L'ascension du Gd Scherhorn par Schürmann en 1872 | Club Alpin Suisse CAS
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L'ascension du Gd Scherhorn par Schürmann en 1872

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR HUGO NÜNLIST, LUCERNE

Avec 1 illustration ( 10 ) Introduction. J' ai devant moi un manuscrit soigneusement relie, portant en lettres d' or sur le dos « Scherhorn 1872 ». Dans cet écrit de 120 pages, qui n' a jamais été publié, Schürmann a narre ses souvenirs riches d' enseignements et teintes d' humour. Il avait alors 40 ans et rédigea ces feuillets sous Fimpulsion d' un besoin intérieur, « meme sans avoir l' espoir qu' un fils bien-aimé trouve une fois plaisir à lire les souvenirs de son père ». Anton Schürmann, greffier de Lucerne durant 55 ans, fut de 1864 à 1865 le premier président de la section Pilate. A un age fort avance déjà, il semble avoir parcouru bien des fois, pour le revivre encore, le récit ci-dessous, puisqu' il y notait à l' äge de 85 ans d' une écriture tremble: « Lu et relu. Au soir de ma vie. Aoüt 1917. » II fut accompagné dans cette course par Ambros Zgraggen, guide réputé de Silenen, qu' il avait déjà engagé en 1860 pour la Petite Windgälle et en 1861 pour le Bristenstock. C' est Zgraggen également qui l' avait accompagné en 1871 au Chammlistock ( 3217 m ), ascension qu' ils durent abandonner peu au-dessous du sommet à cause du mauvais temps. Ils traversèrent alors sur la Pianura pour descendre finalement dans le Maderanertal. En 1872 Schürmann réussissait l' ascen du Scherhorn, et le texte partiellement abrégé que nous publions témoigne quelle joie profonde fut la sienne. Pour Schürmann, qui ne connaissait pas alors les vacances, les impressions de cette course de montagne furent une source de bonheur extraordinairement durable.

En cette année 1872, il passa pour la troisième fois la nuit à Hüfiälpli. La section Pilate y érigea en 1873 une cabane très modeste, dont Ambros Zgraggen fut le gardien pendant dix ans. La deuxième cabane ainsi que la cabane Hüfi actuelle, la troisième, furent construites plus haut, au point 2334 de l' éperon nord-ouest du Düssistock, dans un site splendide face au Scherhorn ( 3295 m ). Ce troisième refuge, très bien concu, et achevé en 1937, aura juste 25 ans en 1962.

Aujourd'hui encore le Maderanertal qui, il y a cent ans, avait enthousiasme Schürmann, est reste une de ces hautes vallées alpestres où le charme s' allie à la grandeur et où l'on aime ä revenir.

« Depuis que j' avais fait la connaissance des montagnes entourant le Maderanertal, mon esprit était hante par l' idée du Scherhorn. Je demandai donc sérieusement à Zgraggen s' il pensait pouvoir m' y conduire; il acquiesca volontiers à mon désir. Un malheureux hasard voulut qu' aucun des clubistes actifs dont j' aurais souhaite la compagnie ne püt, à mon grand regret, participer cette fois-ci à la course.

Le 27 juillet 1872, bien équipe, je me mis seul en route. La traversée du Lac des Quatre-Cantons fut magnifique. A Flüelen je fus le seul et unique passager du cabriolet postal. J' eus ainsi le loisir de contempler tout à mon aise, et sans etre derange, mes chères montagnes, éternellement belles: le glacier d' Erstfeld étincelant merveilleusement, le Bristen d' un bleu vaporeux, les couronnes vertes des noyers, les chalets de Silenen, le torrent de la Seewlialp - toutes ces images dansaient autour de moi une ronde si joyeuse que j' aurais lance une « youtsée » dans l' ardente lumière de midi, si tel avait été l' usage dans les voitures de la poste.

Ambros Zgraggen, prévenu par télégramme, m' attendait, ponctuel, à Amsteg. Nous primes sans tarder le vieux sentier montant en lacets rapides vers Bristen. Je saluai le Kärstelenbach sauvage, bondissant comme un malade fiévreux dans son étroit lit de rochers. Le ciel était si pur et si clair que les ombres des pierres memes semblaient bleues. L' oseille de montagne tendait ses feuilles sagittales aux assoiffés. Mais je goütai davantage encore le verre de vin aimablement offert à Bristen par le chapelain Furger, qui me recut avec sa cordialité habituelle devant son hötel. Assis sous un buisson de roses, nous causämes des temps passes, des années de jeunesse, heureux de ressentir notre vieille amitié. Entre temps, la gouvernante préparait quelques morceaux de viande séchée. N' est pas bien meilleure qu' un fade morceau de röti froid ou du jambon sale?

En route, et au revoir, monsieur le chapelain! Il est neuf heures et demie, et nous avons déjà 21 degrés R. à l' ombre; que sera-ce plus tard? La reverberation des rayons du soleil sur les éboulis de l' Etzlibach était si intense qu' on pouvait se croire transporté dans une vaste plaine recouverte de lave, quelque part au pied d' un volcan de l' Amérique du Sud. L' Etzlibach nous saluait de son rugissement et faisait monter en moi un désir: en prendre une bonne fois plein mon saoul de ces beautés, tout un été durant. Au raidillon de Lungen, quelques étrangers nous dépassèrent, remontant en vitesse la vallée pour atteindre aujourd'hui encore le glacier et rentrer le meine soir. C' est bien ainsi que nous, nous visitons les villes, pensai je, et le bläme s' éteignit sur ma langue!

