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La vie au bout des piolets Le dry-tooling, ou l’art de grimper sur rocher avec crampons et piolets

Le guide Drytooling & Mixte Suisse Ouest, paru en 2021, est le premier du genre dans le monde des sports de montagne en Suisse. C’est la première fois qu’un ouvrage est consacré au dry-tooling comme discipline à part entière. Ce sport qui a vu le jour comme un moyen de s’entraîner est devenu un objectif en soi.

«La finesse se cache dans la grossièreté», affirme Simon Chatelan, soulignant avec plaisir la contradiction. Le dry-tooling consiste à grimper avec des crampons et des piolets sans toucher de glace. Les premiers essais ont souvent l’air approximatifs. Cette impression est due d’une part au bruit du métal sur le rocher qui vous transperce si les mouvements ne sont pas propres. D’autre part, «avec les piolets, contrairement à l’escalade à mains nues, on a toujours les mêmes immenses prises dans les mains et on ne sent pas directement le rocher», explique Simon Chatelan, auteur du guide Drytooling & Mixte Suisse Ouest.

Mais cela a une certaine saveur: «On place la lame sur de minuscules réglettes qu’on ne pourrait jamais tenir avec les doigts, mais on ne sent pas directement si le piolet tient vraiment», poursuit-il. Contrairement aux doigts, les lames n’ont pas de nerfs, et il y a donc toujours une part d’incertitude, on ne sait pas si le piolet tiendra ou s’il va soudain glisser.

Il est donc important de bien le placer, de tester la prise, puis de s’écarter le moins possible de la position éprouvée, même quand on va crocher l’autre piolet. Il en va de même pour les pieds: des pointes inanimées séparent le grimpeur du rocher.

Nouveau nom pour un vieux sport

L’escalade avec piolets et crampons sur le rocher a d’abord été un moyen d’atteindre un objectif. Dans les années 1980, les pionniers de l’escalade sur glace utilisaient déjà cette technique pour atteindre des stalactites ou relier les sections de glace d’une voie interrompue par des portions de roche. La façon dont on franchissait la partie rocheuse était d’abord secondaire.

Il a fallu quelque temps pour qu’on reconnaisse le potentiel de ce mal nécessaire. Tandis que l’échelle de cotation en escalade sur glace se terminait avec Water Ice 7 (WI7), l’escalade sur rocher avec l’équipement glaciaire a ouvert la porte sur un nouveau monde en matière de difficulté, et ce en (relative) sécurité.

D’une part, on grimpait sur de la glace très fragile, mais en étant assuré à côté sur le rocher, comme c’est généralement le cas aujourd’hui en escalade mixte difficile, c’est-à-dire dans des voies avec des sections sur glace et sur roche. D’autre part, on a découvert que la partie rocheuse entre les sections de glace présentait souvent bien plus de difficultés que la glace en soi.

Le dry-tooling, même si peu de gens l’appelaient ainsi à l’époque, était soudain devenu l’égal de l’escalade sur glace à proprement parler, une partie de la performance, un but en soi. La réévaluation et l’intégration des sections rocheuses ont aussi fait exploser l’échelle de difficulté, car on a bien sûr aussi voulu franchir les sections rocheuses en libre et sans se reposer dans la corde. La cotation M8 (Mixed 8) a suivi WI7 (Water Ice 7). Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que s’ouvrent les premières voies de dry-tooling, quasiment des voies d’escalade sur glace sans contact avec la glace. Dans ces voies entièrement sur rocher, on a continué à utiliser l’échelle de dry-tooling («D» suivi d’un chiffre), dont les exigences techniques et athlétiques n’ont plus grand-chose à voir avec l’escalade sur glace classique.

La météo devient secondaire

Une question se pose: pourquoi ne va-t-on pas simplement faire de l’escalade sportive quand le rocher est sec et de l’escalade sur glace quand il y a de la glace? Silvan Schüpbach, entraîneur national du CAS en escalade sur glace pendant de nombreuses années, soulève plusieurs éléments de réponse: «Le dry-tooling, ce n’est justement pas de l’escalade sur glace sans glace, pas plus que de l’escalade sportive avec des piolets. L’éventail de mouvements et de prises est bien plus vaste qu’en escalade sur glace, et le dry-tooling est même plus exigeant techniquement que l’escalade sportive sur certains aspects.»

