La perdrix bartavelle
rPar R.P. Bille
Avec 1 illustration ( 19Chandolin ) Qu' elle est élégante, qu' elle est fine et belle pour qui sait l' observer, pour qui sait la surprendre... avec son collier noir, sa gorge blanche, le gris très doux de son plumage, les raies foncées de ses flancs bleus, de ses flancs roux et clairs, avec sa bague ardente autour de l' œil et son bec rouge et ses pattes rouges! Qu' elle est fine et belle, mais difficile à découvrir, prudente, farouche, presque invisible toujours au milieu des pierriers, des éboulis, des genièvres...
Comment deviner sa présence au pied des pentes rocheuses, sur les hauts pâturages sans entendre son chant? Comment suivre des yeux cette petite masse grise, pierre se coulant parmi les autres pierres, motte vivante, ou parfois simple caillou posé sur d' autres cailloux? Qui ne connaît ses clairs rappels dans le brouillard, ses clairs rappels au crépuscule, à l' aurore...? Qui ne connaît ses courtes strophes au rythme frénétique, ses cris en saccades soulevant d' étranges résonnances au sein des pierriers montagnards, près des derniers gazons, dans le grand silence... Qui n' a pas remarqué au printemps les traces étoilées de ses petites pattes à l' entour des mayens où mollit la terre grise et peut-être les sombres traînées de ses fientes, couleur d' épi? Qui ne l' a pas levée brusquement d' une touffe de genièvre, d' un repli de terrain, de derrière un granit, qui n' a pas vu s' ouvrir sa queue rousse, entendu le bourdonnement de son vol au départ, puis son cri d' alarme « pitschieu! pitschieu! » lancé le long de la pente, alors qu' elle glissait sur ses courtes rémiges tranchantes comme des lames?
Née pour vivre au sol, amoureuse des lichens, des brouillards, des pentes dorées par la lumière, amoureuse des pierriers où passe et repasse l' hermine, où siffle la marmotte et trille le sponcielle, amoureuse des couloirs abrupts, des corniches herbeuses, l' agile bartavelle l' est surtout de la grande solitude alpestre où le chasseur rarement s' aventure... Il lui faut du caillou et du gazon, il lui faut ces longs silences, la motte rose des silènes, l' airelle coriace, le rhododendron, la brune pilule des lièvres, il lui faut ces roches verdâtres ou sanglantes, ce rayonnement solaire...
Loin du monde, loin des hommes, près des vents froids et purs qui, sans cesse, jouent avec l' herbe et le nuage, invisible toujours, la perdrix bartavelle, la douce perdrix des pierres, l' oiseau aux pattes rouges, aux flancs bleus, aux flancs roux rayés de noir, promène sa gentille couvée en attendant le plomb fatal ou le robuste ongle qui viendront transpercer sa chair savoureuse!