Lorsque j' arrivai près de Balmenwald, le ciel commenca à s' assombrir; je me sentais extraordinairement fatigue et attribuai cette lassitude à l' atmosphère orageuse qui faisait perler la sueur par tous les pores de la peau. Je n' avais envie ni de dessiner ni d' herboriser; quant à m' étendre un moment à l' ombre, c' était le meilleur moyen de perdre tout envie de reprendre la marche; en avant donc!

Notre premier soin en arrivant à l' hötel Alpenclub fut de nous fournir de vivres pour le lendemain. Ambrosi se munit de couvertures et d' ustensiles pour faire la cuisine. Je fis encore une petite balade dans les alentours et m' aventurai meme en radeau sur le petit lac, un étang plutöt, à la surface verte entourée de sapins. Il me rappela les promenades en bateau de ma jeunesse. A deux heures, diner en plein air. 20 degrés R. à l' ombre qui me vaudra une bonne transpiree.

Apres trois heures, nous nous mimes en route. Un jeune garcon portait les couvertures. Franchissant le Kärstelenbach par un pont de neige ( avalanche descendue du Düssistock ), nous nous engageämes sur le vieux sentier bien connu, incommode meme pour le betail, à plus forte raison pour les hommes. A gauche, au-dessous de nous, le glacier de Hüfi, d' où s' échappe un torrent aux eaux sales et troubles. Le glacier, lui aussi, était enveloppe de grisaille. Un vent frais descendait la vallée. Les parois rocheuses du Scherhorn se dressaient devant nous; sur le cote s' élevait le versant escarpé de la montagne. Des vaches y päturaient encore, alors qu' il n' était pas possible, semblait-il, de s' y tenir sans crampons. Le botaniste trouverait ici un riche butin. Quelques tas de foin attendaient déjà l' engrangement. Quelle odeur délicieuse doit avoir ce foin sauvage!

Peu a peu le chemin devient plus rocailleux; des trainees de pierres coupent les pentes herbeuses. Des ruisseaux aux lits profondément creusés dans les éboulis, aux bords prets à s' ébouler alternent avec les coulées d' avalanches. Le massif calcaire en face de nous s' est voile de gris. Le tonnerre gronde, le brouillard tourbillonne autour du Scherhorn et du glacier de Hälsi. Le ciel se couvre, un orage approche. Nous voilà dans de beaux draps, une fois de plus! Ambrosi me console en m' assurant que c' est seulement un coup de vent passager. J' aurais bien voulu le croire; mais j' étais, je l' avoue, un peu pessimiste et seule la violence des éclairs me donnait quelque espoir. Cependant, le „ coup de vent " tourna rapidement en forte averse, et nous fümes heureux de pouvoir nous abriter tous trois, cacolet et couvertures compris, sous une grosse pierre surplombante et de nous y blottir tous ensemble sur la terre sèche durant un quart d' heure.

Puis nous reprîmes notre marche à travers les éboulis de la Hüfiälpli. Pas de bétail. Nous étions seuls aujourd'hui sur l' alpe pierreuse et déserte. Parfois, dans les bonnes années, on y vient encore. Mais elle est de plus en plus délaissée et négligée, car le déblayage des débris de rochers exigerait trop de temps. En outre, dans les années pluvieuses où le glacier du Düssistock est en crue, il est à craindre que des blocs ne se détachent du mur de glace qui domine le päturage et n' assomment le bétail. Je me souviens encore comment, par la belle nuit de lune du 29 au 30 juillet 1859, d' énormes morceaux de glace dévalèrent sur l' alpe. Au matin on trouva des blocs d' un mètre cube et meme davantage à moins de cent mètres du chalet; ce meine été, une génisse fut tuée par une pierre.

Arrives à temps, nous nous installämes aussitöt, allumämes un feu et bientöt, à notre grande joie, une soupe mijotait dans la petite marmite que nous avions apportée. Comme tous ceux que la civilisation n' a pas encore gätes, Ambrosi était passé maître dans l' art de cuisiner. Un grand rocher plat devant la cabane, choisi comme table, fut recouvert d' une couverture et nous trin-quämes à la prospérité du Club alpin. Le vin de Valteline pétillait; le croissant de lune nous lorgnait d' en haut; les craquements du glacier de Hüfi étaient notre musique de table. Au loin, sur l' autre rive, des belements et un tintement de grelots percu de temps en temps nous disaient que la bonne herbe des dernières bandes de végétation avait un attrait tout spécial pour les moutons. Si jusqu' à maintenant je n' avais jamais eu l' occasion de voir un homme heureux, il m' aurait suffi de me regarder en cet instant dans un miroir. Malgré les taches de nuages noirs sur les Alpes bernoises, qui semblaient de mauvais présage, Zgraggen prédit avec assurance une belle journée, et j' en eus une joie enfantine. Allons donc nous reposer pour bien jouir du lendemain! Par bonheur, notre gite offre suffisamment de place pour deux, mais il ne serait guère indique pour un plus grand nombre de visiteurs, cet hötel n' ayant pas de „ dépendance ". Celle qui existait autrefois n' est plus utilisable, faute de toit. La construction d' une cabane du Club alpin ne s' en révèle que plus souhaitable.

La construction de cette cabane fut discutée autrefois déjà, lorsque je prenais encore part aux réunions du Club alpin. Depuis lors, des pourparlers ont eu lieu. Zgraggen me montra l' emplace qu' il considérait comme favorable pour la construction, et j' avoue qu' il me plut beaucoup. Adossée à un immense bloc, la cabane jouira d' une situation qui ne le cédera en rien à bien d' autres. Mais il paraît que l' hötel Alpenclub ne voit pas d' un bon oeil la construction de la cabane. Les clubistes de Bale, qui font l' ascension du Scherhorn en partant de l' hötel et en y revenant le meme jour, ne sont pas enchantés non plus de cette entreprise, car ils ont des hypothèques sur cet hötel. Tout compte fait, il me semble aussi qu' on pourrait mieux employer cet argent. Mais c' est chose décidée et, à vrai dire, cela ne me regarde pas.

