis longtemps révolu chez les Sherpas. Aujourd'hui, ils aident après l' école aux tâches liées à l' hébergement ou gagnent quelque argent durant les vacances comme assistants de conducteurs de yaks dans les groupes de trekking.

A l'encontre de tous les autres groupes ethniques du Népal, les Sherpas ont compris l' utilité du planning familial. Rares sont les familles comptant plus de quatre enfants. Le cadet hérite du domaine des parents tandis que ses frères et sœurs reçoivent un dédommagement de sa part.

Mariage

Les mariages, surtout celui du cadet, sont en général arrangés par les parents. Dans la recherche de la compagne idéale, ceux-ci prennent aussi en considération certains intérêts économiques. Avec quelques proches, les parents du futur époux rendent visite à ceux de la jeune fille choisie, en apportant un gâteau de tsampa et quelques autres menus cadeaux. Si ces offrandes ne sont pas acceptées, on en reste là; dans le cas contraire, on pousse l' affaire plus loin. Par la suite, le lama fixe une date appropriée pour le « premier mariage », une sorte de cérémoine de fiançailles. Accompagné de sa parenté, le futur époux se rend au domicile de sa promise, où va se dérouler une fête exubérante, avec force libations de chang, danses et chants. Ces festivités peuvent durer jusqu' à trois jours et deux nuits. Puis le jeune homme habite chez sa femme. Après une période qui peut aller de quelques semaines à quelques années, a lieu une manifestation similaire dans la maison de l' époux. Toute la parenté de l' épouse y est conviée et, dès ce moment, celle-ci réside dans sa nouvelle demeure. Des enfants peuvent sans problème venir au monde entre ces deux mariages. En outre, les familles aisées organisent une troisième cérémonie dont la date est fixée par un astrologue. Elle est souvent couplée avec la naissance du fils aîné. Par ailleurs, la femme sherpa garde son nom de jeune fille après le mariage et c' est elle qui tient les cordons de la bourse du ménage!

Mort

Comme les Tamang et les autres tribus tibétaines du Népal, les Sherpas incinèrent leurs morts au sommet d' une montagne. A cette occasion, les lamas lisent dans la maison du défunt les textes de circonstance, tirés du canon tibétain. Ces cérémonies peuvent durer jusqu' à quarante-neuf jours dans les cas extrêmes.

Origine et sanctuaires

Les Sherpas pratiquent le lamaïsme, forme tibétaine du bouddhisme qu' ils ont importée de leur ancienne patrie, le Kham. A l' époque de leur exode, les grandes réformes engendrant la secte des gelupka ( casquettes jaunes ) n' étaient pas encore accomplies. C' est pourquoi les Sherpas se sont ralliés aux anciennes croyances des sectes nyingmapa et kargyù' pa. De splendides monastères ornent la plupart des villages sherpas, dont ceux de Junbesi, Chiwong, Tragsindo, Phakding, Thame, Namche Bazar et Pangpoche sont particulièrement beaux. Le plus important et le plus célèbre d' entre eux est cependant celui deTengpoche. Malheureusement, un incendie l' a complètement détruit en janvier 1989 et nombre de livres, de statues et de thangkas ont été la proie des flammes. Toutefois, grâce à la grande considération des Sherpas pour leur sanctuaire et une aide massive de l' étranger, on a pu reconstruire le monastère de Tengpoche et l' inaugurer en 1994 déjà, lors d' une cérémonie fastueuse. En Occident, il jouissait d' une grande notoriété car il se trouve sur l' itinéraire conduisant à l' Everest - que les Sherpas appellent Chomolungma, ce qui signifie « déesse mère du pays ». Nombre d' autres montagnes sont honorées comme lieux saints ou demeures de divinités.

Fêtes importantes

Trois grandes festivités ponctuent le cours de l' année chez les Sherpas. Comme tous les autres Tibétains, ils observent le tosar, fête de la nouvelle année, dont la date est déterminée par le calendrier tibétain. Celui-ci obéit à un cycle de soixante ans, dont chaque période annuelle est désignée par un nom rappelant un élément fondamental et un animal.

Exemples: 1998 était l' année du « tigre de terre », 1999, celle du « lièvre de terre », et 2000, celle du « dragon de fer ». Au cours du losar, qui tombe en hiver, les Sherpas se rendent visite et cultivent leurs contacts sociaux avec force chansons et libations de boissons alcooliques.

En juin, c' est le dumjee, une intercession en faveur de pluies suffisantes durant la prochaine mousson. A ce moment de l' année, les champs sont labourés et l'on se prépare à partir pour l' alpage avec le bétail. Cette fête dure une semaine et les cérémonies dans les gompas des villages sont accompagnées des litanies des moines. En octobre ( en mai à Chiwong et à Thame ), les Sherpas et de nombreux curieux du monde entier se donnent rendez-vous à la grande fête de danse de Mani-Rimdu, à Tengpoche. Cette ancienne tradition a été importée en pays sherpa parTrulshig Rimpoche, le « seigneur de la danse ». Ce lama de rang très élevé réside au monastère de Thupten Chhöling, près de Junbesi. Les danses durent deux journées entières et constituent un événement socio-religieux unique en son genre.

Aucun autre peuple de la chaîne himalayenne n' a autant évolué que les Sherpas, grâce à leur travail et à leur esprit curieux. Nombre d' entre eux ont aussi émigré à Katmandou, où l'on apprécie leur habileté commerciale. Néanmoins, les Sherpas restent très attachés à leurs traditions et recherchent constamment le contact avec les leurs. Leur sentiment religieux est très vif et profond. Toutefois, la constante montée des influences étrangères et le renforcement du flux migratoire vers la capitale conduiront certainement, même dans le Khumbu, à un affaiblissement des traditions. La plupart des jeunes Sherpas actuellement élevés à Katmandou ne maîtrisent plus leur langue tribale et, selon toute probabilité, ne retourneront jamais s' établir dans le Khumbu pour y passer le reste de leur existence. Quant à ceux qui restent dans leur région traditionnelle du versant sud de l' Everest, ils disposent, pour le moment, de possibilités suffisantes pour se créer une situation qui leur procurera un train de vie descent, en égard aux conditions locales.

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