III. Piz Zupo | Club Alpin Suisse CAS
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III. Piz Zupo

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

A 12 heures 30 min. nous quittions le sommet, descendant par la route ordinaire, qui a été plusieurs fois décrite ici-même; aucun incident ne signala notre retour, sinon d' audacieuses glissades, que nous inspira la joie du triomphe, beaucoup plus que la prudence, mais qui n' eurent d' ailleurs d' autres suites que de nous faire occuper successivement les positions les plus grotesques du monde. Ainsi riant ", sautant, courant, tombant les uns sur les autres, et nous relevant toujours de meilleure humeur, nous arrivions à 4 heures 30 minutes aux chalets et à 6 heures 30 minutes à Pontresina. Cette course est une des plus difficiles qu' on ait faites dans l' Engadine; elle a beaucoup excité l' étonnement des guides de Pontresina qui l' avaient toujours considérée comme impossible. Il est certain qu' il fallait toute l' audace et toute l' extraordinaire habileté d' un Johann Jaun pour la mener à bonne fiiu

Piz Zupò.

( 3999 mètres. ) Quelques jours après cette course, Middlemore me quitta pour aller chasser le chamois dans le Val Livigno; ma mauvaise vue, que je n' ai jamais autant maudite que ce jour-là, m' empêcha de le suivre. Il avait emmené Johann Jaun, de sorte que je restai avec le seul Gaspard Maurer; mon cousin, M. François Dela-borde de Paris, était venu me rejoindre, et nous décidâmes de faire l' ascension du Piz Zupò ( 3999 m ), le plus haut sommet du massif après le Bernina. Nous n' engageâmes pas d' autre guide que Gaspard Maurer; j' avais en effet dès lors assez l' habitude de la montagne, sinon pour conduire une expédition, du moins pour en tenir honorablement l' arrière. Je dois ajouter que Gaspard Maurer n' était jamais venu dans l' Engadine et que cependant il nous a toujours conduits, d' après la carte et d' après quelques indications que j' ai pu lui donner, avec une sûreté incomparable. Le 21 août nous allâmes tous trois coucher dans la hutte de Boval; nous y rencontrâmes un Anglais de nos amis et une jeune Anglaise, accompagnés d' un guide bernois et d' un guide de Pontresina; cette expédition se proposait de faire l' ascension du Piz Bernina; comme nos deux routes se confondaient d' abord pendant assez longtemps, il fut décidé que nous partirions ensemble le lendemain matin. Les guides de Pontresina avaient ouvert cette année, pour atteindre le Piz Bernina, une route nouvelle, dont je dois dire quelques mots. On sait que l' ascension du Bernina se fait quelquefois directement de la hutte de Boval, par le Fussfelsen ou rocher du pied du Bernina; cette route est peu recommandable, parce qu' on est obligé de traverser une assez dangereuse chute de glace. Le plus souvent, on fait un grand détour, par la Festung et les flancs de Bellavista pour aller rejoindre le plateau supérieur du glacier de Morteratsch près du Col de Cresta-Agiuzza et pour attaquer le Bernina de ce côté. Entre ces deux routes les deux bassins du glacier de Morteratsch sont reliés par de vastes chutes de glace et des pentes rapides semées d' effrayantes crevasses, c' est par là que les guides de Pontresina avaient découvert un chemin qui conduit très rapidement auprès du Col de Cresta-Agiuzza.

