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L'adaptation de l'homme aux grandes altitudes (Suite)

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR F. VERZÂR, BÂLE

( extrait du Symposium-Ciba 6, 142, 1958. Reproduction autorisée par Ciba ) ( Suite et fin ) Un autre phénomène vient bientôt contribuer à assurer un approvisionnement accru des tissus en oxygène. La surface transportant l' oxygène se trouve augmentée par l' accroissement du nombre des globules rouges. Au niveau de la mer, le nombre des globules rouges est, comme on le sait, de 5 millions par mm3 environ, avec des variations individuelle de 4^ millions à 51/2 millions. Si l'on passe quelques semaines au Jungfraujoch ( 3450 m ), ce nombre monte à 61/2 millions par mm3 en 14 jours. A La Paz - altitude 3700 m - le nombre normal des globules rouges est de 6y2 millions. La part de l' hémoglobine augmente aussi dans la même proportion. Cela permet de transporter une quantité d' oxygène augmentée de 30% environ. En outre, la quantité totale de sang augmente légèrement et l'on y constate maintenant la présence de globules rouges jeunes, les réti-culocytes, qu' on reconnaît entre autres à leur résistance plus grande à l' hémolyse.

Comme on le voit, le corps réalise l' adaptation aux grandes altitudes par l' accroissemement de trois surfaces: 1° de la surface capillaire dans les tissus, par laquelle l' oxgène se diffuse dans le sang, dans les fibres musculaires, les cellules nerveuses, etc. L' accélération de la circulation sanguine fait partie du même phénomène; 2° de la surface respiratoire du poumon qui se trouve élargi et mieux aéré; 3° de la surface transportant l' oxygène, grâce à l' accroissement du nombre des érythrocytes, à l' augmentation de la quantité d' hémoglobine et du sang total.

La mesure de la pression d' oxygène tissulaire permet de prouver que ces multiples efforts du corps sont couronnés de succès. On a appliqué la méthode suivante pour des essais sur les animaux et sur les expérimentateurs eux-mêmes: une bulle d' azote est injectée sous la peau; quelque temps après, le gaz est prélevé et l'on mesure quelle valeur a atteinte la pression d' oxygène. Les systèmes régulateurs agissent si bien que la pression d' oxygène tissulaire ne tombe pas parallèlement à la pression d' oxygène extérieure, mais reste encore longtemps accrue.

Il est clair d' une part qu' il faut du temps pour que tous les processus du phénomène si complexe d' adaptation s' harmonisent entre eux, et d' autre part qu' il peut se produire différents troubles si tous les organes ne s' adaptent pas aussi bien les uns que les autres. Au début d' une montée rapide à une grande altitude, tous ces processus ne fonctionnent pas encore; la respiration est augmentée et le travail du cœur souvent intensifié outre mesure. Le nombre des globules rouges n' a pas encore augmenté et les tissus souffrent du manque d' oxygène, ce qui s' accompagne de modifications dans l' irritabilité du système nerveux. Des savants suisses ont constaté au Jungfraujoch des preuves d' une excitabilité végétative autonome accrue, en particulier dans le sens d' un renforcement de Fadrénergie et d' un affaiblissement de la cholinergie.

Aux altitudes moyennes de l' Engadine ( 1800 m ) on constate déjà quelque chose de semblable. La réactivité des capillaires à l' égard des excitations parasympathiques baisse. Peut-être cette « modification de l' excitabilité autonome » est-elle justement le facteur depuis longtemps recherché pour expliquer l' action stimulante et rafraîchissante du climat moyen, celui de l' Engadine par exemple, qui incite bien des personnes à une activité accrue.

On se demande cependant si ce changement peut être expliqué par la seule diminution de la pression partielle d' oxygène. En effet, à cette altitude le sang a encore 95% d' oxygène, c' est à dire qu' il est largement saturé. D' autre part, nous avons vu plus haut que, lors d' un effort correspondant à un besoin accru d' oxygène, le sang devient plus fortement veineux, et ceci tout spécialement au début du séjour en altitude. Il se peut que cela agisse en tant qu' excitation sur les centres du système nerveux végétatif, d' où des excitations sont transmises au système sympathique et en particulier à la moelle et à l' écorce de la capsule surrénale. Il se produit en altitude aussi bien une sécrétion d' adrénaline qu' un déversement de corticosteroide.

