Kangchen ... comment? Expédition insolite vers un huit mille | Club Alpin Suisse CAS
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Kangchen ... comment? Expédition insolite vers un huit mille

atmandou, 1 er avril 2001. Ce n' est pas un poisson d' avril! Quant au nom de la montagne que je me propose de gravir, je ne sais toujours pas comment il se prononce. Seuls détails retenus: le Kangchenjunga ( 8586 m ) qui se trouve tout à l' est du Népal, est le troisième plus haut sommet de la planète. Son accès est très malaisé et les conditions météorologiques sont exécrables la plupart du temps. Les chances de parvenir à son sommet se révèlent donc bien faibles.

Dernière minute

Le mois de mars tout entier s' est écoulé en visites innombrables à des magasins d' articles pour alpinistes, en commandes et réservations de dernière minute et en cinq excursions à ski par mauvais temps, en guise d' entraîne. A ma droite se tient Markus qui m' a inoculé le virus de cette expédition il y a quatre semaines, à ma gauche gisent septante kilos de bagages et, devant moi, s' alignent Piotr, Araceli, Hector, Gonzalo, Marty et RD Caughan, surnommé « Ardi », les autres membres de notre expédition 2001 au Kangchenjunga 1. Cette équipe internationale de professionnels aux multiples capacités sportives est fin prête pour cette entreprise insolite, dont on ne peut guère recommander la réédition.

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Photo: Brian Duthiers

T E X T E / P H O TO S Brian Duthiers, Muri/BE

LES ALPES 4/2003

A la recherche du camp de base

Un hélicoptère russe, mis au rebut depuis fort longtemps déjà, nous transporte, ainsi que quelques quintaux de matériel, dans les solitudes de l' est népalais. Après un fié-vreux déchargement de nos affaires, le pilote prend congé de nous, visiblement soulagé. Un regard sur l' altimètre, affichant 4500 mètres, nous apprend que nous sommes montés de trois mille mètres en deux heures seulement. Nous décidons de gravir la colline la plus proche, ce qui nous donne théoriquement la possibilité de redescendre en cas de malaise dû à la trop grande différence d' altitude, procédure « classique » d' acclimatation.

1 Piotr Pustelnik ( né en 1951 ), de nationalité polonaise, professeur à l' Uni de Varsovie et instigateur de cette expédition; c' est le huitième huit mille qu' il escalade. Araceli Segarra Rossa ( née en 1970 ), vedette du film IMAX sur l' Everest; en 1996, elle est la première Espagnole à parvenir sur le toit du monde. Hector Ponce de Leon ( né en 1967 ), alpiniste mexicain spécialiste de la très haute montagne; il a gravi, entre autres succès, cinq huit mille. Gonzalo Velez ( né en 1958 ), de nationalité portugaise, compte trois victoires dans l' Himalaya.. " " .Marty Schmidt ( né en 1960),expert néo-zélandais en survie,détient le record de vitesse entre le camp de base et le sommet du Cho Oyu ( 8201 m ). RD « Ardi » Caughan ( né en 1943 ), de Berkeley ( Californie ), est légendairement connu pour ses escalades dans le parc du Yosemite; il est aussi un véritable laboratoire ambulant d' essais pharmaceutiques. Markus Stofer ( né en 1968 ), de Berne, est grimpeur de haut niveau sur cascades de glace et vainqueur du Makalu. Brian Duthiers ( né en 1968 ), auteur de l' article, de Berne également, n' avait encore jamais grimpé sur un huit mille, mais possède l' expérience de guide de haute montagne et d' instructeur enthousiaste de ski, de planche à neige et de parapente.

D' ici, on n' admire pas encore le Kangchenjunga, mais en revanche le Jannu Peak. Les oiseaux se régalent des offrandes déposées sur l' autel au premier plan

Expédition insolite vers un huit mille

KANGCHEN... COMMENT?

