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L'autre son de cloche

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Complément à la tentative d' ascension au Mœnch par la princesse KolkofT-Masalska ( Dora d' Istria ) 2.

Il y a une trentaine d' années, Les Alpes ont publié, sous la signature d' Armand Schmitt de Montreux, un fort intéressant article sur Dollfus-Ausset, avec ce sous-titre « Tentative sans-guide à travers les Matériaux pour servir à l' étude des glaciers ». Le nom de Dollfus est resté longtemps attaché au Pavillon qu' il avait fait construire sur la rive gauche du glacier d' Unteraar et qui, devenu en 1895 propriété du CAS, fut plus tard remplacé par l' actuelle cabane du Lauteraar.

Quant à l' œuvre principale de D. Dollfus-Ausset, les dix pesants volumes des Matériaux pour servir à l' étude des glaciers, ils encombrent inutilement les rayons des bibliothèques des sections. Inutilement, car ce n' est que de très loin en loin qu' un lecteur curieux s' aventure dans le « dédale redoutable de cette formidable encyclopédie ». En parcourant en 1925, soit plus d' un demi-siècle après leur publication, les exemplaires de notre bibliothèque centrale, Armand Schmitt devait souvent couper les pages de ces volumes restés vierges.

Aussi fut-ce pour moi une surprise de recevoir, à la suite de parution dans le numéro de janvier de cette revue du récit de la tentative au Mœnch par Dora d' Istria, une lettre d' un collègue alpiniste de Thann, J. Baumann, membre de la section du Haut-Rhin du CAF, qui s' étonnait que je n' aie pas mentionné le récit que le guide Hans Jaun a fait de cette course, 1 Ces crampons sont aujourd'hui brevetés ( Red. ) 2 Cf. Les Alpes, janvier 1956.

récit incorporé par Dollfus-Ausset dans le Tome V de ses « .Matériaux ». C est que je V ignorais totalement.

Hans Jaun était l' un des cinq guides qui accompagnaient en 1855 la princesse Kolkoff-Masalska. Mais auparavant il avait été le guide d' Agassiz et de Desor, puis le guide personnel de Dollfus-Ausset, qui nous le présente en ces termes:

« Hans Jaun, né à Meyringen en 1806, est décédé en 1860. Sculpteur en bois de son état en hiver -chasseur de chamois au printemps et en automne - guide de haute montagne en été. Cet homme intelligent possédait le savoir-faire et le savoir-voir hors-ligne dans toutes les circonstances, avec ce calme qui caractérise les guides de l' Oberland; il a fait partie de tous les séjours, de toutes les courses glaciaires et ascensions entrepris par les glacialistes du Pavillon de l' Aar de 1841 à 1859 — Jungfrau, 1841, Rosenhorn, 1844, Galenstock et Wetterhorn, 1845 — Jaun a été proclamé guide-chef en 1846; sous sa direction toutes les courses et ascensions se sont terminées par la rentrée à bon port des alpinistes »... A ma demande il a rédigé les récits de ces expéditions. Je les transcris tels qu' il les a tracés, sans changer un seul mot. » Les récits d' ascensions d' autrefois contiennent de nombreux portraits et appréciations des guides par leurs « messieurs »; on s' est demandé parfois, assez malicieusement, quelle figure auraient les « messieurs » vus par leurs guides. Whymper ne sort pas grandi des « Souvenirs » de Christian Klucker. De même, après avoir donné à nos lecteurs la relation par Dora d' Istria de son aventure au Mœnch, il nous a paru intéressant de leur faire lire, en guise de contre-épreuve, le récit qu' en a fait Hans Jaun.L. S.

« Au mois de juillet1 1855, je reçus une dépêche télégraphique de mon cousin Jaun d' Interlaken, me priant de me trouver le lendemain de bonne heure à l' hôtel des Alpes ( Interlaken ) pour prendre en main une caravane et la conduire à la montagne. Je n' eus pas longtemps à réfléchir; le soir même je me mis en route, à pied, le long du lac de Brienz... les bateaux ne circulant pas de nuit - et fus au rendez-vous à la pointe du jour. Je pensais y rencontrer un de mes clients habituels de Bâle ou de Mulhouse. Quelle ne fut pas ma surprise de trouver une... dame, à qui mon cousin servait de guide attitré, et qui voulait gravir la Jungfrau.

Mon cousin lui avait laissé entendre que j' étais son frère, que j' avais déjà escaladé la Jungfrau, et que par conséquent il désirait vivement m' avoir avec lui dans cette entreprise. Dès que mon arrivée fut connue dans la maison, la... dame nous fit conduire dans son appartement par la femme de chambre. Elle nous fit part de son projet, déclarant qu' elle voulait l' entreprendre depuis Grindelwald, et me pria de lui décrire la route et toute l' affaire, où nous devions coucher et par où nous devions passer. Je lui dis que je n' avais jamais fait la course au départ de Grindelwald, que l' itinéraire depuis ce village m' était inconnu, que ma précédente ascension s' était faite du côté valaisan, depuis le lac de Märjelen. Tout ce que je savais, c' est qu' il faudrait contourner le Gros Mœnch pour parvenir au pied de la Jungfrau, à l' endroit même où l'on arrive en venant de l' alpe de Märjelen;. mais que jusque là je ne connaissais pas la région. La... dame répondit qu' elle avait engagé trois autres guides qui connaissaient cette partie de la route. Elle les avait convoqués, et en effet, ils se présentèrent vers midi. C' étaient Ulrich Lauener de Lauterbrunnen, Peter Bohren et Johannes Almer de Grindelwald. Vers le soir, nous partîmes tous ensemble pour Grindelwald, afin d' aller bivouaquer le lendemain dans la grotte de l' Eiger. Mais il plut le jour suivant; nous restâmes donc à Grindelwald, et ce ne fut que le troisième jour que nous nous mîmes en route pour l' Eigerhöhle.

