Impressions du pôle Nord | Club Alpin Suisse CAS
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Impressions du pôle Nord

Impressions du pôle Nord

Ce n' est pas pour la gloire que Rose-Marie Besse a participé à l' expédi qui a atteint le pôle Nord le 16 avril 2000 après sept jours de ski, mais plutôt pour réaliser le rêve d' un de ses proches, fasciné par ce point géographique qu' il n' a jamais pu rallier qu' en pensée.

Au moment de quitter la base flottante de Bornéo, nantie de pulkas pour le transport de mon matériel et d' une bonne ration de repas lyophilisés, de céréales et de fruits secs, une bouffée d' an m' envahit. Un instant d' étranges sensations… Prise par le froid mordant ( –30° !), je me sens au bord d' un gouffre insondable; l' émotion me prend à la gorge devant cette immensité chaotique. Je panique. N' ai rien oublié? Suis-je assez habillée? Quels seront mon comportement et ma résistance au froid? Ne suis-je pas en train de jouer avec ma santé?

Un spectacle dantesque Première grosse découverte: la banquise s' apparente moins à une patinoire lisse de plusieurs milliers de kilomètres qu' à un immense chaos formé de multitude de crêtes, de compressions et de sculptures qui se détachent sur l' horizon, tantôt blanches, tantôt bleues sous les rayons du soleil. Cet univers apparemment figé est vivant, changeant, voire bruyant avec les craquements de la glace. C' est d' une beauté presque irréelle… Suis-je impressionnée par ce monde dantesque ou suis-je saisie par une peur que je n' ose avouer? Car en regard des 4000 mètres de profondeur de l' océan sur lequel elle flotte, la banquise n' est qu' une mince pellicule de glace dont le froid et les courants marins se jouent…

Un froid cauchemardesque La pensée de devoir lutter contre le froid cruel m' obnubile. Essayez donc de dévisser le bouchon d' un thermos, de prendre une photo, de chausser des skis et de fixer le masque de protection du visage, la moindre de ces manipulations s' exécutant les doigts enserrés dans des moufles! Mis à part notre camaraderie, le soleil qui inonde, sans jamais se coucher, ces paysages féeriques est la seule source de réconfort: s' il échoue à réchauffer les corps, il répand sur les cœurs une chaleur bénéfique.

A l' heure de dormir, les soucis me tiennent éveillée. Aussi, je vous invite dans ma petite « maison » d' une seule pièce, qui adopte en guise de plancher un matelas gonflé d' air, n' isolant qu' im du froid et de la glace polaire. Malgré toutes les précautions observées pour éviter de me transformer en glaçon – sac de couchage de haute montagne, bonnet de laine, pulls chauds, chaussons en plume et gants – la température est tout juste supportable.

Le tour du monde en quelques secondes Sans nous concerter, nous accélérons l' allure à mesure que, pas après pas, jour après jour, nous nous rapprochons du sommet du globe. Est-ce par peur que le pôle Nord nous échappe? Le 16 avril, après sept jours de ski, nous atteignons ce point mythique au cœur de l' océan Arctique, qui voit toutes les longitudes se rejoindre et qui n' est pourtant signalé par aucune marque visible.

Cette nuit-là, alors que tout le monde dort, je me lève. Seule, écrasée par cet infini dominé par un froid de –35° et par un silence absolu, je devine, cachée derrière la lumière aveuglante du soleil, l' étoile Polaire qui devrait se situer juste à ma verticale. Où que mes yeux se portent, je vois le sud! Je fais alors plusieurs fois le tour de la terre, d' est en ouest et d' ouest en est, en quelques minutes. Une ferveur étrange m' envahit et une vague de bonheur me submerge. Le lendemain, dans l' hélicoptère qui nous rapa-trie, je jette un dernier regard sur ce monde presque imaginaire solidifié par un froid à couper le souffle et je repense à cette nuit passée sous une tente minuscule sur une glace dérivante, au point le plus septentrional de la planète. a

Rose-Marie Besse, Lens Rose-Marie Besse, membre de la section CAS Montana-Vermala, au sommet du globe; elle est à ce jour l' une des rares femmes à avoir atteint ce point mythique La banquise se rapproche plus des montagnes russes que d' une belle patinoire lisse; Rose-Marie Besse traverse ce paysage dantesque Photos: archives Rose-Marie Besse

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