Le glacier de l'Allalin. Un glacier à problèmes | Club Alpin Suisse CAS
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Le glacier de l'Allalin. Un glacier à problèmes

Un glacier à problèmes

L' origine du nom du glacier de l' Alla vient des Sarrasins, qui parcoururent le Valais voici plus de mille ans. Au plus fort des crues glaciaires, le glacier recouvrait le fond de la vallée alors que de nos jours, il n' est plus guère visible d' en bas. Son passé est noir: en 1965, une partie de sa langue s' est écroulée dans la vallée, causant la mort de 88 personnes. Depuis lors, on l' observe attentivement et la zone à risque est interdite en raison du danger de chutes de blocs de glace. Un nouvel éboulement de séracs s' est produit l' été dernier, rappelant le tragique accident des années soixante. Petit historique de ce glacier.

L' Allalinhorn se range parmi les quatre mille des Alpes suisses les plus faciles à gravir; le glacier de l' Allalin recouvre l' extrémité amont du bassin versant de la vallée de Saas et on appelle alpage de l' Allalin ce beau pâturage qui occupe le fond de la vallée, sur lequel la langue glaciaire s' est naguère écroulée et que des avalanches de glace atteignent occasionnellement. Tous ces lieux-dits ont en commun leur nom de consonance étrangère, dont l' origine supposée remonte à la lointaine Afrique du Nord: en arabe, ala' i signifie source. Après s' être établis en Espagne et en France, quelques Sarrasins ont traversé, il y a plus d' un millénaire, les cols du Grand Saint-Bernard, du Théodule et du Monte Moro pour gagner le Valais. Mais la particularité du glacier de l' Allalin ne réside pas seulement dans son nom. Les glaciologues lui reconnaissent aussi un comportement inhabituel: sa langue, se mettant à glisser à intervalles périodiques, engendre parfois des avalanches de glace. Ce phénomène, appelé « glissement du front glaciaire », est l' objet d' études.

En constante évolution Le glacier de l' Allalin est cité pour la première fois dans un document datant de 1300 ayant trait à l' affermage de l' alpage « en amont du glacier », l' actuelle Distelalp ( Lütschg 1926 ). A cette époque, ce pâturage était délimité par les glaciers de l' Allalin et du Schwarzberg. Au début du XVI e siècle, les glaciers de la vallée de Saas ont passé par une phase de retrait maximum comme, d' ailleurs, ceux de l' ensemble des Alpes suisses. Pendant le « petit âge glaciaire » qui lui a succédé, avec les stades d' extension maximum de 1600, 1820 et 1850-60, le glacier de l' Alla a entièrement recouvert le fond de la vallée et formé un barrage naturel derrière lequel s' accumulaient les eaux du lac de Mattmark. De fréquentes vidanges du lac ont provoqué de sévères dévastations dans la vallée, forçant, plusieurs fois, sa population à l' émigration. Le danger d' inondation a totalement disparu depuis que le glacier s' est retiré du fond de la vallée en se cantonnant sur la forte déclivité du versant gauche. Mais cette décrue glaciaire a rapidement soulevé d' autres problèmes. Lors de la construction du barrage de Mattmark, un écroulement de séracs a emporté de nombreuses vies humaines. Depuis 1968, cette digue, jouant le rôle qu' ont tenu il y a plusieurs siècles la glace et les moraines, retient derrière elle le lac artificiel de Mattmark, dont la capacité s' élè à 100 millions de m 3.

Après sa crue de 1920, le glacier de l' Allalin a reculé lentement, puis de plus en plus vite pendant les années quarante ( cf. fig. ). L' épaisseur de la glace a tout d' abord fortement diminué dans le fond de la vallée, puis le front glaciaire s' est

La zone médiane du glacier de l' Allalin fait, entre autres, l' objet d' études. A l' arrière, le glacier de l' Hohlaub Pho to :F .F unk- Sa la mi LES ALPES 9/2001

rapidement retiré sur la pente escarpée du versant ( 600 m entre 1944 et 1947 ). Après l' avalanche de glace de 1965, le glacier a regagné en cinq ans les 400 m qu' il avait perdus, pour s' étendre presque jusqu' au fond de la vallée au milieu des années quatre-vingt. Depuis lors, il se trouve en pleine phase de retrait et son volume a diminué de 1,8 million de m 3 par an en moyenne depuis

1967 ( Bösch 1999 ).

Stabilité des glaciers suspendus La stabilité d' un glacier fortement incliné dépend de son épaisseur, de la topographie et de la pente de son lit, de l' adhé au sol, des forces de cisaillement qu' engendrent les contreforts latéraux, de la résistance à la rupture par traction ( cohésion ), ainsi que de la température et de la densité de la glace. La cause principale de l' instabilité d' un appareil glaciaire réside dans une répartition critique de sa masse. En outre, l' eau de fonte qui s' écoule sous le glacier peut favoriser le glissement lorsque la température de la glace est voisine de son point de fusion. Comme les forces de frottement entre la glace et le sol augmentent avec la baisse de la température de la glace et, par conséquent, avec l' élévation de l' alti, on estime, selon une règle approximative, que les glaciers tempérés 1 deviennent instables à partir d' une pente de 25°, tandis que les glaciers froids 2 ne le sont qu' à partir d' une pente de 45°. Le glacier de l' Allalin, dont la déclivité atteint 26,. " " .5° en moyenne, est tempéré. A l' opposé des glaciers suspendus froids et solidement accrochés à leur sous-sol