Je me roulai dans ma couverture, m' etendis sur les planches où il y avait un peu de foin et j' imaginai que j' étais aux arrets de rigueur dans cet endroit peu hospitalier pour expier quelque grave faute. Ces idées saugrenues ne m' empecherent pas de m' endormir. Je ne m' eveillai qu' une fois pour écouter avec anxiété le tambourinement de l' averse sur le toit de la cabane. Des courants d' air plus forts marquèrent l' approche du matin. Mon voisin de gauche, la paroi rocheuse, se tenait tranquille; à droite, Ambrosi s' était réveille, regardait sa montre, et, comme il n' était que trois heures, sortit pour voir le temps. « Monsieur Schürmann, on est bons! », fut la nouvelle réjouissante qui me fit bondir de ma couche. Tandis que je faisais ma toilette au bord du ruisseau, Ambrosi cuisina une soupe au fromage; nous mimes de nouveau le couvert devant la cabane et degustämes avec délice le contenu de la petite marmite qui sentait bon la montagne. Cette heure du petit déjeuner à l' aube, où l' esprit est déjà plein des splendeurs du jour à venir, ce glacier nos pieds, ces pentes luisantes de neige devant nous, ces dernières étoiles et ce croissant de lune au-dessus de nos tetes, tout cela m' a toujours fait l' impression d' une sorte de départ pour l' au, d' un passage dans un monde meilleur. Tu as quitté maintenant ce qui faisait de toi un homme de la plaine. Il ne tient qu' à toi et à ton courage de vaincre tous ces géants. Apprends à les connaître, apprends à les surmonter, et tu realiseras la force qui est en toi. Mais ce n' est pas de force physique qu' il s' agit ici, c' est avant tout de force morale.

Des névés du Düssistock se dégageait un souffle froid et il me tardait de me mettre en mouvement. Nous laissämes couvertures et ustensiles de cuisine à la cabane. L' horizon à l' ouest n' était pas encore tout à fait dégagé et des bandes de nuages erraient au-dessus de nos tetes. Mais, en somme, le temps avait bonne figure. C' est donc avec une certaine confiance dans le succès de notre entreprise que nous nous mimes en route pour le Scherhorn dont les escarpements rocheux apparaissaient de l' autre cöte du glacier de Hälsi.

Montagnard expérimenté, Ambrosi marchait en tete sur les pentes du Düssistock. Le jour se levait rapidement, seules quelques étoiles brillaient encore au ciel, tandis qu' une lueur rougeätre apparaissait au nord-est, au-dessus du glacier de Hüfi et de la chute de séracs du Düssistock. Les notes claires d' un couple d' oiseaux solitaires et le belement des moutons dans les gazons humides de rosée étaient les seules voix de ce monde figé. De l' autre cöte, le torrent descendant du Hälsigletscher bondissait en mugissant. Depuis que je l' ai traverse pour la première fois le 30 juillet 1859, le glacier de Hüfi a marqué un recul extraordinaire; il a perdu également de son volume et en impose moins. L' endroit, où en 1859 je quittai le glacier pour escalader les rochers de sa rive nord, est maintenant inaccessible, tout là-haut, sur le versant rocheux du „ Hälsi ". Je crois pouvoir dire sans exagérer que la hauteur ( épaisseur ) de la glace a diminue de 50-70 pieds entre 1859 et 1872. Contournant le contrefort nord-ouest du Düssistock, derrière lequel je m' attendais à aborder tout de suite le glacier, je fus fort surpris de trouver une immense pente d' éboulis, qui était encore recouverte de glace lors de mon dernier passage. C' était un pierrier chaotique, sillonné de rigoles et parsemé de blocs de rochers de 50 pieds carrés, sans trace de végétation. Des blocs épars de glace gris-bleu, tombés du glacier suspendu du Düssistock, avaient roule jusqu' à la grande étendue d' éboulis. Dans une petite oasis, là où ce désert de pierres descend vers le glacier de Hüfi, apparaissait une flore ravissante. Primevères pourpres, gentianes, Aretia helvetica, Festuca et Poa vivipara croissaient et fleurissaient sur un peu d' humus dans un coin abrité; de nombreux trous dans la terre indiquaient la présence d' une colonie de souris. Le seul etre vivant visible était un petit oiseau agile.

J' avais la chance d' avoir un bon guide et de ne pas souffrir du vertige; la neige était très favorable et le piolet à peine nécessaire. On pouvait donc atteindre le sommet non seulement sans danger, mais encore assez facilement. Toute la course était une marche assez longue, rendue un peu fatigante par quelques pataugeages dans la neige, mais, tout compte fait, elle présentait moins de danger que le Galenstock. Telle était du moins mon impression.

Après une halte d' un quart d' heure, nous attaquämes le dernier morceau, interrompant par moments notre marche pour reprendre haleine. Devant nous s' élevait une large pente douce, recouverte de neige et aboutissant à un vaste replat. Mais avant que nous n' ayons pu l' atteindre, la couche de neige se fit de plus en plus mince, il n' y avait plus moyen d' éviter la glace vive. De grandes surfaces de glace gris-bleu, inclinées de 60°, humides et lisses comme un miroir, étincelaient devant nous. Par endroits, un pouce de neige fraîche les recouvrait comme un duvet. Le piolet dut entrer en action et la marche se fit presque trop lente au gré de celui dont les yeux se lèvent sans cesse vers le sommet et qui s' impatiente de l' atteindre! Peu à peu la pente se mua en une croupe doucement arrondie.