Nous obtenons ainsi une image toujours plus compliquée de l' adaptation aux grandes altitudes, qui exige la collaboration de l' organisme tout entier. Par conséquent, un corps qui n' est pas valide aura des difficultés à s' adapter aux grandes altitudes de plus de 2000 m. Et l'on recommande à juste titre aux cardiaques de n' arriver que progressivement à de telles altitudes. D' autre part, il est frappant qu' à La Paz, à près de 4000 m, les indigènes malades du cœur ne sont pas traités autrement que chez nous; donc une circulation sanguine défectueuse peut aussi s' adapter.

Mais nous ne cacherons pas qu' il y a encore des énigmes dans l' adaptation aux grandes altitudes. L' une d' elles est « l' adaptation résiduelle » ( retained adaptation ). On l' a observée chez des rats gardés longtemps sous une pression d' une demi-atmosphère, ce qui correspond à l' altitude de 6500 m. Quand, après avoir ramené les animaux à la pression de la plaine, on les soumettait de nouveau quelques jours plus tard à la pression d' une demi-atmosphère, aucun trouble ne se manifestait chez eux. L' adaptation à l' altitude s' était conservée. Le phénomène est particulièrement net chez de jeunes animaux, alors qu' avec de plus vieux il ne réussit pas toujours. Il se produit sans doute dans le corps des modifications qui persistent après le retour au niveau de la mer. Nous ne savons pas encore aujourd'hui s' il s' agit là d' une nouvelle formation substantielle de ferments ou d' un processus se déroulant dans le système nerveux central et analogue au souvenir. Chose intéressante, le même phénomène a été constaté chez les êtres humains. Les membres de l' expédition allemande au Mont Everest ont manifesté longtemps après leur retour une résistance accrue aux basses pressions.

Abordons encore un problème qui, aujourd'hui, est pour nous d' une vivante actualité. Il y a 25 ans déjà, on avait entrepris au Jungfraujoch des expériences pour étudier si le « rayonnement d' altitude » a des effets décelables. La mouche Drosophila servit de sujet pour ces expériences; on chercha à voir si l' irradiation provoquerait de nouvelles mutations. On fut à cette époque très prudent quant aux conclusions, qui ne furent même pas publiées. Récemment le problème est redevenu actuel. Lors de la discussion à la Chambre des Lords sur les dangers que pourra provoquer l' intensification de la radioactivité due aux explosions atomiques, on a affirmé que le rayonnement d' altitude lui-même ne présentait pas de danger pour l' homme, ainsi que le prouve la vie au Tibet et à l' Altipiano des Andes. Il est certain que le rayonnement à 4000 m est beaucoup plus intense qu' au niveau de la mer, où il est absorbé par les vapeurs de l' atmosphère. Mais son degré d' inten n' accroît pas les possibilité d' une atteinte aux gènes entraînant des mutations. Par contre, une adaptation à l' irradiation ne semble pas possible, même si l'on parle de « facteurs entravant les mutations »; car ces facteurs eux-mêmes pourraient être détruits par les radiations. Il serait intéressant à l' avenir de contrôler aussi ce point.

On a souvent tenté de définir la vie. Mais on ne peut l' expliquer ni à l' aide de phénomènes physiques ni à l' aide de phénomènes chimiques. La vie est un équilibre fluide d' un nombre incalculable de processus différents. Une seule chose paraît la caractériser par rapport à la non-vie: la capacité des organismes vivants de s' adapter aux variations du milieu ambiant. Cette capacité d' adaptation permet à l' homme de vivre tranquillement entre 0 et 2000 m, et, après une nouvelle adaptation, à des altitudes allant même jusqu' à 4500 m. Mais on atteint ici la limite de sa faculté d' adaptation à l' altitude. Pendant une expédition de courte durée, des hommes ont pu atteindre des altitudes de 8000 m dans l' Himalaya, mais une vie permanente, une faculté normale de travail ne sont pas possibles au-dessus de 4500 m. L' adaptation à l' altitude est cependant le plus bel exemple de la capacité d' accommodation de notre corps.

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