Aux inévitables migraines s' ajoutent des signes de désappointement et de désapprobation. Notre sirdar ne sait pas comment parvenir au camp de base. Les porteurs refusent de se risquer sur le glacier avec toute cette neige. En outre, nous ne trouvons pas l' emplacement du camp de base malgré plusieurs jours de vaines recherches, et la montagne convoitée n' est même pas visible aux jumelles. Dix jours ont passé. Nous avons enfin découvert le site adéquat. Nous dressons notre camp de base sur un champ d' éboulis à 5200 mètres d' altitude, par obligation à vrai dire, car les porteurs se sont concertés pour ne pas aller plus loin et pour nous laisser en plan, le déchargement terminé. La tente communautaire qui abrite nos repas, jeux et lectures et dans laquelle nous partageons nos émotions et nos peines, s' élève bizarrement dans une vaste flaque d' eau, tandis que celles où nous dormons sont montées de guingois sur des plates-formes de pierres, aménagées avec peine! Mais, de là, nous distinguons enfin notre sommet malgré son éloignement. Notre groupe de huit alpinistes,à l' optimisme modéré,est à pied d' œuvre du médecin Piotr d' ori polonaise, d' un sirdar, d' un cuisinier et de son aide.

La recherche continue

Comment trouver le chemin vers le sommet sans description, croquis ou carte utilisable? « Il n' est pas nécessaire de réussir pour entreprendre », telle est notre devise. Nous consacrons les jours suivants à ce jeu de recherche d' itinéraires praticables, en repérant les meilleurs au moyen de bâtons de bambou ou en les sécurisant avec des cordes fixes. Dix jours plus tard, nous érigeons notre premier camp d' altitude. Nous nous sommes également accoutumés aux particularités météorologiques locales: ciel bleu et soleil le matin, abondantes chutes de neige dès midi, associées à de forts vents et à une température voisine de zéro degré. Chaque nuit, la neige fraîche efface nos sentiers tracés avec beaucoup de peine. Le poids de nos sacs à dos nous fait regretter l' absence de sherpas, mais ceux-ci sont aussi invisibles que les membres d' une éventuelle autre expédition, avec laquelle nous aurions pu partager nos pistes. Comme nous l' apprendrons plus

Qu' allons manger? Ambiance d' un village népalais Rêve ou réalité? De toute façon la vie est belle!

Pho to s:

Br ia n Dut hie rs LES ALPES 4/2003

tard, c' est la première fois depuis trente-deux ans qu' une équipe d' alpinistes est en route vers cette montagne! En outre, notre groupe a diminué de deux unités, Markus, qui a perdu patience, et « Ardi », qui s' est mis lui-même hors de combat par des traitements médicaux de son crû.

Fondue au chocolat

Auparavant, « Ardi » avait mangé la presque totalité des barres chocolatées, me valant ainsi la perspective d' une période difficile, car je suis très friand de cette denrée. Quelques jours plus tard, je dresse tout seul un deuxième camp à 7300 mètres d' altitude. Par miracle, le brouillard se dissipe brusquement et je découvre les vestiges d' une tente abandonnée par une expédition tchèque l' année précédente. Après avoir cassé la glace pendant une bonne heure, je dégage, entre autres objets, quelques barres de chocolat congelé. Elles me permettent de savourer le soir même ma première fondue au chocolat. Le matin suivant, après une nuit sans sommeil, ponctuée de maux de tête et d' estomac, je me mets en marche pour les seize heures qui m' attendent pour retourner au camp de base.

A l' assaut du sommet

Minuit à 8000 mètres d' altitude. De la neige tombe dans la tente, car Marty a secoué celle-ci en passant. Il nous annonce son départ en solitaire pour le sommet. Araceli, Hector et lui ont monté leur toile à deux cents mètres de nous, au-dessous d' une pente de glace. Avant-hier, nous avions déjà quitté cet emplacement en catastrophe, car notre tente avait été malmenée à trois reprises par des coulées de neige fraîche. Sans site suffisamment adéquat pour le bivouac, Piotr, Gonzalo et moi passons une deuxième nuit à trois sur deux nattes isothermes gelées et dans un abri prévu pour deux personnes. A deux heures du matin, après la mise en place correcte de mes verres de contact, je marche pesamment dans les empreintes laissées par Marty, suivi un peu plus tard de Gonzalo et de Piotr. Hector et Araceli qui, eux aussi, se sont mis en route, renoncent toutefois rapidement et font demi-tour, estimant les conditions insatisfaisantes.