D' un coup, toutes les montagnes au sud apparurent devant nous. Bien que j' eusse déjà assez de peine à souffler, ce spectacle m' arracha involontairement un cri de joie, un « yodel » qui fit rire Ambrosi aux éclats. „ On devrait arriver sur les sommets par en haut, dit-il, puisque les gens n' ont plus de souffle pour monter. " L' etroite arete etait formee tantöt de röche monolithe, tantöt de blocs calcaires brises. Puis venait une pente d' eboulis schisteux tombant vers le Hälsifirn et le Bocktschingel. II fallait parfois contourner prudemment les blocs et les dalles dressees verticalement. Cependant, ce dernier passage raide qui, de loin, parait si scabreux, ne presente aucun danger pour les alpinistes exempts de vertige, s' ils prennent les precautions usuelles. Qu' importent les centaines, voire le millier de pieds de precipice ä gauche et ä droite! Si un accident arrive, une chute verticale de 30 ou de mille pieds aura le meme resultat.

Hourra! Nous y sommes. Ambrosi me serre cordialement la main. „ Felicitations, Monsieur Schürmann! Cette fois on l' a eu.Avec une emotion joyeuse je joins ma voix ä la sienne pour faire l' eloge de cette journee et plus encore de ce sommet et de sa vue merveilleuse. Mais tout d' abord il fallut mettre en ordre ses effets personnels, se debarrasser de ses guetres et de ses souliers, sortir du sac les cartes, les camets de croquis et la longue-vue. Puis nous nous etendimes sur les pierres tiedies par le soleil. Un bouchon sauta, nous fimes ä la cuisine de l' hötel Alpenclub les honneurs qu' elle merite et bümes un gobelet de vin ä notre chere et belle patrie. Ambrosi bourra ensuite sa pipe et m' apporta la bouteille renfermant les noms des alpinistes montes ä ce sommet. Apres les avoir lus avec attention, nous commencämes l' examen des montagnes qui nous entouraient.

Sur combien de ces sommets avais-je dejä pose le pied? Je cherchai les vieilles connaissances et toutes, bien sür, repondirent ä l' appel. Je reconnaissais, au tiers superieur du Bristenstock, la crete et l' eboulis oü je m' etais tellement ereinte. Quelque 200 pieds plus bas, ä l' ouest, c' etait le sommet pointu du Petit Scherhorn, avec un neve tres incline du cöte nord et un ä pic tombant au sud sur le Hälsigletscher. Le champ de neige etait si lisse et si brillant, si engageant ä faire une partie de glissade que je ne pus m' empecher de demander ä Zgraggen s' il ne serait pas possible de traverser du Grand au Petit Scherhorn. Mais l' arete rocheuse qui les relie presente un ressaut infranchissable de 50-80 pieds. Sur le sommet du Petit Scherhorn s' eleve un cairn, erige en son temps par Zgraggen. Sur notre sommet se dresse un steinmann rond et solide de 10-12 pieds de haut. Le materiel de construction est en abondance ici. Nous fixons une bouteille vide sur la perche qui y est plantee. Mais la grele ne l' y laissera sans doute pas longtemps.

Apres avoir fait des croquis d' une partie du panorama et etudie avec l' aide des cartes et de mon Ambrosi les chaines de montagnes s' alignant sur differents plans, je m' amusai ä copier les billets qui se trouvaient dans la bouteille du cairn. J' avais un desir bien comprehensible de posseder une copie de ces feuillets que des hommes si differents avaient ecrits, les uns d' une ecriture ferme, les autres d' une main tremblant de froid. Je serrai mentalement la main ä tous ces hommes, sentant comme un lien de parente entre eux et moi. » « 1866, 4 aoüt. Arrivée à 2 h. x/2 de l' après. Départ à 3 h. Victor Haller de Bale, Hauser, presid. de la section Tödi avec le guide Jos. M. Trösch... et son frère... ( illisible ). L' expédition... A l' arrivée et pendant tout le séjour au sommet, vent soufflant en tempete, accompagné parfois de giboulées de neige; au début, la bise nous enveloppait entièrement, puis une brève échappée eut lieu et permit... vue.

1866. 28 juin. Arrivée 8 h. 45 en 7 % heures. Depart 9 h. 15. Guide J. M. Trösch et Ambros Zgraggen de Silenen. Depose par F. Hoffmann-Merian, Bale. Temps et vue très beaux.

1867, 29 juillet ( carte de visite ) Eduard Preiswerk et Jeröme Stähelin du CAS. Avons quitté l' hötel Alpenclub à 2 h. 50, sommes arrives ici à 10.5 par brouillard presque complet avec le guide Jos. Stüssi de Linththal, Jos. Trösch de Silenen comme guides et Albin Baumann comme porteur. Preiswerk a l' intention d' atteindre aujourd'hui encore la cabane Grünhorn et de traverser demain le Tödi et Porta da Specha, mais le temps

1867, 29 juillet. Emanuel Von der Mühll de Bäle...

1869, 10 aoüt. Charles Schnyder, sect. Pilate CAS. Temps splendide ( carte de visite ).

1868, 15 juillet. Solo avec Melch. Trösch ( première ascension de l' année ), Wilhelm Bernoulli, Dr. med., Bale ( carte de visite ).

1869, 13 juillet. Rev. Sowerby avec M. Trösch et Albin Trösch.

1869, 19 juillet. Albert Hoffmann-Burkart de Bale, avec Ulrich Lauener et Jos. Furger. Brouillard Départ de l' hötel Alpenclub 3 h., sommet 10 h. 5. Départ 11 h.