Le 3e jour donc, tout le nécessaire fut emballé et empaqueté; même une chaise à porteurs attendait sur la place pour transporter notre... dame jusqu' à l' Eismeer. Voyant cela, je dis à mon cousin: ,Si la dame doit se faire porter, nous n' arriverons pas à la Jungfrau. ' 1 Hans Jaun fait erreur; la tentative eut lieu les 10 et 11 juin.

II répondit que c' était pour ménager ses forces et ne pas trop se fatiguer au début de la course, mais qu' elle tiendrait ensuite jusqu' au bout. La... dame s' installa confortablement dans la chaise, et fut transportée ainsi jusqu' à FEismeer. Le glacier traversé, il fallait continuer à pied, car on ne peut aller plus loin avec une chaise. Mon cousin et moi sai-sîmes notre... dame chacun par un bras et commençâmes à gravir avec elle les pentes rapides. Cela n' alla pas trop mal au début; mais bientôt un troisième dut la pousser par derrière. Au bout â' iy2 h., il fallut faire appel à un quatrième. Nous lui passâmes une corde autour de la taille pour la tirer en avant. Les pentes qui dominent l' Eismeer sont très raides et très fatigantes. Après une couple d' heures la — dame était dans un tel état d' épuisement qu' il fallait s' arrêter à chaque instant et lui passer sous le nez un flacon de sels pour l' empêcher de s' évanouir. Elle avait de fréquents vomissements; nous eûmes toutes les peines du monde à l' amener jusqu' à la grotte de l' Eiger. Là, elle eut encore quelques vomissements. La grotte était encore à moitié remplie de glace. Tout de suite, nous allumâmes un feu, rassemblâmes le vieux foin dans un coin pour aménager une couche sur laquelle notre... dame put s' étendre. Nous lui offrîmes du café chaud avec les vivres que nous avions apportés, afin de la remettre en forme pour le lendemain. Nous autres, nous nous couchâmes l' un ici l' autre là, enveloppés tant bien que mal dans nos couvertures, et attendîmes le matin.

Avant l' aube nous étions de nouveau sur pied pour préparer le café. On déjeuna et, après avoir tout remballé, on se remit en route. De nouveau la... dame fut attachée à la corde, car il y a de très fortes pentes pour atteindre le plateau glaciaire qui s' étend entre le Mœnch et l' Eiger. Sur plus d' une heure de chemin, le glacier est encore assez plat, et tout alla bien au début; mais lorsqu' on attaqua les pentes sous le Mœnch, les indispositions de la veille réapparurent, aggravées... Il fallut nous mettre à quatre pour la tirer, voire la porter, jusqu' au pied du Mœnch, à quelques centaines de pas derrière l' arête qui relie ce sommet à l' Eiger. Là nous creusâmes une fosse dans la neige, étendîmes au fond quelques peaux de chèvre, et là-dessus notre... dame, enveloppée dans les couvertures qui restaient. Elle était faible, exténuée, et vomissait au moindre mouvement.

Que faire dans ces conditions? Sur ces vastes étendues glacées, il n' y avait pas un endroit où l'on pût s' abriter du vent et camper sur un sol libre de neige ou de glace. La distance jusqu' à la Jungfrau était encore aussi grande que celle que nous avions franchie pour parvenir jusqu' ici. Aucun de nous n' avait autre chose que les habits que nous portions; toutes les couvertures étant utilisées pour notre... dame. Passer ici le reste de la journée et la nuit suivante, sans protection contre le vent et le froid, me paraissait imprudent: je conseillai la retraite; Lauener m' appuya. Les autres voulurent faire les « gros » devant la dame... dame, parlaient de bivouaquer ici et de continuer la course le lendemain. Lauener et moi leur démontrâmes l' impossibilité de cette façon de faire, déclarant qu' en ce nous concernait nous allions retourner, les laissant en plan s' ils s' obstinaient. Après s' être concertés un moment, ils se rallièrent à notre décision. Toutefois le drapeau devait être planté quelque part; on le fixa sur la glace de l' arête, à côté du Mœnch.

Et l'on redescendit. Toutes nos affaires furent emballées, et la... dame aussi bien que possible. Nous la traînâmes en bas les pentes de neige jusqu' à l' Eismeer où nous avions laissé la chaise. L' une et l' autre furent transportées à Grindelwald. Le même soir la... dame se fit conduire en voiture à Interlaken, accompagnée du guide-chef. Nous autres l' y suivîmes le lendemain dans un char qu' elle avait commandé pour nous. Là elle nous paya, mettant ainsi le point final à cette histoire authentique.»Traduit par L.S.

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