Saint Pierre ne nous accorde pas ses faveurs d' hui.. " " .Il envoie,même plus tôt que d' habitude nuages qui envahissent le ciel encore sombre. La neige devient plus profonde, la respiration plus haletante et les pas plus courts, exactement comme dans les livres d' alpi.. " " .Aux lueurs de l' aube trébuche contre Marty qui, En plus des bagages et du matériel, il faut encore faire monter quinze personnes à bord!

A l' aller comme au retour, nous avons traversé cette verdure pour le moins impressionnante Jagart, notre cuisinier, est aussi un excellent joueur d' échecs LES ALPES 4/2003 En route pour le camp numéro 2; crevasses, neige fraîche et sacs à dos de plus en plus lourds Photos: Brian Duthiers LES ALPES 4/2003

Une descente un tant soit peu chaotique

Maintenant il faut redescendre, bien que nous n' ayons pas encore d' idée précise sur la manière de nous y prendre. Marty, qui a bien récupéré, veut aller d' une seule traite jusqu' au camp numéro 2, car ses deux co-

Le Kangchenjunga est enfin visible. C' est la montagne la plus éloignée, un peu à droite du centre de l' illus. Au premier plan, la tente de l' auteur Le camp au milieu du glacier

visiblement épuisé, est enfoncé dans la neige jusqu' aux hanches. Piotr et Gonzalo nous rejoignent. Nous décidons alors de ne pas suivre la voie normale, mais de prendre une variante plus à gauche qui passe par un couloir étroit menant à l' arête occidentale, puis au sommet.

Victoire en demi-teintes

A vue de nez, j' estime qu' il est environ deux heures de l' après. Malgré la présence de quelques rochers au-dessus de nous, nous avons sûrement atteint notre but, car tous nos altimètres, en accord avec le GPS, nous indiquent une altitude supérieure à 8600 mètres. Le Kangchenjunga étant l' une des montagnes les plus sacrées du Népal, les ascensionnistes sont priés de ne pas grimper sur les derniers mètres des rochers couronnant son sommet. Nous nous conformons volontiers à cette requête et ne violons pas ce lieu saint, résidence de cinq divinités. Car nous sommes tous à bout de force: en effet, il nous a fallu douze longues heures pour vaincre les six cents derniers mètres de dénivelé. Nous prenons également conscience du froid glacial et de la violence du vent. Ni pique-nique, ni embrassade, ni photo glorieuse ne ponctuent cette arrivée; seules une brève poignée de nos mains gantées et une légère émotion marquent cette victoire sur la montagne et le brouillard.

LES ALPES 4/2003

équipiers ont déjà démonté le bivouac. Piotr voudrait aussi descendre au plus vite, car sa provision d' oxygène est presque épuisée. Quant à moi, je préfère conserver une allure plus lente et Gonzalo bat même des records dans cette spécialité. Arrivé à notre bivouac, je me rends cependant compte qu' il n' est en aucun cas envisageable de passer une troisième nuit à cette altitude. Lorsque Gonzalo apparaît au bout de soixante minutes et voit la tente déjà à moitié démontée, je croise son regard désabusé qui me signifie qu' il n' ira pas plus loin. Une heure plus tard cependant, j' ai réussi à venir à bout du démontage avec, pour résultat, des perches de quatre mètres de long qui sortent de mon vaste sac à dos! La descente peut se poursuivre, dans l' obscurité maintenant. Gonzalo, l' œil vitreux, intercale une pause tous les cinquante mètres pour récupérer. Grâce au GPS sur lequel j' ai repéré les crevasses du glacier en montant, nous pouvons maintenant les contourner sans danger. Finalement, nous nous arrêtons n' importe où, pour nous glisser dans la tente transformée en sac de bivouac. Gonzalo sombre aussitôt dans un sommeil de plomb et ses ronflements sonores tiennent à distance tous les yétis des environs! Par contre, je ressens moi-même trop le froid pour m' en. Avant l' aube, je me lève et m' efforce de réveiller mon compagnon. Peine perdue, il ne bouge pas et grogne qu' il veut encore dormir. J' enclenche son émetteur-radio et le quitte pour trouver quelques chose de mangeable au camp numéro 2. Cet espoir est malheureusement déçu,