1870, July 16th. 9.30 m S.G.Z. Middlemore, Egbaston, England, avec Ambros Zgraggen de Silenen.

1871, 15 juillet. A.Bischof-Ehinger de Bale. Guides CAS Ma Trösch, Trugen Ma Trösch.

1871, Alb Heim, privat-docent de géologie, Ernst Heim, stud. med., Bourry de Genève et Lyon; avec notre ami et guide Jos. Trösch de Silenen, dimanche 13 aoüt.

J' ajoutai:

1872, 29 juillet. 10 h. y2 A. Schürmann, greffier de Lucerne, avec le guide Ambros Zgraggen. ' Horizon serein, à l' exception des Alpes grisonnes orientales. 9 degrés R. à l' ombre à l' abri du vent, au soleil 15 degrés R. » Schürmann regretta de ne plus trouver au sommet le billet de Georg Hoffmann, Bale. Lire sur place le document de la première ascension du sommet ( 1843 ) eüt été bien agréable. Zgraggen l' avait lu plusieurs fois.

« Ambrosi, toujours dévoué, m' avait aide à repérer les montagnes, c' est à déchiffrer d' après la carte et gräce à ses connaissances des lieux les noms des témoins de pierre de la creation, dresses tout autour de nous; puis il s' étendit à l' ombre, et j' en fis autant pour un quart d' heure. L' air avait une tiédeur printanière, 12 degrés R. à 1 h. J4; pas le moindre souffle de vent durant trois heures. C' était encore une fois une de ces heures dont le souvenir vous reste pour toute la vie. Le guide avait accompli son devoir et t' avait conduit au sommet, ouvrant la trace dans la neige molle, mettant sa force à ton service, t' entourant de sa sollicitude - et il jouissait d' une sieste bien méritée. Mais toi, tu n' as pas l' occasion de voir aussi souvent que lui toute cette beauté; tes heures sont comptées, jouis donc pleinement et joyeusement maintenant de la splendeur qui L' est offerte; bois jusqu' à la dernière goutte cette coupe de joie. » L' heure des adieux arriva. « Malheureusement il faut déjà penser ä la descente. Avec cette temperature extraordinairement agréable, je serais bien reste encore plus longtemps ici; mais Zgraggen presse de partir. Les petits nuages qui s' accrochent tout à coup aux flancs de la Windgälle, là-bas dans le Schächental, et me paraissent à moi bien innocents, ne lui plaisent pas du tout. Il doit savoir mieux que moi ce qu' il faut faire et, pour ces prochaines heures, ma vie est entre ses mains; il est donc sage de suivre son conseil.

Je fis des adieux très emus au Scherhorn, bien du temps peut s' écouler, en effet, avant que nous ne nous retrouvions. Je pris quelques poignées d' échantillons de roche, tant pour ma collection que pour la collection géologique du cabinet d' histoire naturelle. Il y a quelque temps déjà, le Club alpin avait propose de rassembler des échantillons de roche provenant des sommets, avec indication exacte du lieu d' origine. A Zurich, Bale, Genève, Coire on a réuni ainsi de très belles collec- tions fort instructives. A Lucerne cette initiative ne fut malheureusement pas bien comprise. J' ai fidèlement suivi cet appel et, depuis des années, j' apporte de chaque grande excursion de montagne des échantillons pour le conservateur du Musée des sciences naturelles de Lucerne. Mais pour une raison ou une autre ces pièces n' ont jamais été exposées. Exception fut faite cependant en faveur d' une amphibole schisteuse du Pizzo Centrale, probablement parce que ses jolis cristaux de hornblende en font une pièce digne de l' exposition. Mais on a négligé d' en indiquer la provenance! Nous reprenons le meme chemin. Le coup d' oeil sur le glacier de Hälsi est splendide; on ne voit pas le precipice. et l'on se sentirait extraordinairement léger et ä l' aise sur cette paroi de 2000 pieds, si ses flancs n' étaient faits de pierres délitées; il faut donc se tenir sur la crete aigue et escalader ou contourner Tun après l' autre les blocs et les gendarmes. Ce qui est pire encore, c' est la descente par le versant nord, raide et glace, en direction du Scherjoch ( Chammlilücke, 2852 m. N. ). Il ne présente, il est vrai, que peu de crevasses transversales, juste de quoi se casser les jambes. Mais cette descente par une pente de glace de 60-70°, à peine recouverte par endroits de quelques pouces de neige et montrant ailleurs sa surface d' un bleu-gris n' est pas très engageante. Nous avons préféré faire un detour par la neige et en profiter pour une glissade. Zgraggen était extremement prudent et son ceil savait repérer dans la neige le moindre sillon cachant une crevasse. Nous nous assîmes Tun derrière l' autre, il saisit mes jambes sous ses bras, je pris soin des piolets, tandis que les jambes de Zgraggen faisaient office de guidon, et nous voilà dévalant dans un panache de neige la pente rapide vers le Scherjoch. J' aurais préféré descendre seul, mais Zgraggen désirait ce système de tandem pour aller plus vite, car le temps pressait.