1 La température de la glace est légèrement inférieure à son point de fusion. 2 La température de la glace est nettement plus basse que son point de fusion.

par le gel, où de petites chutes de séracs se déclenchent à n' importe quel moment du jour ou de l' année, indépendamment du rayonnement et de la température, celui de l' Allalin peut être le siège de sérieuses, mais très rares, avalanches de glace ( plus de 100 000 m 3 ), qui se déroulent surtout en été et en automne. Si la glace s' écroule sur une surface rugueuse, comme dans le cas qui nous occupe, la longueur de sa trajectoire dépend de son volume ( de grosses masses parcourent de plus grandes distances ). On peut approximativement admettre que la trajectoire maximum correspond à trois fois environ la hauteur de chute.

Photo prise le 1 er juillet 1916: les glaciers de l' Allalin et de l' Hohlaub, vus depuis le versant opposé de la vallée, à 2645 m Le chantier du barrage de Mattmark, le 5 août 1965, à peine trois semaines avant l' écroule du glacier de l' Allalin Le glacier de l' Allalin après l' éboulement du 30 août 1965 Pho to s: ar chi ve s F .F unk- Sa la mi LES ALPES 9/2001

Le glacier de l' Allalin et ses éboulements Le 30 août 1965 à 17 h 20, une partie de la langue du glacier de l' Allalin s' est détachée de son socle. Deux millions de mètres cubes de glace environ, soit l' équivalent du volume de 5000 maisons familiales, se sont écroulés sur les baraques du chantier de Mattmark, à une vitesse s' élevant jusqu' à 100 km/h. Cette avalanche de glace se précipitant d' une hauteur de 400 m a duré trente secondes et a enseveli 88 personnes. L' éboulement a recouvert le chantier d' une couche de glace compacte allant jusqu' à dix mètres d' épaisseur. Cette catastrophe s' est déclenchée en raison du décrochement de la langue glaciaire que l'on observe, dans le cas de l' Allalin, à intervalles irréguliers. Comme lors d' un glissement de terrain, la glace peut se déplacer assez rapidement lorsque sa composante de glissement dépasse fortement son indice de viscosité. En été, la vitesse de la glace augmente pendant quelques semaines ( de plusieurs centimètres à 1 ou 2 mètres par jour ) pour régresser et s' arrêter au début de l' hiver suivant. Durant le glissement, la surface du glacier se fendille, des crevasses apparaissent et des éboulements de blocs de glace se produisent à l' avant et sur les côtés. Mais il est très rare qu' une rupture de la langue glaciaire aboutisse à une avalanche majeure. La répartition défavorable de la masse glaciaire, la topographie locale et la pression de l' eau de fusion à la base du gla-

Zones de rupture et de transit de l' éboulement de 1965, vues d' hélicop Zones de rupture et de transit de l' éboulement de 2000, photographiées d' un hélicoptère Variations de longueur du glacier de l' Allalin de 1900 à 2000 Pho to :VA WE E 11 2 05 Brü gge r Gr aphiq ue :F .F unk- Sa la mi 0 -400 -800 -1200 -1600 -2000 1900 1910 Variations de longueur de la langue glacière 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000

E

Année

valeur nulle 1967 éboulement 1965 éboulement 2000 LES ALPES 9/2001

cier ont probablement favorisé cette catastrophe ( Röthlisberger 1974 ).

En 1995, le glacier de l' Allalin présentait à nouveau le même aspect que trente ans auparavant, ce qui a conduit à interdire l' accès à la zone dangereuse en prévision d' un nouvel éboulement. Les années suivantes, on a observé presque chaque été un net glissement, mais l' écroulement attendu ne s' est pas produit ( Bösch 1999 ). En revanche, aux heures matinales des 30 et 31 juillet 2000, deux avalanches successives, totalisant un million de mètres cubes de glace, se sont précipitées d' une hauteur de 600 m dans la vallée, ne provoquant aucun dommage, grâce aux mesures de sécurité prises antérieurement. Le point de rupture se situait dans un fossé en forme de faucille, 200 m au-dessus du tracé de 1965. La niche d' arrachement présentait la même forme de fer à cheval, témoignant de l' appui du glacier contre

Le glacier de l' Allalin, peu avant la zone de forte déclivité Niche d' arrachement de l' ébou. Sa forme de faucille montre que le glacier a pu s' appuyer contre deux contreforts latéraux Zones de transit et de dépôt de l' avalanche de glace, à proximité du lac artificiel de Mattmark Pho to s:

ar chi ve s F .F unk- Sa la mi LES ALPES 9/2001

Cabanes et bivouacs

Rifugi e bivacchi

Von Hütten und Biwaks

deux contreforts latéraux. Le lit glaciaire ainsi mis à jour montrait une surface extrêmement lisse, sur laquelle la glace ne pouvait que difficilement s' accrocher.

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