Lors de la descente du sommet, le ciel se dégage après quinze heures de tempête. Coup d' œil magique à 8000 mètres d' alti A 7500 mètres d' altitude, la lenteur de notre allure est impressionnante De bonnes ascendances thermiques permettent de pratiquer le parapente jusqu' à 6000 mètres d' altitude. Au-delà, le régime des vents est par trop aléatoire Photos: Brian Duthiers LES ALPES 4/2003

mais j' obtiens un contact radio avec le camp de base. Piotr me fournit les directives nécessaires. Il me faut rester auprès de Gonzalo et lui faire une piqûre de Dexa-méthasone, dérivé hormonal qui doit lui faire reprendre ses esprits. Cette intervention ne se déroule pas sans difficulté car il s' y oppose violemment. J' y parviens tout de même, l' effet est immédiat et il revient à lui en un clin d' oeil, pour disparaître tout aussi vite dans la nature. Lorsque, sur l' ordre de notre médecin transmis par radio, je veux aussi m' administrer une injection du même médicament, cela n' est plus possible car le liquide a gelé dans la seringue. Il ne me reste qu' à dormir une nuit supplémentaire dans ce bivouac improvisé pour récupérer. Ce n' est qu' au soir du lendemain que je rejoins enfin le « paradis » que représente le camp de base. Une omelette de douze oeufs pour calmer ma fringale, quatre barres cho-colatées pour mon âme, un peu de chimie pour les douleurs dans les doigts et de nombreuses heures de sommeil me remettent d' aplomb. En outre, quelques parties d' échecs effrénées m' apportent la certitude que tout fonctionne normalement dans ma tête.

Kann – tchenn – zoun – ga

C' est ainsi que Miss Hawley prononce le nom de la montagne que nous avons vaincue. Cette femme doit bien le savoir, car la mise à jour des comptes rendus de toutes les expéditions dans l' Himalaya est l' œuvre de sa vie. C' est pourquoi, après notre victoire, nous séjournons plusieurs jours à Katmandou pour lui fournir des explications détaillées sur notre entreprise. Elle nous interroge par le menu sur qui est arrivé au sommet, quand et dans quel état, qui a fait demi-tour et où, à quels endroits nous avons dressé nos camps et quelles étaient les conditions rencontrées. Puis elle nous montre, à notre émerveillement, des photos et des cartes inconnues de nous, sur lesquelles nous marquons notre itinéraire. Nous sommes littéralement abasourdis car bien des tracas nous auraient été épargnés si nous en avions eu connaissance. Pour l' heure, mon estomac est vraiment lassé du régime pizzas et brownies. Nous repar-tirons certainement une autre fois à l' assaut de quelque sommet, peut-être encore plus élevé!

Commentaire de la rédaction

Comme le suggère le titre, cet article relate une expédition himalayenne insolite, dont la préparation et l' exécu apparaissent assez « chaotiques »! Son organisation se révèle plutôt rudimentaire et le choix des membres assez vite expédié. Pourtant ceux-ci ont atteint le sommet sans porteur d' altitude, ni masque à oxygène ( à l' exception d' un membre ). Toutefois, la résistance physique et l' expé de ces alpinistes, de même que leur volonté de vaincre, probablement associées à un peu de chance, ont contribué à la réussite de cette entreprise.

Il n' est, certes, guère recommandable d' imiter cet exemple de conquête d' un huit mille. Il s' assimile plutôt à un saut irréfléchi dans l' eau glacée! L' article ne cache nullement les divers problèmes survenus lors de l' ap et de l' ascension de la montagne: il les présente au contraire ouvertement, voire avec une désinvolture certaine. Si ce genre d' expéditions fait rarement l' objet d' articles, elles sont moins rares qu' on ne le croit. a

Traduit de l' allemand par Cyril Aubert

Photo-souvenir des participants à cette insolite expédition au Kangchenjunga, alors que l' équipe était encore au complet LES ALPES 4/2003

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