Cette descente, qui pouvait bien avoir 1000 pieds de dénivellation, se passa sans encombre. La seule consequence pénible fut un sentiment d' humidité désagréable sur le séant. Zgraggen avait été admirable et les parois des Clarides ( Chammlistock. N. ) retentirent de nouveau de nos „ youtsées ". Mais il ne fallait pas se réjouir trop tot: nous avions maintenant devant nous la chute du glacier de Griess, descendant à l' ouest du Scherjoch, et qui avait donne bien du mal aux premiers ascensionnistes. J' avais déjà eu l' occasion d' admirer le „ travail " de Zgraggen, excellent marcheur et guide particulièrement prudent dans les passages rocheux. Ici ce n' est plus l' adresse seulement qui est mise à l' épreuve, mais avant tout l' expérience du glaciériste. La descente de ce glacier terriblement déchiqueté n' était pas une bagatelle. Normalement on passe au pied des Clarides ( du Chammlistock. N. ). Aujourd'hui, c' était chose impossible. Il aurait fallu franchir crevasse après crevasse pour arriver finalement à une formidable coupure infranchissable entre glace et rocher. Nous devions donc traverser obliquement du sud au nord tout le glacier de Griess aux deux tiers de sa hauteur. Jamais encore, dans toutes mes courses de glacier, je n' avais fait un „ chemin " pareil.

J' eus d' abord un haut-le-corps et demandai avec inquietude à Zgraggen: „ Et si le brouillard monte quand nous sommes au beau milieu du glacier? Vous voyez bien ces nuages noirs dans le Schächental! Que ferons-nous alorsAllons-y. Vous n' avez qu' à me suivre. Plus question de remonter maintenantC' était l' impératif catégorique. Peut-etre se disait-il aussi avec une certaine confiance: „ Ce n' est pas encore tenter le diable ca, et avec celui-là je passerai bien n' im où. " J' étais encore si frais et dispos et d' une humeur si entreprenante que je le suivis avec une veritable joie dans le labyrinthe des crevasses et des ponts de neige, curieux de voir comment il allait m' en sortir. Là-haut, dans les Clarides, nous entendîmes le sifflement, ou plutöt les cris plaintifs d' un chamois, un cabri probablement. Il y avait des passages où nous devions descendre de 20 pieds entre les parois de glace, pour chercher une sortie de l' autre cöte, dans la neige dure. Un instant plus tard, nous avancions sur des croupes étroites entre deux crevasses; après une heure EdouardRene Dick SteinmannAlpinisme Membre adjointd' hiver Walter Gugler Hans Spillmann Assurances Alpinisme a"ete Philippe Muller Reynold OrganisationSchmid de JeunesseCabanes Emile Dysli Guides Victor Märki Publications Pierre Pidoux Werner Ryser ler Tresorier 2e Tresorier Jean Juge Dr es 1 eures Membre adjoint Andre Fontana Dr en droit Conseiller juridiQue John Dr en med.Prof. Dr W. CharpieEd. Wyss-DunantMarcel Gysin ler Vice- President2e Vice- PresidentPresident AndreArmand Wolf Reymond2e Secretaire ler Secretaire Le Dr en med. A. Gailland ( Secoursne ftgure pas sur la photo COMITE CENTRAL GENEVE 1962-1964 Photo Centre Geneve de cet exercice, j' avais tant et si bien assimilé l' art du „ danseur de corde ", à son stade élémentaire tout au moins, que Zgraggen laissa tomber en souriant: „ Le diable en personne ne nous ferait pas peur. "

A la sortie du glacier je compris pourquoi il s' appelle glacier de „ Griess ", expression uranaise qui désigne le gravier. Le glacier s' est retiré à 20-30 minutes de la moraine frontale. La moitié de l' espace dégagé entre glacier et moraine est encore recouverte de neige, l' autre moitié, ainsi que les bords, sont une mer d' éboulis, une collection de débris provenant du flanc occidental des Clarides et sillonné de gorges de 40-60 pieds de profondeur. Blocs grands comme des maisonnettes, gros pierrier de moraine, gravier calcaire, pierres schisteuses, tout cela représente une traversée déjà bien pénible par beau temps, et maintenant l' orage menacait! Il s' était déjà déchaîne dans la vallée de la Reuss et dans le Schächental, à une ou deux heures d' ici. Une masse de nuages sombres, noirs meme, sillonnés d' éclairs parfois ascendants, s' étendait entre Unterschächen et le fond de la vallée principale. De puissants coups de tonnerre éclataient par moments. La tempete avancait le long de la chaîne du Roßstock en direction du Klausen. En peu de temps - nous étions encore en train d' escalader péniblement de grosses pierres au milieu des éboulis - l' orage nous avait atteints.

Cela débuta par des gouttes, si l'on peut appeler ainsi quelque chose qui remplirait des des à coudre. Ces gouttes ne tombaient pas, mais étaient projetées presque horizontalement, provoquant un sentiment assez désagréable sur le visage brüle par le glacier. Depuis un moment déjà nous avions commence à chercher un abri. Maintenant il n' était plus possible d' avancer. En un clin d' ceil tout fut noyé dans un brouillard épais et noir comme du plomb. Le plus désagréable, c' étaient les éclairs éblouissants, sillonnant continuellement le ciel et les coups de tonnerre assourdissants qui éclataient tout près. Nous nous tenions à cöte d' un gros bloc et fümes passablement trempes.

Lorsque l' orage se calma un peu, Zgraggen chercha à s' orienter, ce qu' il réussit facilement gräce à sa bonne mémoire des lieux. Nous foulämes bientöt le tapis vert de la Kammlialp, doux comme du velours. On ne voyait pas encore les chalets, mais les sonnailles du troupeau nous disaient déjà que l' alpe était habitée. Une nouvelle averse torrentielle nous obligea encore une fois à nous abriter plus d' une demi-heure sous un surplomb de rocher. Nous passämes le temps à manger et à vider la dernière bouteille, soigneusement gardée jusqu' ici. Après avoir patauge encore dans de petits ruisseaux enflés par la pluie et louvoye autour de flaques de boue, nous atteignîmes le chalet de la Kammlialp, à l' ouest du col du Klausen. Un nouveau grain arrivait justement de la Schächentaler Windgälle et le tonnerre résonnait majestueusement dans les rochers des Clarides, du Scherhorn et de la chaîne du Roßstock.