Nous partîmes donc à deux heures du matin avec un temps très menaçant. Le guide de Pontresina connaissant seul le chemin, l' expédition du Bernina avait pris naturellement la tête.Vers 5 heures nous la vîmes s' engager sur une pente escarpée dessous' d de glace, fort pittoresques, mais très dangereuses. Il eût été certainement possible en faisant un petit détour d' éviter ce passage: c' était déjà une première faute de la part du guide qui conduisait. Mais combien ne fûmes-nous pas plus surpris, en le voyant s' engager avec tout son monde sur la pente de glace, et laisser ainsi quatre personnes gravement exposées pendant qu' il taillait lentement des pas. Je tiens à le dire hautement; dans un pareil cas le devoir des guides est de tailler des pas, avant de laisser passer leurs voyageurs; il est bien évident, en effet, que plus on est nombreux, plus le danger est grand pendant cette opération; dans aucun cas d' ailleurs on ne devrait exposer ainsi une femme; le guide de Pontresina qui conduisait, assumait là une terrible responsabilité et si je n' avais pas eu à me louer personnellement de lui autrefois, dans des circonstances critiques, je n' hé pas à le nommer. D' ailleurs cette imprudence n' eut heureusement aucune suite; à cette heure matinale, les avalanches de glace sont très rares. Quelques minutes après nous nous arrêtions dans une crevasse pour faire notre premier repas. A 5 heures 45 min. nous repartions dans la direction du Zupò, tandis que l' autre expédition s' engageait un peu plus à droite dans la direction du Bernina; 2 heures plus tard nous arrivions sans autre difficulté qu' une extrême abondance de neige fraîche, au col qui s' ouvre entre le Piz Zupò et la Cresta Agiuzza. A partir de ce moment les nuages nous enveloppèrent, et la neige et la grêle commencèrent à tomber avec violence. Néanmoins Maurer ne perdit pas courage; il avait étudié sa route le matin, et il ne parut pas douter un instant du succès. Après avoir traversé un facile bergschrund, nous escaladons un mur de glace assez escarpé, et où il fallut tailler des pas pendant plus d' une heure; cette opération réchauffe peut-être celui qui s' y livre, mais les malheureux, qui se trouvent derrière lui, collés sur la neige, battus par le vent, fouettés par la grêle, dans l' impossibilité de faire aucun mouvement violent sous peine de faire dégringoler leurs compagnons, en arrivent bientôt à perdre toute connaissance de leurs extrémités. Enfin nous atteignîmes une arête de neige très facile, et où nous pûmes, par quelques exercices énergiques, ranimer notre ardeur entièrement glacée. Nous étions d' ailleurs assez curieux à voir; nos habits étaient tout blancs de neige, nos cheveux, barbes, moustaches et autres ornements de nos visages pendaient tristement en longs glaçons; nous semblions de ces statues des fontaines publiques, lorsqu' il a gelé bien fort et qu' elles sont couvertes d' innombrables stalactites. Après avoir cru plusieurs fois toucher le sommet sur cette arête interminable, nous découvrîmes enfin un steinmann, avec les noms de nos prédécesseurs. C' est d' ailleurs la seule preuve que nous ayons eue de notre ascension, car en dehors des nuages qui nous entouraient immédiatement, nous ne voyions absolument rien; il était 9 heures 45 min., mais nous avions perdu beaucoup de temps, comme on peut le supposer. Je crois d' ailleurs que nous avons toujours suivi la bonne route: autant que j' en puis juger en effet, nous avons dépassé un peu le col de Cresta Agiuzza, puis revenant sur la gauche, nous avons escaladé de ce côté l' arête du Zupò, arête que l'on voit du glacier de Morteratsch, et qui descend en face de la Cresta Agiuzza.

A 10 heures et demie nous commençâmes à descendre. Je ne dirai pas précisément que nous suivîmes nos traces du matin, vu qu' elles avaient été entièrement recouvertes par la neige qui tombait avec abondance; mais grâce à la pénétration de Maurer nous suivîmes certainement la même route. Seulement au lieu de nous exposer à la chute des séracs, nous découvrîmes en descendant au-delà des crevasses où s' en les avalanches, un chemin un peu difficile, mais sans danger. A partir de l' endroit où nous avions déjeûné le matin, nous retrouvâmes les traces de l' ex du Bernina qui avait dû battre en retraite quelques heures auparavant; il faut dire que le Piz Bernina étant beaucoup plus difficile que le Piz Zupò, cette retraite n' avait rien que de très naturel. A 4 heures et demie seulement nous arrivions à la Restauration du Morteratsch, trempés comme nous ne l' avons jamais été. Je crois devoir dire, avant de terminer, que cette course peut se faire plus rapidement, quand les conditions sont meilleures, et que l'on connaît bien son chemin; elle ne présente aucune difficulté sérieuse.

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