A cela s’ajoute le paramètre de l’indépendance par rapport aux saisons et à la météo, le changement climatique raccourcissant de toute façon toujours plus la saison sur glace. «Si je caricature un peu, pourquoi attendre la glace et avoir froid aux doigts en escalade sportive si on peut pratiquer le dry-tooling avec des gants par tous les temps juste à côté de chez soi?», demande Silvan Schüpbach. Dans le film de l’alpiniste et professionnel du dry-tooling français Gaëtan Raymond, Generation Dry, François Damilano soutient une position très semblable: «Une chose qui est géniale dans le dry-tooling, c’est qu’il n’y a pas de contraintes, alors que l’escalade en cascade de glace, ce ne sont que des contraintes.»

Nouveau sport, nouvelle éthique

A l’instar de la plupart des disciplines des sports de montagne, le dry-tooling a commencé sans règles ni réflexions éthiques. Comme ce sport se pratique principalement en nature et que de plus en plus de voies et de sites de dry-tooling sont équipés, il est clair que les mêmes règles de protection de la nature s’y appliquent que dans les autres disciplines.

Il y a également quelques règles tacites: on ne grimpe pas une voie d’escalade déjà en place avec des piolets et des crampons, et les sites de dry-tooling ne sont équipés que sur des falaises peu attrayantes pour l’escalade sportive. En revanche, dans de nombreux secteurs de dry-tooling, les prises sont vissées sur le rocher, une pratique proscrite en escalade sportive moderne. Quoi qu’il en soit, l’éthique du dry-tooling fait débat au plus tard lorsqu’on parle de la pratique de la discipline en soi.

Une figure bien caractéristique du dry-tooling est le yaniro. Elle consiste à passer sur un bras la jambe opposée («Figure of Four») ou celle du même côté («Figure of Nine») et à serrer le pli du genou autour de l’avant-bras le plus près possible du poignet. Cette technique permet d’atteindre des prises très éloignées et de se passer de prises pour les pieds. On économise ainsi des forces dans les surplombs et les toits. Une technique élégante qui épargne les épaules, selon les uns, de la triche monotone pour les autres.

Le cœur de l’alpinisme révolutionné

Comme l’escalade sportive, le bloc et l’escalade sur glace, le dry-tooling a d’abord été purement un sport d’entraînement pour le «vrai alpinisme», avant de devenir une discipline alternative marginale. Toutes ces disciplines plus récentes partagent un point commun: elles ont révolutionné le cœur de l’alpinisme. Un certain niveau en escalade sportive vous rend meilleur en escalade alpine et un niveau élevé en dry-tooling modifie aussi la manière de se déplacer dans des passages mixtes exigeants en haute montagne. Quand on est au-dessus des contraintes techniques et physiques, on peut mieux se consacrer à d’autres questions comme l’itinéraire à suivre ou l’assurage.

Depuis le début des années 2000, l’escalade sur glace s’est établie au CAS comme sport de compétition, mais les portions décisives des voies de compétition relèvent de facto du dry-tooling. Actuellement, le cadre national compte deux entraîneurs nationaux et 16 athlètes. «Au CAS, nous considérons les compétitions d’escalade sur glace, et donc de dry-tooling, comme le sport de compétition de l’alpinisme», souligne Silvan Schüpbach.

Pour l’avenir, Simon Chatelan et Silvan Schüpbach prévoient une progression modérée du dry-tooling comme sport populaire. Pour le sport de compétition, Silvan Schüpbach prophétise: «Un sport rapide, dynamique, qui garantit le spectacle lors d’événements en ville.» Et en parallèle, un retour aux racines en extérieur, où l’on grimpe de nouveau davantage sur la glace.

Tim Marklowski

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