Toute la famille, à l' exception de la mère, était réunie en ce moment au chalet: garcons et filles adultes et adolescents, le père, un berger et un valet. On prétend que c' est dans le Schächental que vit la plus belle race d' Uranais. Le fait est que jamais encore je n' avais rencontre dans les alpages plus beaux types que cette famille: forts et bien bätis, le regard vif, l' air jovial, le teint frais et les dents d' une blancheur éclatante. Seule, la saleté des pieds contrastait désagréablement avec les jolis visages des filles; le voisinage repoussant des porcheries ne pouvait l' excuser: il y a suffisamment d' eau ici pour ne pas laisser les jambes se couvrir d' une carapace de boue.

Moins par faim que par politesse nous acceptämes le café qu' on nous offrit et nous le trouvämes excellent. Bien sür, on ne nous régala pas de sucre et de miel, mais de „ rauchzieger " ( fromage fume à base de sérac. Note tr .) et de fromage de chèvre. Enfin l' orage commenca à se calmer, le tonnerre s' éloigna lentement et nous nous preparämes à repartir. Au lieu de prendre la direc- 3 Les Alpes —1962 -Die Alpen33 tion du Klausen, nous descendîmes, comme on nous l' avait indique, plus au sud, vers le Schächen qui sort du glacier de Griess et auquel on donne ici le nom de Stäuberbach. Le chemin suivait des pentes raides, couvertes d' une végétation magnifique, passait par des alpages et des vires. Une échelle d' une vingtaine d' échelons permettait de franchir un banc de rochers. Avec l' herbe mouillée par la pluie ce fut une épreuve qui valait bien les difficultés du glacier de Griess. Après le banc de rochers venait une pente extremement raide, avec des dalles. A gauche du chemin délavé, une cascade du Stäuberbach tombait de 80-100 pieds, mugissant au fond du précipice. Une glissade aurait irrésistiblement entraîné dans la profondeur. Ailleurs, nous dames passer presque au travers d' une cascade. Puis, au pied d' un contrefort de la „ Balmwand " ce fut un long pierrier offrant un coup d' ceil merveilleux. Des rhododendrons en pleine floraison en recouvraient une grande partie; ils portaient de jolies excroissances provoquées par une sorte de guepe et atteignant parfois les dimensions d' une grosse noix; leur couleur appétissante les faisait ressembler à une petite pomme Mais ce qui me frappa le plus, ce furent les grands rhododendrons très floriferes, aux fleurs lilas et presque blanches, comme je n' en avais encore jamais vu. L' orage s' était éloigné; des traînées de brouillard s' accrochaient encore aux deux chaînes de montagnes du Schächental, mais un bon coup de vent avait déjà passablement dégagé le ciel et le soleil faisait briller admirablement la belle cascade du « Stäuber ». Il mérite mieux ce nom que son homonyme de la vallée de Lauterbrunnen, qui souffre de pénurie d' eau presque toute l' année durant. Notre cascade impressionne bien plus par son imposante masse d' eau. Elle est vie, force, plénitude et couleurs. Le soleil du soir avait justement jeté un arc-en-ciel par-dessus ce bouillonnement blanc et mouvant, et les eaux écumantes étincelaient des plus belles couleurs. C' est l' une des plus belles cascades que j' aie vues.

Non loin de la cascade s' élève une maison neuve, d' une construction assez originale. Bien entendu, ce ne peut etre autre chose qu' un „ Hotel et pension ". Bientöt, à moins de fuir les hommes et de courir des sommets tels que le Scherhorn, on ne pourra plus jouir en Suisse de beautés naturelles dans leur splendeur sauvage sans qu' un „ Cafe-restaurant " installé à cöte ne vous rappelle l' humanité décadente... Je laissai à gauche l' hötel Stäuber et nous suivîmes ensuite le chemin descendant le Schächental.

La première chose qui me frappa, ce furent les érables ecimes. Il semble que dans cette vallée chaque habitant garde autant de bétail que possible, meme plus qu' il n' en pourrait faire hiverner. Faute de fourrage en suffisance, on s' en tire au printemps avec de jeunes feuilles d' érables; l'on taille deux ou trois fois par année ces arbres, très nombreux dans la vallee.

Un pont délabré traverse plus bas le Schächen qui roulait d' énormes quantités d' eau après l' orage. Le chemin raboteux, courant parmi les murs de soutènement, commencait à me paraître long. L' eau recouvrait le chemin, dont les bords, par endroits éboulés, témoignaient de la violence de l' orage. Un ruisseau latéral avait déborde et détruit une scierie. Des poutres longues et épaisses et des planches sciées étaient éparpillées par centaines tout alentour. Tout était dévasté. Des planches étaient allées s' accrocher au haut des arbustes au bord du Schächen; j' en découvris meme parmi les branches d' un arbre; elles avaient sans doute été emportées par le vent soufflant en tempete. Les prés étaient couverts de débris et de gravier. Les gens désolés essayaient de rassembler leurs biens. Voilà bien les forces hostiles de la nature, cause de la misère dans mainte région. La poignée d' hommes qui habite cette vallée ne peut guère s' opposer aux éléments dechames.

La soirée était belle, lorsque nous atteignîmes Unterschächen, et nous eümes encore le loisir d' admirer, devant le bätiment de l' Hotel Clausen, les Alpes se colorant de rose. On découvre de là, la gorge boisée du Brunnital, aux parois presque verticales, et, au fond, la Windgälle et le Grand Rüchen.

Après m' etre rafraîchi, avoir soupe et bu un verre de vin dilue d' eau de Selz avec Zgraggen, je me couchai. Je dormis peu, quoique je ne fusse pas souffrant. Aucune douleur aux pieds ni aux yeux, pas de lèvres crevassées, gräce à la couche de beurre protectrice, mais les jarrets raidis, les muscles des mollets et des cuisses fortement tendus. La soif, compagnon souvent désagréable après une longue marche, ne me chicana pas trop, ce que j' attribuai à ma modération dans la consommation de l' eau. Pendant la nuit, il plut un peu; mais il faisait une chaleur de foehn, si bien que je laissai la fenetre ouverte.

A trois heures, réveil et petit déjeuner, à quatre heures depart. Ambrosi voulait etre de retour le jour meme dans le Maderanertal et, pour lui faire plaisir, j' acceptai de me lever un peu plus tot que je ne l' aurais fait autrement. Le ciel était nuageux, tandis que nous descendions la vallée par une très jolie petite route construite aux frais du district d' Altdorf, construction qui suscita dans d' autres vallées, dépourvues de routes, le désir d' en faire construire également. Au pied du „ Spitzen ", un contrefort du Sittliserhorn ( 2462 m ), le Schächen avait été barre par un glissement de terrain et formait un lac. La forte pente, l' arrivée rapide de l' eau, le grand danger d' inondation par suite de rupture du barrage, tout cela créait une situation inquiétante. On était en train de scier les sapins tombés avec la masse de l' éboulement dans la vallée et l'on cherchait à ouvrir une voie d' écoulement pour l' eau. Il était 4 h. y2 du matin, et ces vingt hommes au travail prouvaient bien la présence du danger.

Jusqu' ä Altdorf il y a trois heures de marche. Tout au long du chemin on a, à sa droite, des campagnes, des alpages, des for6ts au feuillage vert, et ä Test la chaîne du Roßstock avec ses pointes rocheuses dénudées Pas de halte à Spiringen. Petites maisons pittoresques, jardins fleuris, auberges isolées, dites „ Hotels " meme si elles n' ont que deux étages et sont construites en bois.

Tout en bavardant gentiment avec Zgraggen qui m' apprit bien des choses intéressantes sur différents problèmes dans le canton d' Uri, nous atteignimes Bürglen. C' est là que nous nous sepa-rämes avec un cordial „ au revoir ", bien contents tous les deux. Zgraggen se rendait dans le Maderanertal et moi à mon greffe.

A Altdorf je telegraphiai à la femme de Zgraggen pour lui annoncer notre heureux retour du Scherhorn, et je marchai sans halte jusqu' à Flüelen que j' atteignis à 10 h. Yi.

Sur le bateau je rencontrai un clubiste de Bale et nous causämes amicalement, car il était de cette sorte de gens qu' un beau paysage rend non seulement contents mais heureux; de ces hommes qui, tout en ^tant dans l' aisance, conservent quelque chose de simple, de sympathique et restent des personnalités attachantes, alors que c' est si fréquemment le contraire chez les gens riches, plus encore chez ceux qui se croient riches et bien davantage meme chez ceux qui désirent paraitre intelligents.

Cette course de montagne est une perle parmi mes souvenirs. Le Scherhorn n' est pas le point le plus haut que j' aie atteint; mais c' est un sommet magnifique, une de ces beautés alpines auxquelles un riche panorama et quelques difficultés à la descente confèrent un attrait spécial et qui procurent un grand contentement à bien des egards. » Relevé des frais Bateau à vapeur ( abonnement ) pour Flüelenfr. 1.80 Poste pour Amsteg » 2.50 Bristen, viande sechee chez le chapelain Furger » 1.60 Lungenstutz. Eau sucree avec kirsch pour moi et Ambrosi»0.60 Hotel Alpenclub, selonfacture fr. 16.35. Cuisine 65 cts.avecvin et provisions pour lacourse... » 17. A la Kammlialp » 0.50 Hotel Clausen, Unterschächen, selon facture pour moi et le guide ( oublie le bain de pieds. Seh. )... » 8.10 A Bürglen pour prendre conge d' Ambrosi » 1.20 Au guide Ambros Zgraggen pour 2 jours, plus pourboire pour transporter la couverture ä la Hüfialp et l' y faire reprendre, et voyage de retour le 3e jour ( pour l' espace de temps entre le 27 juillet ä 10 h. du matin et le 29 juillet ä 8 h. du matin et voyage de retour jusqu' au Maderanertal. En moyenne:

3joursälO ., pas eher, gräce aux relations personnelles»30. A Altdorf, telegramme ä Mme Zgraggen » 0.75 Retour en bateau ä vapeur » 1.80 Achat de cristaux » 1.50 Totalfr. 67.35 Note Hotel AlpenclubHotel et Pension Clausen, ä Unterschächen, 1 diner fr. 2.tenu par M. Gisler, proprietaire V2 bouteille vin d' Italie »1. i souper ( ä 1.50 ) V2 bout. Italien. ...fr. 2.10 1 bouteille eau de Selz ä l' emporter... »1.25 Cuker ( sucre !) 1 logement»1.65 2 bouteilles de Valteline » 6. Dejeuner ( sie ) » 1 — 1 bouteille vin d' Italie »2. ßoujie ( bougie ?) et servier ( sie)»0.50 Pain, fromage et beurre » 3.50 Guide: li/2 chope de vin » 0.75 3 bouteilles vides^»0^60 Soupe, viande et salade, sucre»1.85 fr 16 35 Logement ( 50 ct .) petit dejeuner » 1. ( Adapte de Vallemandpar Nina Pfister-Alschwang )

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